"Tu
sais désormais ce que ressent la pierre quand on la sculpte.. Tu
sais aussi ce que ressentent les morts quand les vifs ont fini de les
pleurer.. Tu sais enfin dans quelle alcôve se niche le sacré.."
C'est
ce que m'ont murmuré hier soir les danseurs de Nathalie Pernette ;
trois phrases que j'ai entendues parmi leur doux tumulte, au milieu
d'autres phrases que leurs gorges revenues à la vie énonçaient
sans paroles.
Si
le gisant est la figure d'un mort que nous aimions, pourquoi
devrait-elle nous hanter ? Je n'ai vu aucun fantôme au cours de
ce spectacle. La preuve qu'il n'y en avait pas, c'est qu'à la fin,
les enfants riaient de bon cœur,
chose rarissime en danse contemporaine où le hiératisme l'emporte
souvent sur le reste, faisant basculer les émotions dans un tragique
oppressant et sans grâce.
Ici,
rien de tel. La figure du gisant nous dit, à coups de caresses
"essensuelles", que l'âme a bel et bien une forme (peu
importe qu'on croit ou non à son existence, là n'est pas la
question) ; elle a une forme et c'est tout l'objet de la danse
de la révéler, de la faire résonner et entrer en nous, de donner
l'occasion de la toucher avec toute notre peau, plutôt qu'avec les
doigts, les yeux ou les tympans.
Il
y avait cinq corps-et-âmes à l'abbaye ce soir-là : le Temps,
la Musique, le Souffle, la Chair et la Pierre. Toutes respiraient
ensemble, au fil des lieux, le long des passages, insufflant aux
spectateurs la joie paisible d'un chœur
enchanté à l'unisson. La compagnie Pernette n'oublie jamais qu'un
public se compose et s'harmonise. C'est là, à la croisée de toutes
les formes de "sæcret",
que se retrouvent les humains épris d'art, où ils peuvent partager
ce que leurs langues ne sauraient dire.
Alors
que les applaudissements se dissipaient à regret sous les voûtes de
l'abbatiale, je songeai au mot somptueux ;
mais il vient de somme, dépense, et je ne voyais pas
ce qu'il venait faire là. L'ample sobriété des costumes ne pouvait
le justifier. J'ai compris ensuite qu'il signifiait seulement qu'il
n'y avait rien à ajouter. La somme du spectacle était ronde comme
une goutte de pluie.
Le
temps d'une traversée d'abside et d'une station sous le porche,
Nathalie Pernette a répondu à une question composée d'un seul mot,
avec le sourire enluminé de l'artiste qui sort de son monde après
l'onction du public, exaltée de cette exaltation qui justifie à
elle seule la vie d'artiste et qui est la plus "scène" des drogues :
— Contact ?
— Apaisement.. départ !
Pour
elle et ses danseurs, entrer en contact avec leur public, c'est
chercher le point de départ qui mènera la figure à prendre essor,
à se rendre la vie, à revenir à elle.
Contrairement à une tragédie
grecque ou hollywoodienne, la mort ne m'attendrait pas au tournant. Je
n'avais plus qu'à partir en paix, voyageur éperdu..
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Images réalisées sans flash, avec l'aimable autorisation de la compagnie, à l'abbaye de Silvacane le samedi 28 mai 2016.