Méthode
d'éditeur
ou
Comment traiter un manuscrit ?
Chers
auteurs en herbe, vous avez enfin pondu votre premier opus et vous
allez l'envoyer aux éditeurs ; disons, à quelques-uns, étant
donné les coûts de plus en plus prohibitifs de la reliure, des
photocopies et de la Poste privée (de compassion). Avant de vous
lancer dans ce qui constitue l'une des activités les moins
gratifiantes de toute l'histoire de l'humanité (avec plieur de
serviettes en papier, et trieur de Bons du trésor avant
leur incinération), voici un exemple de ce qui risque fort d'arriver à
votre bébé chéri.
C'était
l'hiver 2010 ; je venais de terminer l'écriture (avec Héléna
Demirdjian) d'un roman de fiction historique, La Cataracte et le
Geyser, contant la vie de l'explorateur George Bass et ses amours
avec une aristocrate française mystérieuse. Ayant "ciblé"
une dizaine d'éditeurs spécialisés dans ce domaine-là, nous fîmes
nos envois et... attendîmes. Pas longtemps. Au bout de dix jours à
peine, je reçus un courriel de la maison Hoebeke, bien connue pour
ses livres de voyages et son festival malouin. (Incidemment, le
courriel était dans mes spams et je dus le repêcher in
extremis ; c'était là un fait symbolique mais je ne le
savais pas encore.)
Croyant
simplement que c'était un accusé de réception de notre manuscrit,
je l'ouvris sans arrière-pensée. C'était en fait une fin de
non-recevoir de deux lignes. La signataire, une certaine Catherine R.,
m'informait sèchement que le manuscrit restait disponible au siège
de la maison pendant... dix jours (mais je pouvais, si je le
souhaitais, me le faire renvoyer contre un chèque de 10€ ; à
l'aller, il n'avait coûté que 3€ 92 !).
D'ordinaire, les délais de lecture sont plutôt de l'ordre de deux à
quatre mois, parfois six. (Toutefois, il m'est arrivé de voir, sur
les étagères d'une certaine éditrice - plus douée pour la communication de son apparence que pour celle de ses livres - des manuscrits qui prenaient la poussière depuis au moins deux ans). Bref, il était clair que chez Hoebeke, on n'a
pas de temps à perdre.
Par
une de ces coïncidences qui font parfois plaisir, il se trouvait que
j'allais à Paris précisément le dernier jour de l'ultimatum...
pardon : du délai imparti. Curieux de voir à quoi
ressemblaient les locaux de cet humble et gentil éditeur autant que
de récupérer un manuscrit ayant couté 25€ à fabriquer, je renvoyai donc un
e-mail prévenant de mon passage tel jour en milieu d'après-midi, à
ladite Catherine R.
Au
jour dit, je toquai à l'huis d'Hoebeke, rue du Dragon, 6e
arrondissement, Paris, capitale de la France et de la littérature de
bon goût. De l'autre côté, un pas nerveux et cliquetant fonça
vers la porte, qui s'ouvrit pour révéler une brune à queue de
cheval et talons aiguilles. Elle me regarda avec autant d'aménité
que si j'avais été un livreur de pizzas en retard de quatre heures.
Comme elle ne disait rien, j'expliquai brièvement la raison de ma
présence. « Mais... c'est pas le moment ! »
répondit-elle, me rappelant que chez les Parisiens, la politesse et
les sourires sont en option perpétuelle.
Voyant
qu'elle s'apprêtait carrément à refermer la porte, je fis un pas
en avant. Soufflant des naseaux, elle fit demi-tour et s'engouffra
dans un bureau, martyrisant le beau parquet. Je suivis, pensant à
bien refermer derrière moi – à cause des voleurs de manuscrits,
qui pullulent dans le milieu éditorial, c'est bien connu. Dans le
bureau, trois ou quatre personnes debout s'affairaient autour d'une
table couverte de papiers savamment ordonnés. « Quel
manuscrit ? Quel titre ? » jappa la cerbérette
depuis un coin de la pièce.
Elle
était accroupie entre une tablette et une armoire, devant une pile
de grosses enveloppes posée par terre. Le temps que je lui réponde,
ses collègues avaient quitté la pièce, sans doute pour bien
montrer que les professionnels ne se mélangent pas aux amateurs (à
moins que le Grand Manitou ne les eût soudain convoqués par
télépathie). Le temps que je décline le titre et nos noms, la
brune de plus en plus charmante (si l'on considère qu'un caniche
enragé peut avoir du charme) m'avait déjà montré trois ou quatre
enveloppes par-dessus son épaule, les rejetant aussitôt en vrac.
Je
n'ajoutai rien. Sur sa lancée, elle souleva encore une demi-douzaine
d'enveloppes éventrées (quoique, en y regardant bien, elles ne
l'étaient pas toutes) avant de s'interrompre en soupirant. « Je
ne le vois pas. (Il en restait une bonne cinquantaine.) Décrivez-le !
C'est pas le moment... » Je décrivis l'objet, dont la
caractéristique principale était le titre, que je lui avais déjà
énoncé deux fois. « Oui, bon. J'avais compris. (Bin non, puisque vous m'avez demandé de vous le répéter.) Vous le voyez, oui ou non ? »
exsuda la brav'dame. « Eh non ! répondis-je. Car de là où
je suis, je ne vois rien. » J'aurais bien voulu m'amuser de
tout cela, mais ce n'était pas vraiment le cas.
La
diva du BAT se releva d'un coup et fonça sur l'un des ordis de
rigueur. « C'est quoi, votre nom ? » Je lui répétai
pour la troisième fois mon état-civil, serrant les dents pour me
forcer à le rester (civil). Elle cliqua trois ou quatre fois,
pianota une demi-douzaine de touches, jeta un coup d'œil revêche à
son écran. « Je ne le vois pas ! »
J'avais
compris depuis longtemps et décidai d'abréger nos souffrances
mutuelles. « Ne vous fatiguez plus ; j'y vais, là. »
Elle crut bon d'ajouter (mais sans toutefois donner l'air de se
justifier) : « C'est que... c'est pas le moment ! »
À quoi je répondis, déjà tourné vers la porte : « Oui,
je sais, vous l'avez mentionné. Au fait, c'est vous, Catherine R. ? » « Oui ? » répondit-elle sur
un ton méfiant. « 'Sais pas pourquoi, dis-je ; je m'en
étais douté. » Puis je partis en évitant soigneusement de
claquer la porte.
Je
sortis dans la rue du Dragon, vaguement énervé, manquant percuter
l'acteur Hippolyte Girardot qui passait là devant, un sachet
Gallimard à la main et l'air légèrement maussade. Je repartis vers ma
province, conscient que cette coïncidence n'avait finalement pas
plus de sens que la scène lamentable que je venais de vivre, mais
qu'au moins, elle ne prêtait pas à conséquence.
On
déduira de cette aventure un brin morveuse que certains éditeurs
refusent les manuscrits sans les ouvrir ni même les enregistrer dans
leur banque de données, autrement dit qu'ils ne respectent pas les
écrivains et leur travail. Ce qui est normal, quand on sait que la
majorité des livres publiés en France sont en fait des commandes
passées par l'éditeur à ses auteurs-maison et que l'essentiel de
ce qui reste leur est recommandé (donc, commandé deux fois ?) par des collègues, des amis, des
collègues-amis, des amis-collègues et quelques (rares) agents. On
comprendra mieux à qui on a affaire quand on saura que les
responsables des plus grosses maisons d'édition se réunissent trois fois par
an pour décider en commun de leurs stratégies commerciales, ce qui,
dans n'importe quel autre milieu, serait considéré comme une
collusion illégale. Mais ce serait oublier qu'en France, la culture
est une exception.
Il
est temps qu'un texte de loi
Prive
les éditeurs de leurs droits
Puisqu'on
fourre en prison les souteneurs ordinaires
Et
encore... eux... leurs putains les aiment.
(Boris
Vian)
Remarquez, ils auraient pu l'accepter, votre livre ... et vous faire marner.
RépondreSupprimerPar exemple cette auteur Australienne dont le livre est resté "en lecture" chez un éditeur pendant 10 ans ...
(conté par l'auteur en anglais : https://sites.google.com/a/andreakhost.com/the-glacier/)
Certes. Mais ils ne pouvaient l'accepter "à vide" puisqu'ils ne l'ont pas lu et que, selon toute vraisemblance, ils n'ont même pas ouvert l'enveloppe, qui a dû servir à caler une armoire ou alimenter un poêle. De toute façon, la plupart des éditeurs français ne se donnent plus la peine de trier les manuscrits (à part les très gros, qui ont encore les moyens de payer des lecteurs professionnels ; il doit en rester une douzaine).
SupprimerQuoi qu'il en soit, l'histoire s'est bien terminée, puisque "La cataracte et le geyser" a été finalement publié (après avoir approché une trentaine d'éditeurs correspondant pourtant tous au profil du livre) en juin dernier sous le titre de "Les Désamants". Bien la preuve qu'il était publiable !
Mais c'est une exception ; ayant été lecteur chez un éditeur pendant quatre ans, je suis bien placé pour savoir qu'un nombre effarant de bons livres ne sont pas publiés, sous le prétexte qu'ils ne sont pas vendables. Je développerai tout cela d'ici un mois ou deux, dans un pamphlet intitulé "Il était une mauvaise foi". Grincements de dents garantis.
venant faire un tour à partir de "6mots" sur ton blog
RépondreSupprimerje me suis promené sur différents articles
je reviendrai car mes lectures matinales ici m'ont empêché de prendre mon petit déjeuner
mais mon estomac commence à se manifester
... il est temps de laisser mon empreinte !
ayant terminé un roman en décembre 2012, je l'ai envoyé à un comité de lecture
... je n'ai pour l'instant pas de nouvelles
mais ce n'est pas grave
aucun frais de port
je l'envoie par le net !
à bientôt ... ou à pas très vite !
mais j'ai très envie de lire ton pamphlet "Il était une mauvaise fois" si je le trouve dans ton labyrinthe
Bernard
Salut, Bernard,
Supprimerespérons que ton petit déjeuner saura rester à sa place... Pour lire "Il était une mauvaise foi", il suffit de suivre les chapitres indiqués dans la rubrique Archives du blog, et de les lire dans l'ordre... numérique.
(je sais, c'était facile... mais c'est l'été, quoi !)
Alfred