OVNI littéraire à tartiner |
je connais au moins douze écrivains francophones qui sauraient en faire autant, sinon mieux. Je veux dire, en fait : qui aimeraient pouvoir en faire autant. A vrai dire, j'ai déjà eu entre les mains des manuscrits-projets tout aussi délirants et prometteurs. Mais la vraie question, c'est : combien d'éditeurs français auraient les couilles de les publier, ces ovni ?
Tandis que là, mazette ! Tu imagines, Coco ? Les scénaristes de la série Lost ! Le futur réalisateur de Star Wars 2107 ! Le scénariste d'Armageddon, de Star Trek 8754 et de Mission: Impossible III ! Le propre fils du producteur de télévision Gerald W. Abrams et de la productrice exécutive Carol Ann Abrams ! Le frère de Tracy Rosen, la scénariste de télévision ! Un type qui s'est fait quasiment tout seul ! Tu vois, Coco, quand je te disais que le talent était héréditaire.
Tiens, regarde : chez nous, c'est pareil : la fille de Patrick Dewaere et de Miou-Miou, eh bin, elle écrit des séries télé, elle aussi. Et elle gagne bien sa vie. Et si t'es pas content, je t'oblige à regarder tous les épisodes de Julie Lescaut, Sœur-Thérèse.com, Les bleus : premiers pas dans la police, Boulevard du Palais et Diane, femme flic qu'elle a écrits ; et même les autres. Parce que c'est ça, qu'il demande, le public. Elle, au moins, la fille à Dewaere, elle travaille pour la paix et l'ordre du public. Tandis que toi, t'emmerdes tout le monde avec tes idées imbitables qui rapportent rien !
Ouais, pas de doute : Michel Lafon a bien fait d'investir dans la fabrication de 25.000 exemplaires d'emblée ; ils seront certainement vendus, acclamés, encensés et réédités bien vite. Comme tous les trois ou quatre ans, un bouquin publié est "destiné" à faire un carton parce que des huiles de l'édition et/ou de la grosse distribution l'ont décidé, du haut de leur trône munificent. Il paraît que l'un des meilleurs "arguments" de S, c'est que le livre que l'on trouve à l'intérieur (Le bateau de Thésée) présente la particularité d'être annoté, déjà usé, marqué, abîmé.. Il donnerait "l'impression" d'être un livre personnel, à soi.. Autrement dit, ce que recherche ici l'éditeur, c'est créer l'illusion d'un objet de valeur, d'un objet si précieux qu'on hésite à le prêter à autrui. Traduisez : si tu veux le lire, tu l'achètes. Si ce n'est pas du mercantilisme, je ne vois pas ce que ça peut être. On aura reconnu là un des "arguments" qui ont forgé le succès de Harry Potter : à chacun son exemplaire. C'est le néo-snobisme du XXIe siècle, que j'ai décortiqué ici.
Et, soit dit en passant, Lawrence Norfolk a déjà eu l'idée en 2001, avec son roman à deux points de vue mis en abîme In the shape of a boar / Comme un sanglier ; lequel (comme c'est bizarre) se consacrait aussi à un mythe grec : la chasse au sanglier de Calydon. Mais l'éditeur français Grasset & Fasquelle n'avait pas osé en faire un livre-objet.
Ayons une poussée d'optimisme et caressons l'espoir que le succès savamment programmé de S décidera une poignée d'autres éditeurs à se lancer aussi dans l'aventure ; avec de la chance, il se trouvera bien deux ou trois auteurs réellement originaux pour faire partie des "heureux élus".
Jusqu'à ce que la mode retombe dans son caniveau habituel..
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire