Imaginez
tous les Harry Potter qui ont été achetés
depuis le début. Vous voyez la montagne de livres que
cela représente ? Les cent et quelques millions
d'exemplaires (ou les trois mille hectares de forêt que cela a
necessité, si vous préférez) ?
Bon. Ajoutez-y les X millions d'exemplaires de Cinquante nuances de
Truc, les Y millions d'exemplaires du Da Vinci Bidule, les Z
millions d'exemplaires de Twilight, les péta-millions
de Millénium...
Pas
la peine d'en rajouter, on va s'arrêter là. Cela suffira pour cette
expérience. Plus gros, ce serait sans doute trop gros. Moi, en tout cas, j'ai beaucoup de mal à
imaginer une montagne de cinq cents millions de bouquins. C'est
pourtant ce que la majorité d'entre vous a acheté, au nom de cinq personnes
seulement, au cours des vingt années écoulées.
Maintenant, faites comme si
vous aviez fini d'escalader cette montagne. Oubliez la fatigue, c'est une expérience mentale. Une fois au sommet,
appliquez un outil ; pas de panique, vous ne pouvez pas l'avoir
oublié en bas ; vous en disposez tous, même si la
plupart d'entre vous ne s'en servent jamais. Cet outil, c'est le
Rasoir d'Occam. Il sert à simplifier les problèmes pour
parvenir à les résoudre plus facilement. Comme tout ce
qui coupe, il peut être plus ou moins affûté. Il y
a des gens qui ont l'esprit vif, acéré, coupant...
d'autres qui sont épais, émoussés, ou qui
préfèrent broyer les problèmes.
Peu
importe.
Prenez
le Rasoir d'Occam à l'esprit et servez-vous en pour découper
une portion du monstrueux tas de bouquins dont nous parlions tout à
l'heure. Une infirme portion : un millième. Pas plus. Pas
besoin.
Ce
millième fait encore une belle montagne. Cinq cent mille
bouquins. Une paille. Ou encore, une grande bibliothèque. Dix
librairies de taille moyenne. Et ce détachement n'a pas entamé
la montagne ; elle est toujours ce qu'elle était : une
sacrée foutue montagne, composée de cinq éléments,
pas un de plus.
En
d'autres termes, amputés du millième de leurs revenus,
ni ces cinq auteurs ni leurs éditeurs ne verraient leur train de
vie ralentir de façon sensible. Ils seraient toujours parmi les
auteurs les plus riches, et les éditeurs les plus rentables.
Bien.
Maintenant,
toujours du haut de cette montagne forcément démocratique,
considérez la très modeste colline que vous avez
constituée avec votre Rasoir d'Occam. Vous voyez les cinq
éléments qui la constituent, toujours les mêmes,
reconnaissables à leurs couvertures colorées,
hyper-travaillées, séduisantes, professionnelles, pleines d'opinions "éclairées" qui vous aident à savoir ce que vous devez penser ?
Eh bien, sachez que si au lieu d'acheter ces livres-là (les mêmes que ceux du tas monstrueux), si vous aviez fait l'effort intellectuel d'acheter des auteurs moins connus ou méconnus, voire des auteurs français (Soyons fous ! Soyez fous ?), alors aujourd'hui cinquante écrivains seraient mieux connus et gagneraient la somme folle de 500 € mensuels en droits d'auteur. Ils pourraient alors pleinement exercer leur métier d'écrivain au lieu de faire des boulots de merde où leur créativité se fait laminer à petit feu.
Eh bien, sachez que si au lieu d'acheter ces livres-là (les mêmes que ceux du tas monstrueux), si vous aviez fait l'effort intellectuel d'acheter des auteurs moins connus ou méconnus, voire des auteurs français (Soyons fous ! Soyez fous ?), alors aujourd'hui cinquante écrivains seraient mieux connus et gagneraient la somme folle de 500 € mensuels en droits d'auteur. Ils pourraient alors pleinement exercer leur métier d'écrivain au lieu de faire des boulots de merde où leur créativité se fait laminer à petit feu.
Bien
sûr, je ne peux le prouver. Ce n'est qu'un calcul intuitif fondé
sur douze ans d'expérience dans la mafia du livre, à
fréquenter des caïds morveux qui vous disent :
« Oui, mais moi, je ne suis qu'éditeur ; la
preuve, je ne touche que le SMIC. » C'est vrai, ils
existent ; j'en ai rencontré quelques-uns ; et
beaucoup d'autres aussi qui n'avaient ni le courage ni l'honnêteté
de dire combien ils gagnent sur le dos de « leurs »
auteurs.
Il
est vrai que la situation générale est pourrie jusqu'à
la moelle, ici comme ailleurs. Il est tout aussi indéniable que, depuis
ma première parution en 2008, tout ce que j'ai "gagné"
équivaut à 40 centimes par heure de travail.
Alors,
si vous connaissez un boulot plus mal payé,
inutile de m'en parler ; je n'ai même pas l'intention d'y
postuler. Je préfère cet esclavage-ci. Au moins l'ai-je
choisi. Si tant est qu'on choisisse l'évidence...
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