mercredi 18 juin 2025

L'Immanence Aléatoire

La notion même d'Intelligence Artificielle intègre et symbolise tragiquement l'ensemble des fonctions qui définissent le capitalisme : gaspillage de ressources, rendement médiocre voire nul, résultats inférieurs aux prédictions, destruction d'emplois, encouragement à la facilité et au confort intellectuel, réduction de l'autonomie des personnes, promesses délirantes confinant au prophétisme, captation et concentration de richesses, réduction des égalités, confusion sociale de l'usage, confusion sémantique entre "texte" et "récit", etc. La liste est littéralement sans fin.

De fait, il ne manque rien pour faire de l'IA l'incarnation (la numérisation, plutôt) du système économico-politique le plus illusoire de toute l'Histoire humaine. Les avocats de l'IA (qui défendent cet idéal idéalisé toutes griffes dehors, comme si une simple opinion contraire pouvait détruire leur joujou) le font souvent sans savoir de quoi ils parlent; comme tous les convaincus, ils préfèrent aboyer avec la meute de peur qu'on les prenne pour des moutons.

Une des "thèses" les plus souvent avancées pour "justifier" l'IA (ne parlons pas d'"on n'arrête pas le progrès", qui ne fait plus rire personne) est qu'il s'agirait d'un "outil comme les autres; que, comme n'importe quel outil, il suffit de savoir s'en servir". Cette idée est triplement problématique. On comprend bien qu'elle dissimule au moins une contradiction; mais celle-ci se cache à son tour sous plusieurs couches d'erreurs de jugement et d'interprétation, qui ne sont pas toutes dues à des biais cognitifs (ces "indulgences" du XXIe siècle).

Tout d'abord, pourquoi un outil spécialisé a-t-il été jeté en pâture au grand public (gratuitement, qui plus est)? Ensuite, si cet outil est réputé d'usage difficile ou délicat, pourquoi tout un chacun se croit-il autorisé à s'en servir (en général, sans discernement)? Enfin, comment mesurer le degré de pertinence des "objets" "créés" par une IA, puisque pour ce faire, il faudrait que l'utilisateur dispose d'une expertise que, par définition, il n'a pas, puisque s'il l'avait, il n'utiliserait pas l'IA (en tout cas, pas plus que l'IA qu'il croit interroger alors qu'en réalité, il ne fait que la faire causer sur un sujet peut-être mal défini).

La réponse à ces trois questions est que, malheureusement, la pertinence des objets IA est généralement nulle; elle peut même être négative. On nous fait croire que ces objets ont une valeur pédagogique lors même qu'ils n'ont aucune valeur créative, puisqu'ils ne font que s'inspirer (ou plagier, si les auteurs n'ont pas donné leur accord; ce qui est souvent le cas) des objets déjà existants. On est là, en fait, en deçà du gadget, voire de l'image virtuelle payante. Pour le dire en termes structuralistes, l'IA est le degré négatif de la communication humaine, là où la publicité en était le degré zéro.

Dès lors, pourquoi défendre / justifier / promouvoir /encenser une chose qui a une valeur négative pour la plupart de ses utilisateurs? On touche là au domaine de la psychologie de masse. C'est le même problème qui a poussé des émigrants pauvres à voter pour un président qui maintenant les expulse et les opprime. En fin de compte, une partie considérable des êtres humains est tout bonnement incapable d'utiliser son propre cerveau à bon escient ou pour ses propres intérêts. La "prophétie" de P. Le Lay est accomplie: des gens sont effectivement manipulés en masse et servent (au sens médiéval du terme) à gérer l'opinion publique, donc la démocratie (qui, de ce fait, n'en est plus une). Et cela est bien plus efficace que toutes les religions de l'Histoire.

L'IA est donc bien la religion du futur, dont le dieu n'est plus le fric (qui a rejoint le panthéon des divinités diffuses et obsolètes) mais l'information, dans ce qu'elle a de plus utile, rentable, assimilable, digérable. Elle entrera bientôt dans nos rêves, remplaçant les imaginations d'artistes bienveillants désormais poussés à la misère la plus totale.

Et puisque rien n'oblige les Big Data à la bienveillance, ils ne sont autres que nos Anges exterminateurs et préparent en souriant, sinon la fin de l'humanité, du moins celle de l'humanisme.

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