Acteur imitant un méchant qui fait semblant d'être gentil. |
On
a tous connu un personnage ambitieux au cours de notre vie. On l'a
même peut-être été. Mais on ne l'est plus,
sinon on ne serait pas ici, en train de lire une chronique de blog (ou
de l'écouter dans un bar d'amateurs de rugby). Quand on a eu
beaucoup d'ambition et qu'on l'a satisfaite, on ne traîne pas
dans les activités gratuites, c'est-à-dire qui ne
rapportent rien. On fait des trucs de riches ; on n'a pas le
choix, puisqu'on n'a plus d'amis.
Par
exemple, si vous ne savez pas quoi faire le week-end du 22-25 janvier 2014, allez donc
à Davos pour le sommet annuel du Forum économique
mondial. C'est une association à but non lucratif, dont
l'adhésion ne coûte que 42.500 francs suisses (34.000 €) ;
pour l'édition de cette année, le PAF est de 18.000 FS (14.500 €).
Ses membres sont tous persuadés "d'œuvrer pour le bien de l'humanité". Si vous avez pensé que je faisais de l'ironie, c'est que vous
n'êtes pas "assez" ambitieux.
Ceux
qui ont essayé le savent donc : avoir de l'ambition, ça
se manifeste de deux manières. Soit on gravit les échelons
de l'échelle sociale (ça s'appelle faire carrière)
soit on pénètre des cercles de pouvoir (ça
s'appelle faire son trou).
Les échelons, c'est facile ;
ils se suivent et se ressemblent. Il suffit de les négocier
l'un après l'autre si on ne veut pas se casser la gueule, et
le bonheur de la retraite à 55 ans est au bout. Deux millions
de fonctionnaires le pratiquent en France, et ce sont eux, les citoyens modèles
de nos sociétés occidentales. Pour en avoir la preuve,
posez la question suivante à un banquier : à qui préfère-t-il
accorder un prêt ? A un couple d'instituteurs, ou à
un couple d'artistes ?
Les
cercles de pouvoir, quant à eux, ont la caractéristique
d'être centrés sur des cons qui se ressemblent ;
c'est pourquoi on les appelle des cercles concentriques. Comme
tous les cercles concentriques, pour parvenir à les pénétrer,
il faut franchir leur circonférence et se rapprocher de leur
centre. Pour cela, il faut donc cirer des pompes tout en assistant à
des conférences sur divers sujets : comment manipuler
autrui, comment écraser autrui, comment détourner
l'attention d'autrui, comment convaincre des cons qu'ils ne le sont
pas, comment convaincre des pas cons qu'ils le sont tout, et surtout,
comment faire semblant d'assumer sans prendre le moindre risque tout
en gardant une image positive. Toutes ces choses ne sont jamais très
compliquées (au contraire) mais elles prennent du temps et pas
mal d'argent.
Le
seul vrai problème des cercles concentriques, c'est qu'ils
sont pleins d'autres cons ambitieux, qui vous pompent l'air, parfois
vos idées et souvent votre fric. Ça s'appelle le marché
de l'offre et de la demande ; comme dans les expressions "Tu
me fais marcher ?" et "Demande-moi ce dont tu as
besoin, je t'expliquerai comment t'en passer".
Par
définition, fréquenter des cons qui veulent devenir
encore plus cons, c'est assez éreintant – même pour un
con ambitieux ; c'est dire ! En fait, le seul moyen de
supporter tous ces cons, c'est tout simplement de devenir le meilleur
d'entre eux, c'est-à-dire le
plus con.
Car alors, on peut passer au cercle suivant. Ça
s'appelle "aller de Pi
en Pi".
Comme
quoi, le pouvoir, c'est une affaire qui tourne parfaitement rond,
toute seule, sans le moindre accroc, et ce depuis la nuit des temps
pourris.
Pendant
ce temps, les gens pas ambitieux (vous, là, les gens normaux,
comme vous et moi) restent prudemment en dehors des cercles de
pouvoir. Autrement dit, les vaches se gardent toutes seules en
croyant être du bon côté des barbelés, au
joyeux pays qui a pour nom Liberté, et qui n'en a que le nom.
La
liberté est totale au pays de Liberté. La preuve, on
peut y meugler tout son soûl : Meuh !
MEEUUUUUHHHHH !
MOUOUHHAAHHHEUUHHHHH !
Vous
voyez ? Regardez autour de vous. Rien n'a changé. Les
cons sont toujours au pouvoir, se tournant autour pour faire croire
qu'ils sont ennemis, et nous, les couillons, nous sommes toujours du
même côté des barbelés. Et pourquoi on y
reste, de ce côté des barbelés ? Parce qu'on
nous a inculqué (subtilement ou non, le résultat est le
même) ce merveilleux sentiment qui est le contraire de
l'ambition. Vous pensez qu'il s'agit de la modestie ? De
l'innocence ? De la gentillesse ? De la générosité ?
Raté :
c'est la culpabilité.
Je
pourrais me lancer dans une explication de la culpabilité,
vous raconter comment ça marche et vous dire comment vous en
débarrasser. Mais en réalité, vous le savez tous
parfaitement. Vous pourriez le faire à tout moment, rien qu'en
claquant des doigts. Mais vous ne le faites pas, pour la lumineuse
raison que personne ne le fait. Les judéo-christo-musulmans
sont champions historiques toutes catégories de Culpabilité.
Personne ne leur arrivera à la cheville (ouvrière ou non) avant
au moins dix mille ans. Personne ne parviendra jamais à
massacrer autant d'êtres humains au nom d'un principe "meilleur", même en dix mille ans
(à part l'industrie nucléaire, peut-être ;
les paris sont ouverts ; manque de bol, en cas de cataclysme
nucléaire total, il n'y aura plus que des militaires pour
engranger les gains. Fallait pas voter pour le nucléaire, les agneaux ! Ah,
bon, vous n'avez pas voté pour le nucléaire ? La
faute à qui ?)
Elle
est tellement ancrée en nous, la culpabilité, que même
quelqu'un qui professe ne se sentir coupable de rien finit tôt
ou tard par se croire pervers, sous prétexte qu'il devrait se
sentir coupable de ne pas se sentir coupable. Et comme on (= la
culture ambiante) nous dit que le pervers est quelqu'un qui
transgresse les lois, alors on se croit pervers, criminel, bon à
flinguer d'urgence. Il y en a même qui y croient tellement fort
qu'ils finissent par se tuer ou jeter une bombe sur des quidams, pour
prouver que quelque chose qui les dépasse est "vrai"
(comme dans l'expression : "Le sang du Christ est vraiment
dans le ciboire" ou "Viens voir la lumière et
embrasser la vraie croix").
Non
seulement nul ne respecte autant les lois qu'un pervers (puisqu'il
dépend d'elles pour savoir ce qu'il ne doit pas faire, donc ce qu'il doit faire) mais nous
savons tous que ceux qui transgressent les lois sont en fait
(vérifiez dans la mythologie et dans les contes) les héros.
Sauf que bien sûr, personne ne veut être un héros,
puisque la culture ambiante nous montre que c'est celui qui finit
toujours par payer pour les autres.
A
part dans un cas : lorsqu'on se trouve dans une histoire
financée et commanditée par des cons ambitieux qui ont
décidé d'investir dans l'Art bankable.
Autrement dit : des publicistes ou des producteurs
hollywoodiens. Ce sont les mêmes ; il n'y a que la durée
du film qui change. Personnellement, je préfère les
films longs aux courts ; c'est mon paradoxe à moi ;
mais c'est parce que je suis très ambitieux en ce qui concerne
ce que je fais de ma culpabilité. Et honnêtement, je
n'ai pas du tout l'intention de devenir un saint de classe ou un
président de l'arrêt public, encore moins un auteur à
sucer.
Vivre
aujourd'hui en "démocratie" se résume donc à
choisir parmi les "solutions" suivantes : être
tondu comme un mouton ; trait comme une vache ; battu comme
un chien ; humilié comme un taureau ; exhibé
comme un lion ; fouetté comme un cheval ; chargé
comme une mule ; gavé comme une oie ; isolé
comme un putois ; engrossé comme une truie...
Vous
avez remarqué le point commun ? Et je vous jure qu'il y a encore des gens
qui ne comprennent pas ce que voulait dire Kafka...
Pour
finir, je pose ces deux questions :
-
Comment construire le cercle de pouvoir soluble
dans le peuple où des ambitieux pas cons décideront de traiter les
gens comme des êtres humains dignes de ce nom ?
&
-
La génisse est-elle la femelle du génie ?
***
PS en forme de mini-anecdote: afin d'illustrer cette chronique, j'ai tenté de faire figurer en tête un portrait de Dick Cheney (le fameux bienfouteur de l'humanité) prodiguant à la presse l'un de ses merveilleux ricanements de mépris. Curieusement, aucune des images que j'avais sélectionnées n'a réussi à se télécharger. C'est fou ce qu'on se sent protégé ! J'ai donc dû me rabattre sur un malheureux acteur. C'était ça ou la tronche à Sarkozy ; donc, ne nous plaignons pas.
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