samedi 25 janvier 2014

MARSEILLE, capitale de l'acculture 2013

Photo vachement DR

En 1985, je m'installe à Aix-en-Provence pour passer le bac. Un an plus tard, j'achète ma première voiture (une 4L d'occasion) et le soir même, je descends à Marseille pour participer à ma première émission de radio, à Radio-Grenouille. Coup de bol ou clin d'œil du destin, je trouve le studio tout de suite (normal, il y a écrit TOURSKY en énormes néons au-dessus). Je me gare, je vais faire l'émission; je reviens une heure plus tard: portière pliée. Comme il n'y avait rien dedans, rien n'a été volé. Pas un seul des Marseillais à qui j'ai raconté cette histoire n'a manqué de dire: "Normal, vé! C'était ton baptême."
Au cours des quinze années suivantes, une fois sur deux quand je vais à Marseille, quelque chose de négatif arrive: panne de voiture sous un tunnel, ratage de spectacle pour cause d'embouteillage, vol de matériel, injures gratuites, taré qui montre un couteau au feu rouge, autre taré qui montre un fusil à pompe, bande de morveux qui piquent le portefeuille, le vident et te le rendent en disant "vous avez perdu ça!"... J'en passe et des poussières, pas la peine d'épiloguer. Pas un seul des Marseillais à qui je raconte l'une ou l'autre de ces histoires ne manque de me dire "M'enfin, ça arrive ailleurs aussi, tout ça!" Peut-être, mais pas à moi. Ça ne m'arrive qu'à Marseille. Partout ailleurs, on me fout la paix. (Bon, j'avoue: presque partout).

Un jour, un Marseillais (peut-être contrit que sa ville ait mauvaise réputation auprès de ma personne peu signifiante) me raconte que c'est une question d'attitude. C'est-à-dire qu'en gros, ce qui m'arrive, c'est de ma faute; autrement dit, je ne manifeste pas assez mon respect pour les indigènes. Il me montre même comment faire: il baisse la tête, se met à marcher à petits pas pressés, les épaules rentrées, la mine humble... Je lui explique qu'à mon avis pas si humble, il confond humilité et humiliation, voire respect et mépris. Il me dit qu'après tout, je dois avoir raison; je ne l'ai jamais revu.
Quelques jours plus tard, une de mes ex a un nouveau compagnon, un Marseillais, du genre qui passe le plus clair de son temps le nez (voire un autre organe situé au milieu du corps) dans le moteur de sa caisse; un soir, il s'amuse à faire des dérapages contrôlés sur un parking. Il dit à mon amie qu'elle n'a rien à craindre; qu'elle n'a pas besoin de mettre sa ceinture. Il met la sienne, fait un dérapage, et la voiture capote. Il survit; pas elle.
Je décide de prendre mes distances avec cette ville.
Trois ans plus tard, elle me rattrape. J'ai rencontré (ailleurs) de bons copains, mais ils habitent Pointe-Rouge. Ce qui me fait toute la ville à traverser si je veux les voir. Une heure de trajet, au bas mot; deux en période de pointe. Un soir, miracle: personne dans les rues, à part quelques véhicules calmes, qui s'arrêtent aux stops et aux feux; au point que cela en devient stressant. J'arrive à Pointe-Rouge en avance. Mes amis m'expliquent qu'il y a un match au vélodrome; je suis donc passé entre les gouttes. Les fanatiques sont au stade, les flics et les indigènes rivés devant leurs écrans. Les rues sont libres. A partir de là, je me renseigne sur les horaires de match, et je ne vais plus à Marseille qu'à ces heures-là. Le pied!
Jusqu'au jour de mars 2000 où, devant aller voir mes amis à Pointe-Rouge, je décide de faire l'impensable: aller à Marseille en bus puis traverser la ville à pied. Il ne fait pas très beau, mais peu importe. Je suis motivé. A tel point que je monte à Notre-Dame-de-la-Garde... Je veux dire, la Leur. Dans l'escalier, une famille indienne (ils sont en saris) s'étale sur une centaine de marches. Les hommes, en haut, attendent les femmes, qui peinent avec un landau taille maxi. Je les aide; elles me remercient, en anglais réjouissant. Quand je les dépasse, les hommes cessent de parler entre eux et regardent ailleurs. Une fois en haut, je contemple dûment le paysage ("Ahhh, c'est beau!" comme disait Coluche); puis je fais le tour de la bâtisse surmontée de sa fève géante dorée par la sueur des miséreux. Au bout d'une minute, je me dis qu'il y a un truc qui cloche. Je refais le tour. Et l'illumination me submerge: oh, je ne me convertis pas le moins du monde (je ne suis même pas athée) mais je m'aperçois que l'église est exactement la même que celle des Carmes, à Nîmes, où j'ai vécu longtemps. C'est le même gars qui l'a construite. "Eh bin, il s'est pas foulé", comme disait encore Coluche, qui a dû venir plusieurs fois.
L'après-midi est bien avancé; je redescends, cette fois vers l'est, direction le Roucas-Blanc puis la Corniche. Je passe devant le portrait géant de ZZ-pas-top, l'homme qui me vaudra un fou rire monumental en 2006, quand j'apprendrai que la France a perdu la finale grâce à son merveilleux sens de l'improvisation et du rapprochement des peuples méditerranéens.
Prémonition? En descendant vers l'école de voile, je suis d'excellente humeur. Comme le temps a fraîchi, il n'y a pas grand-monde. Quand j'aborde la traversée du grand cercle, au début du Prado, j'avise deux types, en face, qui viennent vers moi. Ils ne marchent pas bien droit. Je commence à modifier ma trajectoire en fonction de leurs zigzags; ils modifient la leur. Après trois changements, plus de doute: ils veulent m'intercepter. La rencontre se fait vers le milieu du cercle; comme je suis de bonne humeur, je me dis qu'ils sont sympas et vont me demander un truc cool.
Ha!
Dès qu'ils sont à portée, l'un d'eux se met derrière moi et l'autre essaye de me pousser. Je sens une main tâter les poches de mon jean. Ils sont visiblement bourrés (je veux dire qu'ils puent l'alcool mais je fais dans le politiquement correct, là). Alors, j'improvise. Dans le même geste, je jette ma tête en avant et je balance un coup de tatane derrière; au pif. Je rate les deux coups; celui de devant ne se prend pas le coup de boule escompté; celui de derrière ne reçoit pas mon pied dans les roubignoles. Et pourtant, ils se cassent la gueule tous les deux! Je les regarde; ils se regardent. L'un d'eux essaye de se relever, je lève le poing, il se calme. Je me casse.
"Je suis toujours de bonne humeur", comme chante Yéti. Un peu mitigée, quand même, l'humeur.
Je continue mon périple vers Pointe-Rouge. Plus qu'un quart d'heure avant d'arriver à destination. Je ne suis pas inquiet. Rien ne peut m'arriver.
Ha ha!
Cent mètres devant moi, je vois deux silhouettes qui font du roller sur le trottoir. Une femme et une fillette. Une grande rousse et une blondinette. Quand je ne suis plus qu'à trente mètres, je vois la fillette qui me regarde de loin, s'approche de la rousse (sans doute sa mère, mais bon, j'en sais rien), lui fait signe de se pencher et lui chuchote un truc à l'oreille. Aussitôt, la rousse me regarde et m'expédie un vaste sourire à faire chavirer les catamarans. Sans se lâcher la main, elles s'assoient sur le parapet et attendent que je passe devant elles, me regardant toujours en souriant.
Je me dis "Ça ne peut pas être pire que les deux débiles de tout-à-l'heure". Je ne modifie pas ma trajectoire. Une fois que je suis parvenu à leur niveau, la rousse lève le menton et me lance (avec l'accent du cru, sinon elle ne serait pas crédible): "On a des places pour le match, ce soir; il veut venir avec nous?"
Je ne sais pas ce qui, dans sa phrase, me révulse le plus: de l'invitation à la corrida pour 22 autruches homosexuelles refoulées, ou de l'emploi de la troisième personne; elle devait être infirmière... Beaucoup de gens (et pas que des Marseillais) à qui j'ai raconté cette histoire estiment que j'aurais dû "prendre sur moi et accepter l'invitation". Ouais, c'est possible; mais il se trouve que le beauté seulement physique ne m'excite pas des masses. J'aime bien les neurones, aussi, les synapses, et toute leur danse de l'intelligence..
Ha ha ha!
Quand je suis arrivé chez mes amis, ils m'ont demandé si ma balade s'était bien passée. Comme tous les Marseillais, ils m'ont expliqué que tout était de ma "faute", que j'avais peut-être "raté la femme de ma vie".
Marseille, pour moi, ça a toujours été ça: une belle cagole imbaisable.

Quand je pense que deux de mes arrière-grands-parents tenaient le restaurant qui allait devenir le Bar du Téléphone..!



Cette chronique est publiée en parallèle (avec quelques variantes)
sur le site animé par François Beaune, histoires vraies de méditerranée, qui collecte des anecdotes.

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