lundi 3 novembre 2014

PÔLE EMPLOI et TOYS 'R' US même combat ?

Droits photo: rien à cirer.
Ma semaine du 24 au 31 octobre 2014 restera dans les annales comme l'une des plus ineptes de mon existence (en attendant la prochaine). Son seul intérêt est qu'elle m'a révélé à quoi servent vraiment les impôts des Français. Si donc vous faites partie des gens qui n'étaient pas imposables l'an dernier et se retrouvent encore plus pauvres cette année, réjouissez-vous, car vous allez enfin savoir à quoi sert l'argent que l'État vous a pris en jurant que c'était une question de survie.
Au fait, la sienne ou la vôtre ?

Or donc, tout a commencé lundi 24 à 13h30 lorsque je me présentai dans un bâtiment assez moche pour ce que Pôle Emploi appelle une séance de MRS, "méthode de recrutement par simulation". Du fait que le bureau en question était (mal) indiqué par une feuille scotchée sur une porte, le numéro (mal) écrit à la main, j'arrive bon dernier. Dix personnes sont assises autour d'une table carrée, en train de remplir un formulaire, sous l'œil de trois autres, dénommées ci-après les "encadrantes". Comme la pièce est petite, il n'y a plus de place pour moi à la table et je me retrouve seul à une autre table, à l'écart. Tandis que je remplis le formulaire d'accueil et signe la feuille de présence (comme à l'école, donc), je remarque que, le long du mur, sont rangés des boîtes en plastique contenant... Vous savez, ces grains de blé soufflés et colorés, avec lesquels les gosses construisent des machins en trois dimensions ? On les humecte et ça colle; c'est même comestible (mais faut pas abuser). J'ignore ce que ça fait là; je me dis que, en temps normal, la pièce sert peut-être de crêche. Cependant, ça manque de tapis... Pas le temps de me concentrer sur ce sujet, la maîtresse... Pardon, l'encadrante principale nous explique ce qui va se passer.
A savoir que, pendant trois heures, nous allons faire des ateliers, simulant les gestes et les conditions du travail pour lequel nous avons tous postulé (je précise en passant que, deux jours plus tôt, nous avons assisté à une "réunion" d'information à l'usine en question; réunion dont le contenu aurait pu tenir dans une feuille de A4, écrit gros).
Tandis que j'attends que le groupe ait fini de remplir ses formulaires, je découvre que la table dans mon dos est occupée de boîtes en plastique transparent pleines de... Kapla. Pour le coup, je sais comment s'appellent ces lattes de bois rigoureusement identiques au millième de millimètre près, que les enfants utilisent pour construire des trucs et des machins (et certains adultes pour faire de beaux trucs et machins). Il y a douze boîtes, et chacune contient facilement deux kilos de Kapla. De loin, je peux voir que des pastilles de couleur ornent la plupart d'entre eux. J'aperçois aussi une douzaine d'énormes sacs d'élastiques de bureau.
Les encadrantes nous encadrent, nous expliquent le premier atelier, nous distribuent à chacun une belle feuille plastifiée et la fiche-réponse. Au top, nous lisons l'intitulé de l'exercice. On dirait du jeu de rôle; sauf qu'on joue son propre rôle, et que les personnages sont maigrichons, sur le plan psychologique. Quand j'ai fini le bouzingue (en deux minutes là où on nous en accorde cinq), je laisse traîner mon regard et j'aperçois d'autres objets qui me laissent perplexe: une pile de... bacs à glaçons ! Le modèle panier souple, qu'on peut démouler individuellement avec le pouce. Rouges ! Il y en a une bonne vingtaine. Je me dis, peut-être qu'on va boire l'apéro à la fin ? Ah mais non, il n'y a pas de glaçons dedans. Et pas de frigo dans la pièce.
Abrégeons les souffrances et allons droit au but.
Droits photo: on s'en fout.
Les ateliers en question consistent à chronométrer les impétrants qui, soit, disposent des grains de blé soufflé dans les bacs à glaçons en suivant un schéma de couleurs pré-déterminé, soit, attachent des Kaplas par six avec un élastique puis les rangent dans des boîtes en carton suivant un schéma pré-déterminé, soit, pointent des symboles à l'aide de trois feutres de couleur sur des feuilles de papier qu'on imagine défilant sous nos yeux, soit, "contrôlent" la validité de figures composites par rapport à un modèle en cochant un tableau, etc.
Le tout sans pause officielle, avec les encadrantes qui nous empêchent de tricher (eh oui, pour imiter les conditions de chaîne de production, vous devez effectuer les opérations dans l'ordre et non synthétiquement, puisqu'à l'usine, les objets se présentent l'un après l'autre).
Le but de l'opération est de calculer vos différentes "habiletés" (comme en jeu de rôles, je vous dis !), individuellement et en équipe, et d'en tirer un niveau, qui sera communiqué à l'employeur, lequel "saura" alors à quel poste vous serez le plus "performant". Si vous passez la barre, vous serez alors convoqué à un entretien d'embauche (le graal du XXIe siècle !) et (si vous n'avez pas oublié toutes les pièces qu'on vous demande), vous n'aurez plus qu'à signer le merveilleux contrat de travail. Sinon, retour chez Paulo (avec un carton rouge, j'imagine).
Passons rapidement sur le fait que les daltoniens sont lésés alors que le vrai travail ne présente peut-être pas la même difficulté ; mais ça, c'est le cadet des soucis de ces dames et des "concepteurs" de la MRS. J'ai vaguement essayé d'en discuter avec l'une d'entre elles ; elle croyait qu'il existait des "lunettes pour corriger le daltonisme"... Ouais, c'est à l'étude, paraît-il, mais on commercialisera ça après s'être occupé du réchauffement climatique ; c'est plus urgent.

Résumons :
1200 tuiles Kapla : à 43,80€ le baril de 200 = 262,80 €
1000 pastilles de couleur adhésives : 1,55€ les 150 = 9,30 €
12 sachets de 100 élastiques : à 1,50 € = 18,00 €
3 marqueurs par personne à 2,15 € = 77,40 €
1200 grains soufflés colorés : ??? €
24 bacs à glaçons : à 12.40€ l'unité = 297,60 €
12 feuilles A3 et 12 feuilles A4 plastifiées : à 1€ l'unité = 24,00 €
12 porte-documents de 100 pages : à 12.95€ l'unité = 155,40 €
Une centaine de photocopies par personne = 144 €
Trois salariées employées 6 heures chacune (car elles doivent vérifier les résultats après l'atelier et les résumer pour l'employeur, qui n'a pas le temps de tout lire, le pauvre) : 180 € plus charges = 270,00 €
(étant de nature généreuse, je les compte au SMIC mais un "conseiller" PE gagne 2000 € brut par mois et a droit à 14 mois et demi).

Total = 1258,50 €, répartis en: Frais de montage de l'atelier : 844,50 € et frais fonctionnels : 414 € par séance.
(Les prix sont les premiers que j'ai trouvés sur Internet).

Je fais grâce des grains de blé soufflé, dont je n'ai pas réussi à retrouver le nom et donc le prix. Accordons une remise globale de 40 % puisque les commandes ont dû s'effectuer en gros ("Allô, Toys'r'us? Oui, bonjour, c'est Pôle Emploi. Nous voudrions effectuer une commande en gros ; vous nous faites quelle remise ?.. Mais non, ce n'est pas une plaisanterie, enfin ! Écoute, passe-moi ton papa... Je veux dire, passez-moi votre responsable !") et nous obtenons un coût de base de 506,70 € pour monter cet atelier (lequel ne peut servir que pour ce genre d'exerices, donc pour cette usine, donc pour cet employeur ; vous comprenez, ma bonne dame, si ce n'est pas adapté, ça ne peut pas être "efficace") et 414 € pour chaque séance de "travail".
Quelques jours plus tard, j'ai reçu ma feuille de résultat par courrier. Tout est décomposé, on peut savoir ce que l'on "vaut" dans le merveilleux monde de l'emploi. Avant de jeter le truc à la poubelle, je note tout de même que le poste "Compréhension et initiative" compte pour 10 points... sur un total de 900 et que c'est la plus petite (et de loin) des qualités exigées ! Pas de doute : le capitalisme a toujours besoin de moutons et de veaux.
***
"Eh bien, Watson, voilà une énigme résolue. Nous nous demandions où partait l'argent des Français, nous avons là un bon bout de la solution : à raison de 500 € environ par type d'atelier plus 400 € par séance, cela explique pas mal de choses. Si l'on estime que chacune des 956 agences PE de France anime, disons, un atelier par semaine par tout le pays, cela nous fait donc... 484.405 € (et 20 cts) pour l'élaboration des ateliers et 20.580.768 € annuels pour les mener. Ah, vraiment, les employeurs doivent être rudement contents de ne plus avoir à faire eux-mêmes ce fastidieux travail de tri, d'évaluation et de tests, qui leur prenait une partie de leur temps, et donc de leur argent, les pauvres. N'est-ce pas que c'est plus intéressant pour eux, Watson ?
— Êtes-vous sûr de vos chiffres, Holmes ? Cela me paraît aberrant. Les Français ne sont tout de même pas assez stupides pour laisser faire une absurdité pareille, allons ?
— Si vous le dites... De toute façon, il est évident que des chiffres officiels contrediraient les miens... s'ils existaient. Inutile de s'attarder là-dessus ; ce qui importe, c'est le principe. Quand on traite les gens comme des chiens, il est fatal qu'ils finissent par mordre. Et le régal de toute meute, c'est de dévorer la chair du maître, ne l'oubliez pas. Au fait, comment s'est passé le vôtre, d'entretien, finalement ? Car vous avez réussi les tests, oui ?
— Évidemment, Holmes, que je les ai réussis ! Il faudrait être plus bête qu'un mouton pour les rater, enfin ! Vous avez bien compris que ce sont des jouets, qu'on nous fait utiliser, et donc que l'on nous traite comme des enfants..
— Pire encore, si vous voulez mon avis, car les enfants ont le droit d'utiliser leur imagination, alors que là, ce n'était pas le cas, au contraire. Si vous ne voulez pas parler de l'entretien consécutif, je comprends que cela s'est mal terminé...
— Ça n'a même pas commencé, vous voulez dire ! Je n'avais jamais rencontré une telle Gorgone frustrée à un poste de DRH. A peine avais-je posé ma veste sur une chaise que j'ai eu l'impression de régresser au XIXe siècle. Dickens n'aurait pas été dépaysé. La charogne m'a posé d'emblée une question insoluble ; j'ai vaguement essayé de répondre par un cliché quelconque, puis je me suis aperçu qu'il n'y avait personne dedans.
— Dans quoi, Watson ? Je perds le fil.
— Dans cette... femme ! Dans l'immonde gargouille qui dirigeait l'entretien, il n'y avait pas un chat. Je veux dire, pas le moindre être humain. Pas la plus petite étincelle de vie. J'ai connu des chiens plus vifs, plus... habités qu'elle. Tiens, à commencer par celui de Mme Hudson !
— Diable ! Comme je vous connais, vous avez dû dire une bêtise pour conjurer vos démons.
— Même pas. J'avais besoin de respirer de l'air pur. Et j'avais une de ces migraines ! Elle s'est dissipée dès que j'ai été dehors, heureusement. Mais au fait...Bon sang !
— Qu'y a-t-il ? On dirait que vous avez découvert un secret alchimique...
— Ma migraine... Elle a commencé le lundi, peu après le début de ce fichu atelier de simulation, et elle s'est terminée moins d'une minute après le pseudo entretien d'embauche. Et rien, pendant quatre jours, absolument rien, n'a réussi à l'atténuer.
— Eh bien, Watson, ce n'est pas là un grand mystère. Nous savons, vous et moi, que vous êtes réfractaire au travail à la chaîne. Comme tous les artistes.
— Holmes... C'est la première fois que vous me faites un compliment. Je veux dire, un qui me va droit au cœur.
— Ne vous emballez pas, ça ne se reproduira plus. Mais dites-moi, du coup... vous ne rapportez pas de chocolat ?
— Bien sûr que non, enfin ! Je n'allais pas leur voler une boîte, quand même !
— Ils vous ont bien volé six heures de votre vie. Vos scrupules nous perdront, je l'ai toujours dit. Alors que ceux des capitalistes les amusent...
— Et pourquoi n'essayez-vous pas de trouver un travail honnête vous-même, Holmes ? Vous pourriez ainsi participer un peu plus au paiement du loyer !
— Watsooon... Si vous proférez encore une seule fois une phrase de cet acabit, je vous attache à l'horloge comtoise et je joue l'adagio d'Albinoni en boucle pendant seize heures à vingt centimètres de vos oreilles, et deux tons trop haut. Compris ?
— Plaisantez si vous voulez. N'empêche que notre ménage court à sa perte. L'éviction nous guette.
— C'est fâcheux, certes. Nous n'avons qu'une solution...
— Je suis tout ouïe !
— Nous abîmer dans le travail.
— Mais... Quoi ? On vous a proposé un travail rémunéré ?
— Ne dites pas de bêtise, Watson. Non, bien mieux. J'ai une mission à accomplir.. pour la gloire !
— Ah. De quoi s'agit-il, cette fois ?
— Nous allons essayer de calculer le fric monumental que se font les stations-services sur le dos des consommateurs en encaissant les cautions pendant plusieurs jours pour spéculer avec. Sans oublier la commission des banquiers complices.
— Ah bon. Et ça nous rapportera combien, à nous ?
— Rien, Watson. Le droit de vous exprimer sur un blog jusqu'à ce que la Terre balaie l'humanité d'un grand raz-de-marée salvateur.
— Si vous voulez, Holmes. En attendant, je vais aller faire les poubelles de Mme Hudson. Elle aura bien laissé quelques os à ronger. Heureusement que son chien est mort le mois dernier, pauvre bête. Sans quoi, depuis que nous ne pouvons plus payer la demi-pension, nous serions morts de f... Holmes !
— Quoi, Watson ?
— Vous n'avez quand même pas...
— Occis la bestiole moi-même ? A votre avis...
— Mais enfin, c'est inhumain ! Vous êtes un monstre !
— C'était lui ou nous, Watson. Soit dit en passant, si vous m'attribuez le qualificatif de monstre, que vous restera-t-il à lancer à la tête des banquiers, assureurs, pétroliers, actionnaires de tout poil, garagistes et autres conseillers pôle emploi que vous verrez défiler dans les charrettes qui les conduiront à la guillotine, bientôt ? Mmh..
— Vous délirez, Holmes. Cela n'arrivera pas, de toute façon. Jamais.
— Peut-être pas. Ou peut-être...

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