8.2 Réponses, assorties de quelques vérités très-bonnes à dire
1. Pierre
Michaut, fondateur des éditions L'Atalante, au cours d'une
conversation téléphonique où il refusa mon essai de traduction de
Dragon Bones (roman ado-fantastico-bateau de Patricia Briggs,
paru plus tard sous le titre Les Chaînes du Dragon),
sous le prétexte lumineux qu'elle était trop fidèle à la
médiocrité du texte original. J'ai vérifié le premier
paragraphe de la traduction finalement commercialisée : ça a
bien été "amélioré", c'est clair. J'avoue n'avoir pas
lu le reste ; déjà que j'avais dû me le taper en VO !
2. Marion
Mazauric, fondatrice des éditions Au Diable vauvert, commentant le
livre de Julien Blanc-Gras, que j'avais repéré parmi les manuscrits
envoyés spontanément. A la place du poétique et parfait L'horizon
en vrac, elle imposa donc (à la suite de je ne sais quelles
tractations plus ou moins musclées, suivant sa méthode habituelle
réputée irrésistible) Gringoland, un "choix"
nettement plus... près du caniveau, disons.
Mentionnons en
passant que dans ma fiche de lecture de L'horizon en vrac,
j'avais signalé une petite erreur de montage du texte ; je
réitérai mon avertissement lors de la phase de fabrication du
bouquin. Inutile de préciser que l'erreur ne fut pas corrigée,
ainsi que quelques autres, comme c'est toujours le cas avec les
livres d'ADV, dont les correctrices travaillent parfois en open-space
(ce qui permet de tailler le bout de gras tout en regardant passer
les fautes), et dont le maquettiste (à l'époque où j'y étais)
ignorait la fonction Agrandir la Vue de son traitement de texte, qui
lui aurait permis d'y voir mieux et d'avoir moins mal aux yeux.
Heureusement, les qualités de ce livre restent visibles malgré
les techniques en vigueur chez cet éditeur
(et qui le sont toujours, quinze ans après a fondation, comme cela
m'a été confirmé récemment par quelqu'un qui y travaille).
Plus tard, Marion
Mazauric transforma aussi Camera Obscura en Scream Test
(j'ignore si l'auteur de ce dernier ouvrage était d'accord). Et elle
tenta de changer La Mariée mise à nu en... je préfère ne
pas savoir quoi. Heureusement, comme il s'agit là de l'évocation
d'une œuvre célèbre (une installation de Marcel Duchamp, La
Mariée mise à nu par ses célibataires mêmes) et que je n'ai
pas cédé à ses "arguments", elle se résigna (ce fut
bien la seule fois) à le laisser tel quel. Elle eut aussi la
lumineuse idée de transformer All tomorrow's parties en...
Tomorrow's parties (in French in ze texte ; et hop !
escamoté, le titre des Velvet Underground !) ou encore
Girlfriend in a coma en Girlfriend dans le coma (toujours
in French ; et bye bye la chanson des Smiths) ! Au
secours ? Ou alors, c'était pour ne pas payer des droits ?
Non, ça ne peut pas être ça, puisque les titres ne sont pas
déposables. En fait, il n'y a qu'une réponse possible, mais je ne
peux pas l'écrire ; un avocat pourrait estimer que c'est une
injure envers les cons.
Par étourderie
(à moins que ce ne fût par revanche inconsciente, suggérerait un
psy), Marion Mazauric "oublia" de faire figurer mon nom sur
la couverture (puérile et rose-dragée, effectuée sans consultation
de l'auteur ; celle-ci, lorsqu'elle la découvrit plus tard, en
a pleuré de rage et de frustration) de La Mariée mise à nu,
ce qui constituait une violation de clause contractuelle. Quand je
m'en plaignis légitimement, je fus taxé de "grossièreté"
par une chienne de garde de la matronne. L'affront fut réparé lors
de la réimpression du livre, mais ça n'aurait pas été le cas si
le livre n'avait pas "rencontré un certain succès".
3. Mathias
Échenay, directeur de La Volte (et huile discrète de la Sodis),
dans un retour d'épreuves de ma traduction du roman de Jeff Noon,
Nymphormation. Il s'agissait du mot "taquin". Un peu
plus loin, il soulignait le mot "torve" et l'affublait d'un
point d'interrogation, prouvant par là qu'il n'avait pas de
dictionnaire sous la main, ou pas de dictionnaire tout court. Pour
cette traduction, j'ai aussi dû supporter et commenter chacune
des 2.000 suggestions aberrantes, inutiles et fausses à 99 % de
leur correcteur indigent ; quant à ses idées sur la
traduction, elles étaient du niveau collège. Aujourd'hui, je
n'hésiterais pas une seconde à révoquer un tel tissu d'âneries
pour incompétence notoire. C'est sans doute pourquoi La Volte ne me
confie plus de chantier (rires). Ça tombe bien, je les
refuserais.
(A noter en
passant que cette perle de sagesse éditoriale ressemble étrangement
à une autre, fictive celle-ci : « Cela ne me dit rien,
donc cela ne dira rien aux lectrices. » Elle prend tout son sel
quand on sait qu'elle est prononcée par le personnage de Miss
Prescott dans le film Funny Face / Drôle de frimousse
(Stanley Donen, 1957) ; Miss Prescott y est la directrice d'un
magazine de mode qui prend ses propres caprices pour le goût du
public, une erreur de jugement extrêmement répandue dans les
milieux éditoriaux1.
Le scénariste s'est sans doute inspiré d'une personne réelle ;
on en déduira que ce genre de personnage existe depuis longtemps et
n'est pas près de disparaître. A vrai dire, on est même en droit
de se demander si cette forme de projection psychologique (« Si
ça me plaît, ça plaira à la foule ») n'est pas le
fondement même de l'occupation d'éditeur ; ce ne serait
pas la seule occupation à être fondée sur une illusion. A un
psychologue de répondre.
4. Hélène
Ramdani, à l'époque directrice chez Mnémos, s'appuyant sur cet
"argument" pour refuser un des mes romans. Sur une
quarantaine de lecteurs-tests, elle est la seule à n'avoir pas su
(ou pu ou voulu) distinguer les trois héroïnes ; de là à en
conclure qu'elle préfère les héros, ou les descriptions
proustiennes... Peut-être aussi que, par "empathie", elle
voulait dire "tour de poitrine". Il est vrai que ce roman
ne contient aucune scène torride, pas même un strip-tease ou un
petit viol vite fait sur le gaz ; il n'est donc pas "à la
mode". Malgré mes demandes de précision, aucune réponse ne
m'a été donnée et je n'ai donc pas pu insuffler d'air dans la
poitrine de mes personnages féminins. Tant mieux ; j'aime pas
les baudruches. Ni les godemichés. (Oh, pardon ! On dit
sextoys, aujourd'hui ; c'est plus correct.)
Au fait, le même
roman a été refusé par Mathias Échenay sous prétexte que j'y
affirme (et même : j'y démontre) que les vampires existent
seulement dans l'imaginaire humain et qu'il faut être pour le
moins bizarre pour y croire en vrai. On en déduira,
soit que ce monsieur croit vraiment aux vampires, soit qu'il est...
bizarre. (Soit les deux, ne soyons pas sectaire.) Quoi qu'il en soit,
comment voulez-vous discuter sérieusement avec ce genre d'arguments
irrationnels, puérils et imbitables ? La réalité, comme
toujours, est plus radicale : il n'y a jamais de discussion
possible avec un éditeur, celui-ci se basant entièrement sur
ses convictions, même pour juger de choses objectives comme par
exemple l'existence des vampires. De là à en conclure qu'ils
prennent leurs décisions en dépit du bon sens,
il n'y a qu'un pas. Le plus lamentable est de voir un
travail de plusieurs années jugé en une phrase, parfois en un seul
mot. Mais pourquoi s'en étonner puisque les humains se jugent entre
eux d'un seul regard, à leur mine, à leurs habits, voire à la
simple couleur de leur peau ? Le préjugé est la pierre de
touche de l'édition française.
5. Marion
Mazauric, après que je lui avais remis mon analyse du premier
chapitre de la traduction de Pattern Recognition de William
Gibson par Cédric Perdereau. Le "travail" de celui-ci a
finalement été publié pratiquement tel quel, avec les 17.000 et
quelques fautes (voir le chapitre correspondant ; dans la vraie
vie, j'ai dit 3.000 pour faire moins peur). Le même individu avait
précédemment commis le viol de l'essai de Mark Lynas, Marée
haute, que j'ai mis quinze jours à réécrire et corriger ;
à noter aussi que l'original de ce livre contenait un cahier de
photographies couleurs qui n'a pas été reproduit dans l'édition
française, et ce sans demander son avis à l'auteur. A l'heure où
j'écris ces lignes, l'individu Perdereau a commis un nombre certain
de "craductions"2.
Je n'ai pas eu l'estomac de vérifier s'il avait enfin appris les
bases du métier ou acheté un dictionnaire bilingue.
Quant à Jacques
G., il est considéré comme l'un des "pères" de la SF en
France. Nul doute qu'un de ses anciens amis de trente ans me
fustigerait pour avoir osé tirer sur un corbillard. Il n'avait qu'à
faire son boulot, qui est de respecter les auteurs et le public, et
non uniquement ses chers collègues.
6. Pierre
Michaut, au cours de la conversation citée précédemment (#1).
Citons Alberto
Manguel : « A son ami Edmund Wilson, qui lui reprochait
d'avoir traduit Eugène Onéguine défauts compris, Vladimir
Nabokov répliqua que l'affaire du traducteur n'est pas d'améliorer
ni de commenter l'original mais de donner au lecteur ignorant d'une
langue, un texte recomposé dans tous les mots équivalents d'une
autre. » On en déduira que Nabokov et Manguel ne sont pas des
autorités suffisantes aux yeux du directeur de L'Atalante, qui
préfère "ajouter de la valeur" aux ouvrages étrangers
(parfois médiocres) qu'il achète (pas trop cher), pour mieux les
revendre ensuite à ses compatriotes. Mais au fait, puisqu'il leur
fait ajouter de la valeur (donc travailler plus), pourquoi en
l'occurrence ne paye-t-il pas ses traducteurs des honoraires
supérieurs à la moyenne ? C'est cela qui serait logique
et décent (et légal). En réalité, il les paie 16 € le
feuillet + 5 % (au lieu des 22 € + 10 % préconisés
par la Charte des Traducteurs européens, ce qui fait donc en gros la
bagatelle de 30 % économisés sur le salaire décent tel qu'il
est défini par le Code du Travail.) Encore un de ces mystères que
seule la "loi non écrite" du milieu saurait expliquer.
"Améliorer"
est en l'occurrence un acte purement mercantile, qui engendre le
mensonge sur le produit final et la tromperie du lecteur sur la
marchandise (qui est une infraction au Code du Commerce ; manque
de bol, la traduction littéraire relève du droit civil). Le plus
pitoyable, c'est que ladite amélioration est jugée par l'éditeur à
l'aune de sa propre compétence dans la langue étrangère ;
or ce niveau oscille le plus souvent entre le nullissime et
l'inexistant. Il suffit, lors d'un salon livresque, de laisser
traîner une oreille pour s'en rendre compte ; voici un
échantillon authentique (entendu à Londres) : "O maille
gaude, Misteure Parkeure, you raïte so goude Aïe ouante to meïque
euh bouque ouïz you ; hit ouïl bi so gouèyte ! Letteuce
saïne ze contracte naô, ouaïe note on zis tèbeul, 'ire ? Aïe
'appeune tou 'ave ouane on mi. Ouot euh coïnesidance !"
Ainsi donc, sous
prétexte de proposer au public un livre "mieux écrit" que
l'original, l'espoir véritable de l'éditeur en l'occurrence est
bien de vendre plus de bouquins. Pourquoi faire autrement ?
On se le demande, en effet. Le pire est que, même si par miracle,
l'auteur vient à apprendre que son roman est retouché dans
une langue étrangère, il en est généralement ravi, puisqu'il
caresse le même espoir que "son" éditeur (que, soit dit
en passant, il n'a presque jamais choisi ; les traductions sont
presque toujours négociées par personne/s interposée/s). On a
alors un auteur vendu deux fois, qui rêve de devenir
"prophète en pays d'autrui". Certains le sont
effectivement devenus ; on en est content pour eux. De là à
conclure que les éditeurs font œuvre de salubrité publique, il ne
faut pas exagérer ; c'est pourtant leur fantasme le plus
répandu.
7. Interjection
proférée sur un ton vertueusement indigné par Charlotte Volper,
directrice de collection aux éditions Mnémos, à qui j'expliquais
qu'il existe une Charte des Traducteurs que les éditeurs sont censés
respecter s'ils veulent être inattaquables au titre de l'article
132-5 du CPI sur "l'équité de la rémunération". J'ai
appris plus tard qu'un certain éditeur important (Bragelonne ;
important en chiffre d'affaires, pas en qualité) paie parfois
jusqu'à 11 € le feuillet leurs traducteurs débutants, ce qui
les met en violation flagrante avec ledit article. Hélas, le CPI
relève du droit civil, pas du pénal, ce qui signifie que, pour
qu'il y ait sanction, il faut que la victime porte plainte. Ce qui
implique de se griller définitivement, car qui voudra ensuite faire
travailler un dénonciateur, une balance, un ingrat ?
On aura reconnu
là le vocabulaire des mafieux qui cherchent à devenir respectables.
8. Marion
Mazauric, à table. Le même auteur-maison (Nicolas Rey, avant de se
casser chez Grasset, puis de revenir avec une daube écrite la veille
de la date de remise du manuscrit et vendue à 30.000 gourdes
exemplaires) a un jour coûté plus de 500 € à l'association
Les avocats du diable (qui gère la résidence officieusement
affiliée à la maison d'édition3)
parce qu'il ne souhaitait pas aller dormir à la résidence
(gratuite), lui préférant un hôtel 3-étoiles. C'était sans doute
pour mieux épater sa compagne la plus récente, une très très très
jeune fille qu'il avait « rencontrée lors d'un match de foot »
(du moins est-ce ainsi qu'il nous la présenta, à grands renforts de
sourires niais et de frottements de narines, car il venait
apparemment de manger un paris-brest).
9. Une éditrice,
s'adressant par e-mail à son correcteur, qui a refusé d'obéir par
principe, en argumentant néanmoins longuement son choix. Le plus
triste est que ni le correcteur, ni l'éditrice ni le diffuseur ne
sont conscients de l'existence du Droit moral de l'auteur, qu'ils ont
donc failli violer à divers titres. Il est malheureusement
impossible de savoir combien d'autres romans (et plus encore, de
traductions) ont été ainsi trafiqués par des gens qui n'ont
aucun droit de le faire.
Accessoirement,
je ne peux nommer personne dans cet exemple navrant, dans la mesure
où le correcteur qui m'a transmis cette information à ses risques
et périls, perdrait son travail (et sans doute sa réputation) si
son nom était divulgué. Les lecteurs auront là un petit aperçu de
l'ambiance merveilleuse qui règne dans ce milieu, jusque chez les
simples techniciens. (J'ai dû aussi modifier la forme du texte, afin
de désamorcer toute tentative de recherche ; mais le fond est
le même.)
10. Cet extrait
d'un message soi-disant conciliant, mais en réalité pur règlement
de comptes à l'hypocrisie fort bien dissimulée (peut-être même
aux yeux de son auteur ; au fait, l'orthographe est de lui) m'a
été envoyé par Norbert Merjagnan, à la suite du rejet par
l'auteur Jeff Noon du premier projet de couverture pour son livre
Nymphormation (que j'avais traduit), projet que je lui avais
fait suivre par e-mail, parce que je le trouvais nullissime et
hors-sujet. Les éditeurs de La Volte avouaient ainsi qu'ils
n'avaient jamais eu l'intention de transmettre la couverture à
l'auteur, violant donc son droit moral. On jugera de leur lâcheté
quand on saura qu'ils ont en fin de compte obéi au choix de l'auteur
(le seul légal, en l'occurrence) et ont remplacé la mauvaise
couverture par une autre, médiocre et exécutée à la va-vite,
alors que le livre a finalement été fabriqué avec plus de quatre
mois de retard ; il aurait donc été largement possible de
faire faire une autre couverture, meilleure et correspondant aux
désirs de l'auteur. "Les autres personnes" de La Volte ne
sont bien sûr pas citées, mais on saisira toute l'ampleur de ladite
"rogne" quand on saura que, depuis cet incident, les
membres de cette maison d'édition – qui se veut non
conformiste, comme quoi, il existe plusieurs définitions du
conformisme – évitent soigneusement d'avoir affaire à moi
sur le plan professionnel. C'est réciproque.
Quant au "rapport
de confiance" dont parle cet éditeur novice (ancien
banquier !), il est assez curieux de constater qu'il le
considère comme allant de soi, comme si c'était l'élément le plus
important d'un travail commun. Nul besoin d'être psychologue pour
comprendre que, pour lui, la confiance en question est unilatérale :
à l'auteur de se mettre "spontanément" en position
d'infériorité hiérarchique, l'éditeur ayant "fatalement"
la position supérieure, et les choses ne sachant aller autrement. La
quantité phénoménale de bidouillages foireux et de modifications
intempestives dont La Volte a grevé ma traduction (un internaute a
appelé ça des "pains") prouve sans l'ombre d'un doute que
leur confiance envers moi était nulle et qu'ils m'ont traité comme
un demeuré. (Soyons bon prince et reconnaissons-leur le trait
suivant : c'est le seul éditeur – avec Christian
Bourgois – qui m'a payé mon travail au taux correct préconisé
par la Charte des Traducteurs ; tous les autres ont appliqué
des taux inférieurs dans une proportion de 15 % à 33 % !)
Ceci prouve une
fois de plus que cet éditeur ignore purement et simplement que la
création d'un livre n'est pas un travail en commun ; bien au
contraire, les tâches de chacun sont parfaitement définies par la
loi et ne sauraient se chevaucher. Il n'est donc pas nécessaire que
le rapport auteur/éditeur soit basé sur la confiance, laquelle est
aussi subjective que facile à tromper ; il devrait s'agir d'un
rapport juridique, tel qu'il est défini par la loi, et tout irait
pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais reconnaître
qu'on est l'égal de quelqu'un, c'est avouer qu'on ne lui est pas
supérieur ; et ça, avant qu'un éditeur ait le courage,
l'honnêteté, voire la sagesse de l'admettre, il coulera beaucoup
d'encre sous les ponts.
11. Gilles Dumay
(alias Thomas Day), directeur de la collection Lunes d'encre chez
Denoël ; il répondait ainsi, sur un forum, à l'un des
participants de La Bibliothèque nomédienne qui s'étonnait
que notre livre n'ait pas eu plus de succès. Était-ce là une
manifestation de subtile intelligence de sa part, ou d'intelligente
subtilité ? Dur de trancher. Depuis plus de dix ans, à chaque
fois que nous nous croisons, il me promet qu'il pensera à moi quand
une traduction intéressante se présentera. Ça ne coûte rien, les
promesses, pas vrai ? Le pouvoir politique est même fondé
là-dessus. A moins qu'aucune traduction intéressante ne se soit
présentée depuis dix ans, bien sûr...
Tiens, je parie
un vaisseau spatial contre un âne corse empaillé qu'Anathem
de Neal Stephenson ne sera jamais traduit en français.
12. Ces mots ont
pour auteur mon ami et collaborateur Marc Vassart, écrivain et
vétérinaire ; on les trouve à la page 487 de son roman Le
Serval noir, publié en 2008 au Diable vauvert. A la ligne
au-dessus, on peut lire : « A Alfred Boudry, pour son
soutien ». C'est en effet moi qui avais repéré le manuscrit
de Marc parmi les envois spontanés ; c'est même ainsi que nous
nous sommes rencontrés. J'ai eu un mal de chien à faire accepter
cet extraordinaire roman par la directrice d'ADV, ce qu'elle a fini
par faire en grinçant des dents, alors que j'avais claqué la porte
de son antre merdique depuis un an4.
Ce que les lecteurs ignorent, c'est que le remerciement attribué à
N. M. (une correctrice) m'était en fait adressé à l'origine ;
mais lorsque Sa Majesté Mazauric a vu mon nom dans la liste, elle a
téléphoné à Marc pour... l'engueuler ! Oui, comme un
adolescent fugueur5.
Tourneboulé, celui-ci m'appela juste après pour me présenter ses
excuses (ce qu'il n'avait pas à faire, puisqu'il n'est pas
responsable de la bêtise humaine, mais c'est un homme
fondamentalement bon, ce qui le perdra) ; la Mazaurâtre (qui ne
pouvait plus se dédire, puisque le contrat avait enfin été signé),
en guise de punition, l'obligea à accepter la "petite"
modification, ne lui laissant de toute façon pas le choix. Et la
correctrice se retrouva couronnée d'un compliment qu'elle ne pouvait
refuser puisqu'elle n'était même pas au courant. En réalité,
c'est bibi qui a aménagé le manuscrit désordonné de Marc, lequel
est aussi piètre dactylographe que grand conteur (mais il apprend
avec l'âge, lui).
13. Toujours
Marion Mazauric, à une soirée de lancement, voyant arriver l'auteur
des Enfants du plastique Thomas Clément. Depuis, cet auteur
n'a plus rien publié au Diable vauvert, ni ailleurs.
14. Une éditrice
de chez Thierry Magnier, dont j'ai (heureusement ?) oublié le nom,
se fondant sur ce seul argument (écrit à la va-vite sur une carte)
pour refuser un recueil de mes contes. Un peu plus tard, L'École des
Loisirs a hésité pour finalement refuser avec quelques regrets et
échanges de lettres ; j'en remercie ici Geneviève Brisac, une
des très rares personnes à m'avoir traité comme un être humain
dans ce milieu. Comme quoi, on n'a pas tous les mêmes critères
d'apartheid.
La vérité est
que les qualités objectives d'un manuscrit n'entrent pour presque
rien dans la décision par un éditeur de le publier ou non ;
les critères qui interviennent réellement sont : 1/ la
subjectivité de l'éditeur, 2/ la rentabilité apparente, 3/ la
recommandation par un collègue. Tout le reste, c'est du pipeau pour
calmer les auteurs et les empêcher de se suicider trop jeunes.
15. Catherine
Rassat, directrice ou rédactrice ou je-ne-sais-trop-quoi chez
Hoëbeke, répétant ces mots tandis que je passais récupérer un
manuscrit refusé (en dix jours ! c'est un record) qu'elle n'a
pas réussi à retrouver dans le tas d'enveloppes empilées au sol de
son bureau ; le tout en deux minutes chrono, alors que je
l'avais prévenue de mon passage. Elle n'a même pas retrouvé la
trace du manuscrit dans sa base de données. Y était-il seulement ?
Mystère et va-chier habituels... (Cf. Annexe
X)
16. Jerôme
Vincent, fondateur d'actusf, éditeur de mon deuxième livre paru, La
Digitale, décrété "polar sf" par lui seul, et
distribué à l'époque par Calibre, une boîte créée
officiellement pour faciliter la vie des petits éditeurs mais qui ne
répond jamais au téléphone, qui ne stocke pas de livres, ne coûte
pas cher aux éditeurs (et pour cause), et avec laquelle la plupart
des libraires ont renoncé à travailler puisqu'il faut entre six
semaines et l'infini pour que leurs commandes soient livrées. Mon
roman La Digitale n'a ainsi jamais été distribué dans les
librairies de ma ville6,
bien que j'aie servi d'intermédiaire entre certains libraires et
l'éditeur ; ce qui rend celui-ci coupable d'une infraction à
la loi et d'une violation de contrat puisque, selon le CPI, deux
commandes non honorées constituent une raison suffisante pour faire
invalider un contrat, aux dépens de l'éditeur, qui n'a pas respecté
son devoir d'exploitation. Mais qui aurait envie de saisir la justice
pour la misérable somme de 360 € (sachant que la demi-heure
de plaidoirie en coûte 300) ? Évidemment personne, et c'est
ainsi que l'immense majorité des éditeurs indélicats se
prémunissent contre les auteurs qu'ils exploitent : par la
dérision.
360 € pour
six mois de travail ! Un collègue a touché, pour un recueil de
nouvelles... 115 €. Avec mon premier livre, j'ai touché en
tout et pour tout 2.800 € pour l'équivalent de neuf mois de
travail éditorial et un an et demi de recherches et de préparation ;
et le troisième : 460 € pour cinq mois. Un contrôleur
technique automobile (l'une des professions les plus inutiles et
parasitaires de la planète) gagne en moyenne 225 € de
l'heure ; moi : 42 centimes. Vous accepteriez, vous,
un travail aussi mal payé ? Nous, oui, puisque nous n'avons pas
le choix ; bien la preuve que nous sommes masochistes et que
nous méritons de souffrir !
Pourquoi, mais
pourquoi accepte-t-on d'être traités comme des putes par
leur mac ? Sans doute, comme dit Frank Lepage, « parce
qu'on est cons ! »
17. Le néant, ou
encore le grand silence muet. Réponse classique de tous les éditeurs
qui n'ont pas le courage de leurs opinions, encore moins celui de
tenir leurs promesses. Les exemples sont si nombreux que je n'ai pas
la place de tous les noter. Attribuons tout de même quelques prix
spéciaux :
- à Claro
(directeur de la collection Lot49 chez Denoël et traducteur à la
chaîne, appliquant les mêmes procédés à tous ses auteurs, leur
imposant son style au lieu de chercher à véhiculer le
leur) ; on n'est jamais si bien servi que par soi-m'aime ;
- à Joëlle
Losfeld, qui hoche beaucoup la tête mais, à part ça... Contactée
directement sur son stand au Salon du Livre (nous avons même discuté
assis par terre – il n'y avait pas de sièges), je lui ai proposé
la traduction d'un excellent roman américain dont Marion Mazauric
n'avait pas voulu pour le Diable : Colors insulting to Nature
de Cintra Wilson. J'avais l'accord tacite de l'auteur, celui de
son agent, et le début de la traduction ; il n'y avait qu'à
négocier les droits et le faire. Intéressée, Mme Losfeld promit,
avec force sourires, de me recontacter bien vite et me félicita pour
mon esprit d'initiative. C'était en 2006 ; j'attends encore sa
réponse, et la prodigieuse Cintra Wilson est toujours inconnue du
public français. Par qui a-t-elle enterrée ? Pourquoi ?
Et pour combien ?
- à
Marie-Catherine Vacher, d'Actes-Sud, rencontrée au même Salon,
enthousiasmée par ma démarche, mon projet (et par ma carte de
visite en forme de marque-page, qui me valut cinq minutes d'éloge...
ou de foutage de gueule, pour ce que j'en sais) puis disparue dans
les limbes si pratiques d'Internet ;
- à Agone,
contactés physiquement lors d'un Salon du livre à Paris,
fortement intéressés par mes projets, ayant lourdement
insisté pour que je les recontacte... et qui n'ont jamais donné
suite, pas même à un simple e-mail. Ce qui est d'autant plus
dommage que j'apprécie leur politique éditoriale et leur catalogue.
C'est sans doute pourquoi ils n'ont pas hésité à m'envoyer ce
dernier dans l'espoir que j'achète tous leurs titres, au lieu de me
répondre, ne serait-ce que par politesse ;
- Anacharsis,
éditeur devenu coopératif en 2012, ce qui ne les a pas rendus plus
communicatifs ;
- Monsieur
Toussaint-L'ouverture, sans doute fermé pour inventaire de ses
boîtes aux lettres ;
- Wu Ming, le
fameux groupe d'écrivains italiens, qui fait aussi dans l'écriture
collective, à qui j'ai eu l'outrecuidance de proposer une
collaboration et qui m'a demandé un délai de quatre mois pour me
répondre... C'était en l'an 2009 ! Depuis : rien.
- e-fractions :
éditeur numérique, rencontré sur leur stand à la Comédie du
Livre en 2013, ayant fait plein de promesses, dont aucune n'a été
tenue ; ils n'ont même pas daigné répondre à mes e-mails ;
- à la Matière
noire : voir plus loin ;
- aux
consternants et gluants Manuscrits d'Oroboros ;
- à Pascale
Rozé, des éditions [XXX] : contactée en direct-live sur le
salon de Cadenet, elle sollicite un manuscrit, que je lui envoie ;
après quoi, le vide intersidéral ;
- aux éditions
Sansouïre : à l'origine, des amis ; après m'avoir
demandé un recueil de nouvelles pour leur collection littéraire,
ils cessent de répondre à son sujet.. mais ne cessent pas de
m'envoyer des invitations aux lancements de leurs autres auteurs ;
- les éditions
Vanloo : rencontré lors de l'excellent Festival Les Carnets,
cet éditeur me demande si je n'ai pas une traduction dans mes
tiroirs ; je lui indique Couleurs contre Nature, de
Cintra Wilson ; il le lit, me dit que ça l'intéresse ; je
recontacte l'auteur, qui est ravie ; je reprends la traduction
pendant que l'éditeur est censé émettre un contrat ; puis..
plus rien. Le silence des lâches.
Et deux Prix de
consternation, attribués :
- à Dominique
Bourgois (des éditions Christian du-même-nom) à qui j'ai proposé
un jour trois projets (deux traductions et une création) et qui me
répondit assez rapidement. Le hic, c'est qu'elle refusait le premier
projet sur un argument purement commercial qui se révéla caduque
quelques mois plus tard (ce qui ne la fit pas changer d'avis), que
son argument pour refuser le deuxième projet démontrait qu'elle ne
l'avait pas compris, et qu'elle ne disait absolument rien sur le
troisième. J'étais content, toutefois ; il y avait eu une
sorte de demi-dialogue ;
- et le prix
spécial du Contre-Sens Absolu à Léa Silhol, qui m'écrivit un jour
trois lettres interminables, d'une absurdité confinant au délire
très-mince, pour me signifier son refus de publier une simple
nouvelle (Victime
de son charme)
que je lui avais envoyée spontanément ; elle s'étendait
longuement sur les "règles du récit de vampire", les
détaillant minutieusement, règles que j'étais censé respecter si
je voulais "avoir droit à la reconnaissance de mes pairs".
Finalement, ce
n'est peut-être pas plus mal qu'ils se taisent..
« Quand je
lui demande pourquoi, pas de réponse ! Silence complet ! »
C'est ce que disait déjà Carion de son maître Chrémyle au tout
début de Ploutos, dieu du fric d'Aristophane, une satire
vieille de 25 siècles !
Pour les
statistiques, j'indiquerai qu'en gros, seuls 10 à 15 % des
éditeurs français répondent aux courriers (postaux ou
électroniques) qu'on leur envoie, y compris ceux qui relèvent
directement de leur activité professionnelle. Nul doute qu'ils
en blâmeront leur ordinateur ou les méchants expéditeurs de spams.
(C'est pour ça que c'est très pratique, les spams ; c'est même
sans doute pour ça qu'ils ont été inventés.) Bizarrement, les
éditeurs anglais, australiens, néo-zélandais et américains que
j'ai contactés à divers titres au fil du temps m'ont répondu à..
100 % ! De là à en déduire quelque chose sur les raisons
pour lesquelles la littérature anglo-saxonne est plus saine et plus
efficace que la française..
18. Manon Viard,
éditrice chez L'Aube, me répondant après que j'avais analysé le
contrat qu'elle me proposait, puis émis la velléité de le
négocier. On en déduira qu'à ses yeux, la seule forme de
négociation acceptable consiste à se taire et à signer les yeux
fermés. Il va de soi que leur contrat est l'un des plus dégradants
de tous ceux que j'aie jamais lus. Je ne l'ai signé que parce que je
n'étais pas seul dans cette "aventure"7
et que ma partenaire en écriture aurait nerveusement craqué si je
ne l'avais pas fait. L'avenir dira si je dois m'en mordre les
doigts ; pour l'instant, le bilan est plus que mitigé, le seul
point positif étant que la couverture du livre Les Désamants
est réussie8,
bien que nous n'ayons reçu qu'une seule proposition, assortie de la
phrase "nous n'avons pas le temps d'élaborer un autre projet",
qu'on est prié de ne pas interpréter comme un ultimatum. De plus,
j'avais souhaité faire figurer le portrait de l'un des protagonistes
en fin de livre ; la chose fut promptement refusée lorsque
j'informai l'éditeur qu'il y avait la faramineuse somme de 33 €
de droits de reproduction à payer.
Vous avez dit
"mesquins" ?
A l'heure qu'il
est, quatre ans après la sortie du livre, rien n'a été fait, et je
n'ai jamais reçu la moindre reddition des comptes.
19. Fin du
dernier e-mail de Mireille Rivalland, co-directrice de L'Atalante ;
en date du 17 mars 2009, donc moins de six mois après la sortie du
livre La Bibliothèque nomédienne édité
chez eux, lequel ne se trouvait déjà plus en
librairies depuis la mi-janvier, puisque le distributeur Harmonia
Mundi l'avait retiré en masse pour le « remplacer par des
merdes de Bragelonne », dixit un libraire9.
Cette dame n'a plus jamais daigné répondre à mes messages, même
ceux d'ordre professionnel, ce qui constitue un manquement à
l'éthique, en plus d'être la preuve d'une goujaterie sans nom et
d'une lâcheté abjecte. Et, contrairement à son affirmation, le
livre n'a jamais eu de seconde chance, pas même en édition de poche
ou en version numérique (puisque cet éditeur vient de s'y lancer).
Quant aux
redditions de comptes que je reçois chaque année, elles ne sont pas
toutes identiques et sont incompréhensibles sans lexique comptable ;
je ne sais toujours pas combien d'exemplaires du livre ont été
vendus (ni même combien ont été fabriqués, puisque, lorsque j'ai
posé cette question, j'ai obtenu trois réponses différentes,
allant de 2.500 à 6.600 ; à ce jour, j'ignore encore le vrai
chiffre, ce qui constitue une infraction de la part de l'éditeur).
Cerise sur le gâteau : j'ai appris depuis en bavardant avec
une libraire que le diffuseur-distributeur de L'Atalante avait
changé ; ce n'est plus Harmonia Mundi mais la Sodis. Est-ce une
bonne nouvelle ? Va savoir, Balthazar ! Depuis, il ne s'est
strictement rien passé.
20. Marion
Mazauric, un vendredi soir, entre deux portes, me tendant un
manuscrit maigroulet. Je n'ai accepté qu'en sachant pertinemment que
je ferais tout mon possible pour écarter cette muflerie.
Heureusement, je n'ai pas eu à me forcer. Il s'agissait d'une
soi-disant enquête sur le 11-Septembre 2001. Non seulement le
travail d'investigation était aussi indigent que l'écriture, mais
l'auteur de cette navrance affirmait à plusieurs reprises dans sa
présentation que son livre faisait 70.000 mots (de quoi faire un
essai de 230 pages standard) alors que j'en comptais péniblement
22.000, à peine de quoi remplir 70 pages. Le tout était raconté
dans un désordre indescriptible, aucune information n'était étayée,
l'introduction était répétée deux fois sans raison, ainsi que
l'épais CV du prétendant ; pour couronner le tout, la thèse
défendue par l'auteur était que les États-Unis n'avaient en
réalité jamais aidé l'Irak militairement et que la guerre du Golfe
était une croisade parfaitement légitime aux yeux... d'on ne savait
trop qui.
C'était
lamentable, pas même du travail d'amateur ; du pur foutage de
gueule. Mais surtout, l'auteur de cette gabegie était koweitien !
Ah, bon ? Un actionnaire d'Au Diable vauvert a un gendre
koweitien ? Tu m'en diras tant ! D'un autre côté, ça
explique pas mal de choses, non ? Rendons grâces à Belzébuth :
cet étron n'a pas été publié. En tout cas, pas par le Diable.
21. Conversation
que j'ai eue en appelant le numéro officiel (celui qui figurait sur
le site web de la maison) des éditions Équatoriales (apparemment
liquidées, depuis), spécialisées dans les essais et romans
historiques de voyages et d'explorations, à qui j'avais envoyé le
manuscrit des Désamants, en
me disant qu'ils étaient parfaitement susceptibles d'être
intéressés. J'ai aussi envoyé un e-mail, qui n'a
jamais eu de réponse, comme 85 % des e-mails envoyés à des
éditeurs. Mon interlocutrice devait avoir quatorze ou quinze ans. La
fille de l'éditeur ? Aucune idée. (Depuis, je suis passé en
Normandie ; il n'y était pas.)
22. L'auteur de
cette phrase restera anonyme, puisqu'il est traditionnel de protéger
les innocents. Je déplore toutefois que cette personne ait préféré
refuser de se battre et ignorer la protection de la loi, à laquelle
elle aurait pu et dû recourir. La faiblesse et l'ignorance seront
toujours exploitées par ceux qui se croient destinés à avoir des
esclaves. Depuis, cette jeune écrivain a effectivement publié son
deuxième roman chez le même éditeur, que je ne puis nommer ici, ce
qui est bien dommage. J'ignore si elle a été payée finalement,
mais l'argent n'est plus son souci majeur, puisqu'elle a épousé un
courtier en bourse de vingt ans son aîné. Une belle solution, non ?
Je suggère
d'ailleurs que tous les écrivains de France l'imitent ; ainsi,
nos amis éditeurs n'auront plus à se tracasser pour nous payer.
Nous travaillerons gratuitement, ce qui nous libérera l'esprit et
nous rendra tous gentils et obéissants, calmes et adorables,
photogéniques et toujours bien lunés. Et le monde sera encore plus
merveilleux !
Non, c'est vrai,
franchement, entre nous : quel écrivain frustré n'a jamais
rêvé de se farcir une banquière frigide et de la rendre
nymphomane ? (Le fantasme inverse est un peu moins excitant ;
les banquiers sont en général chauves et bedonnants, et n'ont pour
plus haute ambition que d'avoir à la maison une nounou-cuisinière
gratuite et docile. Mais des goûts et des couleurs, on ne discute
pas plus que des termes d'un contrat d'édition.)
La même jeune
femme, avant d'être publiée, avait refusé de passer à la
casserole que lui "proposait" avec insistance un éditeur
leader du marché de la littérature fantastique. Comme elle n'avait
pas porté plainte à l'époque pour tentative de viol ou harcèlement
sexuel, il est impossible de nommer ici l'individu en question,
puisque ce serait de la diffamation, un crime beaucoup plus grave que
le viol, à en croire certains. Sachez toutefois que sa "noble
maison" est citée dans ces pages, qu'il est toujours en
exercice et impuni.
23. Marion
Mazauric. Sans commentaire.
24 à 27. Toutes
ces perles de sagesse (pas prétentieuses pour un sou) sont dues à
Bernard Grasset, qui s'estimait
l'inventeur du best-seller à la française. Son premier coup
d'éclat, en 1916, fut Maria Chapdelaine, un récit du
Canada français, littéralement
prélevé sur un cadavre, puisque l'auteur Louis Héron était mort
dans un accident en 1914, et que son livre n'avait pas soulevé le
moindre intérêt de son vivant. Depuis, le monde de l'édition a su
largement profiter des manuscrits orphelins, que ce soient ceux de
Fernando Pessoa, Valérie Valère, Irène Némirovsky, John Kennedy
O'Toole, D. H. Lawrence, Raymond Radiguet, et bien évidemment la
dernière coqueluche en date, Stieg Larsson, décédé quelques
semaines avant la sortie de son livre, à 50 ans. On appréciera en
passant le fait qu'il léguait par testament ses droits à une ligue
communiste mais que, "finalement", ceux-ci ont été
reversés à son frère et à son père... mais pas à sa compagne,
qui avait négligé de l'épouser. Encore une grande victoire de la
tradition !
Quant
au coup de "bluff" dont parle Grasset, il s'agissait du
fait que Le Diable au corps était
passé subitement (pour des raisons publicitaires et avec l'aval de
Radiguet, afin sans doute de lui garder bonne conscience) de la 52e
à la... 83e
édition ! On notera que
Grasset ne dit pas « Je n'ai
vendu que 10.000
exemplaires » ; il positivait déjà,
cinquante ans avant "Et hop, Prisunic !", ce qui
prouve son génie visionnaire à côté duquel Jacques Séguéla n'a
pas du tout l'air
d'un con. On en déduira en passant que si la loi empêche un éditeur
de mentir à ses auteurs, elle ne l'empêche pas de mentir au public.
(Et aussi que, puisqu'il bluffe, c'est qu'il croit jouer au poker.
L'analogie est pertinente : pour jouer au poker, il faut
beaucoup d'argent et de culot ; par contre, du sens artistique,
c'est nettement moins nécessaire.)
28. Ian Fleming
himself à propos de James Bond. D'accord, il n'était pas
éditeur ; mais il négociait déjà les droits d'adaptation
cinématographique de son premier livre avant même d'avoir
trouvé un éditeur. Ce qui en dit long sur ses prétentions,
artistiques ou non. Je parie que s'il avait vécu plus longtemps au
lieu de fumer comme un sapeur, il serait devenu éditeur.
29. Kurt
Wolff, éditeur allemand mort en 1963, "découvreur" de
Franz Kafka, Werfel, Trakl... On se demande alors ce qu'est censé
faire un "faux éditeur" ; publier ce que les gens
aimeraient lire,
peut-être ? Mais comment le savoir à l'avance ? Facile ;
il suffit d'engager un devin ou une cartomancienne.
30. Paul-Loup
Sulitzer (in Les Épées
#13, août 2004). Je viens
d'aller voir dans ma boîte aux lettres. Je n'ai toujours pas reçu
le chèque. Tu fais chier, Paulo ! J'ai les traites de la
Bentley à payer, moi !
31.
Gaston Gallimard. Cet aveu circonstancié est à peu près le seul
exemple de déclaration honnête (et compréhensible) proférée par
un éditeur (ne s'appelant pas Jérôme Lindon) au cours des cent
dernières années. Dans son testament, GG écrivait aussi :
« La recherche de nouveaux talents [...] entraîne la
publication de nombreux manuscrits au succès incertain. » Au
vu de ce que font ses successeurs (parfois génétiques) aujourd'hui,
ce sage conseil a été égaré corps et biens quelque part entre la
ré-élection tragi-comique de Chirac et celle de son suck-cesseur.
32. Émile Zola,
dans une lettre à Flaubert. Note "optimiste", prouvant que
certains auteurs peuvent être aussi cyniques que leurs éditeurs.
D'un autre côté, il ne faut pas oublier que Zola avait été chef
des services publicitaires de Hachette, avant de se faire éditer par
Georges Charpentier (dont la maison deviendrait plus tard les
éditions Fasquelle, qui deviendraient Grasset, qui deviendront... ad
nauseam.)
33. La
journaliste Marie-Dominique Lelièvre
dans Libération, parlant de Bernard Fixot ; ce dernier est
capable d'investir jusqu'à 9 % du chiffre d'affaires dans la
réclame d'un livre. Ce qui laisse combien à l'auteur ?
34.
Bernard Fixot en 2005, à propos de sa maison XO. C'est donc bien
d'un retour en arrière qu'il s'agit ; nul doute qu'il se
considère comme l'un des « hauts barons de la féodalité
industrielle » dont parlait Regnault dans Les
Français peints par eux-mêmes.
35.
Marion Mazauric dans toute sa splendeur (c'est-à-dire en survêtement
Adidas aux couleurs de l'OM), annonçant son coup "génial"
à la cantonade, avant même de dire bonjour. Bien que sans boulot à
l'époque, j'ai refusé de participer à la traduction collective de
U2 par U2, dont le
cahier des charges épais comme le pouce, la fabrication interminable
et la parution dans des conditions catastrophiques (les chères
vedettes changeaient d'avis tous les jours, revenant sur leurs
propos, qu'il fallait retraduire et remettre en page, les modifiant
au gré de leurs caprices, et comme la maquette du livre devait être
identique pour toutes les versions, le livre sortant en plusieurs
langues simultanément, et la fabrication étant centralisée en
Birmanie juste avant le coup d'État...) ont bien failli couler la
maison ADV. C'est marrant, je n'ai aucun regret.
36.
Claude Durand, éditeur au Seuil, puis chez Grasset, puis Fayard,
puis... Auteur d'un livre sous pseudonyme : J'aurais
voulu être éditeur, dont la
postface est de... Claude Durand ! Ce même "livre" a
obtenu un grand prix "littéraire".
Profitons-en pour
parler d'une différence culturelle de taille : dans les années
1950, Anthony Burgess, alors jeune journaliste, avait publié une
critique dithyrambique de l'un de ses propres romans paru sous
pseudonyme ; son rédacteur en chef ne s'était pas rendu compte
tout de suite qu'il s'agissait de la même personne. Lorsque le pot
aux roses fut découvert, Burgess fut aussitôt licencié pour faute
professionnelle et éthique. Il va de soi que ceci est impensable en
France, où les écrivains et les journalistes sont très souvent les
mêmes personnes. C'est très pratique et cela fait faire des
économies. Cela permet surtout à des écrivains ratés d'avoir un
salaire décent et de continuer à écrire de la merde sans souci du
lendemain. Si le public connaissait les vrais chiffres de vente de
ses auteurs favoris, il se poserait bien des questions... ou
crèverait de rire.
37.
Antoine Gallimard, propos recueillis par Sébastien Lapaque, in AG,
l'indépendant, Le Figaro du
14/10/2007.
38.
« On aurait peut-être préféré que Francis Esmenard [patron
d'Albin Michel] reproche aux
"petits éditeurs" d'encombrer les rayonnages de mauvais
livres. Mais non, simplement, de livres. » (in Discepolo)
Comme si Albin
Michel ne sortait que des bons livres ! A ce niveau-là, ce
n'est plus l'hôpital qui se fout de la charité, c'est la Sécurité
sociale qui chie dans les marmites des Restaus du Cœur.
39. Bernard
Fixot. Dont l'épouse est, soit dit en passant, Valérie-Anne Giscard
d'Estaing. Je le précise pour le cas où il resterait quelque part
des personnes qui estiment qu'il n'y a pas de relations entre le
monde de l'édition et celui de la politique.
40. Olivier Nora,
directeur chez Lagardère, et fils de Pierre Nora, qui fut lui-même
directeur de Hachette. « Bernard Grasset, furieux d'être
désormais boudé par les Dix [de l'Académie Goncourt], mais
plus que jamais convaincu de l'importance des prix littéraires dans
la genèse des best-sellers, participe en 1922 à la création du
prix Balzac, richement doté par le marchand de canons Basile
Zaharoff. » (in Discepolo). Déjà, les marchands d'armes,
grands amis des lettres...
Précisons qu'à
la Libération, Bernard Grasset fut condamné pour collaboration avec
l'ennemi à la dégradation nationale à vie et à la confiscation de
ses biens ; en 1948, le président Auriol le gracia et commua sa
peine en une simple amende ; Grasset fit appel et fut amnistié
en 1953 ; un an plus tard, il cédait sa maison à Hachette.
C'est tout cela,
être un génie de l'édition ; rassurons-nous : depuis
Grasset, il y a eu encore plus génial.
41. Guy
Birenbaum, éditeur chez Denoël (maison appartenant à Gallimard),
interviewé par Marie-Dominique Lelièvre.
42. Françoise
Nyssen, fille d'Hubert, fondateur d'Actes Sud, et héritière de la
"galaxie". Inutile de préciser que, sur les plans
juridique et commercial, les termes "novateurs" employés
par la nouvelle patronne font office d'emplâtre sur une langue de
bois.
43. Hervé de la
Martinière (in Le Monde, 11 oct. 2002). Beurk !
44. Giangiacomo
Feltrinelli, éditeur italien, à propos de Dr Jivago, le
roman qui valut son Nobel à Boris Pasternak. En réalité, le
manuscrit avait été volé à Pasternak, qui en avait seulement
prêté un exemplaire à l'agent de Feltrinelli, venu le voir
en URSS ; celui-ci avait décidé seul de le publier,
c'est-à-dire sans demander la moindre confirmation à l'auteur. On
pourra jouer les étonnés en apprenant que cet éditeur a été
assassiné à coup de dynamite en 1972 ! Quant à Boris
Pasternak, il était mort en 1960 et n'a donc jamais profité de sa
gloire imposée, dont il ne voulait pas de toute façon. Quant à
savoir ce qui l'a tué, du chagrin, de la haine ou du mépris..
45 à 47. Francis
Esmenard, PdG d'Albin Michel. Pastichons ce sinistre cuistre :
« J'en ai vraiment assez de ces éditeurs à qui il faut dix
journalistes, jurés, politiciens, banquiers, pour vendre cent
bouquins, sans compter ce qui a été emprunté ici ou là. »
Tiens, c'est curieux : pas besoin de changer la fin pour que ce
soit marrant !
48. Georges
Monti, fondateur des éditions Le temps qu'il fait ; entretien
avec Olivier Bessard-Banquy.
49. Jean-Louis
Lisimachio (néo-comptable chez Grasset) à Jean-Claude Fasquelle, au
sujet de la reprise de Grasset.
50.
Jimmy
Goldsmith, ex-PdG des gâteaux Vandamme et de La pie qui chante,
repreneur de Hachette, à Olivier Orban. ("Sois spontané, mon
fils !" comme disait l'autre.)
51. Régis
Debray, en 1979. Déjà, à l'époque... Quel grand visionnaire !
52. L'éditrice
Betty
Mialet à son auteur Ania Francos, qui lui annonçait qu'elle avait
un cancer.
53. Gérard
Voitey, notaire devenu éditeur avant de se suicider, s'adressant à
Denis Tillinac.
54. Philippe
Muray ; j'ai souligné le mot comme,
car il contient à mon sens tout le sel de cette déclaration
hautement autorisée. Quand on pense comme un flic, pas étonnant
qu'on ait les idées bien arrêtées.
55.
Françoise Verny à Emmanuel Pierrat, jeune avocat qui voulait
devenir éditeur et publier un manuel de droit à
l'intention des auteurs.
Celui-ci a bien suivi le conseil de la "grande éditrice"
et a finalement publié un Guide
du droit d'auteur à l'usage des éditeurs
(Ed.
Du Cercle de la librairie, 1995) ; il a depuis co-fondé les
éditions Privé et Cartouche, défendu Houellebecq qui disait du mal
de l'Islam, et il dirige la collection L'enfer chez Flammarion.
56. Jean-Claude
Fasquelle à Jack Thieuloy, qui le braquait avec un flingue pour être
édité chez lui.
57. Victorien Duval, ancien éditeur de La Matière noire; il m'avait contacté, étant intéressé pour publier Il était une mauvaise foi. Au bout de six mois d'hésitation, nous avons découvert que nous habitions à 20 km l'un de l'autre. Nous nous sommes vus une demi-douzaine de fois, sans que rien de concluant n'en sorte. Finalement, Victorien a déménagé à 200 km. Cette réplique est la dernière qu'il m'ait adressé, lors d'un coup de fil en février 2016. Depuis, je suis sans nouvelles et j'hésite à lancer un appel sur Twitter.
8.3 En guise de conclusion
Ce maigre
échantillon de comportements et de hautes pensées permettra au
public de se faire une idée concrète de la vie quotidienne des
écrivains français. Tous les événements que je cite sont
authentiques ; ceux dont j'ai été le seul témoin, je ne peux
que jurer les avoir vécus, même s'il est évident que les concernés
s'écrieront « Mais je n'ai jamais dit ça ! » Leur
mémoire continuera à leur faire défaut, comme d'habitude ;
c'est à peu près tout ce qu'elle sait faire. Là où les preuves
manquent, nous verrons peut-être ce que vaut la parole d'un éditeur
contre celle d'un écrivain, dans ce beau pays démocratique qui est
le nôtre. Nul doute que la bonne vieille solidarité des
professionnels de la profession me procurera des heures de stress
intolérable. Et si je vais en prison, je pourrai enfin écrire
tranquillement, sans penser au lendemain. (Mais ça m'étonnerait ;
les prisons ne sont plus ce qu'elles étaient du temps d'Albertine
Sarrazin.)
Il va de soi que
bon nombre de personnes se sentiront lésées, blessées, choquées,
etc. par tout ce qui précède. Si ce sont des lecteurs, je ne peux
que compatir ; il doit être effectivement douloureux de
découvrir qu'un monde que l'on croyait magique se révèle en fait
être un panier de crabes et de vipères, ou de requins et de cafards
selon les goûts, en tout cas aussi pourri que n'importe quel autre
milieu professionnel verrouillé et défendu toutes griffes dehors
par ceux qui ont la "chance" d'en faire partie. Hélas, je
n'y peux rien ; à eux de s'en remettre ou de décider de ne pas
croire à tout ce que je raconte. Le cerveau humain fait ça très
bien ; c'est même ce qu'il fait de mieux. (D'ailleurs, si les
gens concernés par ce pamphlet ne voyaient pas leur nom y figurer en
toutes lettres, ils ne comprendraient même pas que l'on parle d'eux.
C'est pourquoi ils y sont, en toutes lettres.)
Cela permettra à
ces lecteurs de continuer à vivre dans une merveilleuse illusion
toute platonique, qui leur permet d'admirer la réalité de loin. Ce
sont d'ailleurs ces lecteurs-là qui font perdurer l'industrie
littéraire, puisqu'ils achètent régulièrement les mêmes livres
qui racontent toujours la même histoire sous un titre vaguement
différent10
(parfois même pas) ; on ne peut que les encourager à
continuer, si l'on ne veut pas être taxé d'ennemi de la littérature
par ceux qui s'en prétendent les défenseurs.
Si, par contre,
les gens touchés par mes propos sont des éditeurs, cela signifie
(ou devrait signifier) qu'ils sont honnêtes et ne peuvent supporter
qu'on les compare à des saligauds. Cela se comprend, et c'est un
inconvénient déplorable. Mais... comment dire ? Où se
cachent-ils, ces "bons" éditeurs ? Comment se fait-il
que je n'en aie pas rencontré un seul en dix ans ? Et
d'ailleurs, comment savent-ils qu'ils sont de "bons"
éditeurs ? Qui le leur a dit ? Leurs auteurs favoris (=
ceux qui leur rapportent du pognon sans jamais oser les critiquer) ?
Il n'y a
malheureusement pas de remède à ce défaut inhérent à la satire :
la minorité des gens "biens" doit souffrir à cause de la
courte majorité de ceux qui pourrissent le métier et lui confèrent
son image de marque dégueulasse. Le problème est le même dans tous
les domaines de la société et le restera, tant que nous nous
croirons obligés de vivre dans / sous des pyramides sociales, ce qui
dépasse largement le cadre de ce pamphlet.
Enfin, si les
gens choqués par mes propos sont eux-mêmes écrivains, alors je ne
peux que m'étonner de leur réaction ou les envier ; en effet,
soit ils vivent dans le bonheur du monde merveilleux de l'édition
(en d'autres termes, ils sont soit auteurs à succès, soit pourvus
d'une profession à haut salaire compatible avec l'occupation
d'écrivain), soit aveugles et sourds, soit ils font partie de la
(très rare) catégorie des génies authentiques que nul (pas même
un éditeur, c'est dire !) ne serait assez stupide pour traiter
en inférieurs. Mais des gens comme ça, il n'y en a guère qu'un par
génération et par continent, aussi il est fort peu probable que ce
document parvienne un jour sous ses yeux.
Et cela ne fait
pas de mal de le répéter, aussi souvent qu'on le peut : Sans
moi, l'industrie littéraire n'existerait pas ; les éditeurs,
les agents, les sous-agents, les sous-sous-agents, les comptables,
les avocats spécialisés, les départements de littérature, les
professeurs, les thèses, les livres de critique, les articles de
presse, les pages littéraires – tout ce vaste édifice proliférant
n'existe qu'à cause de cette petite personne traitée avec
condescendance, déconsidérée et mal payée.
Doris LESSING
_______________________________________________
1
De telles erreurs de jugement sont en fait l'apanage des écrivains,
puisque ce sont eux qui engagent leur droit moral et cherchent de
nouvelles idées. Le bon éditeur est censé les détecter et leur
donner une chance de s'exprimer, pas les corriger et les arranger à
sa sauce-ketchup idéologique.
2
Dave Duncan, Karen Miller, Ian McDonald, Simon Green, Tad Williams,
Richard Morgan ! Mais aussi le très intéressant 365
positions (Du sexe où vous voulez, du sexe quand vous voulez),
un livre certainement révolutionnaire (mais dans quels égouts ?)
3
Cela veut dire en réalité que les réunions interminables
servaient à entériner les décisions que Mme Mazauric avait déjà
prises de toute façon. Son énervement lorsqu'une situation
n'évoluait pas comme elle le voulait m'amusait au début, puis je
compris qu'elle se comportait de la même manière dans la vie
professionnelle. Un exemple parmi d'autres : « Bon,
Alfred, tes fiches de lecture, on ne peut plus les payer 25 € ;
donc, on va les faire passer à 18,50 €, ce sera plus facile
pour tous. Il y en aura plus souvent, pour compenser. Est-ce que tu
es d'accord ?! » Quand on sait qu'un lecteur parisien
touchait à l'époque entre 40 et 50 € par fiche (jusqu'à
90 € pour une lecture effectuée en urgence) et que la
promesse en question ne fut jamais tenue, on saisit mieux la portée
réelle de l'intervention. Il va de soi que j'étais "d'accord",
puisqu'il n'était pas prévu que je fusse quoi que ce soit d'autre,
et qu'à la question "et si je ne suis pas d'accord ?",
il fut répondu "nous allons aborder le sujet suivant."
4
Les raisons de mon départ sont si nombreuses qu'il faudrait un
roman pour les évoquer toutes ici. Une seule suffira : alors
que j'avais entamé depuis six semaines la traduction du roman de
Tricia Sullivan Maul (dont les droits traînaient depuis cinq
ans), j'ai appris par un tiers que sa parution avait été
repoussée par l'éditrice aux Calendes grecques, qui n'avait pas
jugé bon de m'en informer (accessoirement, ce fut la dernière fois
que je travaillai sans avoir signé de contrat, donc en me fiant à
la seule parole d'un éditeur ; je sais désormais ce que ça
vaut). Pire encore, en envoyant un e-mail de regrets à l'auteur,
j'ai eu la "merveilleuse" surprise de constater qu'elle
non plus n'avait pas été informée ! J'ai donc joué à
mon corps défendant le rôle du porteur de mauvaise nouvelle, ce
qui a évité à la vraie responsable de devoir l'assumer...
Maul a finalement été publié en 2011, dix ans après sa parution originale, dans une traduction que je n'ai pas eu le courage de lire ; comme quoi, moi aussi, je peux être lâche.
Maul a finalement été publié en 2011, dix ans après sa parution originale, dans une traduction que je n'ai pas eu le courage de lire ; comme quoi, moi aussi, je peux être lâche.
5
Dois-je révéler ici que le passe-temps favori de Marion Mazauric
est de passer des savons aux stagiaires et de les faire pleurer ?
Ce serait un peu méchant de ma part, non ? C'est tellement
plus cool d'être quelqu'un de charismatique capable de diriger et
de donner des ordres. On aura reconnu là le comportement odieux de
tous les patrons paternalistes et paternants du monde capitaliste,
qui se croient justifiés dans leur armure de vertu et de rôle
social indispensable à la bonne marche de l'économie. A les
entendre, ce sont eux qui maintiennent la paix dans le monde et nous
devons, nous leurs larbins sur-payés, nous prosterner à leurs
pieds et leur obéir aveuglément jusqu'au sacrifice, parce qu'ils
souffrent à notre place, tels des christs écartelés dans leur
fauteuil de direction, martyrs du monde moderne, futurs saints
encore méconnus, maîtres du monde parce qu'ils le "valent"
bien. (Voir à ce sujet l'excellent film de Stéphane Kazandjian :
Moi, Michel G., milliardaire, maître du monde, 2010 ;
on remarquera en passant que ce petit bijou de critique sociale n'a
pas dépassé les cent mille entrées en France ; ce qui en dit
long sur le silence des médias à son sujet). Eh, oh ! Vous
avez déjà vu un entrepreneur travailler autrement qu'en se servant
de son bagout et de sa surdité morale ? Moi, pas. Mieux vaut
en rire, dit la sagesse populaire, qui ne sait plus quoi dire après
avoir largué ses perles. Ça tombe bien, je ne suis ni sage ni
populaire.
6
A une exception près, que j'ai démarchée moi-même (sans avoir
été payé pour cela).
7
Tu parles d'une aventure ! Trois coups de téléphone en deux
mois, une douzaine d'e-mails échangés (dont quatre comminatoires),
une série d'e-mails échangés avec la correctrice, un coup de fil
final en guise de Bon à Tirer, et basta ! C'est à ça que se
résume l'"aventure éditoriale" aujourd'hui. Les
rencontres avec un public n'auront lieu que si quelqu'un chez
l'éditeur (généralement une jeune diplômée qui croit en votre
ouvrage - jusqu'au jour où on lui fait comprendre qu'elle doit
arrêter les frais, en général au bout d'une semaine) se démène
auprès des libraires pour obtenir des séances de signature. En
réalité, seule une notoriété déjà installée permettra
à des organisateurs de manifestations d'entreprendre les démarches
amenant à inviter un écrivain ; si la chose arrive deux fois
dans l'année, il pourra s'estimer chanceux. Quant aux interviews et
communications à propos de l'ouvrage, elles consistent neuf fois
sur dix en un encadré de 200 mots dans la presse locale, contenant
en moyenne un contre-sens et deux inepties.
La palme de l'inconséquence professionnelle revient à une "journaliste" de la Gazette de Montpellier que je n'ai jamais rencontrée, ce qui ne l'a pas empêchée de publier une "interview" de moi à propos de mon premier livre ; non seulement l'entrevue a en fait été montée à partir d'extraits du dossier de presse, mais je n'ai jamais été informé par cette personne de la parution de l'article (je l'ai appris par hasard, six mois plus tard, par une amie libraire).
La palme de l'inconséquence professionnelle revient à une "journaliste" de la Gazette de Montpellier que je n'ai jamais rencontrée, ce qui ne l'a pas empêchée de publier une "interview" de moi à propos de mon premier livre ; non seulement l'entrevue a en fait été montée à partir d'extraits du dossier de presse, mais je n'ai jamais été informé par cette personne de la parution de l'article (je l'ai appris par hasard, six mois plus tard, par une amie libraire).
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On se rendra compte de la marge de liberté des auteurs en apprenant
que, sur mes huit publications (en 2013), trois ont des couvertures
à dominante rose, couleur que j'abhorre et que j'avais à chaque
fois exclue de mes préférences. Seule celle de La Bibliothèque
nomédienne correspond à mes attentes, et pour cause, puisque
c'est une amie qui l'a conçue d'après mes directives. L'argument
avancé en général par l'éditeur pour imposer ses choix à
l'auteur est celui de la "charte graphique". Nous oublions
souvent, en effet, pauvres artistes demeurés que nous sommes, que
l'éditeur ne conçoit pas le livre comme une œuvre mais
comme un produit. Ce qui explique énormément de choses,
même si ce n'est pas légal, puisque
aucune loi n'autorise l'éditeur à imposer son choix à l'auteur.
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Depuis cette époque, Bragelonne a quitté l'écurie Harmonia Mundi,
les amputant apparemment de 40 % de chiffre d'affaires.
Impossible de savoir s'il s'agit d'une bonne nouvelle. Mais quand
les requins se bouffent entre eux, le menu fretin ne peut que se
réjouir. Signalons en passant qu'Harmonia mundi est un distributeur
qui a pour habitude de changer brusquement de partenaires
(transporteurs, diffuseur, etc.) sans en avertir ses éditeurs,
encore moins les auteurs.
10
On pourra s'amuser quelques minutes avec l'excellent "générateur
de titres semi-aléatoire" d'Omer Pesquer :
http://www.omerpesquer.info/untitre/
Hi there! I could have sworn I've been to this site
RépondreSupprimerbefore but after checking through some of the post I realized it's new to me.
Nonetheless, I'm definitely happy I found it and
I'll be book-marking and checking back frequently!
Well.. Hi to you too, dear Stranger. Welcome to the pit.
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