A. LETTRE OUVERTE À NOTRE-DAME DE CULTURA à l'attention d'une ex-ministre à cervelle d'oiseau-lyre
"C'est
l'éditeur qui fait la littérature." Que vous avez dit.
M'ouais..
Varions sur votre
joli thème :
C’est le
galeriste qui fait la peinture ; le producteur qui fait le
cinéma ; le plombier qui fait l’hygiène ; le cuisinier
qui fait l’appétit ; le papetier qui fait l'éducation ;
le cafetier qui fait l’ivresse ; le sexologue qui fait
l'amour ; le prêtre qui fait la morale ; le couturier qui
fait la beauté ; le philosophe qui fait la raison ; l’oie
qui fait la poésie ; le flic qui fait la justice ; le
politicien qui fait la démocratie…
Oups ! Un
lapsus. J'oubliais que normalement, c'est le peuple qui fait la
démocratie. Amusante méprise.
Au fait, avant
que je n’aille plus loin – c’est-à-dire trop loin –,
qui « fait » vos discours ? Pensez-vous réellement
ce que vous dites ? Ou bien cette phrase pour le moins
malencontreuse est-elle le résultat d’une erreur de copiste ?
Croyez-vous que les auteurs de France vont désormais avoir confiance
en vous ? Préférez-vous vous fier, sur cette question, à vos
« amis » éditeurs et journalistes, ou à vos
« collègues » politiciens ?
Ah, madame, ce
qu’ils vous diront est faux. La vérité est différente. La
vérité, c’est que nous crevons ; de faim, de mépris,
d’indifférence, de haine, d’ignorance, de stupidité… Bref,
nous crevons sous le poids de l’ineptie générale de la nouvelle
culture de notre pays, celle qui a survécu aux années 1980 et 1990,
celle où les entités du type Lagardère, La Martinière, Seillère
et autres noms qui riment avec "chiffre d'affaires" nous
ont relégués au rang d’anonymes bons à sacrifier, agréables à
vous servir de crachoir.
Nous sommes au
plus bas. Désespérés. Prêts à réagir avec la dernière
extrémité. Nous n’avons à perdre que ce qu’on nous a laissé :
rien.
A vrai dire,
pourquoi est-ce que je vous parle ? Puisque, si vous n’obéissez
pas aux ordres de vos « amis » éditeurs, vous sauterez
et vous serez vite remplacée par un autre « sacrifiable ».
Or, entre éléments sacrifiables, on aurait peut-être pu
s’entendre. Nous sommes proches, vous et moi, à la différence
près que, lorsque vous aurez valsé (dans pas longtemps, à mon
avis), vous toucherez vos émoluments historiques jusqu’à la fin
de votre vie, tandis que moi, je resterai où j'en suis, au Revenu
Sans Additif, qui garantit mon innocuité.
N'ayez crainte,
nous ne sommes pas si proches, vous et moi, puisque vous confondez
l'artiste et l'artisan ; je dis artisan par licence
poétique ; la réalité est que ces gens que vous admirez pour
leur "talent" sont des faiseurs de conserve. Et votre
petite phrase (qui restera dans les "anals" de la
lis-tes-ratures et de la policaustique française) prouve, si
besoin était, la collusion profonde, indécrottable et criminelle
des politicards et des industrieux de la culture, dont vous êtes1
la cheftaine.
Non, réflexion
faite, je n'ai rien à vous dire. Vous n'avez pas les capacités de
l'entendre. C'est pourquoi je lance à tous les vents, dans le vide
intersidéré d'Internet, un appel à "faire" autre chose,
autrement, autre part, et si possible, sans vous ni vos amis
ré/actionnaires.
Il faut dire
encore une fois que ce sont les artistes qui ont fait l'histoire de
l'art.
Daniel ARASSE,
Histoires de peintures
B. EXEMPLE DE MÉTHODE ÉDITORIALE ou Comment traiter un manuscrit ?
Après avoir
soumis un roman (le futur Les Désamants, co-écrit avec
Héléna Demirdjian) à une dizaine d'éditeurs bien ciblés, je
reçus au bout de dix jours un courriel de la maison Hoëbeke.
C'était un refus en deux lignes (et deux fautes de français), signé
par une certaine Catherine Rassat, qui m'informait que le manuscrit
restait disponible pendant... dix jours ! Par coïncidence, je
devais être à Paris le dernier jour de ce délai. Je renvoyai donc
un e-mail prévenant de mon passage. Au jour dit, je toquai à l'huis
d'Hoëbeke, rue du Dragon, dans le 6e. J'entendis un pas nerveux
foncer vers la porte, qui s'ouvrit pour révéler une brune à queue
de cheval et talons aiguilles. J'expliquai brièvement la raison de
ma présence. « C'est pas le moment ! » dit-elle.
Comme elle s'apprêtait à refermer, je fis un pas en avant.
Soufflant des naseaux, elle s'engouffra dans un bureau attenant. Je
la poursuivis. « Quel manuscrit ? Quel titre ? »
jappa-t-elle, accroupie devant une pile d'enveloppes posées par
terre. Le temps que je décline à nouveau le titre, elle m'avait
déjà montré une dizaine d'enveloppes par-dessus son épaule, les
rejetant en vrac. « Je ne le vois pas. (Il en restait une
cinquantaine.) Décrivez-le ! C'est pas le moment... » Je
redonnai le titre. « Oui, bon. Vous le voyez ? »
« De là où je suis, je ne vois rien. » Elle se releva
et fonça sur un ordi. « C'est quoi, votre nom ? » Je le
lui répétai. Elle cliqua trois fois, pianota une seconde et demie,
jeta un coup d'œil à son écran. « Je ne le vois pas ! »
J'avais compris et décidai d'abréger nos souffrances.
« Ne vous
fatiguez plus ; j'y vais, là.
— C'est que...
c'est pas le moment !
— Oui, vous
l'avez déjà dit. Au fait, c'est vous, Catherine Rassat ?
— Oui ; et
alors ?
— Je ne sais
pas pourquoi, je m'en étais douté. »
Deuxième
exemple, moins édifiant, mais justement plus courant : j'ai
envoyé un jour du printemps 2011 le manuscrit de mon polar
historico-libertin Fantaisie baroque aux éditions Gallimard ;
non pas au "service des manuscrits", dénomination vague
qui signifie généralement qu'un/e stagiaire ouvre l'enveloppe et
classe l'objet dans une armoire après avoir (si tout va bien, cf. ci-dessus) entré
les coordonnées de l'auteur dans une base de données. Non, je l'ai
envoyé à une personne précise, à savoir Patrick Mauriès,
directeur de collection, dont les activités sont proches des
intérêts abordés par le roman en question. Six mois plus tard,
alors que je n'avais jamais reçu le moindre accusé, le manuscrit
m'a été retourné sans commentaire, sinon la lettre de refus
habituelle pouvant correspondre à n'importe quel ouvrage. Elle
n'était même pas signée.
J'avais eu
l'outrecuidance de me présenter sans être recommandé ni suivre la
voie hiérarchique !
Au moins, je n'ai
pas eu à payer les frais de porc.
Question :
comment voulez-vous qu'un manuscrit s'améliore dans ces conditions ?
Qu'un écrivain apprenne son travail ? Qu'un auteur se sente
respecté ? C'est évidemment impossible ; pire : ce
n'est même pas prévu. De toute façon, ce n'est pas le problème
des éditeurs, qui est désormais de faire faire du chiffre à leurs
supérieurs "industriels" en défendant des valeurs
"culturelles" – lesquelles sont heureusement faciles à
ne pas définir.
C. BALLADE DE LA RUE BALLU
La SACD (Société
des auteurs et compositeurs dramatiques) est un organisme qui, tout
en clamant haut et fort son amour des dramaturges, ponctionne 24 %
de leurs droits (+ la cotisation sociale + la cotisation mensuelle +
0,8 % intitulés "divers" mais jamais expliqués) pour
avoir le privilège de... leur reverser leurs droits !
Ne cherchez pas
l'erreur, il n'y en a pas ; c'est bel et bien une arnaque de
plus, montée par des professionnels chevronnés et bien implantés,
ayant compris comment exploiter les failles du système légal et la
crédulité des ignorants. Une parmi tant d'autres. La SACD compte
environ 80.000 adhérents ; l'Agessa, elle, n'enregistre que
1.200 auteurs dramatiques. Le calcul est donc simple : 78.800
gogos entretiennent les employés de la SACD (quant à savoir combien
sont ces employés, mystère et boule de gomme ; le site de la
société est merveilleusement flou à ce sujet ; avec le même
art du vague, la société entretient savamment l'illusion qu'elle
est le seul organisme de perception et de répartition des droits
existant en francophonie ; c'est, disons, un joli mensonge par
omission : il y a aussi l'ADAGP, la SAJE et la Scam ; plus
les sociétés d'artistes-interprètes : Adami et la Spedidam ;
enfin des sociétés de producteurs : SCPP, SPPF et Procirep).
Bref, en d'autres
termes, la SACD est au théâtre ce que la publication à compte
d'auteur est à la littérature. On ne compte plus le nombre de
"petits" auteurs inscrits à la SACD qui ont dû aller
chercher eux-mêmes leurs droits auprès de compagnies indélicates,
non sans devoir reverser ensuite un quart de leur gain à ces
semi-fonctionnaires qui n'ont pas levé le petit doigt pour eux.
Le seul moyen,
pour un auteur, de tirer avantage du système SACD, c'est de faire
partie des trente heureux élus qui composent chaque année son
Comité directeur. Et si vous voulez connaître une autre source de
revenus de cette société, la voici : chaque année, environ
10 % des droits que la SACD est censée reverser à ses membres
restent en fait bloqués dans le "fonds des droits
non-récupérables" (généralement sous prétexte qu'ils n'ont
pas pu trouver leur destinataire, mais comment peut-on vérifier
l'absence de quelque chose ?). Lorsque cela arrive, c'est à l'auteur
de s'en rendre compte et de les réclamer. Sauf que, lorsqu'il le
fait, il apprend que le fameux fonds est bloqué pour... dix ans (il n'y a pas si longtemps, c'était pendant trente ans, mais le groupe KRAFTWERK a porté le pet devant le justice et a obtenu ce compromis, qui reste un crachat jeté à la face des artistes). Et
que fait la SACD avec ce fonds financier ? Elle spécule. Oui,
elle boursicotte !
Maintenant,
faites le calcul : même avec un placement pépère de 3,33 %
sur 10 % des 150 millions d'euros de droits générés par an,
cela nous fait la bagatelle de... 500.000 euros encaissés chaque
année, sans bouger les oreilles ! A quoi s'ajoutent, par
exemple, les 800.000 € versés par Dailymotion pour avoir le
droit de diffuser des films et des extraits de pièces sur
Internet... le tout sans l'accord des auteurs ni même des
producteurs desdites œuvres. Eh oui, l'accord Dailymotion / SACD
avait été négocié en secret, avant que certaines sociétés de
production ne se rebiffent et ne le dénoncent à la justice.
Continuons dans
le malodorant : pour ne plus faire partie de la SACD, il faut
envoyer une lettre préalable et payer toutes les cotisations en
retard, celles des années où vous n'avez rien touché parce que
personne n'est allé réclamer vos droits pour vous les reverser
ensuite. C'est un peu comme quand on veut ne plus figurer sur les
registres baptismaux après avoir été christianisé d'office :
il faut demander l'autorisation au pape, donc reconnaître son
autorité alors que, précisément, on la conteste !
Enfin, la SACD se
réclame lourdement de Beaumarchais qui l'a fondée, mais oublie à
bon escient qu'à ses débuts, la part de la recette qui revenait à
l'auteur n'était pas de 10 % mais de 12 %, auxquels
n'était pas prélevé un quart. Ah, mémoire sélective, quand tu
nous tiens !
Et c'est ainsi
que le mépris engendre le mépris..
*
Devoir de
vacance :
Dans l'une de
ses plaquettes dite d'information, Mme SACD (Société des Auteurs et
Compositeurs dramatiques) présente un bilan de son assemblée
générale 2013. Parmi les chiffres annoncés, on trouve celui-ci :
sur 100 € perçus, 87,83 sont "destinés à être
répartis aux auteurs".
QUESTION A (10
points) - Sachant que Mme SACD encaisse 24 % des droits des
auteurs pour que ceux-ci aient le droit de percevoir leurs droits,
expliquez l'équation : 100 - 24 = 87,83.
QUESTION B (7
points) - Lorsque vous aurez calculé le pourcentage fantôme,
expliquez la nuance entre "destinés à être répartis aux
auteurs" et "effectivement reversés aux auteurs".
(Attention, piège : vérifiez bien le sens du mot "destinés"
dans le dictionnaire avant de vous lancer).
QUESTION C (3
points) - Que font les membres administrateurs de la SACD (qui sont
presque tous des artistes aussi, ne l'oublions pas) avec le "fonds
des droits non recouvrables" (qui se monte à environ 10 %
des montants perçus annuels, soit 19,5 millions d'Euros):
1-ils vont manger
tous ensemble dans une pizzeria industrielle ;
2-ils spéculent
dans des placements pépères pour sécuriser leur maison-mémère ;
3-ils organisent
une soupe populaire pour nourrir les artistes qui ne peuvent plus se
produire parce qu'il n'y a plus de place à Avignon, que les autres
festivals sont morts, qu'ils ne sont pas les enfants de personnalités
connues, etc.
Attention :
les arguments surréalistes, poétiques et fantaisistes ne seront pas
pris en compte.
A gagner
(si vous obtenez la moyenne) : le droit de cotiser à une
caisse de retraite fantôme pendant quarante-cinq ans et demi.
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1
Etiez. Vous avez été remplacée par une autre potiche qui,
elle-même, a été remplacée par.. une calculette qui parle.
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