C'est ce qui m'a décidé à publier ici l'intégrale de l'interview proposée par Charlène Malandrain, qui tient le blog/instagram/twitter/etc. "Le carnet de Stitch", interview dont elle souhaitait censurer une partie des réponses. Je vous laisse deviner les passages "incriminés".
Il va de soi qu'elle n'a pas utilisé le mot "censurer" mais des périphrases démagogiques de la plus belle eau : "Il faudrait revoir certaines réponses et enlever tout ce qui descend les maisons d'édition." Car oui, elle a des partenaires dont elle "n'a pas à se plaindre". (Comprenez : il ne faudrait pas qu'elle se les mette à dos et qu'ils la laissent tomber. Comme si le fait que je dénonce les méthodes de certains éditeurs malhonnêtes pouvait entacher la réputation de tous les éditeurs..) Elle propose comme alternative : "Ou alors je peux aussi réfléchir à voir comment je pourrais réorganiser l'interview. "
Car chez ces gens-là, voyez-vous, on ne censure pas ; on "revoit", on "enlève" et on "réorganise". Ce petit gargouillis étouffé que vous venez d'entendre, c'est George Orwell qui pouffe dans sa tombe puis pleure puis rit puis pleure, etc.
L'interview (ou pas)
Comment allez-vous ?
Je suis vivant.
Pouvez-vous vous présenter en
quelques mots ?
J'ai dépassé le demi-siècle sans
freiner ; j'écris depuis que j'ai 14 ans ; ma première
histoire a été publiée (en revue) en 1999 ; je suis
"écrivain" depuis 2008 et auto-éditeur depuis 2019. Avant
cela, j'ai été traducteur technique puis j'ai fait du théâtre
(acteur, auteur, metteur en scène). J'ai ensuite purgé dix ans de
peine dans l'édition dite "conventionnelle", où j'ai
publié trois traductions de romans anglophones et onze ouvrages
(dont trois collectifs) qui, au total, m'ont rapporté l'équivalent
d'un seul mois de salaire de député. J'anime des ateliers d'écriture
depuis 1999, en m'efforçant de changer de méthode et de sujet à
chaque fois.
Pouvez-vous présenter vos romans
écrits jusqu'ici ?
La Bibliothèque nomédienne :
résultat d'un atelier sur le thème du "Continent égaré",
devenu une anthologie fantastico-borgésienne écrite par sept
auteurs appelés les Gaillards d'avant : l'Américaine Poppy
Burton, l'Anglais Graham Chadwick, l'Australien Edwin Hill, et quatre
Français : Marc Vassart, Grégoire Hervier, Alain Guyard et
moi-même, le "Capitaine sans cap". (Publiée en 2008 dans
la collection La Dentelle du Cygne, chez L'Atalante).
La Digitale :
roman post-cyberpunk
mêlant informatique et parfumerie ; inspiré d'une campagne du
jeu de rôles Shadowrun (publié en 2010 chez un jean-foutre qui
ne mérite pas d'être nommé ici).
Les Désamants :
roman historique épistolaire co-écrit avec Héléna Demirdjian,
fondé d'une part sur la vie authentique du navigateur anglais George
Bass ; d'autre part, sur la vie hypothétique de "Mlle des
X", aristocrate française fuyant la Révolution (publié en
2012 chez un autre éditeur tout aussi malhonnête -mais légèrement moins incompétent- que le précédent).
Le Sang de Robespierre :
roman historico-fantastique, dans lequel cinq vampires, sortis de
leur torpeur par un rêve commun, tentent de déjouer un complot qui
plonge ses racines dans la Révolution française ; l'action se
déroule en 1843, du nord de l'Angleterre au cœur
de l'Allemagne en passant par Paris et la Flandre. Écrit à partir
d'une campagne du jeu de rôles Vampire, la mascarade. (Publié
en 2013 chez un nouvel éditeur, Le Peuple de Mü, devenu depuis un
éditeur comme les autres, c'est-à-dire incompétent, lâche, hypocrite et sans
scrupule).
La Sagesse des Piliers :
roman de fantasy/SF se déroulant dans un monde vaste et presque
désert dont le ciel est soutenu par d'étranges piliers ; le
héros, Libros E. Juggeros, est un Vérificateur impérial qui fait
la tournée séculaire des piliers (publié en 2014 chez le même que
le précédent).
Exploration totale :
novella de SF/space opera racontant la première
exploration d'un jeune astronaute sur une planète à l'écoumène
gigantesque (publié en 2015, idem).
Les Vicariants :
atelier d'écriture collectif mené sur Internet pendant trois
ans avec d'autres auteurs (Michael Roch, Marc Vassart, Aléric de
Gans, Benjamin Catel, et la participation amicale de Charlotte Tara).
Variations sur le thème de l'individu confronté à l'imminence
d'une guerre. Les auteurs ont chacun créé un archétype qu'il
fallait faire évoluer à travers diverses époques, sur des
situations proposées par chacun. Sept lieux et époques ont été
explorés, depuis la Rome de l'Antiquité jusqu'à la
Nouvelle-Zélande de 2040, en passant par la France de 1520 ou le
Portugal de 1755. Deux volumes papier sont parus en 2016 au Peuple de
Mü ; le troisième n'a jamais été mené à terme par
l'éditeur en question, qui n'a pas tenu ses engagements (notamment,
l'avance promise sur la subvention de la région Rhône-Alpes ne m'a
jamais été versée et j'ignore ce qu'elle est devenue), ce qui a
conduit à une rupture de contrat et à mon départ de son "écurie" bêlante.
Les Aventures dialographiques de
Sherlock Holmes et du Dr Watson : recueil de
mini-récits dans l'univers d'Arthur Conan Doyle, tirés de
fan-fictions co-écrites avec Michael Roch et d'abord parues sur
Twitter en 2013. Auto-édité en numérique sur Amazon (couverture et
maquette de Julie Mornelli).
Fantaisie baroque :
roman épistolaire historique et très libertin, inspiré de
l'exécution du marquis de Monaldeschi par la reine Christine de
Suède en 1657 à Fontainebleau, exécution dont on n'a jamais
découvert les vraies raisons. Paru en version numérique sur Amazon
uniquement.
Past Mortem :
thriller épistolaire co-écrit (en anglais) avec Julie Mornelli,
paru en ligne en 2016 ; inspiré d'une ancienne affaire non
résolue de famille disparue près de Cognac au début des années
1980. Premier épisode d'une série à deux personnages centraux,
intitulée The Debunkers,
dont l'objectif était d'écrire des fictions à partir d'affaires
criminelles réelles parvenues à prescription ; le
deuxième épisode a dû avorter par suite de la disparition (réelle)
de Julie Mornelli en décembre 2017 ; il reste en friches à ce
jour et s'intitulera (s'il existe un jour) Clear Mind.
Les Animaux ont la Priorité :
polar historique inspiré de la mort inexpliquée du producteur de
cinéma Thomas H. Ince en 1924 ; écrit en collaboration avec
Emily R. Bloodrun, ancienne archiviste à la Bibliothèque du Congrès
US. Auto-édité grâce à une campagne de crowdfunding (disponible
en ligne, numérique et papier, chez Books on Demand).
À part ça, j'ai aussi publié deux
recueils de poésies, et écrit une douzaine de spectacles (pour le
théâtre et la rue) dont trois ont été produits.
Quelles sont vos sources
d'inspirations ?
Mes rêves et mes désirs. L'Histoire
humaine. Mes auteurs préférés. Certains livres (voir question
suivante), films, musiques, spectacles de rue, peintures, sculptures,
toute sorte de créations artistiques.. bref, la culture. Et
certaines conversations avec des amis ou des personnes d'exception
(les deux n'étant pas incompatibles).
Quels sont vos auteurs préférés
? Est-ce qu'ils vous ont inspiré, et en quoi?
D'abord les Forgerons (ceux qui
m'ont forgé l'âme et l'esprit) : Umberto Eco. Ursula
K. Le Guin. Jack Vance. Philip K. Dick. Dorothy Parker. John Varley.
Boris Vian. Ed McBain. Tony Hillerman. Antonin Artaud. Alfred Bester.
Richard Matheson. J.G. Ballard. Jorge Luis Borges. Adolfo Bioy
Casares. John Brunner. Fredric Brown. Italo Calvino. Timothy Powers.
Patrick Cauvin. René Crevel. Orson Scott Card (jusqu'à La
stratégie Ender). Guy Debord. David Graeber. Robert Desnos. Jacques Prévert.
Henri Michaux. Pierre Desproges. Romain Gary. Charles Baudelaire.
William Gibson (jusqu'à ce que la réalité le rattrape, vers
Idoru). Dashiell Hammett. Fritz Leiber. Ira Levin. Lucrèce.
Michael Moorcock. Friedrich Nietzsche. George Orwell.
Georges Pérec. Fredrik Pohl. Bertrand Russell. Albertine Sarrazin.
Robert Sheckley. Clifford Simak. Bruno Traven. Raoul Vaneigem.
Valérie Valère. Kurt Vonnegut Jr. Oscar Wilde. Gene Wolfe. Roger
Zelazny. Oliver Sacks. Rudy Rucker. (Ne pas oublier que la B.D.
franco-belge a fourni son contingent de grands auteurs-scénaristes :
Goscinny. Greg. Franquin. Gottlib. Cauvin. Fournier. Charlier. Lamquet.
Bretecher. Leloup. Ayrolles. Wasterlain. Hislaire.. À qui il faut ajouter
l'incommensurable Bill Watterson.)
Les Inconditionnels (ceux que
j'ai découverts sur le tard et dont je ne peux plus me passer) :
David Mitchell. Iain Pears. Marisha Pessl. Irvin Yalom. George RR
Martin. Daniel Arasse. Alasdair Gray. James Flint. Joshua Ferris.
Tibor Fischer. Thomas Kenneally. Magnus Mills. James Morrow. Chuck
Palahniuk. Kim Stanley Robinson. Theodore Roszak. Martin Winckler.
Lucien Israël. Juli Zeh. Isaac Babel. Didier Daenninckx.
Les Sporadiques (parfois j'adore,
parfois non) :
Julian Barnes. Jonathan Coe. Gaston Bachelard. Neal
Stephenson. Samuel Beckett. Charles Bukowski. Henri-Frédéric Blanc.
Catherine Dufour. Robert Heinlein. Vladimir Nabokov. Christopher
Priest. Iain M. Banks. Fernando Pessoa. Alberto Manguel. Stéphane
Audeguy. Peter Høeg. John Fowles.
Et puis, il y a des livres qui
m'ont marqué à vie :
Ariosto Furioso,
de Chelsea Quinn Yarbro ; Histoire populaire des
Etats-Unis, de Howard Zinn ; Dangereuses visions
(anthologie SF réunie par Harlan Ellison) ; Le serval noir,
de Marc Vassart ; Le parfum, de Patrick Süskind ;
The Teleportation Accident, de Ned Beauman ; The
secret history (Le maître des illusions), de Donna Tartt ;
The Dice-Man, de Luke Rhinehart ; Entretien avec un
vampire et Lestat le
vampire, d'Anne Rice ; Le
yogi et le commissaire,
d'Arthur Koestler ; Club Dumas, d'Arturo
Perez-Reverte ; Traité du zen et de l'entretien des
motocyclettes, de Robert Pirsig ; La cloche de verre,
de Sylvia Plath ; Le dictionnaire de Lemprière, de
Lawrence Norfolk ; Catch-22, de Joseph Heller ;
Dune, de Frank Herbert ; Azteca, de Gary
Jennings ; les trois premiers tomes de la saga Les maîtres
de Rome, de Colleen
McCullough ; Dr Adder, de K.W. Jeter ; Parade
nuptiale, de Donald Kingsbury ; Le deuxième sexe, de
Simone de Beauvoir ; Novecento, pianiste, d'Alessandro
Baricco ; La littérature sans estomac, de Pierre
Jourde ; La maison
des feuilles, de Mark Danielewsky ; Années-lumière,
années de guerre, de David Gerrold ; Tous des
magiciens ! et
C'est dans les yeux, de Randall Garrett ; Radix,
d'A.A. Attanasio ; Là où les tigres sont chez eux, de
Jean-Marie Blas de Roblès ; 2666, de Roberto Bolaño ;
La route de la chapelle, de Louis-Paul Boon ; Bravoure,
d'Emmanuel Carrère ; Gravité à la manque, de George
Alec Effinger ; Les fosses carolines, de Cavanna ;
Julien, de Gore Vidal ; Les mots, la mort, les sorts,
de Jeanne Favret-Saada ; Le serpent cosmique, de Jeremy
Narby ; Un grand pas vers le bon dieu, de Jean Vautrin ;
A la recherche de Klingsor, de Jorge Volpi ; Cyrano,
de Jean Rostand ; Dette, 5000 ans d'histoire, de David
Graeber ; Petit manuel d'auto-défense intellectuelle, de
Normand Baillargeon, 1491, de Charles C. Mann..
Enfin, une mention spéciale pour :
Colors insulting to Nature, de Cintra Wilson (que j'ai traduit
avec le consentement de l'auteur, et qui attend qu'un éditeur
français ait le courage et l'intelligence de le publier).
Et tous ceux que j'oublie, bien sûr.
Avez-vous un lieu de prédilection
pour écrire ?
Les librairies-salons de thé qui
passent de la bonne musique (avec 0 pubs).
Les cafés avec des alcôves et des
recoins, ouverts tard le soir.
Les terrasses ombragées avec vue
plongeante sur une montagne.
Un fauteuil près d'une cheminée (en
hiver).
Mes genoux ou mon volant (en cas
d'urgence).
Pourquoi écrivez-vous ?
Parce que personne d'autre n'écrira ce
qu'il y a dans ma tête (ou alors, c'est à devenir dingue).
Avez-vous des sujets qui vous
tiennent à cœur ?
L'avenir de l'espèce "humaine"
(ce dernier mot étant à prendre dans ses deux sens :
biologique et éthique). Les possibilités de vivre autrement.
L'exercice du contre-pouvoir. Les rêves. La liberté. Le suicide. La
folie. L'art. La justice. La disparition des genres. La beauté.
Quels genres littéraires
lisez-vous ?
Le concept de "genres" ne
m'intéresse pas. Penser en termes de genres, c'est ouvrir la porte
aux préjugés, donc tuer la curiosité. Je lis tout ce qui va au
fond des choses sans ressasser de vieilles rengaines multimillénaires
(les plus pénibles, à mes yeux, étant l'ésotérisme et sa version
officielle : la religion). Je ne m'intéresse pas au contenu des
idéologies, seulement à la façon dont elles fonctionnent et à
leur histoire (afin de mieux résister à leur violence).
Êtes-vous présents sur des salons
littéraires ? Si oui, lesquels ? Avez-vous des dédicaces
prévues ?
Quand j'ai un éditeur qui fait son
travail correctement, oui ; sinon, c'est trop chronophage à
organiser, pour un gain minimal, voire négatif. À vrai dire, la
promotion est un travail à temps plein ; c'est surtout celui
des éditeurs.
Sur quels sites pouvons-nous vous
retrouver ? (Blog, facebook, Twitter, Instagram, etc)
Compte twitter : alfredboudry.
Que pensez-vous des blogueurs,
chroniqueurs, booktubeurs, bookstagrameurs ? Qu'ont-ils à vous
apporter selon vous ?
Pour m'apporter quoi que ce soit, il
faudrait qu'ils commencent par répondre aux questions que je leur
pose. On verra le jour où ça arrivera ; si ça arrive. Pour
l'instant, seul le silence m'a répondu. Et les internautes sont
comme tout le monde : ils parlent surtout de ce qu'ils
connaissent déjà. La curiosité est encore et toujours considérée comme un
vilain défaut ; elle est surtout difficile à nourrir.
En fait, depuis 2008, mes livres
(papier ou numérique ou les deux) n'ont été chroniqués que par
des gens que connaissaient personnellement mes éditeurs. J'ai
bien peur que la sphère Internet ne fonctionne de la même manière :
par entregent, par copinage, par retour d'ascenseur, ou parce qu'on
en a entendu parler d'Untel par Machin.. Bref, ce n'est pas parce que
les outils ont changé que les humains ont changé. Si le monde de
l'auto-édition qui est en train de se mettre en place ne modifie pas
profondément la forme éditoriale de la littérature à
venir, alors les mêmes défauts persisteront et les auteurs
resteront des parias exploités par un système économique inhumain
et impalpable. On peut voir que c'est déjà le cas lorsqu'une
blogueuse refuse d'interviewer un auteur sous prétexte qu'il va
"dire du mal des éditeurs". C'est une forme de censure,
une véritable omertá.
Quels conseils donneriez-vous à
quelqu'un qui veut se lancer dans l'écriture ?
Comme le mot l'indique et comme le
rappelle la loi, l'auteur est la seule personne à détenir
l'autorité finale sur le contenu de sa production. Toute
autre personne a le droit de faire des suggestions
mais pas d'imposer ses choix. Même celle qui corrige !
(Ce qui implique, soi-dit en passant, un dialogue effectif
entre auteur et correcteur, lequel n'arrive pas souvent ; cinq fois sur onze, en ce qui me concerne.)
L'édition, telle qu'elle fonctionne
traditionnellement, repose sur une arnaque légale, qui permet à
quelques centaines d'éditeurs d'exploiter (parfois sans vergogne,
souvent sans talent, presque toujours sans originalité) une centaine
de milliers d'auteurs, savamment maintenus dans la misère d'un
statut juridico-fiscal ambigu, inepte et instable.
Les quelques "béatifiés"
que l'on voit régulièrement dans les médias ne sont qu'une
infi(r)me minorité, de plus en plus réduite, qui navigue dans des eaux
privilégiées et fréquentent des gens fort bien placés.. qui
seront les premiers à les laisser tomber si leur intérêt l'impose.
L'histoire de l'édition a largement
prouvé que n'importe quel bouquin mal branlé en quelques jours
pouvait se vendre à des millions d'exemplaires pour peu que son
éditeur fasse correctement son boulot de communication et qu'une
poignée de potes journaleux crient au génie. Quoi que vous
écriviez, ce n'est pas vous qui choisissez le destin de votre
bouquin. Le boulot de l'éditeur est de trouver votre public,
donc de le chercher,
ce qui explique pourquoi il y a très peu de bons éditeurs ; la
plupart se contentent de garder le public qu'ils ont trouvé,
généralement par hasard, grâce à un titre qui s'est bien vendu.
Trois conseils à un/e jeune
aspirant/e écrivain/e :
- ne rien attendre de qui que ce soit.
Tant que le milieu éditorial n'aura pas changé de base légale, il
n'y aura que deux modes de fonctionnement possibles :
Apprentissage sur le tas & Débrouillardise aléatoire ; ou Piston
& Entrisme.
- écrivez, réécrivez, lisez, laissez
reposer, relisez, donnez à lire, laissez reposer, lisez à haute
voix, (meilleure façon de savoir si votre texte possède une
voix, s'il sait parler aux
gens), laissez reposer, relisez, réécrivez, corrigez et
faites corriger.. Tant que vous n'êtes pas moralement, mentalement
et physiquement épuisé.e par votre texte, c'est qu'il ne
vaut pas encore la peine d'être publié.
- si un texte vous résiste, de deux
choses l'une ; soit il vous fait perdre votre temps (n'hésitez
pas à le saborder ou à l'enfermer dans un tiroir) ; soit il
dissimule une chose primordiale et vous devez lui/vous donner le
temps de découvrir ce que c'est. Cela peut prendre des années,
voire toute la vie.
Deux exercices pour vous améliorer :
Face au public : Invitez
plusieurs de vos amis (ou participez à un atelier d'écriture en
proposant cet exercice) : lisez-leur un de vos textes (nouvelle
ou extrait de roman), puis demandez-leur d'en discuter devant vous
pendant au moins quinze minutes. N'intervenez pas. Prenez des notes.
Souffrez ou exultez en silence. Faites-vous oublier. Ne répondez pas
tout de suite à leurs questions. Ils doivent se les poser
mutuellement et tenter d'y répondre sans votre aide. Vous ne serez
pas présent.e lorsque vos lecteurs vous liront ; ils devront
se débrouiller seuls. Votre objectif est de les entendre dire ce qui
va dans votre texte et ce qui ne va pas. Moralement, c'est très
dur ; mais c'est l'un des exercices les plus constructifs que je
connaisse.
Si vous ne vous sentez pas capable
d'affronter un groupe d'inconnus, voici un autre exercice, plus
difficile et plus long à mettre en place :
Échange
de procédé : Proposez à quelqu'un qui écrit aussi (et
qui en est à peu près au même stade/niveau que vous) de vous
envoyer mutuellement vos textes en friches, en les mêlant à des
textes d'autres auteurs (connus ou pas, peu importe) dont vous
aurez supprimé les signes reconnaissables (titre, nom, noms des
personnages principaux, s'il s'agit de textes classiques. Eh oui, il
faudra sans doute les retaper sur papier libre ; c'est bon pour
votre compétence en dactylographie et pour réviser les règles de
mise en forme.) Ensuite, faites des critiques détaillées de tous
les textes que l'Autre vous a envoyés. C'est long, fastidieux et
ravageur pour le moral (parce que le plus mauvais du lot sera souvent
le vôtre ou celui de votre correspondant/e) mais le fait de devoir
mettre tous les textes sur un pied d'égalité vous rendra le plus
objectif possible. Jusqu'au jour où votre texte sera considéré
par votre correspondant/e comme aussi bon que les autres, voire
meilleur, ce qui voudra dire que votre écriture est devenue
autonome, donc adulte.
Remarque :
Il est préférable de pratiquer cet exercice avec un/e ami/e
sincère.
Variante simplifiée :
demandez à une tierce personne de critiquer un de vos textes, en
mêlant celui-ci à plusieurs (au moins deux) textes de volume
équivalent, que vous aurez dépouillés de leurs éléments
reconnaissables.
Avez vous d'autres projets
d'écriture ? Si oui, pouvez-vous nous en dire plus ?
Le temps que cette interview paraisse,
j'aurais peut-être auto-édité (je préfère ce terme à
"auto-publié") Je m'avance, masquée, un roman
historique racontant la vie d'Eulalie Perret, femme sourde qui devint
modèle d'art pendant la Révolution française. J'ai aussi commencé
la rédaction et les recherches d'Exploration des vertiges, un
roman qui traitera de l'exercice du pouvoir et tentera de répondre à
la question de Juvénal : "Qui gardera ces salopards de
gardiens et les empêchera d'être pourris jusqu'à la moelle ?"
(je paraphrase à peine).
Si tu as eu recours à
l'autoédition, peux-tu nous parler de ton rapport avec l'autoédition
(le pourquoi, conseils pour un futur autoédité...) ?
Ce que permet l'auto-édition :
- Décider soi-même de ce que l'on
veut pour son livre, dans les limites proposées par l'imprimeur
(dans tous les cas, celles-ci sont moins étroites que celles
imposées par l'éditeur, lequel - il ne faut jamais
l'oublier - a : une charte graphique et commerciale à
respecter, des actionnaires à contenter, des préjugés, de sales
habitudes, des "idées personnelles" (donc, pas les
vôtres), enfin des accords secrets avec ses collègues (dont vous ne
saurez jamais rien).
- Le contrôle presque sûr de ses
gains (à un rythme plus fréquent que celui des éditeurs
classiques, qui ne paient qu'une fois par an – quand ils paient).
- Effectuer une promotion effective et
contrôlable de vos ouvrages (à condition de ne pas perdre de vue
que c'est un travail véritable et chronophage).
Ce qu'elle ne permet pas :
- De publier au sens commercial large
du terme (sur un territoire national, par exemple ; encore moins
à l'international). Le fait d'être "présent sur la Toile"
ne veut pas dire que tout le monde vous voit ; être achetable
par n'importe qui ne veut pas dire "être bien distribué/e".
- D'éviter les démarches
administratives absurdes imposées par une législation inepte.
- D'intéresser la presse
professionnelle, ce qui permettrait de toucher un public plus large.
- De se légitimer en tant qu'auteur
(du moins, tant que les articles 131 et sq. du Code de la
Propriété Intellectuelle n'auront pas évolué), c'est-à-dire :
accéder aux résidences réservées aux auteurs sous contrat,
accéder aux subventions du Centre national du Livre, pouvoir
concourir à des prix, participer à des salons fermés aux amateurs
(donc, aux auto-édités), bref : être enfin "reconnu/e".
[Ajout post 1er novembre: il semblerait qu'une loi ou un décret passé récemment autorise les auteurs auto-édités à déclarer leurs revenus en tant que droits d'auteur. Si c'est vrai, nous ne saurons que l'an prochain si la chose est effective, c'est-à-dire si les fonctionnaires responsables ont compris cette loi et ont décidé de la mettre en application. J'ai parié qu'il faudrait au moins quinze ans avant que ce soit le cas. Quant au fait que les éditeurs conventionnels l'acceptent, je pense qu'il faudra un siècle de plus.]
Voilà. Ce n'est que la partie émergée
de l'iceberg, bien sûr. Heureusement, il est en train de fondre et de s'enfoncer dans la merde en
même temps que le reste du monde.
* * *
Après cette mise en abîme vertigineuse (ou nauséeuse), je vous invite à méditer sur le
sens des mots : "Omerta", "liberté d'expression", "courage", "intégrité
morale", "éthique" et consorts ; surtout ceux d'entre vous qui croient
encore que l'auto-édition est la solution au problème.
Vae victis et tutti quanta morghulis.
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