"Tu
menaces les incrédules ! Eh bien, alors, je suis moi-même un
incrédule."
(al-Walid
II, calife omeyyade)
Ce
qui est "intéressant" avec les disputes idéologiques,
c'est qu'elles servent de révélateur, et pas seulement social. Il
suffit que, quelque part dans le monde, un exalté quelconque exerce
son droit auto-proclamé d'imposer ses idées à autrui, et hop !
toute sorte d'opinions se mettent à pousser comme des champignons
après l'orage. Et, tout comme les champignons, elles présentent le
même genre de risques : certaines sont vénéneuses, parfois
mortellement ; d'autres font vivre des expériences amusantes,
parfois sans espoir de retour ; et, parmi celles qui ne sont ni
mortelles ni fatales, on en trouve pour (presque) tous les goûts. Je
dis presque, parce qu'il y a une catégorie de gens que ceci
ne touche pas.
Par exemple, moi, si vous voulez, en gros, j'aime pas les champignons. Or, pour apprécier un champignon, il faut le manger. Et c'est là que le bât blesse.
« Prenez
une vérité, laissez-la reposer un bon moment pour voir si elle ne
change pas de couleur sous vos yeux et si elle ne tourne pas à son
contraire, observez de quoi elle se nourrit - des fois que ce serait
de vous ? - portez-la ensuite à hauteur d'homme, ni plus haut
ni plus bas, sentez-la bien, assurez-vous que ça ne sent pas le
cadavre, mordez-en un tout petit bout, goûtez prudemment sans
avaler, mâchez-la très soigneusement, surtout si on veut vous la
faire avaler intacte, voyez si ça ne vous étouffe pas, si ça ne
vous reste pas dans la gorge, si ça ne vous tord pas les boyaux, si
ça ne vous sort pas aussitôt par les narines, si ce n'est pas
accompagné de sueur et de nausée, et si tel n'est pas le cas,
avalez-la, mais peu à peu, petit à petit, en mâchant toujours
longuement chaque bouchée, mais surtout, surtout, soyez toujours
prêt à la recracher... La démocratie, c'est le droit de
recracher. »
Ce
qui me touche particulièrement dans cette recette du cuisinier
Duprat1,
c'est qu'elle décrit à la perfection ce que je ressens dès que la
religion lance un de ses immondes tentacules prosélytiques vers moi.
Ça m'étouffe ; ça me reste en travers de la gorge ; ça
me tord les boyaux ; ça me sort par les narines ; ça me
fait suer (sans parler d'une autre forme d'excrétion) ; ça me
flanque la nausée ; et je n'ai aucune, mais alors aucune envie
de l'avaler.
Ce
qui m'emmerde prodigieusement avec les religions2,
c'est que toutes me font des reproches lorsque je les recrache.
Chacune à sa manière, prenant la mine dégoûtée devant le glaviot
infâme que j'ai régurgité (qui n'est pourtant que le reliquat de
leur pudding idéologique), y va de son discours moralisateur, selon
lequel je ne suis qu'un mécréant, un imbécile, un cynique, un
libertin, un salaud, un pauvre type, un niais, un paumé, un rebelle,
un malheureux, un anarchiste, un communiste... bref : un ennemi.
Il ne se passe pas de jour que je n'ai à subir les assauts
moralistes de ceux qui savent ce qui est bon pour moi ou les
jérémiades de ceux qui veulent me faire partager leur haine pour
"certains". (Quant aux coups sur la nuque de ceux qui
détiennent le glaive de la vérité – cf. sourate XLVII.4 :
"Ô vrais croyants, lorsque vous rencontrerez les incrédules,
frappez-les à la nuque jusqu'à ce que vous les ayez abattus" –,
je me contenterai de faire remarquer que, pour frapper quelqu'un à
la nuque, il faut être derrière ; c'est donc le geste d'un
lâche).
Si
les religions, malgré les progrès de la philosophie humaniste, sont
toujours sur la place publique où elles n'ont rien à faire, c'est
aussi et surtout parce que les démocraties laïques regorgent de
gens tièdes qui refusent de faire la distinction entre tolérance et
indifférence, et qui déguisent leur peur en un laisser-faire de bon
aloi pour pouvoir rester enfermés chez eux en gardant la conscience
tranquille pendant que leur police jette des gens dans les rivières,
rase des bidonvilles, ou matraque des sourds-muets qui cherchent à
faire valoir leurs droits, comme je l'ai vu faire à Montpellier le
mois dernier.
Il
paraît que Dieu vomit les
tièdes. Profitons donc de sa posture penchée au-dessus de la
lunette pour lui flanquer un bon coup de pied au cul et tirer
voluptueusement et longuement la chasse. On sera ainsi débarrassé
en même temps des tièdes (qui, par définition, ne sont guère
passionnants) et du Vieux-pas-beau. Après, il n'y aura plus
qu'à vaporiser un peu d'extrait de lavande et on pourra recommencer
à respirer à fond les poumons.
"L'essor
du fascisme et du racisme en Occident est la preuve que tout le monde
n'est pas amoureux de la démocratie. Par conséquent, la bataille
finale ne sera pas nécessairement entre l'islam et l'Occident mais
entre ceux qui attachent du prix à la liberté et ceux qui n'en
attachent aucun." (Ibn Warraq)
En
tant qu'anarcho-libertin même-pas-athée (être athée impliquerait
que j'ai appris à me passer de Dieu,
ce qui n'est même pas le cas), j'ai maintenant une proposition
concrète à faire. Il faudrait, dans l'idéal, la soumettre au
Parlement zorropéen ou à l'Organisation des Nations-Punies
(n'hésitez pas à le faire vous-même si vous connaissez un député
ouvert, disponible, intelligent, tolérant, influent, entreprenant...
Euh... peut-être que j'en demande trop). J'explique :
L'une
des conséquences du réchauffement climatique (si vous le niez
encore, retournez prier) est que les pôles de notre planète se
réchauffent. Autrement dit, les continents arctique et antarctique
sont de plus en plus viables. D'ici vingt ans, il est même possible
que certains coins deviennent presque habitables. Je propose tout
simplement de convertir l'Antarctique en terrain de joutes
théologiques, afin que s'y déroulent (rapidement, si possible)
les Premiers (et espérons, les derniers) Jeux Théologiques Mondiaux
de l'histoire de l'humanité (pour la comm', on abrégera en JeThéM).
Dans
un premier temps, chaque religion (même les sectes, même les
portatives et les individuelles) se verrait attribuer un territoire
proportionnel à son cheptel d'adorateurs. Le partage serait bien sûr
effectué par un organisme neutre en la matière. Le Conseil tribal
des Tribus nord-amérindiennes me paraît tout indiqué ; les
Inuit, en particulier, ont compris l'essence même des religions du
Livre ; on en jugera
par cette légende aussi courte que savoureuse : "Un
chasseur eskimo demande à un missionnaire : – Si je n'avais
jamais entendu parler de Dieu
ni du péché, est-ce que j'irais en enfer ? – Non, puisque tu
serais alors dans l'ignorance. – Alors pourquoi m'en avez-vous
parlé ?"3.
Après réflexion, je crois que les Hell's Angels seraient tout aussi
ravis de s'atteler à l'organisation de cette grande rencontre
historique.
Ensuite,
des équipes de pionniers4
seraient envoyées sur place pour construire les aménagements
nécessaires à la vie des religions : des édifices consacrés,
bien sûr, mais aussi des baraquements, des routes, des stades pour
les joutes, et enfin des camps de concentration clés-en-main de
divers modèles, pour les mécréants, les récalcitrants, les
ennemis intérieurs, les extérieurs, les indécis, les infidèles,
les incrédules, les impies, les pacifistes, les atermoyants, les
incompréhensibles, les incompris, les artistes, les poètes, les
bègues, les gauchers, les pédés... bref : tous les empêcheurs
de prêcher en rond. Ces camps pourront fort bien être assurés par
des compagnies suisses, comme l'étaient les camps nazis, et des
artisans talentueux choisis sur concours pourront exercer leur art en
réalisant de jolies devises en fer forgé qu'on mettra au-dessus de
l'entrée.
Par
exemple, Luc, 19, 27 : "Ceux qui refusent mon autorité,
amenez-les devant moi et égorgez-les sous mes yeux",
calmera les ardeurs pacifico-bêlantes de ceux qui croient encore que
Jésus prêchait l'amour universel.
Pour
les camps de femmes, de nombreuses décorations sont possibles :
la sourate IV.34, par exemple, est idéale pour orner le réfectoire
d'un camp de femmes : "Les hommes ont autorité sur les
femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur
elles, et à cause des dépenses qu'ils font pour assurer leur
entretien. [...] Admonestez celles dont vous craignez l'infidélité ;
reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les." A
moins que la sourate XLIII.18 : "Eh quoi ! cet être qui
grandit parmi les colifichets et qui discute sans raison" ne
soit jugée plus convenable. "Homme, tu es le maître, la
femme est ton esclave, c'est Dieu qui l'a voulu" ;
cette perle de sagesse chrétienne du grand saint Augustin rabattra
le caquet des plus volubiles.
La
sourate IX.30 permettra aux chrétiens et aux juifs de savoir où est
leur vraie place : "Combattez-les jusqu'à ce qu'ils
payent directement le tribut après s'être humiliés. Les juifs ont
dit : Uzaïr est fils de dieu ! Les chrétiens ont dit : Le
messie est fils de dieu ! Que dieu les anéantisse ! Ils
sont tellement stupides !" De même, les camps
protestants arboreront cet avertissement fort clair du grand Martin
Luther : "On aurait dû raser leurs synagogues, détruire
leurs maisons, leur ôter leurs livres de prières", et
les camps catholiques, cette maxime du grand Bossuet : "Satan
anime les Juifs et je les vois avancer par son instinct."
Les chrétiens de gauche pourront préférer cette note personnelle
de Proudhon, le grand défenseur de l'individualisme : "Il
faut renvoyer cette race en Asie, ou l'exterminer".
Enfin, ceux qui ont des doutes existentiels pourront faire leur
devise de cette phrase toute vibrante de ferveur hitlérienne :
"Je combats pour l'œuvre du Seigneur"
et orner la boucle de leur ceinturon de la devise officielle de la
Wehrmacht : "Dieu avec nous".
S'ils
parviennent à survivre malgré le voisinage des chrétiens et des
musulmans, les hommes juifs maintiendront la tradition qui consiste à
remercier quotidiennement leur seigneur de n'être point des femmes ;
et les Hindous de la caste des Intouchables continueront à croire
que leur prochaine incarnation sera meilleure, ce qui leur permettra
d'endurer les pires humiliations dans cette vie-ci et en fera
incidemment d'excellents cobayes pour les apprentis-bourreaux (ce
sera bien le seul point sur lequel toutes les religions seront
d'accord ; y compris l'hindouisme !). Quant au bouddhisme,
il pourra continuer à faire semblant de ne pas être une religion ;
ça ne fera aucune différence.
Enfin,
à une date précise (mais pas trop lointaine, parce que ça urge ;
disons au plus tard le 1er janvier 2014), tous les humains
incapables de s'asseoir sur leur religion... je veux dire, de penser
par eux-mêmes, iront s'installer en Antarctique.
A
partir de là, ils pourront (se) faire ce qu'ils voudront, on n'en
aura plus rien à foutre. Enfin au calme pour la première fois
depuis l'aube de l'humanité, nous pourrons réfléchir en toute(s)
liberté(s) à la suite des événements, sans craindre d'être
insultés, injuriés, humiliés, couverts de crachats, exclus,
conspués, répudiés, excommuniés, damnés, dépossédés, bannis,
aliénés, emprisonnés, revendus, giflés, frappés, fouettés,
poignardés, mutilés, circoncis, excisées, violés, lapidés,
torturés, énucléés, électrocutés, démembrés, émasculés,
égorgés, fusillés, décapités, crucifiés, éviscérés, immolés,
atomisés... (Enfin si, hélas, cela sera toujours possible, mais au
moins ce ne sera plus pour des questions religieuses.) Par exemple,
on pourra enfin réfléchir à un moyen véritable, concret,
universel, de sortir du capitalisme, qui n'est rien d'autre que la
religion du fric.
C'est
mon idée ; elle vaut ce qu'elle vaut, c'est-à-dire pas grand
chose dans un monde où les humains font tout leur possible pour
vivre séparés les uns des autres5,
un monde où les seules idées qui réussissent à germer dans le
réel sont celles que défendent des salauds, brandissent des crétins
et assènent des brutes, tous effrayés par leur ombre et transis de
peur à l'idée d'en avoir une originale, d'idée. "La peur
est la sœur de la cruauté et, par conséquent, il n'est guère
étonnant que la cruauté et la religion aient cheminé main dans la
main", écrivait Bertrand Russell dans son livre Pourquoi
je ne suis pas chrétien, qui
explique pourquoi il n'était pas chrétien, malgré la couleur de sa
peau, malgré son éducation, malgré la culture ambiante, bref,
malgré tout.
Quant
à l'islam, "[il]
a débuté sur des principes encore plus sanglants, et même
à ce jour il voue toutes les autres sectes à la damnation",
écrivait le philosophe Hume. "Puisque le monde musulman est
toujours plongé dans l'âge des ténèbres, la laïcité, plus que
jamais, s'impose", lui a répondu Fouad Zakaryia quatre
siècles plus tard. "L'obstacle majeur au développement des
droits de l'homme dans l'islam, c'est Dieu,
ou pour être plus précis [...] la vénération du Coran et la
sunnah", a ajouté Ibn Warraq peu après dans son livre
Pourquoi je ne suis pas musulman
(qui explique pourquoi il n'est pas musulman, malgré... etc.).
"L'islam ne se développe pas avec des bonbons et des roses,
il se développe avec des larmes et du sang. Il croît dans
l'oppression, la violence, le mépris, par la haine et les pires
humiliations que l'on puisse faire à l'homme. [...] Ces religions
[monothéistes] sont profondément néfastes et le malheur de notre
peuple vient de là. [...] La pire forme d'aliénation n'est pas de
penser que nous sommes français mais de croire que nous sommes
arabes. Il n'y a pas de peuple arabe et il n'y a pas de nation arabe.
C'est une langue sacrée, celle du Coran, que les dirigeants
utilisent pour empêcher que les gens ne découvrent leur véritable
identité", avait déclaré Kateb Yacine au journal Le
Monde peu avant de mourir.
Hélas,
hélas, hélas, plus je rêve, et plus il m'apparaît évident que
les nations qui "possèdent" l'Antarctique n'accepteront
pas mon projet de congeler tous les intégristes de la Terre, aussi
il ne nous reste qu'une solution raisonnable : le lieu vraiment
idéal pour y expédier les partisans de toutes les religions,
c'est... la Lune ! L'absence d'atmosphère y engendrerait un
bienveillant et merveilleux silence, qui rime divinement avec
tolérance.
"L[a]
plus grande religion, c'est de ne point parler de religion",
écrivait Gabriel de Foigny vers 16606.
Depuis cette date, a-t-on entendu parler d'une religion qui eût fait
le moindre progrès ? Moi pas. "On nous dit souvent que
c'est une très vilaine chose que d'attaquer la religion, parce
qu'elle rend les hommes vertueux, écrivait
Bertrand Russell, ce petit incrédule. C'est ce que l'on
dit ; moi, je ne l'ai pas remarqué." Moi non plus.
J'ai plutôt remarqué que tous les gens religieux croisés au cours
de mon existence étaient particulièrement doués pour s'autoriser
ce qu'ils interdisaient aux autres et pour interdire ce qu'ils
estimaient bon pour leur gueule.
"Mollah,
si vos prières ont quelque pouvoir / Montrez-moi que vous pouvez
faire bouger la mosquée ! / Sinon, prenez quelques doigts de
whisky / Et voyez comme la mosquée bouge d'elle-même", a
écrit Khushwant Singh, l'écrivain pakistanais anglophone,
l'individu le plus méprisé de l'ulema après Salman Rushdie et
Taslima Nasreen.
Pour
finir sur une note ouverte, je pose cette question : tolérer
l'intolérance, c'est de la sainteté ou de la naïveté ? De
l'héroïsme ou de la stupidité ? Du bouddhisme zen ou de la
lâcheté ?
"Kusaila"
1cité
par Romain Gary dans son roman Les Clowns lyriques.
2Outre
le fait non négligeable que je risque à tout moment d'être
assassiné par l'un de leurs représentants qui aura estimé que je
lui ai manqué de respect, ou simplement parce que je me serais
trouvé sur son chemin de croix ou sur le lieu de son sacrifice
"divin"...
3cité
en exergue du roman de Jean Vautrin, Un grand pas vers le Bon
Dieu.
4Pourquoi
pas les clergés respectifs des religions concernées ? Ce
serait juste et approprié ; sauf que, comme d'habitude, les
chefs n'accepteront jamais de mettre la main à la pâte et ils
enverront des pauvres et des handicapés...
5Notamment,
et de plus en plus, par des écrans d'ordinateur – j'en connais
même qui se croient devant ;
mais on n'est jamais devant un écran ; du point de vue
de l'autre, on est toujours derrière.
6Dans
son utopie proto-libertaire La Terre australe connue,
livre introuvable en édition courante. On ne le trouve que dans le
volume Libertins du XVIIe,
la Pléiade, donc hors de portée des bourses modestes.
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