vendredi 26 juillet 2013

La SACD et l'algèbre ou Petit Exercice de mathématique transcendantale

Encaisseur de la SACD, dans une ruelle d'Avignon.

Dans sa dernière plaquette à usage interne, Mme SACD (Société des Auteurs et Compositeurs dramatiques) présente un bilan de son assemblée générale 2013. Parmi les chiffres annoncés, on trouve celui-ci: sur 100 € perçus, 87,83 sont "destinés à être répartis aux auteurs".

QUESTION A (10 points)- Sachant que Mme SACD encaisse 24 % des droits des auteurs pour que ceux-ci aient le droit de percevoir leurs droits, expliquez l'équation : 100 - 24 = 87,83.
QUESTION B (7 points)- Lorsque vous aurez calculé le pourcentage fantôme, expliquez la nuance entre "destinés à être répartis aux auteurs" et "effectivement reversés aux auteurs". (Attention, piège: vérifiez bien le sens du mot "destinés" dans le dictionnaire avant de vous lancer).
QUESTION C (3 points)- Que font les membres administrateurs de la SACD (qui sont presque tous des artistes aussi, ne l'oublions pas) avec le "fonds des droits non recouvrables" (qui se monte à environ 10% des montants perçus annuels, soit 19,5 millions d'Euros):
1-ils vont manger tous ensemble dans une pizzeria ;
2-ils spéculent dans des placements pépères pour sécuriser leur maison-mémère ;
3-ils organisent une soupe populaire pour nourrir les artistes qui ne peuvent plus se produire parce qu'il n'y a plus de place à Avignon, que les autres festivals sont morts, qu'ils ne sont pas les enfants de personnalités connues, etc.

Attention: les arguments surréalistes, poétiques et fantaisistes ne seront pas pris en compte.

A gagner (si vous obtenez la moyenne): le droit de cotiser à une caisse de retraite fantôme pendant quarante-cinq ans et demi.

jeudi 25 juillet 2013

Une soirée avec HOLMES & WATSON: sherwats n° 19, 20 et 21

SherWat N° 19 : Le venin de l'autre

Sherlock HOLMES: Watson! Suis blessé. Mordu par veuve noire. Ne dois pas bouger.
Docteur WATSON: Juste ciel! Ce n'est pas une de vos plaisanteries, j'espère? Où êtes-vous?
Sherlock HOLMES: Guichet des retraits, gare de Paddington. La bête était dans un colis.
Docteur WATSON: J'arrive le plus vite possible; je suis à deux pas. Quelle chance!
Sherlock HOLMES: Soyez prudent. Suis sûr qu'assassin toujours à proximité. Pour jouir de ma souffrance.
Docteur WATSON: J'ai une ampoule de sérum dans ma trousse. Mais cessez de vous agiter. Suis en route.

samedi 13 juillet 2013

Une soirée avec Holmes & Watson: les SHERWATS N° 16, 17 et 18

SherWat N° 16 : Dans la lueur des crocs

Docteur WATSON: Holmes, je me demandais si... Non, c'est idiot. Excusez-moi de vous avoir dérangé pour rien.
Sherlock HOLMES: Pas du tout, John. Je m'apprêtais à fumer une bonne pipe. Qu'est-ce qui vous taraude?
Docteur WATSON: Je ne sais pas trop, à vrai dire. Ce n'est qu'une intuition, peut-être même une bêtise...
Sherlock HOLMES: Vous n'êtes pas à l'école. Personne ne vous punira si vous proférez une bêtise. Nous la corrigerons.
Docteur WATSON: Bon. Alors, voilà: si je vous dis Dorian Gray, Dracula, Mr Hyde... A quoi pensez-vous?

vendredi 12 juillet 2013

29. Saynète : La Coquette se régale

29. SAYNÈTE
La Coquette se régale
par Théophile le jeune30

Une chambre coquette - cheminée ardente - une ottomane, deux fauteuils, une table basse, un secrétaire.
Une femme de 30 ans est assise dans l’ottomane, en négligé de dentelle et peignoir de fine soie ; elle semble impatiente, inquiète ; elle a un long visage, le regard sombre mais charmant ; elle lit une lettre, puis son regard se perd dans les flammes du foyer qu’elle va ranimer ; tandis qu’elle se tient debout devant l’âtre et s’y penche pour jeter une bûche, la lueur du feu transparaît derrière les tissus, révélant ses jambes ; elle retourne bientôt s’asseoir, nerveuse, triturant les faveurs de dentelle qui ornent sa poitrine.
Lorsqu’on frappe enfin à la porte, elle se lève subitement, poussant un soupir de soulagement et court ouvrir ; dans l’embrasure de la porte, se tient une femme de 35 ans, petite, engoncée dans une soutane, sous une lourde cape, la tête prise dans une cornette, le visage dissimulé derrière un voile de taffetas noir.
NINON. Christine !
CHRISTINE. Ninon !
Ninon arrache sa cornette, puis son voile ; les deux femmes tombent dans les bras l’une de l’autre, sans réprimer leurs sanglots de joie.


CHRISTINE. Après tout ce temps. Je vous tiens dans mes bras.
NINON. Le cauchemar est terminé. Merci, ma chère sœur. Merci, merci, merci.
CHRISTINE. Ne me remercie plus. C’est aussi pour moi que je t’ai délivrée.
NINON. Laisse-moi t’embrasser, alors.
Elle baise les lèvres de la reine.
CHRISTINE. Mais tu pleures ! Il ne faut pas. Viens te réfugier près du feu. Entre !
Elle attire Ninon vers le divan, après avoir refermé la porte, puis la fait asseoir ; elle s’agenouille devant elle, lui tenant les mains, la dévorant des yeux.
NINON. Il faut pardonner ces larmes. J’ai tant de mal à y croire encore.
CHRISTINE. Ici, rien ne peut nous arriver. Nous sommes les souveraines d’un royaume où nul ne peut pénétrer.
NINON. Mais pour une nuit seulement.
CHRISTINE. Pour une nuit et un jour, qui seront notre éternité.
Ninon sourit enfin et jette sa voilette dans le feu.
NINON. J’ai tort de me plaindre. Ma prison est toute dorée, et tous mes chevaliers servants n’ont aucun mal à y entrer, malgré l’interdiction de la reine-mère.
CHRISTINE. (lui caressant la joue) Ce soir, ton chevalier servant, c’est moi et nul autre. (elle embrasse Ninon). As-tu faim ou soif ?
NINON. Diable, oui ! Les nonnes ne me font rien manger sous prétexte de pénitence.
CHRISTINE. (se levant) Regarde ! J’avais demandé une collation pour toi. Il y a aussi du vin. (elle en verse dans deux verres et en tend un à Ninon)
NINON. À l’union de nos deux royaumes ; celui de Suède et celui de l’esprit... de vin !
Elles boivent d’un trait.
NINON. Dieu que c’est bon ! Et bon dieu, que j’ai chaud !
CHRISTINE. Ta soutane est de trop. Je vais t’aider à l’ôter.
NINON. En es-tu sûre ? C’est que, dessous, je suis nue.
CHRISTINE. Je le suis presque, moi aussi, comme tu vois. Nous connaissons si bien nos âmes ; que pourraient encore cacher ces vêtements ? Quant à celui que tu portes, c’est bien le plus laid de tous.
NINON. C’est vrai. Habille-moi de vérité pure, je t’en prie. Fais vite, je bous.
Ninon s’est mise debout et a levé les bras en croix. Christine la déshabille, délaçant la soutane jusqu’à ce qu’elle tombe en tas au pied de Ninon, dont le corps apparaît dans sa splendeur natale. Christine la contemple alors longuement, tournant autour d’un air gourmand.
CHRISTINE. Les poètes de ton pays n’ont pas menti, pour une fois. Tu es si belle que le temps n’a pas prise sur toi.
NINON. Si fait, majesté. Mais ce qu’il me prend, je le lui reprends sans tarder.
CHRISTINE. Quel est ton secret ?
NINON. Je n’ai jamais dit non à un amant désintéressé.
CHRISTINE. Quoi ? Même ceux qui sont plus laids qu’un cul de singe ?
NINON. Surtout ceux-là, voyons. Ce sont les plus frustrés, donc les plus ardents. Leur vigueur me rajoute des années. Bien sûr, on ne peut se montrer avec eux en société, mais le charme est comme l’argent : on peut le parfumer, le maquiller, l’habiller.
CHRISTINE. Tu as tant de choses à m’apprendre...
Elle embrasse la nuque et les épaules de Ninon, caresse ses bras. Se retirant soudain, elle enlève son peignoir et le pose sur les épaules de Ninon.
NINON. Voilà que tu me rhabilles. Pourquoi ?
CHRISTINE. Tu es trop belle pour que je te résiste encore longtemps. Je préfère...
NINON. Qui parle de résister ? Je suis venue pour céder, moi aussi.
CHRISTINE. Je préfère attendre encore. Un peu. Tu dois manger quelque chose.
NINON. C’est vrai. Et nous devons boire toutes les deux. Surtout toi.
Riant, elles s’asseoient par terre, à côté de la table basse.Tandis que Ninon pioche dans la nourriture, Christine ressert deux verres de vin.
NINON. À ton futur trône de Naples !
CHRISTINE. Comment sais-tu cela ? C’est censé être un secret d’état.
NINON. Ma chérie, je suis la femme à qui l’on fait le plus de confidences en France, et peut-être dans toute l’Europe. Crois-tu donc qu’une telle chose ait pu m’échapper ?
CHRISTINE. (boudeuse) Je ne sais. Chez moi, j’étais toujours la dernière informée.
NINON. Eh oui, c’est le privilège des reines. Reine, tu l’étais ô combien, et tu les gênais. Mais moi, je suis au centre de la volière, et j’ai l’ouïe la plus fine de Paris - pour mon malheur !
CHRISTINE. Tu veux dire, les oreillers les plus moelleux.
NINON. Les oreillers ne sont pas les instruments les plus confortables pour le genre de danse que j’affectionne. Mlle de la Barre m’a dit que tu affectionnais plutôt les bottes de paille des écuries.
CHRISTINE. Oh ! Anne aussi a succombé à ton charme ?
NINON. Disons plutôt que nous avons succombé à nos charmes mutuels. Une partie de sa tactique a d’ailleurs consisté à me décrire une de vos réunions de l’ordre de l’Amarante.
CHRISTINE. Encore un secret qui s’envole par la fenêtre !
NINON. Eh oui, comme tous les os à demi-rongés que l’on ne surveille pas assez. Allons, ma reine de cœur, tu n’escomptais pas vraiment que des orgies impliquant seize hommes, seize femmes et une reine pussent passer inaperçues aux yeux du monde ?
CHRISTINE. Je les ai pourtant toujours choisis avec soin.
NINON. Pour leurs appas et leur vigueur, certainement ; mais pas pour leur discrétion. Il eût fallu pour cela qu’ils fussent muets et incultes.
CHRISTINE. Tu as raison. Peu importe ; les soirées de l’Amarante resteront parmi les meilleurs souvenirs de mon existence aujourd’hui bien malmenée.
NINON. Surtout, je gage, celle où tu te déguisas en nymphe.
CHRISTINE. (rougissante) Anne t’a raconté cela aussi ! Quelle fieffée sorcière ! C’est bien d’une femme, tiens !
NINON. Elle m’a surtout raconté de quelle manière ta nymphe avait atteint le septième ciel, peut-être même au-delà. Quel triomphe ce dut être !
CHRISTINE. Oui, je le reconnais. Je n’ai jamais su qui se cachait sous le masque de ce satyre au teint bistre, mais la constance et la fermeté de son membre viril relevaient certainement de la magie. Dommage qu’il ne soit plus jamais venu à nos réunions ; sans doute l’ordre lui répugnait-il.
NINON. Oh si ! il est revenu. Mais tu ne l’as jamais reconnu.
CHRISTINE. Que dis-tu là ? Tu sais qui il était ?
NINON. (riant) Anne de la Barre, voyons. La bien nommée, en l'occurrence.
CHRISTINE. Mais comment est-ce possible ?
NINON. Tout simplement : enduite de brou, vêtue d’une peau de bête, chaussée d’un crâne de bouc, et harnachée d’une fausse verge de cuir.
CHRISTINE. Voilà pourquoi ce démon était insatiable ! Et moi qui l’avais pris pour un incube d’Égypte, à cause de son vit brun. Ce n’était que du cuir !
NINON. Mais il a bien rempli son office.
CHRISTINE. Et j’ai rendu son plaisir à Anne quelques jours plus tard ; car, fâchée de ne pas revoir mon satyre, j’ai jeté mon dévolu sur elle et lui ai fait l’amour sans relâche pendant une nuit et un jour entiers.
NINON. Ce qu’elle n’oubliera jamais ; elle me l’a dit, des sanglots d’émotion dans la voix. D’ailleurs, avoue-le : c’est pour elle que tu es revenue en France, non pour voir danser Louis XIV, comme tu l’as prétendu ?
Christine fait mine de s’offusquer un instant, puis éclate de rire ; Ninon, amusée, boit un verre de vin, puis son regard se perd dans la contemplation du passé.
CHRISTINE (une fois calmée de son rire). Ninon ?
NINON. Oui ?
CHRISTINE. Crois-tu que nous ayons réellement besoin des hommes ?
NINON. Qui veux-tu dire ? Nous deux ou les femmes en général ?
CHRISTINE. Les femmes en tant que sexe.
NINON. Ma chérie, voilà une étrange question. Bien sûr que nous avons besoin d’eux, pour faire des enfants. Tout comme ils ont besoin de nous.
CHRISTINE. Pour faire des enfants ?
NINON. Non pas ; pour leur rappeler qu’il existe d’autres occupations que la guerre.
CHRISTINE. Mais pour l’amour ? Es-tu sûre qu’ils savent nous aimer plus que les autres femmes ? Plus que nous nous aimons, toi et moi, par exemple.
NINON. Encore une fois, quelle drôle de question ! Je connais bien des femmes que nous détestons aussi, parfois même plus que certains hommes. Voyons, Christine ; ne crois-tu plus à l’amour des hommes ? Toi qui ne jurais que par eux, il n’y a pas si longtemps.
CHRISTINE. C’est que... je crains fort que ton Mazarin ne me donne pas le trône de Naples.
NINON. C’est donc cela qui te chagrine !
Elle s’approche de Christine et la prend dans ses bras.
NINON. Sache tout d’abord que ce n’est pas mon Mazarin ; cet homme-là s’aime assez tout seul sans que quiconque y puisse mais. Et s’il baise à l’occasion la reine-mère, c’est pour assurer ses affaires, tu peux m’en croire. Tout comme ta conversion au catholicisme n’est qu’un moyen pour toi d’échapper à ta famille et de parvenir à tes fins.
Christine se détache de Ninon, furieuse ; celle-ci l’embrasse aussitôt sur la bouche ; elles luttent un instant ; Christine se calme peu à peu.
NINON. Je dis cela parce que c’est vrai, tu le sais aussi bien que moi. Ne t’inquiète pas, je n’irai pas crier ce secret-là sur les toits. De toute façon, je suis la seule à l’avoir compris ; personne d’autre ne te connaît assez. Tu as clamé haut et fort ton horreur du mariage, et tu as bien raison sur ce point, car le mariage est bel et bien un esclavage reconnu d’utilité publique, comme les sources d’eau minérale. Mais toi aussi tu as sacrifié à ce Moloch, en épousant la cause catholique. Celle-là ou une autre...
CHRISTINE. En restant protestante, je demeurais cantonnée au nord. Et je ne supportais plus le nord. C’est le pays des fantômes et du vent qui hurle nuit et jour. Le sud est plus accueillant, et plus chaud. Au sud, on peut faire l’amour nu dans les champs, neuf mois de l’année, et...
NINON. Et il y a le trône de Naples qui te tend ses bras.
CHRISTINE. Il faut bien que j’entretienne mes deux cent cinquante suivants, sans quoi ils me quitteraient. Comme tous ceux de leur race, leur loyauté est à vendre.
NINON. N’oublie pas tes deux cents chevaux, tes cent statues, tes trois cents tableaux, tes huit mille livres, tes meubles, tes robes, tes selles et tes harnais, tes chariots, tes armures... et la machine à calculer de Pascal ! Heureusement que tu as daigné renvoyer les dix navires que tu as empruntés à ton cousin pour quitter Stockholm. Il a dû te mépriser un peu moins pour ce geste magnanime.
CHRISTINE. Je croirais presque que tu te moques de moi.
NINON. Non, pas le moins du monde. Je sais que tu voulais être reine et que le monde étriqué des hommes ne t’a laissé aucune chance. Je sais que tu as renoncé à un royaume mais pas à la royauté. Je sais même exactement ce que tu tentes de faire aujourd’hui en sillonnant l’Europe.
CHRISTINE. Si tu le sais, alors tu lis en moi comme dans un livre ouvert ; car je l’ignore moi-même.
NINON. Tu ne l’ignores pas ; ce sont seulement tes principes d’éducation - ceux que l’on t’a inculqués avant que ta conscience n’ait les moyens de les remettre en question, avant que tu ne saches dire "non" - qui t’interdisent de le reconnaître pour ce que c’est.
CHRISTINE. Et de quoi s’agit-il, selon toi ?
NINON. Tu cherches à fonder une nation où les femmes régneraient ouvertement sur les affaires du monde, dans l’égalité avec les hommes, et en paix avec le reste du monde.
Christine se lève et contemple Ninon.
CHRISTINE. Crois-tu que je verrai cela un jour ?
NINON. Bien sûr que tu le verras. Si tu fermes les yeux et si tu rêves très fort.
Christine reste tendue un moment, les paupières frémissantes, puis se laisse tomber dans les bras de Ninon, qui lui caresse alors la nuque.
CHRISTINE. Sais-tu ce que je hais le plus dans ce monde d’hommes qui a rendu les femmes si sottes que je ne les supporte pas ? C’est que parfois, même en l’absence d’hommes, je me sens si faible que j’ai l’impression d’être redevenue une enfant.
NINON. C’est ce qu’ils appellent leur force, qui n’est que bestialité.
CHRISTINE. Je n’ai connu que trois hommes qui ne me traitaient pas comme une enfant : mon père, le cardinal Azzolino, et Gabriel Naudé.
NINON. Pas Descartes ?
CHRISTINE. Lui moins que tout autre. Sous ses dehors innovants et philosophards, il n’était qu’un bigot confit en dévotion, prêt à tout pour perpétuer le joug des hommes sur les femmes et la croyance stupide en un dieu supérieur.
NINON (après un temps et avec un sourire en coin). Tu n’as tout de même pas... facilité son trépas ?
CHRISTINE (faisant une grimace féroce). Même pas ! Il n’a succombé qu’à la froideur de son âme. (réprimant lentement sa grimace) Sais-tu que seuls les trois hommes que j’ai mentionnés auraient osé me poser cette question ? Cela fait donc de toi leur égale.
NINON. Alors, je comprends mieux pourquoi tu es ce que tu es : un prodige. Car moi, je n’ai connu aucun homme qui me traitât en égale.
Christine regarde Ninon, incrédule.
NINON. Et pour me défendre des hommes, je n’ai trouvé qu’un moyen dont je ne suis pas particulièrement fière.
CHRISTINE. Lequel ?
NINON. C’est moi qui les traite comme des enfants. Et ils me mangent dans la main. Pas seulement dans la main, à vrai dire.
Elles éclatent de rire. S’embrassent.
CHRISTINE. Je suis heureuse de te savoir ici, avec moi.
NINON. Et moi, donc ! Ma captivité vaut bien ton exil.
CHRISTINE. Je l’ai choisi, pourtant.
NINON. Et qui te dit que je n’ai pas choisi mon sort ? Ce n’est pas la première fois que je suis prisonnière.
CHRISTINE. Qu’y gagnes-tu ?
NINON. Crois-le ou non, mais grâce à mes arrangements, je parviens à recevoir au couvent des visites qui, autrement, ne viendraient jamais me voir.
CHRISTINE. Pour quelle raison ?
NINON. Parce que mes soirées privées sont pour ainsi dire publiques, maintenant, même si les invités sont triés sur le volet. Et lorsque le repas se termine et que je commence, par quelques signes discrets, à désigner ceux et celles qui resteront à l’après-dîner, il se trouve toujours certaines gens pour s’éclipser sans demander leur reste.
CHRISTINE. Par discrétion ? Par fidélité ?
NINON. Par ti-mi-di-té, ma chérie.
CHRISTINE. Cela existe donc ? Est-ce que cette émotion étrange ne cache pas plutôt chez ces personnes une volonté de t’avoir pour elles seules ?
NINON. Veux-tu dire, comme toi en ce moment ?
CHRISTINE. Oui, c’est ce que je voulais dire. Et comme mon rang et ma maudite notoriété m’empêchent d’aller te voir au couvent...
NINON. ...tu as préféré me faire enlever. C’est là une preuve d’amour que personne ne m’avait offerte jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, j’en ai eu mon content.
CHRISTINE. Oui, de l’amour. Et aussi de l’égoïsme, je l’avoue. Car, dans ton couvent où l’on entre apparemment comme dans un moulin, nous n’aurions jamais été tranquilles.
NINON. C’est loin d’être faux. Rien que la nuit dernière, j’ai dû recevoir comme ils le méritaient un baron, deux comtes et une abbesse. Tout ce joli monde m’a épuisée ! Au matin, j’ai dû me faire porter pâle pour échapper aux prières et me reposer. Heureusement que mes geôlières n’osent pas me punir.
CHRISTINE. Et que pense de tout cela ta tortionnaire en titre ?
NINON. Anne d’O ? Elle aurait beau jeu de me faire un procès, elle qui subit en miaulant les assauts de son cardinal à queue de velours. Oh ! Éminence ! Oh ! Mon Dieu ! Oh ! Il en rougit, le traître !
Elles rient.
CHRISTINE. Veux-tu dire que tu n’as rien à craindre d’elle ?
NINON. Si, bien sûr ; mais elle sait que je pourrais la blesser mortellement avant de succomber moi-même. Aussi, elle feule beaucoup mais ne mord point. Et Mazarin s’y entend fort bien pour atermoyer.
CHRISTINE. C’est le moins que l’on puisse dire. Si seulement je parvenais à lui coincer les noisettes, j’en ferais du pralin.
NINON. Ma chérie, quel langage ! Je reconnais bien là la Christine que d’autres timorées ont dépeinte.
CHRISTINE. Au diable ce que pensent les femmes ; ce ne sont que des bigotes confites en dévotion, à genoux derrière leurs hommes !
NINON. Et parfois devant, aussi. Je ne te reprochais rien, tu sais. Au contraire, j’avoue que, moi aussi, à l’occasion, j’aime me laisser aller à...
CHRISTINE. À quoi ?
NINON. À m’encanailler.
CHRISTINE. Ah oui ? Par exemple ?
NINON. Par exemple, je ferme les yeux et je pense à... Eh là ! Madame, n’êtes-vous pas en train de me faire chatouille ?
CHRISTINE. C’est pour vous faire songer tout à trac à une rime facile.
NINON. Et maintenant, ce que vous faites m’excite...
CHRISTINE. Là aussi, la rime est toute trouvée. Que dirais-tu si nous composions un poème en deux langues et à quatre mains ?
NINON. Je vois déjà une chose qui rime avec mains. J’y pose les miennes, à condition que tu fasses de même sur mes globes dardés.
CHRISTINE. Ils sont délicieux au toucher. Le tissu est si fin, délicat et nacré. Comme une caresse en soi.
NINON. Donne-moi un baiser de reine. Ne sens-tu pas mon corps qui frémit tout entier ?
CHRISTINE. Je te le donne volontiers si tu m’embrasses à ton tour comme si ton souffle en dépendait.
NINON. C’est bien le cas. Et goûter à tes lèvres me fait penser à une rime pour caresse.
CHRISTINE. Si c’est bien celle que je crois, tes mains vont descendre vers le bas de mon dos. Et nos ventres, bientôt, entreront en contact.
NINON. Comme cela. Toi aussi, ceins-moi les reins. Laisse-moi m’abreuver encore à ta bouche.
CHRISTINE. Prête-moi ta langue un moment, que je l’aiguise entre mes lèvres.
NINON. Puis-je immiscer une main entre tes cuisses ?
CHRISTINE. Nul besoin de demander cette permission, à laquelle il ne peut y avoir qu’une rime valable ; tu la rencontreras en remontant un peu le long de ce chemin étroit mais accueillant.
NINON. Cette douce chaleur qui envahit le bout de mes doigts... Permets-moi d’y goûter. Tu me donnes si soif.
CHRISTINE. Quant à moi, je préfère aller boire à la source. Couche-toi sur le divan et montre-moi la voie.
NINON. Tu n’auras que ce peignoir de soie à écarter, s’il ne le fait de lui-même sous ton souffle de braise.
CHRISTINE. Tu es décidément très douée pour la rime. Je n’en suis pas étonnée.
NINON. Maintenant que me voilà sans entrave allongée, et que, d’une langue suave, tu explores les abords de mon antre secret, monteras-tu bientôt sur ce divan, pour venir te coucher à têtes-bêches, m’offrant à suçoter ta friandise suprême ?
CHRISTINE. Patiente encore un peu, que j’aie la certitude de ne trouver aucun corps étranger dans ta douce caverne.
NINON. Tu es ma seule invitée pour cette nuit, je te le garantis. Me crois-tu ? Tu ne me réponds pas. C’est que tu dois être très occupée, je le sens maintenant. Ah ! je ne connaissais pas ce recoin. Oh ! ni cette alcôve. C’est un véritable palais que tu découvres en moi. Une galerie secrète ! Des salons immenses, et des chambres, des chambres, des chambres par milliers aux ruelles brûlantes. Une pour chaque nuit de ma vie ; une pour chaque plaisir ; une pour chaque cri. Je ne sais plus ce que je dis.
CHRISTINE. Continue à parler, cependant. Je jouis d’entendre ta voix résonner dans ton corps.
NINON. Viens ! Viens sur moi, que je te parle droit au ventre. Que je joigne mes lèvres à tes lèvres. Que ton nectar se mêle à ma salive ! Que l’on se noie l’une dans l’autre. Enfin, te voilà à portée de ma bouche. Écoute-moi bien, j’ai un secret à te confier, un secret que tu devras enfouir au plus profond de toi-même, là où nul ne peut s’enfoncer, pas même avec une perche de trois pieds de long, là où personne d’autre ne pourra jamais l’entendre. Ce secret, c’est que... C’est que... j’ai trouvé... une rime... absolue... et divine... au verbe ouïr !

Note finale de Théophile le jeune : c’est là une fin possible, que j’ai dû écrire d’un long jet pour des raisons d’inspiration - que dis-je ? d’emportement - artistique ; mais nous pourrons intervenir plus tôt afin de prendre place et ainsi éviter à nos deux demoiselles de s’achever elles-mêmes par des gestes contre nature. À ce moment-là, je gage que nous serons raides comme des perches de trois pieds de long, tout prêts à charger.
Nous pourrions aussi bien leur demander de se lancer dans un impromptu. Ou garder cette idée pour le deuxième assaut. Ou le troisième...31
____________________________________________________________________________________
30Saynète :
Ce document figurait à la suite de la liasse dans le maroquin de Sylviane Carelberg. Théophile le jeune sera plus tard le pseudonyme utilisé par Claude Le Petit pour signer son Bordel des Muses. Le titre La Coquette se régale me paraît avoir été ajouté sur le tard par une main différente, sans doute celle de Sylviane Carelberg. L’allusion au roman de Ninon de Lenclos, La Coquette vengée, paru en 1659 (la même année que le Theophrastus redivivus), est transparente.

31Il va de soi que cette saynète relève du fantasme absolu. L’entrevue de Christine de Suède et Ninon de Lenclos a effectivement eu lieu, mais dans des circonstances toutes différentes, en présence de nombreux témoins (comme tout ce que faisaient les têtes couronnées) et après que les autorisations adéquates avaient été délivrées par les personnes le plus haut placées, mais surtout... une année plus tôt, en 1656, lors du premier voyage de la reine ambulante en France. On doit donc en conclure que l’auteur satisfait là son sens morbide de la jalousie, le faisant passer pour de la satire mordante. Le résultat est plutôt mitigé, à mon sens. De plus, il faut signaler que, lors de ses passages en France, Christine a visité au moins deux autres dames de la noblesse, Mme de Brégy et Mme de Villars... lesquelles n’ont point fait fantasmer notre excitable auteur (même si, comme l’a écrit la reine ambulante à leur sujet : "Pourquoi veulent-elles toutes m’embrasser ? Peut-être parce que j’ai l’air d’un homme"). Notons toutefois que le "M. de Vill." qui prête un pavillon à Mme Vaistas a toutes les chances d’être le mari de cette dernière courtisane. Enfin, le 9 novembre, c’est la fameuse marquise de Sévigné qui rendit spontanément visite à la reine de Suède au château de Fontainebleau ; était-ce pour lui apporter de nouvelles révélations qui allaient précipiter l’affaire ou pour un tout autre sujet ?

mardi 9 juillet 2013

CALLIOPE : projet de Coopérative d'auteurs sans éditeur dedans

Maintenant que la parution d'Il était une mauvaise foi est terminée, force est de constater qu'aucun éditeur pourri n'a été arrêté et que la condition des auteurs en France est toujours la même. Voici donc les bases d'une proposition de collaboration ayant pour objectif principal de FAIRE AUTREMENT. La discussion est grande ouverte...


CALLIOPE

COOPÉRATIVE D'AUTEURS LITTÉRAIRES LIBRES & INDÉPENDANTS 
ORGANISÉS POUR SE PASSER D'ÉDITEURS


Le monde de l'édition est en pleine mutation. Les nouvelles technologies et les nouvelles lois sont en train de provoquer des changements profonds qui mèneront sous peu à une approche différente de la lecture et de l'univers des livres. Nous envisageons de créer une structure mieux adaptée à la mentalité naissante : celle d'auteurs qui ne peuvent plus se permettre d'abandonner leur confiance à des éditeurs, qui doivent désormais compter sur eux-mêmes en priorité, et éventuellement sur leurs pairs.