4. LA « SOLUTION » NUMÉRIQUE ou Peut-on (se) sortir seul du marasme ?
Afin d'avoir en
caisse le profit de l'annonce [publicitaire], on eut de la
complaisance pour les livres annoncés.
SAINTE-BEUVE
Voici le compte
rendu d'une conférence prétendument tournée vers l'avenir ; le
but de ce chapitre est de plonger le lecteur dans la peau d'un
écrivain essayant de comprendre ce qui se passe sans pour autant se
noyer. Internet étant de plus en plus considéré comme la panacée
de l'avenir littéraire, cette conférence parlait de "révolution
numérique". Pour ceux qui croiraient encore qu'Internet est la
solution miracle qui permettra à tout un chacun d'échapper à
l'emprise des lois, voici le genre de propagande "subtile"
qui se répand dans la "réalité virtuelle" (sic).
La chose sera assez technique, mais vous n'y couperez pas ; le
but est bien de vous faire toucher du doigt les difficultés du
problème ; après, il faudra vous laver les mains. En d'autres
termes, si vous croyez qu'on peut faire de la bonne cuisine sans se
salir, laissez tomber et rendez-vous (sans résistance) au McDo' le
plus proche.
4.1 Compte rendu de la Journée d'information sur le livre numérique1
Lorsque j'arrive
vers 10h45, l'intervention des deux membres de la Société des Gens
de Lettres, prévue à 11 heures, est déjà entamée. Ils sont
en train de rendre compte de la longue action de concertation de leur
organisme, notamment en matière de négociations des droits entre
auteurs et éditeurs.
Les deux juristes
(un homme et une femme) sont en train de procéder à un rappel
général de ce qu'est un contrat à compte d'éditeur (le contrat à
compte d'auteur est écarté d'emblée ; il n'est pas considéré
comme "professionnel"). On nous explique que si un auteur a
payé quoi que ce soit à un éditeur, ne serait-ce qu'une partie des
exemplaires de son livre, le contrat est tacitement considéré comme
à compte d'auteur (c'est-à-dire relevant de l'article 132-2
du Code de la Propriété intellectuelle). Néanmoins, si un auteur a
signé sans savoir à quoi il s'exposait, il ne pourra pas le faire
résilier pour cette seule raison2.
Comme tous les autres principes de défense qui seront évoqués au
cours de la journée, il apparaît clairement que les éditeurs
traitent les auteurs comme des consommateurs exploitables et
estiment en bloc que caveat emptor, et après eux le déluge.
Un auteur a deux
sortes de droits : moraux et patrimoniaux. Les premiers sont
inaliénables (c'est-à-dire qu'on ne peut pas les lui ôter et il ne
peut ni les vendre ni les louer ni même les prêter ; ça a
l'air absurde mais ça va mieux en le disant. Avoir des droits moraux
signifie que si un livre crée une polémique, c'est son auteur qui
en subira les conséquences morales, pas l'éditeur3).
Les seconds, qui concernent les droits d'exploitation, de
reproduction et de représentation, sont cessibles, et c'est pourquoi
les contrats sont appelés des Cessions de droits. A partir du moment
où l'auteur a signé, il ne possède plus les droits de
reproduire librement son œuvre et de la promouvoir (ni de la
vendre), et ce pour la durée de la cession, qui est indéfinie par
défaut, c'est-à-dire qu'elle se termine 70 ans après la mort
de l'auteur ou du dernier ayant-droit s'il y en a4.
Il est possible
(mais très mal vu) de demander une durée limitée lors de la
négociation du contrat. Toutefois, étant donné les changements
d'usages que va entraîner la "révolution numérique", il
pourrait devenir courant d'intégrer au moins une clause dite de
"rendez-vous" ou de "réexamen" dans les
contrats, qui permet de fixer une date (dans deux, trois, cinq ou dix
ans au choix) à laquelle les termes du contrat seraient tacitement
renégociés (ou pas, ce qui entraînerait sa rupture de facto ;
mais le cas ne s'est encore jamais présenté pour une œuvre
numérique).
En passant, les
intervenants de la SGDL rappellent qu'être éditeur en France n'est
pas un statut défini par la loi ; le simple fait de signer un
contrat à compte d'éditeur crée automatiquement cette
"occupation", qui peut donc être temporaire aussi bien que
permanente, sporadique, voire unique. De même, l'auteur n'est pas
non plus un statut défini par la loi mais constaté par sa signature
au bas d'un contrat5.
On nous prévient
alors d'un "piège" classique : ce n'est pas parce
qu'un éditeur verse les cotisations sociales de l'auteur à
l'Agessa6
que celui-ci y est affilié automatiquement ! L'affiliation est
un acte volontaire, qui devient même obligatoire si les
revenus en droits d'auteur sur une année donnée dépassent un
certain seuil (environ 8.000 €). Autrement dit, si l'auteur
n'y prend pas garde, il risque de passer la moitié de sa vie à
croire qu'il a cotisé pour sa retraite, et se retrouver le jour dit
avec... les yeux pour pleurer.
Un récapitulatif
des obligations des deux parties est ensuite présenté. L'auteur en
a deux : fournir le manuscrit, ou le fichier informatique
précisé par l'éditeur7 ;
et garantir l'éditeur contre toute revendication possible8.
4.2 RAPPEL : LES DROITS ET LES DEVOIRS DES CONTRACTANTS
L'éditeur a cinq
obligations majeures :
- fabriquer
l'ouvrage ; on aborde là un point délicat du livre
numérique, puisque cette obligation disparaît de fait ; il
n'est plus question que d'élaborer un fichier ;
- assurer sa
promotion permanente et suivie ; j'apprends ici, stupéfié,
que cette notion n'est pas définie par le CPI, ce qui a pour
conséquence qu'aucun éditeur n'a jamais été condamné ni même
inquiété pour n'avoir pas accompli son travail de représentation,
puisqu'on n'a jamais pu prouver que celui-ci n'avait pas été
effectué ; si donc un ouvrage n'est pas distribué en
librairie, si aucun article n'a paru où que ce soit, l'auteur n'aura
aucun recours légal contre son éditeur ; ce dernier est
protégé par le vide de la loi ;
- rémunérer
l'auteur à proportion des ventes à prix public ;
il faut signaler que tout autre moyen de paiement est considéré
comme illégal, sauf s'il a été précisé dans les termes du
contrat9 ;
- rendre des
comptes au moins une fois par an ; la loi prescrit que ces
rapports doivent être transparents et compréhensibles, ce qui, dans
la pratique, est loin d'être toujours le cas ; un auteur pris
de doutes peut légalement exiger les documents qui ont permis à
l'éditeur d'établir sa reddition ; hélas, rien ne garantit
que les chiffres cités seront exacts ; aucune procédure
d'enquête n'est prévue en l'occurrence et rien ne permet à un
auteur de vérifier que les chiffres indiqués correspondent à la
réalité ; tout est donc affaire de confiance ;
c'est-à-dire que l'auteur doit faire confiance aveuglément à
l'éditeur (qui a même le droit de se tromper) ; enfin, là
encore, l'absence de reddition des comptes n'a jamais permis à un
auteur de faire résilier un contrat mal honoré.
L'éditeur a le
droit de regrouper les divers ouvrages d'un même auteur et de
pratiquer une compensation des titres entre eux ; ce n'est donc
pas parce que l'un de vos livres marche soudain que vous gagnerez
(enfin) de l'argent ; l'éditeur pourra parfaitement en profiter
pour combler un compte précédemment négatif. Cette pratique n'a
jamais été condamnée mais un auteur peut exiger une
reddition des comptes séparés par titres10.
A signaler que
dans certains pays, un système dit de book-tracking (pistage
des livres) a été mis en place et permet de suivre en temps quasi
réel les mouvements commerciaux des ouvrages ; il permet de se
passer de reddition des comptes et évite à tout le monde de se
fâcher pour des broutilles. Comme il fallait s'y attendre, la France
n'envisage pas dans l'immédiat d'adopter ce système ; on
imagine aisément ce que cela veut dire. Quoi qu'il en soit, ce n'est
qu'une plate-forme informatique, contrôlée par on ne sait qui,
invérifiable, et dont les résultats ne sont pas contractuels ;
- respecter le
droit moral de l'auteur11.
Enfin, les
intervenants rappellent qu'il y a une prescription de cinq (5) ans à
compter de la signature du contrat pour réclamer des droits (ou
toute autre rémunération) qui n'auraient pas été versés. Cinq
ans ; pas un jour de plus.
Ce récapitulatif
terminé, nous passons à l'aspect numérique de la question. Qu'en
sera-t-il à l'avenir des ouvrages destinés à la diffusion
électronique ?
Le 4 mars 2011,
une série de négociations menées entre le Syndicat national de
l'édition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE) sur les
conditions de cession et d'exploitation des droits numériques sont
arrivées à leur terme. Elles portaient essentiellement sur les six
points suivants :
1/ un contrat
spécifiquement numérique, séparé du contrat papier ;
2/ une durée
limitée pour l'exploitation, d'une moyenne de 2 à 3 ans, avec
clause de tacite reconduction pour les deux parties ;
3/ une
rémunération proportionnelle aux ventes, ajustée de manière à
correspondre à un équivalent absolu des ventes concrètes12 ;
4/ une définition
légale de l'exploitation permanente et suivie, intégrée au CPI ;
5/ un Bon à
Diffuser numérique, visé par l'auteur avant la mise en ligne du
projet ;
6/ une reddition
des comptes plus fréquente et plus fiable, où la compensation par
l'éditeur ne serait pas permise.
Les quelques
"acquis" finalement obtenus sont les suivants13 :
- certains
éditeurs accepteront à l'avenir de regrouper sur le contrat
les articles concernant les droits d'exploitation numérique, afin
que lesdites clauses soient plus visibles14 ;
chaque clause devra être contresignée par l'auteur en marge du
contrat ; toutefois, il est conseillé de bien penser à
chercher une clause générale qui annulerait les dispositions des
clauses numériques (auquel cas, le contrat est piégé) ; dans
la majorité des cas, les éditeurs ne sont pas prêts à pratiquer
les contrats séparés ;
- les éditeurs
ne sont pas désireux de mettre en pratique la clause de
rendez-vous15 ;
le CPE a proposé qu'en cas de litige sur le mode de paiement des
œuvres numériques, les auteurs aient recours à une instance de
conciliation, qui émettrait alors un avis (lequel ne pourrait servir
que de consultation auprès d'un juge, ce qui n'empêcherait pas le
litige) ;
- les éditeurs
ont refusé d'ajuster le pourcentage sur le prix de vente numérique,
se contentant de garantir qu'il ne descendrait pas en dessous du
pourcentage défini pour la version papier (qui peut descendre
jusqu'à 7 %, comme nous l'avons vu) ; les auteurs
s'estimant lésés pourront toujours tenter de se référer à
l'article 132-5 du CPI qui argue d'un "principe de rémunération
juste et équitable" ; le terrain reste vierge à ce jour ;
- l'exploitation
permanente et suivie a enfin été définie en termes juridiques ;
son défaut entraîne la possibilité de mettre l'éditeur en demeure
de faire son travail (mais pas avant deux ans suivant la signature du
contrat) dans les trois mois suivant la mise en demeure ; la
définition sera intégrée au CPI (dès que sa rédaction en sera
terminée)16 ;
- la pratique du
Bon à Diffuser (équivalent du Bon à Tirer de la version papier)
semble avoir été acceptée par les éditeurs numériques, qui
devront donc fournir à l'auteur une version informatique de
l'ouvrage qui devra être impérativement validée avant sa mise en
ligne17 ;
cette version sera considérée comme définitive et ne pourra plus
être modifiée sans l'accord exprès de l'auteur ;
- rien n'a été
conclu sur la reddition des comptes, qui restera donc souvent ce
qu'elle est : floue, invérifiable, sibylline ;
- il semblerait
qu'une clause ait été envisagée pour permettre la révision des
clauses économiques si la "situation économique générale du
marché" venait à changer ; mais ce point a été abordé
rapidement et je n'ai pu poser de question à ce sujet. (De toute
façon, si les écrivains touchaient le SMIC, ça se saurait.)
En conclusion,
six mois de discussion n'ont abouti qu'à deux points positifs :
l'intégration au CPI de la définition de l'exploitation permanente
et suivie, et la distinction des contrats numérique et papier
(encore que celle-ci ne soit pas adoptée universellement). Pour le
reste, la lutte continue. Ou plutôt, elle devrait continuer si le
CPE faisait son travail ; or, ils ont clairement manifesté leur
intention de ne pas le faire.
Ensuite a été
abordée la question sur la Loi concernant les livres dits
indisponibles (comme on le sait, adoptée le 22 février 2012 à
l'unanimité des quatorze députés présents (tous de l'UMP)18.
Je renvoie pour toute question à la
plaquette disponible
sur le site de la SGDL ; elle est très claire et fort bien
faite. A mes yeux, son point le plus important est la phrase :
"le dispositif obéit à des fins d'intérêt général" ;
on sait parfaitement où passent les intérêts particuliers dans ces
cas-là.
Bon courage,
donc, à ceux qui tenteront de faire valoir leurs droits sur des
ouvrages dits indisponibles et publiés avant le 1er janvier
2001. La seule bonne nouvelle est qu'un auteur peut exiger19
de sortir du dispositif « s'il juge que l'exploitation
[de son œuvre] porte atteinte à son honneur ou à sa réputation ».
En d'autres termes, il n'aura pas besoin de justifier son choix ni
d'aller en justice. C'est toujours ça de gagné !
Les intervenants
de la SGDL laissent ensuite la place à un exposé général des
éditeurs numériques déjà existants (les e-distributeurs ne seront
pas abordés par manque de temps, vu qu'il est déjà 15h45).
Curieusement, l'intervenante commence par évoquer la possibilité de
mettre en place un système B-to-C, c'est-à-dire "Business
to Consumer" qui, en supprimant tous les intermédiaires,
permettrait aux auteurs de vendre directement leurs œuvres à ceux
qui les lisent. Mais elle balaie bien vite l'argument et lance son
PowerPoint écrit trop petit.
Des tableaux de
chiffres sont censés nous montrer que tout ne va pas si mal dans le
pas-si-pire des mondes, puisque 440 millions d'ouvrages ont été
vendus en France en 2011, ce qui représente 2,7 milliards €
de chiffre d'affaires et une légère augmentation par rapport à
l'année précédente. Rien ne nous permet de savoir comment sont
répartis les 440 millions en question, qui inclut les bandes
dessinées, les dictionnaires, les guides de voyage, les manuels
scolaires, les témoignages ésotériques et surtout les livres les
plus vendus en France : les guides de régime amincissant20.
On apprend aussi que le marché du numérique aurait décollé
puisque 1,45 millions de tablettes et liseuses ont été vendues en
201121.
Ensuite, une
liste nous prouve (!) que les libraires sont toujours ces gens
indispensables qui vendent le plus grand nombre de livres (23,3%),
suivis de peu par les grandes surfaces spécialisées (22,1%) puis
les grandes surfaces (19,3%), enfin les "autres", en vrac,
puisqu'ils ne sont pas importants (7% pour les soldeurs, quand même).
Alors que j'écoute d'une oreille fatiguée le commentaire peu
éclairant, je me rappelle soudain que Normand Baillargeon m'a appris
deux ou trois trucs pour me défendre. J'ajoute mentalement 22,1 à
19,3 et je trouve 41,4 ! Et donc, j'en conclue que 41,4% des
livres en France (c'est-à-dire l'écrasante majorité) sont vendus
dans des supermarchés et qu'on fait tout pour nous le cacher.
Pourquoi ? Parce que ça la fout mal ? Parce qu'on devrait
avoir honte ? Parce que quelqu'un, quelque part, n'arrive pas à
assumer ? Et si c'était la faute des écrivains qui se la
pètent et dont il faut ménager la susceptibilité légendaire ?
Je m'aperçois
alors que je suis crevé, que j'en ai marre d'être là, à regarder
encore un fichu écran géant où quelqu'un qui prétend défendre
mes droits me montre des sites internet plus ou moins bien foutus22,
où des gens que je ne rencontrerai jamais peuvent acheter mes
bouquins si quelqu'un a pensé à les mettre en ligne avec mon accord
signé.
Le juriste mâle
de la SGDL à qui j'avais demandé quand on pourrait enfin se passer
des éditeurs, puisqu'il est clair qu'on n'aura bientôt plus besoin
d'eux (si tant est que ce fût jamais le cas), avait rigolé
gentiment en répondant qu'il ne fallait pas exagérer, qu'ils
servent bien à quelque chose (bien que je n'aie pas compris à quoi)
et que "oui, bon, c'est vrai, en ce moment, ils sont un peu plus
durs que d'habitude parce qu'ils sentent que les choses vont changer,
et qu'il faudra bien que quelqu'un saute dans la grande chaîne du
livre".
Pardon ?
"Que quelqu'un saute ?"
Pas
d'affolement ! Nous, les Auteurs, sommes indispensables, pas
vrai ? Le Public aura toujours besoin d'Histoires, pas vrai ?
Les éditeurs ne seront jamais assez inconséquents pour éradiquer
les écrivains vivants et se servir dans la masse quasi infinie des
ouvrages oubliés (pardon, je voulais dire indisponibles) et des
manuscrits refusés ? Pas vrai ?
Plus tard, en
buvant quelque chose de réconfortant, j'ai repensé à une phrase de
Jean Ziegler, qui se trouve dans son livre L'Empire de la honte :
« [Le directeur de la division agriculture chez Nestlé] estime
que ce sont des forces objectives qui, à l'insu de tous, meuvent les
marchés. Les hommes n'y ont aucune part. Il compatit avec les
victimes et voudrait les aider. Sa proposition est lumineuse :
des 25 millions de familles productrices de café existant
aujourd'hui dans le monde, 10 millions au moins "doivent
accepter de disparaître". Il s'agit, on l'aura compris,
d'"assainir" le marché. [Il] conseille la "disparition"
aux hommes et aux femmes excédentaires. Oui, la disparition. »
Finalement,
peut-être que Ray Bradbury s'est trompé ; peut-être que ce ne
sont pas les livres qui vont disparaître, mais les écrivains. Oh,
ils seront toujours là, physiquement ; mais personne ne les
prendra plus en photo, on ne leur tendra plus de micro, ils ne seront
plus invités nulle part, parce qu'il n'y aura plus de médias
véritables ; ils parleront dans le vide et taperont leurs
histoires sur des claviers d'ordinateurs phosphorescents qu'ils
croiront connectés.
L'écrivain
n'arrive à rien sans des études immenses qui représentent un
capital de temps ou d'argent ; le temps vaut l'argent, il
l'engendre. Son savoir est donc une chose avant d'être
une formule, son drame est une coûteuse expérience avant
d'être une émotion publique. Ses créations sont un trésor,
le plus grand de tous ; il produit sans cesse, il rapporte des
jouissances et met en oeuvre des capitaux ; il fait tourner des
usines. Ceci est méconnu. Notre pays, qui veille avec un soin
scrupuleux aux machines, aux blés, aux soies et aux cotons, n'a pas
d'oreilles, n'a pas d'yeux, n'a pas de mains dès qu'il s'agit de ses
trésors intellectuels.
Honoré
de BALZAC, in Revue de Paris,
2 novembre 1834
_______________________________________________________________________
1Le
28 mars 2012, auditorium du Carré d'art, à Nîmes.
2
En fin de compte, le seul moyen légal de faire casser un contrat
est de prouver que l'éditeur n'a pas honoré deux (2) commandes
effectives et que le stock n'est pas épuisé. Le tout ne servant
pas à toucher des dommages-intérêts ou des droits jamais versés,
non ; cela sert seulement (si ça marche) à casser le contrat.
Autrement dit, du point de vue de l'auteur, à devoir tout
recommencer de zéro.
3
Néanmoins, on nous signale que dans presque tous les cas où un
procès a été perdu par l'auteur d'un livre litigieux, c'est
l'éditeur qui a payé les dommages-intérêts.
4
Du moins en Europe ; avec une exception pour les auteurs "morts
pour la France", qui est prolongée de 30 ans.
5
Quand il y a contrat ! Lorsque Calmann-Lévy eut un nouveau
directeur en 1985, celui-ci découvrit que la maison était un
"musée de l'édition XIXe siècle. [...] Aucune
avance n'est donnée aux auteurs, peu de contrats sont signés
[...]. Le nouveau patron, peu diplomate, ne parvient pas à
convaincre l'ensemble du personnel que la stratégie adoptée est la
meilleure, voire la seule possible." (in Bessard-Banquy). En
l'occurrence, c'est même la seule légale ; d'un point de vue
juridique, Calmann-Lévy n'était donc pas véritablement
éditeur de ces auteurs-là.
Autre exemple : en 1993, dans une interview à Globe Hebdo, Philippe Djian révèle que "Bernard Barrault m'a proposé de signer un contrat – alors qu'il n'y en [a] jamais eu entre nous.[...] J'ai fini par signer parce que j'avais confiance en lui. Or un peu plus tard, j'ai appris que les Editions Barrault avaient été vendues à Flammarion." On appréciera ici l'emploi du mot confiance, qui remplace la légalité ; ce que Djian ne dit pas, c'est qu'il n'avait aucun recours dans cette affaire. De plus, il me semble (mais peut-être n'ai-je rien compris) que le fait de signer un contrat doit renforcer la confiance au lieu d'en tenir lieu.
Autre exemple : en 1993, dans une interview à Globe Hebdo, Philippe Djian révèle que "Bernard Barrault m'a proposé de signer un contrat – alors qu'il n'y en [a] jamais eu entre nous.[...] J'ai fini par signer parce que j'avais confiance en lui. Or un peu plus tard, j'ai appris que les Editions Barrault avaient été vendues à Flammarion." On appréciera ici l'emploi du mot confiance, qui remplace la légalité ; ce que Djian ne dit pas, c'est qu'il n'avait aucun recours dans cette affaire. De plus, il me semble (mais peut-être n'ai-je rien compris) que le fait de signer un contrat doit renforcer la confiance au lieu d'en tenir lieu.
6
L'AGESSA est l'équivalent de la caisse de sécurité sociale des
auteurs et artistes. En 2000, la France comptait 1.627 écrivains
capables de vivre uniquement de leur plume. Un quart d'entre eux
gagnait moins de 4.000 Frs par mois ; les deux tiers en
gagnaient moins de 13.000. On en déduira que seuls 9 %
(environ 150 personnes) gagnaient plus. Au temps pour les "riches
écrivains qui pullulent dans notre pays" et dont Sarkozy nous
bassinaient les oreilles durant son règne, en prétendant que
l'impôt sur la fortune les feraient fuir. En Belgique, peut-être ?
7
Ceci va devenir de plus en plus courant ; les éditeurs
numériques semblent même désireux d'exiger de plus en plus des
auteurs que ceux-ci préparent eux-mêmes les documents, y compris
en ce qui concerne la correction et la composition ; toujours
ça d'économisé, n'est-ce pas ?
8
Mais on a vu que les éditeurs sont heureux de payer les pots cassés
par leurs garnements d'auteur ; sans doute en vertu du principe
que "toute publicité est bonne à prendre".
9
Bien entendu, la tendance générale des montants offerts aux
auteurs est à la baisse (quand il y en a) ; des 10.000 Francs
d'à-valoir + 10% des ventes qui étaient considérés comme la base
d'un contrat normal avant l'an 2000, on est tombé aujourd'hui à
une moyenne de 500 € + 7% (que l'on est prié d'accepter sans
rechigner, ou d'aller voir ailleurs). Une proportion notable
d'éditeurs numériques ne proposent même pas d'à-valoir, estimant
que leur offre de 30 % sur les ventes (voire 17 % sur le
prix hors-taxes, comme on vient de m'en faire la proposition) est
une compensation suffisante. On verra plus loin que ce n'est pas du
tout le cas.
10
Les intervenants racontent la "merveilleuse" anecdote de
cet éditeur (non cité, mais "important") qui envoya un
jour à l'un de ses auteurs une "reddition des comptes
inter-générationnelle" ; en effet, l'auteur en question
était l'ayant-droit de son père, qui avait lui aussi été auteur
chez ce même éditeur ; ce dernier avait soudain eu la "bonne
idée" de compenser les comptes du père avec ceux du fils.
Inutile de dire que l'héritier n'avait, cette année-là, rien
touché. Cette affaire a été plaidée et s'est terminée en faveur
de l'auteur. Comme quoi, les miracles arrivent encore, même au XXIe
siècle.
11
Ouf ! du moment qu'ils ne sont pas obligés de respecter la
"personne" de l'auteur, on les sent soulagés.
12
Si vous touchez 10 % sur un livre vendu 20 €, cela
n'équivaut pas à 10 % sur un téléchargement dont le prix
est (presque) toujours inférieur au prix du livre papier. Il faut
donc, dans tous les cas, réviser ce pourcentage à la hausse en
faveur de l'auteur.
13
Avant d'aborder les détails, je signale que le CPE (qui est censé
défendre les auteurs) a clairement manifesté son souhait de "ne
pas continuer à discuter indéfiniment", tandis que le SNE
estime que les négociations avec les auteurs ne sont
qu'interrompues et devraient reprendre. Le CPE, ce sont mes
collègues auteurs, je le rappelle ; que ce menu détail vous
aide à y voir clair, petits scarabées ! A l'heure où j'écris
ces lignes, il semblerait que la situation ait encore évolué. On
pourrait se référer pour plus d'informations au site du Droit du
Serf: <http://ledroitduserf.wordpress.com/>,
collectif d'auteurs défenseurs de leurs propres droits (si celui-ci
n'a pas cessé d'être actif).
14
Inutile de préciser qu'une clause plus visible n'est pas
forcément plus claire.
15
Pour vous dire à quel point certains éditeurs adorent cette
clause, ils l'appellent entre eux la clause de "revoyure".
16
Une proposition a été faite selon
laquelle, si l'application n'avait pas été présentée par
l'éditeur au bout de six mois, la résiliation du contrat serait
automatique, mais je n'ai pas réussi à comprendre si cela avait
été accepté, refusé ou restait en suspens.
Quoi qu'il en soit, étant donné les
pressions exercées par les distributeurs sur les éditeurs, tout le
monde sait qu'un livre ne sera réellement exploité que pendant les
six premiers mois suivant sa sortie, et encore, avec de la chance.
Par conséquent, un recours qui ne peut être exercé avant deux
années ne sert strictement à rien ; d'ici là, l'essentiel du
stock aura été pilonné. On a là un autre exemple de loi inutile,
inapplicable et hypocrite.
17
Personnellement, sur six ouvrages publiés (plus deux auxquels j'ai
collaboré), je n'ai jamais vu de Bon à Tirer, bien que je les aie
tous réclamés. Et à chaque fois, la réponse a été la même :
"Désolé, on n'a plus le temps ; ça doit partir
avant-hier chez l'imprimeur". Le seul accord que j'aie jamais
donné consistait à dire "à bientôt" après un coup de
fil de la correctrice ou de la rédactrice, dont le but était de
réviser les derniers détails ; le tout, bien entendu, toujours en
retard.
L'"avantage" du numérique, c'est que l'imprimeur ne pourra plus servir d'alibi. Les paris sont ouverts pour déterminer quel sera le nouvel alibi favori des éditeurs-numériques : l'infographiste enrhumé ? Le webmaster opéré de l'appendicite ? La bande passante qui se fait des nœuds ? La foudre ? Le chien qui a bouffé la clé-usb ?
L'"avantage" du numérique, c'est que l'imprimeur ne pourra plus servir d'alibi. Les paris sont ouverts pour déterminer quel sera le nouvel alibi favori des éditeurs-numériques : l'infographiste enrhumé ? Le webmaster opéré de l'appendicite ? La bande passante qui se fait des nœuds ? La foudre ? Le chien qui a bouffé la clé-usb ?
18“Salut,
la démocratie ! Mais où tu te barres, comme ça? Qu'on en
finisse, vite, ou existe vraiment!”
19
Dans les six mois qui suivent la mise en ligne, ce qui implique
qu'il en soit informé ou qu'il s'en rende compte. Par télépathie
électronique, sans doute ?
20
Rien ne sera dit, par contre, des 40 millions d'ouvrages qui sont
pilonnés chaque année, rien qu'en France, ce qui représente
environ 110.000 livres détruits chaque jour (et 320.000
arbres par an). Voir à ce sujet le beau roman de Paul Desalmand, Le
Pilon (Quidam éditeur).
21
Dont le tiers rien qu'en décembre. On peut donc se poser la
question suivante : si Noël n'était pas une obligation
sociale de faire des cadeaux, combien de ces tablettes
n'auraient pas été achetées ? Autre question : comment
savoir ce que les utilisateurs lisent sur leurs machines ?
Combien s'en servent-ils vraiment ? Etc. Ces questions ne
peuvent être abordées par manque de temps.
22
On a même eu droit à Harlequin. (« Ne vous moquez pas
d'Harlequin, dit la demoiselle en gloussant ; ils ont beaucoup
fait pour le livre populaire. ») Que je sois fukushimé si
j'invente !
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