5. LA COLLUSION EDITEURS / ETAT
Attenter
à la littérature d’aujourd’hui, en montant en épingle de faux
écrivains et en en mettant de bons au secret, c’est fomenter les
crimes de demain.
Antonin
ARTAUD
Dans les années
1980, comme partout ailleurs dans le monde occidental, les choses
commencèrent à se gâter. La guerre des éditeurs venait de
commencer, doucement, sournoisement, à l'insu du grand public. Un
triste individu, riche à crever (mais n'ayant pas assez
d'imagination ni de délicatesse pour crever vite et seul), hérita
d'un empire financier colossal, ce qui le mena à se prendre pour le
Charles Quint du XXe siècle. Parmi les pièces luxueuses
de son vaste domaine éclaté, il y avait un mini-empire éditorial ;
des journaux, des maisons d'édition, des imprimeries, des groupes de
diffusion et de distribution1.
5.1 POLITIQUES D'INGÉRENCE ou « Si toi pas aller à Lagardère, Lagardère aller à toi ! »
Le capitaine
d'industrie songea à se débarrasser rapidement de ces rogatons qui
ne l'intéressaient pas ; il préférait les usines d'armement,
les laboratoires pharmaceutiques, l'énergie nucléaire, les
transports, l'automobile, le pétrole, bref, tout ce qui rapporte
vraiment, tout ce qui rend encore plus riche, tout ce qui confère
des testicules en uranium massif. S'il avait revendu son groupe
éditorial à cette époque, les choses ne seraient peut-être pas
devenues ce qu'elles sont aujourd'hui. Malheureusement, le gros
condottieri avait plusieurs âmes damnées, de ces
politricards professionnels qui savent pertinemment de quel
côté leur tartine est beurrée.
Un
ami-politicien-de-trente-ans fit donc remarquer à son patron que le
contrôle d'un groupe de communications pouvait présenter de sérieux
avantages. Entre autres, cela permettait de créer de toutes pièces
une image de marque, une réputation, une biographie propre et
présentable... bref, cela rendait respectable, ce qui à son
tour, permettait de faire grandir son influence et de contrôler
encore plus de parts de gâteaux, puis de gâteaux entiers puis
d'usines à gâteaux puis d'ingrédients pour faire les gâteaux puis
d'outils pour faire les machines qui font les gâteaux, etc. On
pouvait même, en se débrouillant bien, faire passer un acte ignoble
et répugnant pour un acte de bravoure ; il suffisait de fonder
un groupe de réflexion avec un nom inoffensif en payant une poignée
de songe-creux, de frustrés et de laissés-pour-compte de
l'industrie, qui mettraient tout leur manque-d'imagination et leur
savoir-ne-rien-faire au service du Grand CONducteur, selon le vieil
adage qui dit qu'on ne mord pas la main qui vous nourrit (ce qui
prouve, accessoirement, qu'on est bien un chien).
Mieux encore, en
faisant progressivement gonfler l'influence des distributeurs, on
pouvait prendre à la gorge tous les éditeurs et les libraires qui
se vantaient imp(r)udemment de leur indépendance et leur prouver
que, sans distribution, ils n'étaient rien et n'avaient qu'à mettre
la clé sous la porte2 ;
ce que beaucoup ont fait, à part ceux qui ont été rachetés au
rabais.
Bref, avec un
minimum de changements dans la politique du groupe, on pouvait en
quelques années aboutir au nec plus ultra de l'âge moderne :
la manipulation des consciences. En une demi-génération, le
capitaine d'industrie et ses âmes damnées se faisaient fort de
créer de toutes pièces une armée de consommateurs religieusement
persuadés du génie de leurs maîtres de l'ombre.
Un malheur
n'arrivant jamais seul, cette histoire se produisit en double. Ainsi
se formèrent les groupes La Martinière-Seuil-Chanel et
Hachette-Lagardère-Matra (cherchez les erreurs), qui se dressèrent
l'un contre l'autre pour honorer la combativité de leur saint patron
respectif. Et, au lieu de s'unir pour renverser Henri et Jean-Luc,
quelques autres éditeurs préférèrent les imiter et
s'entre-déchirer petit à petit, jouant le jeu de ces monstres qui
riaient à gorge déployée en contemplant le massacre et en se
repaissant des cadavres abandonnés sur le bord de la route3.
Ainsi passèrent
les années 80 et 90, configurant le milieu de l'édition française
selon les critères en vigueur dans l'industrie lourde et le commerce
international, forçant les membres de cette profession jadis
honorable à devenir d'âpres négociants (ce qu'ils considèrent
comme une qualité), des araignées vicieuses planquées au fond de
leur toile, décourageant même les plus coriaces, ayant transformé
les vieux brisquards bourrus mais pas trop méchants4
d'antan en salopards invétérés aussi "humains" que des
fiches de salaire après le gel des charges patronales.
A l'aube du
troisième millénaire, la situation s'était si considérablement
détériorée que presque plus personne ne pouvait vivre de sa plume
en France, à moins d'être journaliste (c'est-à-dire d'avoir plein
d'amis dont le sport favori est le renvoi d'ascenseur ; leur
"champion" étant BHL, dit le "jabotté") ou
enseignant du cycle secondaire (c'est-à-dire d'avoir plein d'amis
qui connaissent plein d'éditeurs qui connaissent plein d'écrivains
qui, etc.). La moyenne des à-valoir versés aux auteurs débutants
avait baissé de moitié en dix ans, le pourcentage sur les ventes
était passé des 10 % traditionnels à 8 ou 9 au mieux, et
jusqu'à 4 ou 5 pour les auteurs peu connus, c'est-à-dire sans
influence, sans défense, bref : "sans intérêt".
Quant au paysage
culturel français, il était désormais phagocyté par une nouvelle
génération d'écrivains auto-proclamés dont la carrière s'était
construite sur le scandale et la provocation du petit-bourgeois, non
sur le talent littéraire, pas plus que sur les idées (et pour
cause, puisque ce n'étaient pas les leurs). De Houellebecq à Millet
en passant par Despentes, Rey, Begbeider, Angot, Darrieussecq,
Dantec, Delerm et tous ceux qui font de la "littérature sans
estomac"5,
la langue française visitait des trous et en ressortait toute
dégueulante de substances propres à amuser les nourrissons. Leurs
éditeurs, au comble de l'excitation post-parentale, montraient à
tous les passants les jolis étrons façonnés par leur progéniture
(mais entre eux, ils prenaient soin de lever les yeux au ciel, pour
se démarquer de cette chienlit et bien montrer qu'ils étaient
au-dessus du troupeau).
A force de les
entendre crier au génie précoce, la presse, possédée par
les magnats de l'armement et du pétrole – déjà habituée à
aduler la dynastie Le Pen, Chirac le réélu-par-défaut, Sarkostazy
(le héros du film-kult L'avis des autres, j'en a rien à foutre)
ou encore les socialistes démanteleurs du socialisme, et ce sans
jamais leur poser de vraies questions –, ne sut que répéter
ce merveilleux message sous prétexte d'en informer le public... qui
n'en demandait pas tant, mais eut bientôt la solide conviction qu'il
n'y avait rien d'autre à bouffer.
Ce qui était
presque vrai.
Le féodalisme
était de retour, et le peuple français était mûr pour l'étape
suivante : le pilonnage programmé de sa culture par ceux qui
prétendent la défendre.
A mesure que le
mécénat et les rentes personnelles perdent de leur importance,
l'adéquation entre la vocation littéraire et la raison sociale
devient de plus en plus aléatoire.
Christophe
CHARLE, in Littérature n°44, 12/1981
5.2 REMARQUES SUR L'INDUSTRIE DES LETTRES, D'OLIVIER BESSARD-BANQUY ou Un enquêteur curieux ou un curieux enquêteur ?
Je vais
maintenant détailler un ouvrage, dont certains aspects illustrent
- plus ou moins consciemment - mes propos.
Le passionnant
livre d'OBB (Pocket Agora, 2012) rend compte de ce phénomène
communément appelé (en général par les éditeurs eux-mêmes)
« aventure éditoriale » depuis la fin de la deuxième
guerre mondiale, en s'attardant plus particulièrement sur la période
récente, depuis les années 1970. Tout ce qu'il dit est
incroyablement intéressant (c'est-à-dire, au choix :
consternant - édifiant - révoltant - affligeant - écœurant...),
surtout lorsqu'il cite ces mêmes éditeurs imbus d'eux-mêmes,
notoirement incompétents ou si totalement inconséquents qu'ils
frisent le grotesque sans pour autant parvenir à nous faire rire
(car on ne naît pas clown ; on le devient à force de se
prendre des tartes).
Pourtant,
certaines tournures de phrase, certains propos disséminés çà et
là m'ont laissé perplexe, et ont fini par m'amener à me poser la
question : pour qui travaille OBB ? Fait-il bien attention
à dégommer tout le monde dans son pas-très-drôle jeu de
casse-pipes ? Certes, il égratigne pas mal de gens, mais qui a
réellement souffert de ses dénonciations légitimes ? Y a-t-il
eu un seul éditeur mis au rebut depuis la parution de la version
précédente de ce livre (sous le titre La vie contemporaine des
livres, Presses universitaires de Bordeaux en 2009) ?
Emettons des doutes. Il ne faut pas oublier qu'OBB est un
universitaire, c'est-à-dire quelqu'un qui n'a pas besoin
de vivre de sa plume ; ce qui autorise à bien des omissions,
négligences et autres procédés relevant de la politesse entre gens
du (même) monde.
Passons
rapidement sur le fait que son texte regorge de vocabulaire
militaire : "guerre", "conflit", "bataille",
"belliqueux", "stratégie", "franc-tireur",
"victimes collatérales" (entendez : "petits
éditeurs")... reviennent régulièrement, mais à tout prendre
OBB n'en est pas responsable. Ce n'est qu'un reflet de l'ambiance
néo-libérale qui s'est emparée de tout depuis les années 1980 ;
il n'y avait pas de raison pour que l'industrie littéraire y
échappât, et les décombres aujourd'hui rendent bien compte de
l'âpreté des combats. (Pour ce qui est du nombre des victimes, il
varie, bien sûr, selon les sources consultées.)
La récurrence un
peu écœurante de l'expression "rencontrer le succès" (ou
son pis-aller "le succès est au rendez-vous - ou pas") ne
peut non plus lui être imputée. Les éditeurs l'emploient à tour
de bras ; elle est leur sauf-conduit pour évincer
définitivement un auteur auquel ils ne veulent plus avoir affaire,
non pour manque de talent mais pour cause de scoumoune. "Votre
ouvrage n'a pas rencontré le succès. Ciao." Variante hypocrite
de "Tu pues la poisse, Duschnock ! Casse-toi chez un
concurrent ou va t'enterrer dans ton jardin. Tu crois quand même pas
qu'on allait se casser le cul à descendre dans la rue et à
démarcher des libraires pour le vendre, ton bouquin ! Non, mais
je te jure, pour qui ils se prennent, ces écrivains de merde ?"
OBB ne fait là que traduire ce qu'il a entendu répéter
inlassablement, et que je confirme.
Mais où je
commence à tiquer, c'est lorsque (à la page 36, par exemple), je
lis ceci : « ...un journaliste un
peu trop curieux découvre que ledit Paul Pavlowitch n'est pas
du tout un aventurier... » Comment ça, un peu trop
curieux ? Veut-il dire qu'un bon journaliste se doit de ne
pas être trop curieux ? De plus en mieux curieux... Nous vivons
dans un pays où des grappes de paparazzi glandent pendant des
heures, qu'il vente ou qu'il neige, dans le but insondablement
stupide de faire des clichés flous de stars jetables ou de poser une
question surannée à une VIP pressée entourée de six gardes du
corps, entre autres inepties, mais le jour où un journaliste digne
de ce nom découvre le pot-aux-roses concernant une escroquerie en or
massif, il serait "trop curieux" ? Autrement dit, "pas
à sa place", c'est ça ? On va l'y remettre ? On va
lui envoyer des barbouzes qui lui colleront une bonne frousse et
quelques baffes ? Étrange argument, pas foncièrement
démocratique.
Plus loin, à la
page 75, on lit ceci : « L'actionnariat est trop émietté,
la "pieuvre" trop endormie ; s'emparer d'Hachette
devient un jeu d'enfant. » Certes, c'est une façon
intéressante de décrire la situation de l'époque, 1981. Mais
n'est-il pas dommage qu'OBB oublie de mentionner que Lagardère a
bénéficié d'une dérogation de dépôt d'OPA, c'est-à-dire d'un
passe-droit imparable qui équivaudrait à de la haute trahison si la
"République" des lettres avait la chance d'être une vraie
nation souveraine et démocratique ? Quel ministre ripou
l'a-t-il "accordée" au brave capitaine d'industrie, cette
dérogation, au mépris des lois, de la Constitution et du peuple
français ? N'aurait-il pas fallu creuser cette question ?
Curieusement, on trouve bien la réponse mais elle est rejetée
beaucoup plus loin, à la page 113 : « C'est ainsi sur un
coup de chance et par faveur présidentielle que Matra prend
le contrôle de la "pieuvre" [Hachette]. » Pourquoi
séparer ainsi la clé de son énigme, sinon pour diluer dans
l'esprit du lecteur que c'est bien le président de la république
Valéry Giscard-d'Estaing qui a permis en toute illégalité et
inconstitutionnalité à l'individu Lagardère de prendre le
contrôle du cinquième groupe éditorial mondial (devenu aujourd'hui
le troisième), et ce à la veille de l'élection présidentielle ?
Réponse : parce que le monde de l'édition partage bien plus
avec le monde de la politique et celui de la mafia que le simple goût
du secret. Comme dirait Noam Chomsky : il n'y a pas eu complot,
encore moins haute trahison ; c'est simplement comme ça qu'ils
fonctionnent ; c'est leur norme, et c'est donc
vous qui êtes fous et stupides. (Quant au fait que la fille
de Giscard soit aujourd'hui mariée au gros éditeur Bernard Fixot,
ce n'est qu'une coïncidence digne d'un conte de faits divers, bien
sûr.)
Continuons la
litanie des bizarreries : page 112 : « [Claude
Durand] va enfin pouvoir diriger une maison, être libre de publier
ce qu'il veut, imposer sa marque, exercer un véritable
contre-pouvoir. » Un pouvoir contre qui, exactement ?
Contre les autres éditeurs, ou contre les auteurs casse-couilles qui
se permettent d'avoir des velléités ? Après avoir constaté
qu'OBB ne développe pas ce point, arrêtons-nous sur l'usage du mot
"imposer", qui revient très souvent dans son livre,
toujours pour caractériser le "travail" de l'éditeur. De
quel droit un éditeur estime-t-il légitime d'en "imposer" ?
Ne serait-ce pas la preuve qu'il est incapable de faire confiance à
la qualité du travail de ses auteurs, laquelle devrait suffire à
"imposer" ses œuvres au public ? Si ce n'est pas le
cas, n'est-ce pas la preuve que cet éditeur "imposant" n'a
pas su faire son travail de sélection des manuscrits ? On a là
un exemple de "raisonnement" soigneusement avorté avant
d'aboutir à une conclusion gênante. Et puis, comment ça, "être
libre de publier ce qu'il veut" ? Je croyais qu'un éditeur
devait publier ce qui se trouve dans la tête des écrivains ?
N'est-ce pas là l'aveu que les éditeurs français se croient encore
et toujours responsables de ce qu'ils laissent publier, comme si cela
sortait de leur tête à eux, gens formidables et généreux mais
trop modestes (ou trop occupés, vous comprenez, mon cher) pour
l'écrire eux-mêmes ? Là encore, tour de passe-passe et
sourire de connivence...
Page 123 :
« Retravailler le manuscrit crayon en main – la base de
l'activité éditoriale – l'ennuie profondément » (à
propos de l'inénarrable Françoise Verny). Raté, M. OBB ; le
"métier" d'éditeur ne consiste certainement pas
à réécrire les manuscrits des auteurs mais à : 1/ fabriquer
les livres tels qu'ils sont voulus par leur(s) auteur(s) ; 2/
les exploiter6 ;
3/ les représenter, les diffuser et les distribuer aux libraires et
aux intervenants de la chaîne du livre ; 4/ rétribuer les
auteurs équitablement et dignement ; 5/ respecter les droits
moraux de l'auteur. Ce n'est pas moi qui l'invente ; c'est la
Loi. Combien d'éditeurs le savent et respectent ces cinq points ?
Page 150 :
Il paraît que Régine Deforges a (avait ; ouf !) un "vrai
talent" ; or, l'affaire de La Bicyclette bleue (un
remake forgé en toute connaissance de cause par l'éditeur
Jean-Pierre Ramsay, qui en suggéra l'"idée" à
l'écrivaine, laquelle ne voulait pas le faire, de prime abord, avant
de comprendre combien ça pouvait rapporter) prouve que son talent ne
consiste pas à bien écrire mais à bien imiter. Le fait
qu'elle ait échappé à l'accusation de plagiat (après plusieurs
années de procédure judiciaire) permet de bien mesurer l'étendue
du réseau d'amitiés qui lie le monde de l'édition à celui des
institutions françaises. OBB n'insiste pas assez sur cette affaire,
pourtant fort représentative de la puissance (et de l'hypocrisie) du
lobby éditorial français.
Page 171 :
« Bourdieu croyait que le nombre de Nobel permettait de jauger
la qualité d'un éditeur. La proposition n'est pas absurde... »
Pardon ? "Pas absurde" ! Le Nobel, ce n'est pas
ce truc qui a été accordé à Henry Kissinger en 1973 pour avoir
"apporté" la paix au Vietnam (et que Lê Duc Thô a refusé
de partager, parce que lui avait une conscience morale) ? Et à
Milton Friedman pour avoir démontré que le néo-libéralisme est
une bénédiction pour l'humanité (surtout la sienne et celle de ses
pairs) ? Et à John Eccles, un scientifique qui affirmait que la
conscience humaine est d'essence divine ? Et à Fritz Haber,
l'inventeur du gaz moutarde ?.. Suis-je bête ? J'oublie
toujours que la littérature est un monde à part, pas du tout
gangrené par les méthodes pourries des autres domaines. Donc, le
Nobel de littérature est un gage de qualité, contrairement aux
autres, qui sont des chiffons sans valeur7.
Et puis, si c'est Bourdieu qui le dit, c'est forcément vrai ;
lui qui "défendait les pauvres" et n'a jamais dit une
seule connerie de toute sa vie...
Page 182/3 :
« Quand [François] Guérif a lancé un nouveau [David] Goodis
à la fin des années 1970, les représentants lui ont assuré, d'un
air cassant, que l'époque du roman noir était terminée. »
Comme quoi, les représentants aussi peuvent se gourer ;
malheureusement, ce sont eux qui parlent aux libraires, pas les
auteurs, lesquels n'ont rigoureusement aucun moyen de contrôler, ni
même de savoir, ce que les représentants racontent aux libraires.
Or, pour en avoir entendu certains faire leur laïus dans des
librairies, je peux certifier que les auteurs ne sont pas tous
traités équitablement, alors que c'est une obligation
contractuelle de l'éditeur. Une fois encore, c'est le
distributeur (donc, un simple intermédiaire) qui impose sa loi en
toute impunité et sans le moindre contrôle possible pour l'auteur.
Les éditeurs ayant curieusement oublié de s'unir contre la
puissance grandissante des distributeurs au cours des trente
dernières années, ceux-ci sont devenus tout-puissants et se croient
désormais indéboulonnables. Que faudra-t-il pour leur prouver le
contraire ? Pirater un Airbus et le faire s'écraser sur le
centre de Maurepas8 ?
Page 188 :
« Il faut par ailleurs cinquante à quatre-vingt titres annuels
pour être bien traité chez un diffuseur-distributeur digne de ce
nom. » On en déduira (car OBB ne le fait pas) que les petits
éditeurs publiant moins de cinquante titres par an sont donc mal
traités par lesdits, et aussi qu'il en existe certains qui ne
sont pas "dignes de ce nom". On aimerait bien savoir quels
porcs pratiquent cela, afin de pouvoir travailler avec les autres.
S'ils existent9.
Page 216 :
"A l'époque de Sven Nielsen, les conseils d'administration des
Presses de la Cité avaient lieu aux pleines lunes. Jimmy Goldsmith
(leur repreneur, ancien PdG des confiseries Vandamme et La Pie qui
chante ! Si vous croyez que j'invente, prenez une pilule rouge)
a tout revendu quelques années plus tard, affolé, parce que
Nostradamus (dixit Jean-Charles de Fontbrune) avait prédit
l'arrivée du sida et des Arabes dans le sud de la France !"
Dommage qu'OBB ne mentionne ces faits que de façon anecdotique,
comme s'ils n'avaient aucune gravité, comme s'il s'agissait de menus
défauts qu'il faut pardonner car ils ne prêteraient pas à
conséquence. Sauf que ce sont nos existences d'écrivains qui sont
en jeu, et que détiennent donc des êtres psychologiquement
dérangés, que nous n'avons pas le pouvoir de
neutraliser. Que leur place ne soit pas dans des institutions
spécialisées, je veux bien l'admettre ; mais elle n'est
certainement pas aux commandes d'une maison d'édition. Ils y sont
pourtant, par la grâce du dieu Fric et de lois putassières.
Page 313 :
« "De nombreux livres, comme chez Fixot ou Grasset, sont
produits par de véritables équipes anonymes." (Lire,
nov. 2002) » Justement, on aurait bien aimé avoir des noms ;
histoire de pouvoir repérer les saligauds réfugiés au sein des
organigrammes des maisons éditoriales, afin de mieux les boycotter,
les renvoyant ainsi au néant dont ils n'auraient jamais dû sortir.
Là encore, l'enquête d'OBB s'arrête avant de devenir efficace,
sans doute parce que ce n'est pas une enquête "digne de ce
nom". Hélas, ce n'est pas parce qu'un imbécile est viré d'une
boîte éditoriale qu'il disparaît de la scène ; il réapparaît
le plus souvent chez un concurrent-cher-ami, pour appliquer les mêmes
politiques ineptes, la même incompétence, le même obscurantisme,
la même bêtise crasse, le tout en touchant un salaire et des
dividendes toujours supérieurs.
Page 433 :
« Le droit de vivre de leur plume, comme les autres
professionnels du livre, leur est ouvertement reconnu. »
D'après mon expérience, il manque un mot dans cette phrase en forme
de curieuse promesse : c'est le mot "essayer". Il
fallait écrire : « Le droit d'essayer de vivre de
leur plume... » La chose n'est réussie que pour 1.500 d'entre
eux, selon l'Agessa ; un chiffre qui diminue chaque année. J'ai
gagné 360 € avec mon second livre (pour six mois de travail)
et 460 avec mon troisième ; moins de 3.000 avec le premier, qui
a demandé neuf mois de travail plus trois mois d'editing
effectué par mézigue et par l'éditrice (les six autres n'en ont
touché que 300 chacun, ayant simplement été traités en10
collaborateurs). Vous en connaissez beaucoup, des boulots plus mal
payés, à part mère de famille ? Si oui, gardez-les ; je
suis déjà exploité jusqu'à la gauche-caviar, merci.
Page
497/8 : « En 2004, pourtant, c'est au tour du Service
central de la prévention de la corruption, placé sous l'autorité
du garde des Sceaux, de se pencher sur les risques de conflits
d'intérêts dans les prix littéraires. L'opacité du choix des
jurés comme de la sélection des titres primés suscite la curiosité
de l'Administration en raison des sommes énormes en jeu. L'État
pense-t-il, comme nombre d'écrivains, que la littérature doit être
au-delà des lois ? Les magistrats ne poussent guère plus loin
leurs investigations et les jurés, qui ont eu chaud, ne sont guère
plus inquiétés. Pour combien de temps ? » Là encore,
l'enquête d'OBB est avortée ; car on aimerait bien savoir qui
a "suggéré" au garde des Sceaux de rappeler ses limiers.
Encore un président qui s'estime au-dessus des lois en abusant des
carences de la Ve
Constitution (merci, tonton de Gaulle) ? Il n'y a pas que des
sommes énormes qui soient en jeu ; le prestige et le
rayonnement de la France ont bon dos. Mais il est vrai que c'est
apparemment tout ce qui lui reste à revêtir.
5.3 LA CRISE DYNASTIQUE ORGANISÉE ou "Tu n'es plus mon fils, Luke !"
Nous voici en
2001, l'année de tous les pseudo-dangers. Depuis une génération,
les "grands" éditeurs français, pilotés, bousculés ou
rétamés par les gros groupes de diffusion et de distribution, se
déchirent mutuellement ou passent des accords sans lendemain pour
tenter de survivre. C'est l'année où meurt Jérôme Lindon,
directeur-fondateur des éditions de Minuit, instigateur de la loi
Lang, considéré comme la figure idéale de l'éditeur honnête et
respectueux. Bref, l'hallali ayant sonné, la chevalerie française a
perdu avec lui le dernier représentant de sa fine fleur.
Ses petits
écuyers crèvent le long de la route, les moyens parviennent parfois
à dresser la tête hors du fossé pour quelque temps, les gros
continuent leur chemin sans pitié pour les faibles, phagocytant les
moyens, prétextant la nécessité impérieuse de leur
propre survie, évoquant la loi du plus fort (ou du plus apte, s'ils
ont de bons traducteurs) ou encore de celui qui était là avant,
prétendant que chacun pourra continuer à s'exprimer librement, sans
entraves, comme avant, du temps de la "souveraine indépendance".
L'argent manque ;
les actionnaires sont de plus en plus mystérieux, étrangers aux
métiers du livre, voire étrangers tout court. D'anciens marchands
de godasses ou de gâteaux marbrés, de mystérieux notaires surgis
de leur cabinet, se lancent dans l'industrie du bouquin ; des
fabricants d'armes s'offrent une morale à coups de journaux people.
La crise finale n'est pas encore là, mais déjà, on fait des coupes
franches dans les budgets ; les éditeurs sérieux cherchent par
tous les moyens à économiser, c'est-à-dire à licencier du
personnel. Et parfois, on économise tellement que ce qui devait
arriver arrive ; au lieu d'engager le brave ouvrier qui va
travailler vite-fait bien-fait parce qu'il vous a à la bonne, on
tombe sur le semi-escroc ou l'abruti de service qui vous fait
miroiter monts et merveilles mais travaille comme un goret.
En quinze ans
d'expérience dans le MOMIFIE, ma route a croisé un si grand nombre
de gens incompétents que j'ai cessé de m'en étonner aux alentours
de 2008. A vrai dire, l'explication de cet état de faits se trouve
écrite en toutes lettres dans un texte de lois ; mais en
négatif, entre les lignes, prête à être décodée par ceux qui
connaissent ses pièges et ses embûches. En effet, le Code de la
Propriété intellectuelle ne définit pas ce que c'est
qu'être éditeur en France. En réalité, n'importe qui peut
s'introniser éditeur du jour au lendemain, sans examen, sans avoir à
en faire la moindre preuve auprès de qui que ce soit, ni maintenant
ni jamais. Cette profession n'est pas réglementée, ni par la loi ni
par un comité (comme c'est le cas pour les psychanalystes, par
exemple, qui ne constituent pas une profession médicale reconnue
mais qui est auto-réglementée ; les éditeurs, eux, ne
s'auto-règlementent pas, ils s'auto-congratulent). Il suffit pour
cela de faire signer un contrat à un pauvre bougre qui cède un
manuscrit en croyant que c'est un bout de son âme (ce qui est bien
le cas, parfois) et... c'est tout.
Il faut, hélas,
déplorer que le Code de la Propriété intellectuelle ne définisse
pas non plus ce qu'est une traduction valide ou respectueuse (pas
même en termes vagues), laissant cette tâche aux seuls éditeurs,
qui sont libres de choisir leurs traducteurs, lesquels sont à leur
tour libres de s'improviser traducteurs, même s'ils ne l'ont
jamais été, même s'ils n'ont aucune expérience en la matière,
pas même la moindre compétence réelle ; il leur suffit pour
cela de séduire
un éditeur, ou d'être là au bon moment, ou d'attirer son
attention, mais surtout d'accepter de travailler vite et pour pas
cher, en courbant bien bas l'échine quand le patron a ce qu'il
appelle une idée.
Plus de 50 %
des livres publiés en France sont des commandes passées par un
éditeur à un auteur ayant déjà (plus ou moins) fait ses preuves.
L'immense majorité des auteurs contactés par un éditeur pour
effectuer un travail de commande l'acceptent ; pourquoi ?
Parce que c'est mieux payé, parce que c'est presque toujours garanti
par contrat, et parce qu'il est pratiquement impossible de dénicher
un éditeur avec un projet spontané, même si on a déjà été
publié. Chaque année, on l'a vu, trois à quatre millions de
manuscrits transitent par les bureaux des 4.000 et quelques éditeurs
français ; seules 60.000 "nouveautés" seront
publiées finalement (dont la littérature ne représente qu'un tiers
environ). Mais nouveauté n'implique pas forcément nouvel auteur ;
ce peut aussi être une réédition d'un ancien titre, ou une
nouvelle traduction, ou une nouvelle version, ou une réécriture
d'un titre qui n'a pas marché avec changement de titre et pseudo de
l'auteur, etc. Il est en fait impossible de déterminer la part de
nouveautés vraiment originales dans la marée des titres
publiés chaque année en Francacophonie, mais elle ne dépasse pas
les 2.000 titres.
Vous l'aurez
compris : avec la crise économique et la guéguerre de moins en
moins larvée que se livrent les éditeurs français depuis que
l'individu Lagardère s'est autopropulsé éditeur il y a trente ans,
transformant en champ de bataille mortifère ce qui n'était guère
qu'un campus bordélique, il va de soi que le niveau général moyen
de la littérature en France a considérablement baissé ; quant
aux éditeurs, ils sont de plus en plus convaincus (par qui, sinon
par eux-mêmes ?) que la multiplicité des titres multiplie les
chances de faire un succès. Ce qui est aussi débile que de croire
qu'en rajoutant du foin à la botte, on augmente les chances d'y
trouver une aiguille.
Tout obsédés
par la recherche du "nouveau Happy Rotter" ou du "prochain
Bran Down", les professionnels de la profession laissent
allègrement passer (= tomber) les auteurs prometteurs et les bons
artisans du livre (repéreurs de manuscrits, apporteurs d'affaires,
correcteurs, maquettistes, rédacteurs, traducteurs...), leur
"offrant" de si maigres chances de percer qu'elles frisent
le zéro absolu ; pire encore, ils ne remplissent même plus
leur devoir de représentation,
pourtant cédé la mort dans l'âme par l'auteur lors de la signature
du contrat. Leur argument principal, lorsqu'on les met (rarement) au
pied du mur, c'est que si les livres sont vraiment bons, ils n'auront
pas besoin d'être soutenus pour sortir du lot ; passons sur le
fait que cet "argument" était déjà démodé à l'époque
du chevalier Rivarol. Bien sûr, si vous insistez, ils montrent les
crocs et vous envoient paître ; vous avez désormais le droit
d'aller (vous faire) voir ailleurs ou de crever la gueule ouverte, ou
pire : de vous éditer à compte d'auteur (ou sur Internet, bien
sûr, mais ceci est un autre sac de vipères).
Vous ne
connaissez que deux choses, fabriquer et vendre. Fabriquer beaucoup
pour vendre davantage.
Eugène de
MIRECOURT, à Alexandre Dumas père11
5.4 L'ÉDITION À COMPTE D'AUTEUR & LE NÉGRILLAT : deux exemples d'arnaques parfaitement légalisées
Expliquons
maintenant la différence juridique entre la publication à compte
d'éditeur et celle à compte d'auteur, qui ne sont pas à la
littérature ce que "Série Z" et "Grosse
production" sont au cinéma, comme le croient beaucoup de gens.
Les deux formules sont définies par le CPI, à l'article 132. Dans
la première forme (132-1), l'auteur n'engage pas d'argent et cède à
l'éditeur les droits d'exploitation, de reproduction et de
représentation de son livre. C'est-à-dire qu'il n'aura pas ensuite
le droit de le vendre lui-même (c'est le travail du libraire) ni de
le diffuser (c'est au diffuseur de le faire) ni d'en fabriquer
d'autres exemplaires (c'est le boulot de l'imprimeur qui travaille
pour l'éditeur ou le diffuseur, selon le cas). La plupart des
éditeurs, sinon tous, en concluent que cela leur donne le droit
absolu de concevoir la couverture du livre et le matériel
promotionnel. En réalité, c'est faux ; la loi ne le précise
nullement, et ce n'est qu'un usage. Car le droit moral est
incessible, inaliénable et ne regarde que l'auteur, qui a donc
parfaitement le droit de refuser une couverture qui ne lui convient
pas, ou une prière d'insérer stupide (désolé pour le pléonasme ;
et pendant que j'y suis : si vous vous demandez qui rédige les
prières d'insérer, voici la réponse la plus courante : ce
sont des stagiaires, à qui l'éditeur "délègue sa confiance",
généralement en moins de cinq secondes ; normal, puisqu'il a
des "trucs plus importants" à faire).12
L'édition à
compte d'auteur (Art. 132-2) signifie que l'auteur a versé une somme
d'argent à l'éditeur, couvrant partiellement ou totalement les
frais de fabrication. Très souvent, les contrats présentent comme
un avantage le fait que l'auteur pourra, au bout d'un certain délai,
bénéficier d'un rabais pour racheter ses exemplaires invendus.
L'éditeur, dans ce cas, est en fait un simple commanditaire qui est
censé s'occuper des aspects techniques. Dans bien des cas, le
résultat réel d'un tel arrangement est que l'auteur se retrouve
l'heureux propriétaire d'une palette de livres (pas toujours bien
emballés) qu'il devra ensuite vendre à l'unité ou essayer de
placer chez les 15.000 libraires de France13,
qui sont écrasés par la pression des "grands" (entendez
"gros") distributeurs. Car dans ce type de contrat,
l'auteur ne cède pas son droit d'exploitation ; il peut donc
vendre lui-même ses livres et garder le produit intégral de ses
ventes.
On l'aura
compris, dans bien des cas, l'édition à compte d'auteur (que les
Anglophones appellent vanity publishing) sert essentiellement
à exploiter des écrivains putatifs, à leur soutirer leur fortune
personnelle sous prétexte de leur donner une chance. En réalité,
ces chances sont proches du zéro absolu ; les quelques cas de
réussite d'un livre édité ainsi sont encore plus rares que les
miracles chrétiens au XXe siècle. (Le seul auteur
français qui s'en sorte de cette manière ne mérite pas d'être
nommé ici ; avant de se lancer dans l'édition à compte
d'auteur parce qu'aucun éditeur ne voulait plus de lui, il s'était
fait remarquer à la télévision). Il existe en France une
association (une seule : le Calcre, devenu L'oie plate
à la suite d'un sabordage)
dédiée à la défense des auteurs spoliés par des pseudo-éditeurs
abusant de l'article 132-2.
On pourrait se
demander pourquoi la loi française permet à un dispositif aussi
bancal et source d'injustice d'exister. On le comprendra lorsqu'on
saura que les éditeurs classiques (ceux qui pratiquent plutôt
l'article 132-1) ne manquent pas de montrer du doigt les éditeurs
pratiquant le compte d'auteur pour justifier l'état déplorable de
l'édition dans notre beau pays, négligeant ainsi d'avouer qu'ils
n'hésitent pas eux-mêmes à recourir à ces pratiques ; mais
sous des formes beaucoup plus sournoises, difficiles à détecter et
bien entendu quasi légales.
Pour fermer cette
parenthèse, disons que, même s'il est vrai que certains éditeurs
pratiquent l'édition à compte d'auteur honnêtement14,
il faut conseiller à tous les auteurs en herbe de ne signer que des
contrats à compte d'éditeur dûment stipulés (c'est-à-dire
mentionnant expressément qu'ils sont sous le régime de l'article
132-1 du CPI). Cela leur évitera pas mal d'embûches, de pièges et
de chausse-trappes.
Accessoirement,
cette petite différence technique explique pourquoi les livres
écrits par des "nègres" ne sont pas considérés comme
des contrefaçons par la loi française ; en effet, du moment
que les trois parties sont d'accord (l'éditeur, le faux auteur et le
vrai) et ont signé consciemment le contrat qui les lie, la
transaction est valide et ne constitue pas un manquement, un délit
ou une infraction. Détail primordial : ceci n'est vrai que si
ledit contrat est à compte d'éditeur. Les lecteurs fidèles
apprécieront le fait qu'environ 20 % des ouvrages publiés en
France sont écrits par des "nègres", dont l'appellation
officieuse varie de "préparateur en écriture" à
"assistant" en passant par "co-rédacteur".
Une question que
je me suis posé en lisant le livre de Frédéric Rouvillois
(Histoire des Best-Sellers, Flammarion) et qui n'y figure
pas : comment se fait-il que la loi française ne considère pas
le recours à un "nègre" comme une tromperie sur la
marchandise ? Est-ce parce que ce dernier a fatalement signé un
contrat, lequel le lie par une clause de confidentialité ?
Pourtant, il y a bel et bien tromperie ; l'objet vendu n'a pas
été produit par l'individu qui le revendique. Encore un vide
juridique dont on se demande qui il protège réellement, qui en a eu
l'"idée", et qui a réussi à l'imposer malgré son
évidente inconstitutionnalité.
Il faut donc
maintenant expliquer les pièges tendus par les autres éditeurs,
ceux qui sont censés respecter la loi et les auteurs.
5.5 COPYRIGHT VERSUS DROITS D'AUTEUR ou "La crise du droit international"
On saisira tout
le jeu de veule sournoiserie masquée sous l'indignation vertueuse
des éditeurs confrontés à leur nullité, grâce à l'exemple de
querelle soi-disant "bon enfant" survenue au début de
l'année 2012 à François Bon, qui, croyant que les droits étaient
tombés dans le domaine public, avait publié sur Internet une
nouvelle traduction du Vieil homme et la mer d'Ernest
Hemingway, et que Gallimard fit supprimer à grands renforts de
propagande (pardon, de buzz internautique) sous prétexte
qu'eux seuls détenaient les droits de publication d'une traduction.
Le résultat net de cette opération sourdement médiatique est que
les Français n'ont toujours pas de bonne traduction de ce
chef-d'œuvre à leur disposition et doivent se contenter de la
bouse lamentable commise à l'époque par l'académique Jean Dutourd
(de cochon ?).
Autre exemple de
pratique insidieuse reposant sur l'ignorance du public : la SGDL
pratique la "protection de manuscrits" payante (40 €
pour protéger un manuscrit pendant quatre ans, à quoi s'ajoutent
les frais de photocopie, de reliure et d'envoi). En réalité, ce
service n'offre rien de spécial, puisque la loi française garantit
qu'une œuvre artistique est protégée du moment qu'elle est
créée ; c'est d'ailleurs
cela qui agace les Anglo-Saxons, pour lesquels une œuvre n'est
protégée qu'à partir du moment où elle rapporte de
l'argent. En cas de litige, il revient à l'auteur de prouver
l'antériorité de sa création auprès d'un tribunal civil. En
l'occurrence, la valeur d'une protection payante n'est pas supérieure
à celle d'un envoi postal
auto-adressé (encore faut-il s'assurer de la lisibilité du
cachet) ni à celle des témoignages
portés par des gens ayant assisté au processus créatif. En
dernière analyse, c'est toujours un juge qui tranche ; l'issue
d'un procès dépend donc entièrement des faits prouvés et
de l'opinion finale de ce
juge.
L'ouvrier en
livres, comme je l'ai nommé, tout
glorieux qu'il doit être après la vie, ne marche que
d'escalade en escalade, et son repos est perdu quand il a tenté le
passage d'une barrière qu'il n'a pu franchir. Il est donc aussi faux
de dire : Carrière des lettres qu'il le serait de dire :
Carrière de l'imagination ; il n'y a que des fantaisies
immortelles inspirées à de rares intervalles. Il ne dépend point
assurément des corps législatifs de changer rien à cette loterie
[...] mais il dépend d'eux de donner aux travailleurs de la pensée
la consolation de voir constituer du moins la propriété des œuvres
enfantées par d'honorables labeurs.
Alfred de VIGNY,
Lettre à Messieurs les Députés, La Revue des deux mondes, 5
janvier 1841
Plus d'un siècle
et demi plus tard, rien n'a changé, mon cher Alfred. A part en
Irlande (libre), où certains écrivains sont (décemment) rémunérés
par l'Etat, sans contrepartie idéologique. Mais ce n'est peut-être
qu'une légende...
__________________________________________________________________
1
Le diffuseur est un "communicant" professionnel
chargé par l'éditeur de mettre en place les campagnes de promotion
du livre (informations, interviews, critiques, visites, séances de
signature, foires du livre, etc.) ; le distributeur est
chargé de stocker les livres et de les acheminer aux libraires et
aux clients selon les commandes. Souvent, ces deux aspects du métier
sont liés et gérés par la même entreprise, mais pas toujours.
Les gros éditeurs ont pris depuis longtemps la précaution de
regrouper toutes leurs activités sous la même égide, ce qui leur
a évité d'être pris à la gorge et leur a permis de survivre aux
années 1990. Mais tous n'ont pas pu se le permettre, soit par
manque de finances, soit - plus rarement - par excès de
scrupules.
2« [Fin
1973], le SNE et la FFSL ont commandé une étude sur les
conséquences du discount dans le monde du livre à un expert
en marketing, Georges Chetochine. Celui-ci n'a pas été long à
faire remarquer que les livres à rotation rapide risquaient
d'échapper de plus en plus à la librairie traditionnelle si les
grandes surfaces pratiquant des démarques se développaient, tuant
à petit feu le commerce classique et la littérature de création. »
(in Olivier Bessard-Banquy). Les gens du milieu savaient donc
parfaitement à quoi s'en tenir, dès le début du
septennat de Giscard. Ils auraient eu tout le temps de
s'organiser pour se défendre... et se sont bien abstenus de le
faire, jusqu'à ce que Jérôme Lindon parvienne à convaincre Jack
Lang de bouger le petit doigt ; dix ans avaient passé.
3
Pour les détails et toute sorte d'éclaircissements sur cette
période (entre autres), je renvoie à l'ouvrage de Thierry
Discepolo paru aux éditions Agone en 2011 : La trahison des
éditeurs. Ce livre montre, entre autres choses, comment un seul
éditeur français (Hachette) possède depuis 1840 l'exclusivité
des points de vente dans les gares (et dans le métro depuis 1906).
Frédéric Rouvillois montre quant à lui comment le petit éditeur est devenu gros grâce à un coup d'État industriel : « Lorsque la loi Guizot est adoptée, Hachette est fin prêt, et en 1835, il reçoit une commande fabuleuse : 500.000 alphabets des écoles, 100.000 livres élémentaires de lecture, 40.000 arithmétiques de Vernier, 40.000 géographies et 40.000 Histoire de France de Mme de Saint-Ouen – un titre qu'il avait opportunément racheté trois ans plus tôt à un libraire de Nancy, et dont la maison Hachette vendra en un demi-siècle, plus de 2.276.000 ex., soit pour ce seul titre, à peu près l'équivalent des ventes d'Alexandre Dumas durant la même période. » Dois-je souligner le mot "opportunément" ?
Si vous rencontrez un éditeur qui admire Louis Hachette, ne commettez surtout pas l'erreur de croire que c'est un humaniste bon teint.
Et puisque nous en sommes aux passe-droits : en 1981, Jean-Luc Lagardère bénéficia d'une dérogation de dépôt d'OPA lors de sa reprise d'Hachette. Matra devint actionnaire du groupe éditorial à 83 %. Bien entendu, il n'a jamais été inculpé de délit d'initié.
Frédéric Rouvillois montre quant à lui comment le petit éditeur est devenu gros grâce à un coup d'État industriel : « Lorsque la loi Guizot est adoptée, Hachette est fin prêt, et en 1835, il reçoit une commande fabuleuse : 500.000 alphabets des écoles, 100.000 livres élémentaires de lecture, 40.000 arithmétiques de Vernier, 40.000 géographies et 40.000 Histoire de France de Mme de Saint-Ouen – un titre qu'il avait opportunément racheté trois ans plus tôt à un libraire de Nancy, et dont la maison Hachette vendra en un demi-siècle, plus de 2.276.000 ex., soit pour ce seul titre, à peu près l'équivalent des ventes d'Alexandre Dumas durant la même période. » Dois-je souligner le mot "opportunément" ?
Si vous rencontrez un éditeur qui admire Louis Hachette, ne commettez surtout pas l'erreur de croire que c'est un humaniste bon teint.
Et puisque nous en sommes aux passe-droits : en 1981, Jean-Luc Lagardère bénéficia d'une dérogation de dépôt d'OPA lors de sa reprise d'Hachette. Matra devint actionnaire du groupe éditorial à 83 %. Bien entendu, il n'a jamais été inculpé de délit d'initié.
4
Encore que... Hetzel, l'éditeur de Jules Verne, avait réussi à
lui faire signer un contrat par lequel l'écrivain n'était payé
que sur les exemplaires non illustrés de ses livres ; c'était,
bien sûr, ceux qui se vendaient le moins.
5
Cf. l'ouvrage savoureux de Pierre Jourde : La littérature
sans estomac, L'esprit des péninsules, 2002.
6
Je parle des livres, bien sûr, pas des auteurs. Cette confusion est
fort répandue dans les esprits de nos "amis" éditeurs,
lesquels n'ont que rarement pris des cours de droit éditorial. J'en
connais même qui ignorent l'existence d'une telle notion.
7D'ailleurs,
il n'y a pas de Nobel de mathématique parce que la femme d'Alfred
Nobel l'avait quitté pour un mathématicien, ce qui prouve que
l'inventeur de la dynamite était vachement mature... pour un
adulte.
8
Quatre-vingt éditeurs regroupés dans un dépôt de 50.000 m² ;
1 million d'ouvrages et 20.000 colis expédiés chaque jour.
9Cf.
la façon répugnante dont mon roman Le Sang de Robespierre a
été traité par la Sodis lors de sa sortie en juin 2014. Mon
éditeur en a fait une jaunisse, et aucun livre de son catalogue n'a
été distribué en librairies.
10
Attention, je n'ai pas écrit "de".
11
Attaqué en justice par Dumas, Mirecourt sera condamné. (Toute
coïncidence avec un slogan politique du quinquennat 2007-2012 est
purement "fortuite".)
12Techniquement,
ce droit moral s'exerce de la manière suivante : avant
d'expédier la maquette du livre à l'imprimeur, l'éditeur doit
soumettre le résultat final à l'auteur, et seul l'accord de ce
dernier entraînera l'étape suivante, la fabrication du livre. On
appelle cela "signer le Bon à Tirer". Les lecteurs
apprécieront le fait qu'en dix ans et six publications, je n'ai
jamais signé ni même vu un seul Bon à Tirer. Pour la bonne et
simple raison que le Bon à Tirer n'est pas un objet concret, un
document que vous recevez, que vous pouvez toucher, signer et
renvoyer par la poste ou par e-mail. En réalité, ce n'est qu'une
façon de parler, qui désigne l'accord délivré par l'auteur.
C'est précisément le flou maintenu sur ce point qui permet à un
éditeur indélicat de prétendre que le Bon à Tirer a bien été
"donné" par l'auteur - alors que ce dernier n'a fait
qu'émettre des doutes, poser une question, jugé la couverture mal
finie, etc. Quant aux traductions, non seulement leurs éditeurs ne
m'ont jamais consulté pour le document final, mais ils n'ont pas
non plus consulté l'auteur original.
En ce qui concerne mes éditeurs
précédents, tout au plus ai-je eu droit à une conversation
téléphonique "urgente", pour "vérifier les
derniers détails", lesquels ont rarement voire pas du tout été
pris en compte dans la maquette finale. Autrement dit, en termes
strictement légaux, tous ces livres ont été publiés sans mon
accord plein et entier. Bien entendu, tous les éditeurs
travaillent à l'arraché, soumettent les épreuves à l'imprimeur
au dernier moment possible et ont donc beau jeu de mettre l'auteur
au pied du mur, quand ce n'est pas devant le fait accompli. Les
"délais d'impression" sont l'alibi le plus utilisé par
les responsables d'édition.
13Ce
chiffre varie selon que l'on prend en considération tous les points
de vente où l'on trouve des livres, et peut aller jusqu'à 20.000
en estimant large. Les librairies à proprement parler sont de
l'ordre de 3.500 (sachant qu'il n'y en a plus que 1.300 en
Grande-Bretagne ; calculez les chances de survie de la
librairie en France...).
14
C'est le cas de L'Harmattan, qui publie de très nombreux ouvrages à
caractère technique confidentiel dont les éditeurs "normaux"
ne voudraient pour rien au monde. Corollaire négatif de cette
activité : de nombreux auteurs publiés chez cet éditeur
déplorent que la reddition des comptes annuelle n'est pas toujours
(voire jamais) assurée.
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