Juge !
(au
fait, quel est le diminutif de ce mot ? Juju ? Jugeot ?
Jugeotte, au féminin ? Je plaisante, bien sûr. Rien de
péjoratif dans ma démarche. Sois-en assuré|e. D'ailleurs, je ne te
tutoie pas par mépris mais par républicanisme exacerbé.)
Or,
donc : Juge !
Tu
nous demandes, à nous les réprouvés de la République française,
les parias, les exilés intérieurs, de t'expliquer en termes précis
pourquoi nous, les vingt-cinq mille plaignants contre l'Etat français
actuel, nous sentons opprimés par les mesures illégales,
anti-constitutionnelles, liberticides, scélérates et dégueulasses
du décret N° tant instaurant le passe sanitaire obligatoire dans
les lieux dits de vie sociale. Tu veux savoir en quoi cela nous
empêche de vivre et de respirer pleinement, de voir qui bon nous
semble où bon nous semble, d'aller où nous avons besoin d'aller,
bref, d'être libres.
Normalement,
quelques indices glissés dans ma phrase précédente devraient te permettre de
répondre toi-même à ta question ; après quoi, tu n'aurais
plus qu'à faire ton métier (qui a la réputation d'être beau,
noble et utile à tous) puis exercer le pouvoir correspondant aux
hautes responsabilités qui t'incombent (responsabilités qui te
donnent droit à un salaire sympathique et quelques avantages
afférents, notamment celui d'ignorer la peur du chômage), pouvoir qui te permet(trait) de condamner l'Etat français à
payer une dette sociale pour sa forfaiture et des dommages-intérêts
à ses victimes. Au lieu de quoi, tu veux que l'on t'explique quel
est le problème. Voire, où il est. Voire, s'il y a réellement un
problème.
C'est
pourtant simple : le problème est là. Juste là. Sous ton nez.
Là où tu ne regardes pas. Le problème, c'est toi. Toi aussi,
devrais-je ajouter. Toi qui, du haut de ton siège des hautes oeuvres
de la république, poussé|e par un doute dont on peut se permettre
de questionner l'origine, te permets de tergiverser, de gagner du
temps (c'est-à-dire, de nous en faire perdre tout en permettant aux
criminels de s'échapper), de repousser aux calendes grecques et de
diluer la justice sociale dans le néant et l'indifférence d'un
public anesthésié, d'une presse aux genoux bien lustrés, d'une
police barbarisée, d'une justice opportunément aveugle, sourde et
ventriloque.
Corruption ?
Duplicité ? Stupidité ? Conflit d'intérêts ?
Folie ? Prétention ? Crise de moraline aiguë ? Peu
importent, franchement, la ou les raisons de ton refus de nous aider
à temps ; ces influences que tu subis (à ton insu, peut-être ;
il a bon dos, ton inconscient ; de loin, on dirait un chat qui
ronronne) sont si nombreuses, diffuses, clandestines, inavouables,
que tout (littéralement, tout) est possible. Tu peux même aller
jusqu'à être intimement convaincu|e que tes raisons sont justes,
valables, bonnes et mûrement réfléchies.
Hélas,
pour résumer : tu as tort.
Quoi
que tu dises, quoi que tu penses, quoi que tu fasses maintenant ou
plus tard, tu as tort, irrémédiablement tort. Parce qu'il sera trop
tard. Il est déjà trop tard. Tout comme ces chefs d'Etats qui ne
représentent plus rien ni personne, qui jettent des pièces dans une
fontaine pour faire croire aux imbéciles qu'ils font quelque chose
pour retarder la fin de l'Humanité, ce que tu fais est entièrement,
définitivement, inéluctablement inutile, vain et je-m'en-foutiste.
Avec
les gens comme toi (ceux qui croient aux vertus du système en place,
comme un religieux croient que ses évangiles disent la vérité), il
est toujours trop tard. C'est même votre raison d'être, votre
fonction première et dernière, votre credo ultime et absolu,
indépassable et imputrescible : agir, oui, parce que c'est ce
qu'on vous demande et ce pour quoi on vous paye, mais agir toujours
trop tard ; quand ça ne sert plus à rien ; quand les
victimes sont mortes. Cela vous permet de garder la conscience
tranquille et de conserver vos rémunérations, votre statut social,
vos amis/alliés ; et surtout, votre train de vie, celui-là
même qui vous permet d'échapper à la misère, cette malédiction
qui vous terrorise plus qu'un virus vaguement dangereux, plus que la
guerre, plus que l'inconnu, plus que votre ombre.
C'est
pourquoi, juge Trottard, je n'ai pas l'intention de te répondre, de
t'expliquer ton travail, de t'obliger à faire ce que tu n'as pas la
moindre intention de t'abaisser à faire. Tu n'as pas, tu n'as jamais
eu, tu n'auras jamais la moindre intention de m'écouter, encore
moins de m'entendre.
Va
ton petit bonhomme de chemin, juge Trottard ; l'avoine qui sera
ta récompense t'attend à l'étable, ainsi que ton seau d'eau
croupie ; peut-être même, si ton dieu-patron est de bonne humeur, que tu
pourras lécher un peu de sel. Tu pourras alors braire tout ton soûl
que la société humaine est bien faite car le bonheur de tous
s'obtient grâce au sacrifice de quelques-uns.
Et le plus important pour toi, c'est de ne pas faire partie de ces quelques-uns, pas vrai ?