Soul pleureur |
Par
une belle après-midi de printemps, sur le Prado à Marseille, j'ai
croisé une vieille femme, une terriblement décrépite et usée
vieille vieille femme, comme seule la misère la plus poisseuse sait
les fabriquer, une de ces femmes pauvres au-delà de toute
expression, une femme que la société roule et triture entre les
doigts gras et sans pitié de sa structure imparfaite qui hurle sa
prétendue beauté pour ne pas entendre les cris de ceux qui
grouillent de faim. Elle avait, cette femme, les jambes de la mort
qui lui pendaient aux épaules, et toute une rangée de dents jaunes
ricanaient sur son bonnet raide de crasse.
Elle
ne marchait pas ; elle ne marchait plus. Dans son poing gauche,
il y avait un parapluie déglingué couleur de plaie infectée. Dans
sa main droite, il n'y avait rien. Il y avait eu auparavant un sac de
plastique gonflé de mille trucs invisibles dont une marmaille
orpheline n'aurait pas voulu pour meubler un terrain vague. Les yeux
de la vieille étaient posés sur le sac comme des allumettes déjà
brûlées qu'un aveugle continuerait à frotter, pour se réchauffer
à leur bruit. Le sac collait à la terre avec la gravité d'une
enclume. La vieille vacillait parfois en avant mais revenait en
arrière, parce que le sac ne bougeait pas, il ne montait pas dans sa
main, il ne faisait rien. Il restait sac, obstinément.
Je
faillis faire un pas dans sa direction, l'aider à porter son sac.
Pour aller où ?
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