à
Aïnhoa Equis,
Olivier Montanari
& Marilou Grattini,
disparus sans rien dire
Olivier Montanari
& Marilou Grattini,
disparus sans rien dire
* * *
« Sois sage et sois sans indulgence. »
(Albertine S.)
« Quiconque compose un programme
de société future est réactionnaire. »
(Karl M.)
« Schedièn anemoisi pheresthai callipe. »
(H.)
* * *
Prologue
Guilhem
est dans une cellule. Pas parce qu'il est moine, mais parce qu'il est
en prison.
Il a dix-sept ans, Guilhem, et avoir dix-sept ans en prison, ce n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler le plus bel âge de la vie.
Il n'est pas seulement au poste de police ou en maison de correction, non ; il est en prison. De nos jours, c'est comme ça que ça se passe.
Depuis presque une semaine, il cherche à comprendre ce qui lui arrive, ce qui s'est passé. Il ne comprend pas. Il ne sait pas pourquoi il est en prison.
D'accord, il a giflé une fille. En public. Bon. Après, elle est partie en courant, puis elle a...
On ne peut quand même pas mettre quelqu'un en prison pour une simple gifle ? Surtout un mineur ?
Si, aujourd'hui, on peut. C'est comme ça, maintenant. Apparemment. Qu'est-ce qu'il y connaît ?
Guilhem se tient la tête à deux mains pour ne pas voir les quatre murs qui l'entourent, ni les quatre lits, superposés deux à deux. Les trois autres ne sont pas occupés. Ça non plus, il ne le comprend pas. Il croyait que les prisons étaient pleines à craquer, on lui raconte partout qu'on « refuse du monde », au point qu'il est « urgent d'en construire d'autres ». Alors, pourquoi est-il seul ?
Il n'y a qu'une explication possible : c'est que Guilhem n'est pas n'importe qui. Il n'est pas important en soi, mais son père l'est. D'ailleurs, celui-ci le lui rappelle assez souvent.
Son père est le maire démocratiquement élu d'un gros village, qui n'est pas n'importe quel village. C'est le village qui tient tête à la GFM (grosse figure médiatique) de la région ; le fameux socialiste, lui, là. Celui qui est toujours au milieu des photos de groupe, un peu au-dessus des autres, et mieux éclairé, mieux maquillé, mieux payé.
Bien sûr, s'il lui tient tête, au socialiste, c'est parce qu'il est de droite, son père. Sauf que, lui Guilhem, il s'en fout de la politique. Il veut faire des études de beaux-arts après son bac, s'il réussit à l'avoir (son père lui a garanti qu'il l'aurait ; « Tu m'entends ? Ga-ran-ti ! »). Pas besoin d'avoir une conscience politique pour faire les beaux-arts ; c'est ce que lui a seriné sa prof de dessin, au lycée.
Un jour, son père lui a dit que, même s'il ne faisait pas de politique, Guilhem n'avait pas le choix, en réalité. Que la politique le faisait, lui, et qu'elle le rattraperait partout où il irait, comme tout le monde. Parce que non seulement, il était le fils du maire adverse, mais aussi le fils du chef de file de l'opposition régionale, et donc certainement le fils du prochain maire de la préfecture, et sans doute du prochain député ; et même, pourquoi pas ? du prochain... Non, en vérité, il n'avait pas osé prononcer les mots « président de la république ». Ç'aurait été un blasphème. Parce qu'en plus d'être maire et de droite, son père est superstitieux.
Ce jour-là, Guilhem n'a pas osé dire à son père qu'il s'en foutait encore plus que d'habitude parce qu'il était amoureux. Il aurait fallu qu'il explique de qui il était amoureux, et ça, ce n'était franchement pas possible.
Il a dix-sept ans, Guilhem, et avoir dix-sept ans en prison, ce n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler le plus bel âge de la vie.
Il n'est pas seulement au poste de police ou en maison de correction, non ; il est en prison. De nos jours, c'est comme ça que ça se passe.
Depuis presque une semaine, il cherche à comprendre ce qui lui arrive, ce qui s'est passé. Il ne comprend pas. Il ne sait pas pourquoi il est en prison.
D'accord, il a giflé une fille. En public. Bon. Après, elle est partie en courant, puis elle a...
On ne peut quand même pas mettre quelqu'un en prison pour une simple gifle ? Surtout un mineur ?
Si, aujourd'hui, on peut. C'est comme ça, maintenant. Apparemment. Qu'est-ce qu'il y connaît ?
Guilhem se tient la tête à deux mains pour ne pas voir les quatre murs qui l'entourent, ni les quatre lits, superposés deux à deux. Les trois autres ne sont pas occupés. Ça non plus, il ne le comprend pas. Il croyait que les prisons étaient pleines à craquer, on lui raconte partout qu'on « refuse du monde », au point qu'il est « urgent d'en construire d'autres ». Alors, pourquoi est-il seul ?
Il n'y a qu'une explication possible : c'est que Guilhem n'est pas n'importe qui. Il n'est pas important en soi, mais son père l'est. D'ailleurs, celui-ci le lui rappelle assez souvent.
Son père est le maire démocratiquement élu d'un gros village, qui n'est pas n'importe quel village. C'est le village qui tient tête à la GFM (grosse figure médiatique) de la région ; le fameux socialiste, lui, là. Celui qui est toujours au milieu des photos de groupe, un peu au-dessus des autres, et mieux éclairé, mieux maquillé, mieux payé.
Bien sûr, s'il lui tient tête, au socialiste, c'est parce qu'il est de droite, son père. Sauf que, lui Guilhem, il s'en fout de la politique. Il veut faire des études de beaux-arts après son bac, s'il réussit à l'avoir (son père lui a garanti qu'il l'aurait ; « Tu m'entends ? Ga-ran-ti ! »). Pas besoin d'avoir une conscience politique pour faire les beaux-arts ; c'est ce que lui a seriné sa prof de dessin, au lycée.
Un jour, son père lui a dit que, même s'il ne faisait pas de politique, Guilhem n'avait pas le choix, en réalité. Que la politique le faisait, lui, et qu'elle le rattraperait partout où il irait, comme tout le monde. Parce que non seulement, il était le fils du maire adverse, mais aussi le fils du chef de file de l'opposition régionale, et donc certainement le fils du prochain maire de la préfecture, et sans doute du prochain député ; et même, pourquoi pas ? du prochain... Non, en vérité, il n'avait pas osé prononcer les mots « président de la république ». Ç'aurait été un blasphème. Parce qu'en plus d'être maire et de droite, son père est superstitieux.
Ce jour-là, Guilhem n'a pas osé dire à son père qu'il s'en foutait encore plus que d'habitude parce qu'il était amoureux. Il aurait fallu qu'il explique de qui il était amoureux, et ça, ce n'était franchement pas possible.
Quelques
jours après, tout a salement dérapé. Et Guilhem a fini en prison.
Comme au Monopoly, mais en moins drôle : il a plutôt
l'impression d'être à la place du pion. Il est donc ici ;
entre quatre murs, et autant de lits superposés deux à deux.
S'il avait un peu plus d'expérience, il saurait que, normalement, on n'aurait pas dû lui laisser ses vêtements normaux. Mais il ne fait pas de politique ; et il ne fait pas de droit non plus. Alors, il ne le sait pas. Honnêtement, il ne sait pas grand-chose, Guilhem. Il faut dire qu'il regarde beaucoup la télévision.
Jusqu'à cet après-midi, il était en garde à vue prolongée. Mais à deux heures, un maton est venu le chercher pour lui dire qu'il avait une visite. C'était son avocat. Pas son père, non ; celui-ci ne pouvait pas se déranger. Mais il avait envoyé un avocat, qui, avant tout, avait expliqué pourquoi son père ne pouvait pas se déranger pour son fils en prison.
Il a écouté l'avocat pendant une demi-heure sans comprendre. Celui-ci est parti ensuite en arborant un air très contrarié, presque triste. Guilhem a un peu vomi dans un coin du parloir avant d'être raccompagné à sa cellule par le maton. Il ne sait pas pourquoi il a vomi. C'est venu comme ça, d'un coup. Le maton ne l'a même pas engueulé ; c'est dire si c'est grave.
Avant que la porte de sa cellule ne se referme, il a demandé au maton ce que voulait dire « inculpé d'homicide par imprudence ». Le maton le lui a dit : il risque vingt ans. Guilhem a mis tout l'après-midi à comprendre ce que cela impliquait : elle est morte.
Il l'a seulement giflée, elle est partie en courant, et elle est...
Il rit tout seul dans sa cellule. Il pleure aussi. Depuis le départ de l'avocat, il a la nausée. Le soir venu, il s'imagine vivre toute sa vie en ayant la nausée. Est-ce que c'est seulement possible ? Il se souvient qu'elle lui a raconté une chose horrible ; que pendant trois ans, sa mère avait vécu sur un voilier, à faire le tour du monde avec son mari ; et qu'elle avait eu le mal de mer tout le temps, en permanence. Pendant trois ans. Même quand ils faisaient escale à terre, il lui fallait une semaine avant que la nausée disparaisse.
Alors oui, se dit Guilhem, on doit parfaitement pouvoir vivre toute sa vie avec la nausée au ventre. Et ça le fait rire, pleurer et gémir tour à tour, tout seul dans sa cellule pour quatre.
Au milieu de la nuit, il a fait une boucle avec la ceinture qu'on lui a laissée ; pour s'occuper les doigts. À une heure, il a passé la tête dans la boucle, pour s'occuper le cou, et il a serré. D'un coup de poignet, il a coincé la ceinture dans un montant du lit qu'il s'est choisi, celui du haut, à gauche en entrant. À deux heures, il s'est laissé tomber dans le vide. Un mètre soixante, s'est-il peut-être dit, c'est pas la mer à boire ; surtout quand on mesure un mètre quatre-vingt.
Il a oublié de tenir compte de la hauteur de sa tête. Du coup, ses pieds n'atteignaient pas le sol. Au début, il a eu l'air surpris. Il s'est débattu, par réflexe. Ses pieds ont frappé le lit du dessous, par principe. Peut-être qu'ils ont essayé de lui sauver la vie. Peine perdue. Personne n'est venu. Il s'est résigné. Le seul point positif, dans tout ça, c'est que la nausée disparaissait peu à peu.
Il n'est pas mort tout de suite. Sa dernière pensée a été pour elle.
C'est ce qu'on dit, en général, par consolation.
S'il avait un peu plus d'expérience, il saurait que, normalement, on n'aurait pas dû lui laisser ses vêtements normaux. Mais il ne fait pas de politique ; et il ne fait pas de droit non plus. Alors, il ne le sait pas. Honnêtement, il ne sait pas grand-chose, Guilhem. Il faut dire qu'il regarde beaucoup la télévision.
Jusqu'à cet après-midi, il était en garde à vue prolongée. Mais à deux heures, un maton est venu le chercher pour lui dire qu'il avait une visite. C'était son avocat. Pas son père, non ; celui-ci ne pouvait pas se déranger. Mais il avait envoyé un avocat, qui, avant tout, avait expliqué pourquoi son père ne pouvait pas se déranger pour son fils en prison.
Il a écouté l'avocat pendant une demi-heure sans comprendre. Celui-ci est parti ensuite en arborant un air très contrarié, presque triste. Guilhem a un peu vomi dans un coin du parloir avant d'être raccompagné à sa cellule par le maton. Il ne sait pas pourquoi il a vomi. C'est venu comme ça, d'un coup. Le maton ne l'a même pas engueulé ; c'est dire si c'est grave.
Avant que la porte de sa cellule ne se referme, il a demandé au maton ce que voulait dire « inculpé d'homicide par imprudence ». Le maton le lui a dit : il risque vingt ans. Guilhem a mis tout l'après-midi à comprendre ce que cela impliquait : elle est morte.
Il l'a seulement giflée, elle est partie en courant, et elle est...
Il rit tout seul dans sa cellule. Il pleure aussi. Depuis le départ de l'avocat, il a la nausée. Le soir venu, il s'imagine vivre toute sa vie en ayant la nausée. Est-ce que c'est seulement possible ? Il se souvient qu'elle lui a raconté une chose horrible ; que pendant trois ans, sa mère avait vécu sur un voilier, à faire le tour du monde avec son mari ; et qu'elle avait eu le mal de mer tout le temps, en permanence. Pendant trois ans. Même quand ils faisaient escale à terre, il lui fallait une semaine avant que la nausée disparaisse.
Alors oui, se dit Guilhem, on doit parfaitement pouvoir vivre toute sa vie avec la nausée au ventre. Et ça le fait rire, pleurer et gémir tour à tour, tout seul dans sa cellule pour quatre.
Au milieu de la nuit, il a fait une boucle avec la ceinture qu'on lui a laissée ; pour s'occuper les doigts. À une heure, il a passé la tête dans la boucle, pour s'occuper le cou, et il a serré. D'un coup de poignet, il a coincé la ceinture dans un montant du lit qu'il s'est choisi, celui du haut, à gauche en entrant. À deux heures, il s'est laissé tomber dans le vide. Un mètre soixante, s'est-il peut-être dit, c'est pas la mer à boire ; surtout quand on mesure un mètre quatre-vingt.
Il a oublié de tenir compte de la hauteur de sa tête. Du coup, ses pieds n'atteignaient pas le sol. Au début, il a eu l'air surpris. Il s'est débattu, par réflexe. Ses pieds ont frappé le lit du dessous, par principe. Peut-être qu'ils ont essayé de lui sauver la vie. Peine perdue. Personne n'est venu. Il s'est résigné. Le seul point positif, dans tout ça, c'est que la nausée disparaissait peu à peu.
Il n'est pas mort tout de suite. Sa dernière pensée a été pour elle.
C'est ce qu'on dit, en général, par consolation.
En réalité, on n'en
sait rien.
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