mardi 26 mars 2013

SHERLOCK & WATSON # 4 : Les Pies qui chantent



Photo DR



SHERLOCK HOLMES : Watson! Mais que faites-vous donc?
DOCTEUR  WATSON: J’ai perdu ma paire de jumelles. Je range donc notre appartement.
SHERLOCK HOLMES : Profitez-vous toujours de mon absence pour flanquer le souk là où vous ne devriez pas?
DOCTEUR  WATSON: Je range votre souk et le rangerais tant que je n’aurais pas retrouvé mes jumelles en laiton.
SHERLOCK HOLMES : Êtes-vous certain de les avoir perdues? Ne vous les a-t-on pas plutôt dérobées?
DOCTEUR  WATSON: Pourquoi me les aurait-on volées? Je les range toujours par ici dans une boîte en noyer.
SHERLOCK HOLMES : Vous rangez tout où bon vous semble: j’ai retrouvé votre chapeau sur le réservoir de nos commodités.
DOCTEUR  WATSON: Je l’y avais oublié. Ah! Voilà leur boîte! Dire que je les tiens de mon aïeul.
SHERLOCK HOLMES : Votre étourderie vous perdra. Qu’y a-t-il dedans?
DOCTEUR  WATSON: Une cuillère à marmelade. Que fait-elle là?
SHERLOCK HOLMES : Vous l’y avez sûrement rangée. Votre chevalière était dans le beurrier, ce matin.
DOCTEUR  WATSON: Diable! Quelle tête en l’air je fais!
SHERLOCK HOLMES : Reprenons : où étiez-vous hier soir, vers 17 heures?
DOCTEUR  WATSON: Chez Lady Bloomberry. Pour prendre le thé, en tout bien tout honneur.
SHERLOCK HOLMES : Voilà donc d’où provient cette cuillère. Qu’avez-vous fait ensuite ?
DOCTEUR  WATSON: Je me suis rendu au club pour une partie de cartes. Mais je ne me souviens plus de mes gains, car…
SHERLOCK HOLMES : Car vous êtes revenu ivre et au bras de Miss Appletone.
DOCTEUR  WATSON: Impossible! Miss Appletone et moi avons rompu toute relation il y a un mois.
SHERLOCK HOLMES : Lorsque vous avez rencontré Lady B., sa plus proche amie. Lily est-il le prénom de l’une d’entre elles?
DOCTEUR  WATSON: C’est celui de Miss Appletone, pourquoi?
SHERLOCK HOLMES : Vous le murmuriez cette nuit en vomissant dans nos commodités la drogue qu’elle vous a fait ingérer hier.
DOCTEUR  WATSON: Diantre! Les chamelles! S’en prendre à moi ainsi, pour une histoire de cœur!
SHERLOCK HOLMES : Et pour retirer la chevalière de votre doigt gonflé, vous avez utilisé le beurre du breakfast.
DOCTEUR  WATSON: Où est cette voleuse de Lily Appletone?
SHERLOCK HOLMES : Elle observait la Tour de Londres, depuis l’autre berge de la Tamise, il y a une heure déjà.
DOCTEUR  WATSON: Holmes, ne pouviez-vous pas le dire plus tôt?!
SHERLOCK HOLMES : C’est ma revanche, Watson. Je déteste qu’on glisse ses doigts dans le beurre de mon breakfast.
DOCTEUR  WATSON: Je n’ai pas le temps pour vos sautes d’humeur; je cours à la City.
SHERLOCK HOLMES : Prenez garde tout de même, je crains que nos deux pies voleuses ne nous préparent autre chose.

vendredi 22 mars 2013

Dans Autodafé, il y a "auto" ou "soi" ?

Dans les films et les romans dits romantiques, quand on voit le protagoniste jeter ses Mémoires au feu (ou ceux de son rival, qui a eu la maladresse de le désigner son héritier), on se dit que tout cela est un peu grandiloquent; un peu gothique. Et pourtant, croyez-moi sur parole, ça fait quelque chose.
Eh bien, voilà. C'est fait. Au cours de la semaine écoulée, j'ai brûlé près de cent kilos d'archives personnelles.
Bon. Un cinquième de documents administratifs sans intérêt. Pas grave. Normal. Jusqu'ici, tout va bien.

3. Lettre d’Euclide Pattel à Doxa



Les Assiduités exemplaires
une pasquinade anonyme


L'homme de douleurs
Maerten van Heemskerck (c. 1530)


VXXXLCCC / IXLCCC / XLCCC / XXCC / XXICC / IVCC / IV

à Leyde
par la Confrérie des Bouteilles3
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3. Lettre d’Euclide Pattel à Doxa

Vaux-le-Pénil, en ce lundi 1er octobre 1657

Chère "Doxa",
c’est à la suite de plusieurs jours de recherche assidue que je suis parvenu à obtenir votre adresse et votre identité, au prix d’un sacrifice que je vous décrirai plus bas dans ma lettre (rassurez-vous, je n’ai pas eu à me séparer d’une bourse bien pleine - encore que je connaisse bien des gens qui n’auraient su résister à un tel argument).
La raison pour laquelle je vous ai cherchée et démasquée, je vais vous la dire maintenant, car je tiens à écarter toute possibilité de quiproquo. Le mieux est que je fasse comme si je ne savais pas qui vous êtes ; ce qui, à tout prendre, est presque le cas.
Tout a donc commencé chez Mme de Mont., chez qui je me trouvais le 22 septembre dernier. Comme vous le savez fort bien, elle organise - hélas, irrégulièrement ! mais elle argue que la routine tue l’ardeur, ce qui se conçoit - dans sa maison de campagne de F***y, des fêtes galantes où les plaisirs de la chère le disputent à ceux de la chair. J’en suis un habitué des plus assidus, Mme de Mont. ayant été mon amante tout au long de ses deux mariages (et même avant, mais c’est là un secret que je vous confie pour vous prouver que je me livre à vous corps et biens - ne l’ébruitez pas, ce secret ; il mordille encore un peu).
Pour être honnête, je faillis bien ne pas venir à cette soirée. Ces derniers temps, en effet, la lassitude me gagne vite, et l’arrivée brutale de l’automne m’incitait à rester chez moi, où une quelconque de mes chambrières aurait écarté ses cuisses dodues afin que je m’y insinue pour mettre le poupon au chaud.
Or, c’est justement la perspective de besogner une fois de plus sans entrain qui me décida au dernier moment à faire préparer ma voiture pour aller affronter le froid. J’arrivai donc chez Mme de Mont. bon dernier, à presque minuit, prêt à me repaître des rogatons, sachant qu’ils seraient tout de même de premier choix. Après avoir bu, afin de m’échauffer les fluides, trois verres d’hypocras coup sur coup, je me glissai sans coup férir sous les jupons de Mme de Brinv. - une habituée - qui, à genoux près de la cheminée, la poitrine débraillée et offerte aux caresses de Mlle de Beauv. assise dans son dos, tenait en sa bouche la virilité exacerbée de M. de Vass., lequel devisait par-dessus les corps avec Mme de Mont., assise à quelques mètres de là à califourchon sur M. Digb. dont les doigts lutinaient respectivement Mme d’Olon. et Mlle de Feuq., vautrées sur une fourrure dans une posture défiant les lois de l’équilibre et de la vertu. D’autres bouts de corps se trémoussaient çà et là, certains dans un tel état de dénuement que rien ne m’aurait permis de les reconnaître. Il y avait trop de beau monde4et mon retard m’avait empêché d’être introduit dans les règles. Tant pis pour moi.
Ayant donc repéré la libre entrejambe de Mme de Brinv., je me couchai devant elle, après avoir quémandé son approbation, qu’elle accorda d’un regard distrait sans désemboucher M. de Vass., me mis sur le dos et rampai en me tortillant sous la tente de ses jupons froufroutants. Il régnait là une chaleur étouffante ; heureusement, je n’avais aucune chance de mourir de soif en ce désert couleur de chairs roses : une pluie délicieuse tombait en gouttelettes des lèvres rougies de Mme de Brinv., gouttes que je commençai religieusement à recueillir sur ma langue, avant de m’élever, tout aussi religieusement, à leur source que je savais presque inépuisable.
L’effet escompté ne tarda pas à se produire : Mme de Brinv. émit bientôt des gémissements lents et profonds qui répondaient trait pour trait à mes assauts linguistiques ; et mon mât se dressait, de plus en plus fier et tout bardé, sémaphore immanquable pour toute créature désireuse de lui donner une ferme leçon de maintien. J’avais pris soin de dégager ma braguette, afin d’en faciliter l’accès.
Les quelques minutes qui s’écoulèrent alors me parurent fort longuettes, preuve que j’étais depuis trop longtemps dans des dispositions accueillantes. Je ne sais à quel moment exact m’effleura la première sensation suave ; tout à la satisfaction de Mme de Brinv., la sachant habituée aux paroxysmes lents et méticuleux, j’avais négligé la surveillance mentale de mon membre délaissé. Je sus bientôt que le geste qui avait attiré mon attention n’était pas, en fait, le premier, qu’il y en avait eu d’autres auparavant, d’une légèreté telle qu’ils n’avaient pas éveillé mes sens les moins subtils mais ceux de la partie la plus sombre de mon esprit, précisément là où sont enfouis mes désirs les plus secrets, ceux que je n’ose pas même avouer à mes compagnes de jeux amoureux, encore moins pratiquer en compagnie, si galante fût-elle.
En moins d’une minute, pourtant, mon âme bouleversée s’était concentrée au milieu de mon corps, pour jaillir, rectiligne et enflée, hors de moi, hors du temps. Pendant une durée indéfinie, un objet à la douceur indicible monta et descendit le long de ma hampe, en faisant parfois le tour complet, tel un géomètre consciencieux effectuant des mesures royales.
J’étais partagé - écartelé, même - entre le désir impérieux de connaître la personne qui me prodiguait de telles caresses, et la crainte qu’on ne me fît là quelque méchant tour. La chose s’est déjà vue - surtout entre orgiastes assidus - et ma réputation, si ferme soit-elle, n’est pas à l’abri des facétieux. Plus que tout, je souhaitai ardemment que ma fellatrix incognita ne fût pas un homme ; car même s’il est de bon ton de coucher quelquefois avec un représentant de son propre sexe, j’avoue que l’expérience ne m’enchante guère et que je la considère comme un vil expédient.
Bref, il arriva ce qui ne pouvait qu’arriver : de plus en plus perturbé par ce qui se déroulait autour de mon vit, je bâclai un peu Mme de Brinv., lui saisissant les hanches pour écraser sa mignonnette sur ma bouche, l’embrochant de ma langue dardée, laquelle commençait à s’ankyloser. J’ajoutai vite un doigt fureteur dans sa ferme rondelle, afin de précipiter sa douce agonie. Le résultat fut heureusement assez prompt et me laissa presque à bout de souffle. Mme de Brinv. se mit soudain à prier en latin et à tue-tête, prouvant accessoirement qu’elle avait fini de besogner M. de Vass., et signe habituel qu’elle atteignait l’apogée espéré. Salve me, vagina ! hurla-t-elle quatre ou cinq fois, ce qui signalait chez elle ces fameux orgasmes répétés dont vous parlez si souvent entre vous et qui nous rendent jaloux (peut-être même est-ce uniquement dans ce but que vous nous en parlez).
Mais je digresse.
Ayant expédié la marquise au septième ciel (sa résidence secondaire), je la fis aussitôt démonter, la poussant sur le côté avec un minimum de ménagements, pour mieux respirer tout d’abord, mais surtout pour mieux voir enfin qui me lutinait avec une telle maestria. Car mon plaisir lancinant venait d’évoluer : alors que je me dépêtrais des jupons de la marquise, un sublime anneau de chair brûlante s’était glissé autour de ma verge et descendait avec une lenteur irrésistible vers mon ventre tout vibrant d’émotions.
Réprimant à peine un gémissement, je baissai la tête pour tenter de contempler ma bienfaitrice. Las ! Sa chevelure opulente et brune se répandait telle une tente berbère autour de mon piquet et me cachait tout son visage. Je compris alors la nature de ce qui m’avait caressé avant que la demoiselle ne me prisse en bouche. Car - et quel soulagement ! - il n’y avait aucun doute qu’elle appartenait au beau sexe. La ronde nudité de ses épaules en mouvement ne pouvait tromper, pas plus que sa chevelure, quasi orientale dans sa démesure. Ses mains y plongeaient d’ailleurs et je sentais ses doigts exercer de subtiles pressions sur mon membre, qui me tirèrent bientôt des cris que je ne songeai plus à retenir.
Lorsque je sus que j’allais être comblé - si tôt ! - je posai une main sur cette tête au visage invisible, afin de lui laisser le choix d’avaler ou non ma sève, chose qui ne plaît pas à tous. Mais au lieu de la sublime fulgurance habituelle, je sentis alors, avec une déception qui n’eut pas l’occasion de durer, qu’elle se retirait, signe, croyais-je, qu’elle allait me laisser me répandre hors de son puits d’amour. Au lieu de quoi, une vive douleur me transperça la base du pénis... et mon petit geyser s’en trouva aussitôt découragé. Je faillis me plaindre de ce traitement mais constatai bien vite que la douleur n’avait été que fugace, et avait laissé place à une sensation de plaisir renouvelée, comme mise en attente de quelque chose de meilleur.
Je crus un instant qu’elle allait se relever pour je pusse la contempler enfin, mais pas le moins du monde. Après un temps savamment dosé, elle déplaça son corps tout entier, désenfourchant mes jambes pour se mettre à tourner autour de mon sexe, qu’elle avait repris entre ses lèvres. Ainsi, à genoux, par degrés, telles les aiguilles d’une horloge de chair, elle vint placer ses cuisses autour de ma tête. J’eus tout loisir de voir qu’elle était entièrement nue, hormis une jarretière de dentelle bleue qui ornait sa cuisse gauche. Mais à aucun moment, je ne pus distinguer son visage.
Avec une lenteur digne des tortures de la maudite Inquisition, elle abaissa la fente offerte de sa rose secrète, que j’eus à peine le temps de frôler du bout de la langue avant qu’elle ne se retire hors de ma portée. Pendant ce temps, à l’autre bout de mon corps, elle avait repris son va-et-vient buccal, qu’elle interrompait à chaque fois que je m’apprêtais à atteindre l’apogée. Comment savait-elle que j’allais le faire ? Je l’ignore, et c’est là la preuve que cette femme était versée dans d’autres arts que ceux de l’amour, qu’elle maîtrisait à la perfection. Mais vous le savez fort bien, comme je le démontrerai tout à l’heure.
Notre posture ne dura guère ; elle savait que j’étais à bout de patience et de force et que je ne résisterais pas longtemps encore à son assiduité exemplaire. Bientôt, au même instant exactement, elle abandonnait pour la dernière fois mon axe de chair, mes lèvres et ma langue prodigues - abandons qui me firent gémir d’inquiétude, voire d’angoisse. Or voici qu’en un bond prodigieux, elle vint s’empaler sur mon aiguille tendue à l’inouï, poussant un rugissement digne d’une féline africaine. Mon membre n’avait pas eu le temps de rester à l’air libre plus d’une seconde. Ma jouissance fut immédiate, sans retenue, d’une puissance inégalée à ce jour.
Me redressant autant que je le pouvais, je posai les mains sur les hanches sublimes de cette femme affolante et m’y agrippai de toute la force de mes muscles maltraités (mais comblés). Je me perdis alors (pour toujours, je crois) dans la contemplation enivrante de son dos, vaste fleuve de chair aux criques paradisiaques que fouettait en silence sa chevelure acajou. Je ne sais combien de coups de reins je parvins à donner encore, tous accompagnés de la décharge correspondante, mais je sentis que sous l’action de chacun, la peau de l’inconnue était parcourue de vagues de plaisir, comme l’onde est traversée par le vent. Je sentais même qu’au fond de son vase sublime, nos fluides les plus intimes se mêlaient sauvagement pour enfanter le plus délicieux des nectars et préparer la venue au monde d’un ou deux homoncules.
Bientôt terrassé, exsangue, je me laissai aller, cherchant l’air qui ressusciterait mes poumons brûlés. Il faut croire maintenant que je perdis connaissance ou que mon esprit battit la campagne. Car lorsque je relevai la tête, ma cavalière enthousiaste avait disparu. Je ne l’aperçus nulle part parmi les couples et les trios qui s’ébattaient mollement autour de moi. Il y avait une chaîne de six ou sept personnes enchevêtrées sur un canapé, mais une minutieuse inspection me révéla qu’elle n’en faisait pas partie. Ce qui me rassura, car une telle insatiabilité aurait dénoté d’un bien étrange caractère.
Je dus boire un cordial, puis un autre, avant de pouvoir questionner mes partenaires - du moins, ceux qui n’avaient pas la bouche pleine - au sujet de son identité. Vite exaspérés par mon insistance - ils voulaient, bien sûr, continuer à s’entre-baiser, mais moi, déjà, je ne voulais plus qu’elle, sans le savoir tout à fait encore -, ils me signifièrent que je les ennuyais.

Bien sûr, puisque je vous écris, vous avez compris que j’ai mené à bien ma petite enquête et que j’ai percé à jour votre identité (après en avoir fait de même avec votre intimité). Je conçois que vous désiriez demeurer dans l’ombre et ne souhaite pas vous effrayer. Vous remarquerez, comme preuve de ma bonne foi, que cette lettre ne comporte aucun nom propre, et que son interception éventuelle ne saurait servir à accuser quiconque. Au contraire, vous savez parfaitement ce que j’attends de vous. Jamais je n’aurais l’outrecuidance, que dis-je ? le manque de goût, de vous faire chanter ; sinon de plaisir, bien entendu.
J’en viens maintenant à l’enquête qui m’a permis de retrouver votre trace. Comme vous le savez, les soirées du marquis, bien que fameuses, ne sont pas des réjouissances auxquelles tout un chacun s’invite sur un coup de tête ; il faut y être introduit, si vous me passez l’expression (laquelle, d’ailleurs, doit précisément provenir de ce genre de situation et remonte donc aux calendes égyptiennes, voire babyloniennes !). Or donc, pour remonter jusqu’à vous, tel le saumon vers sa source, il me suffisait de découvrir qui vous y avait amenée et de l’interroger - fermement, si nécessaire.
Cette première étape fut la plus simple. Je rendis visite, sans fanfare, à M. le marquis de Mont., qui m’indiqua obligeamment que "l’ardente demoiselle brune à la taille de guêpe" était venue avec Mme Vaistas, une émigrée de passage qui risque de demeurer fort longtemps dans notre pays, car elle prend goût à nos divertissements culturels, bien différents de ceux de sa froide contrée natale. Il ignorait, par contre, l’identité réelle de ladite ardente, qui portait un voile de taffetas noir lors de sa présentation et qui avait été appelée Doxa, pseudonyme cinglant.
Avec un sourire en coin, le marquis regretta que ce soir-là, je fusse arrivé en retard, ce qui m’avait privé d’un spectacle réjouissant : Mme Vaistas et Doxa s’étaient en effet déshabillées mutuellement, avec force caresses et baisers savamment situés. M. le marquis m’avoua même être entré dans une érection dont il s’était violemment délivré quand l’exquise Doxa s’était mise à sucer lentement la langue de Mme Vaistas comme si celle-ci eût été une verge dûment érigée. Je sais par l’expérience que Mme Vaistas est dotée d’un appendice buccal anormalement long qui lui a valu (déjà !) le délicieux surnom de Prêche-minou ; aussi l’image suggérée par le marquis me mit dans tous mes états. Avant de quitter son domaine, je passai par les communs où je troussai rapidement une soubrette, la culbutant sur un buffet avec une rapidité et une ardeur qui me laissèrent pantois.
Le soir même j’écrivis à Mme Vaistas, qui eut l’obligeance de me répondre dès le lendemain matin.
« Cher Monsieur, je savais que vous me contacteriez bientôt et pour quelle raison. Sachez que votre affection a été payée de retour et que son objet espérait (priait, même) que vous tâcheriez de le retrouver vite, vite, vite. Venez donc me voir ce soir (je loge au manoir de M. de Vill. à T***y) et je vous donnerai volontiers le renseignement que vous désirez. Bien entendu, toute peine mérite salaire et vous vous acquitterez, je le sais, de la dîme qui consistera à satisfaire l’un, au moins, de mes caprices. »
Inutile de préciser que je fus au supplice toute la sainte journée. D’un côté, satisfaire Mme Vaistas était loin d’être une corvée (malgré ses trente ans, elle peut encore poser nue sans le moindre artifice), et en d’autres circonstances, la chose m’aurait réjoui outre mesure ; mais de l’autre, cette nuit de délai qu’elle m’imposait retardait ma rencontre avec l’objet de mon désir, ce qui me mettait à la torture. Pire encore, connaissant l’esprit volage de Mme Vaistas, je savais que si elle n’était pas pleinement satisfaite, par châtiment, elle risquait fort de ne pas tout me dire et de me laisser sur ma faim. Mais elle est votre aînée et entend parfaitement jouir des privilèges auxquels elle a droit.
Pour parer à toute éventualité, je pris vers les cinq heures un cordial très épicé, dont j’ai déjà pu éprouver les vertus aphrodisiaques. Lorsque j’arrivai chez M. de Vill. à neuf heures, j’étais au garde à vous depuis tout ce temps, prêt à tirer sans sommation, tout vibrant d’émotion sous l’effet des cahots de la route (ah ! que n’étiez-vous dans la voiture avec moi, sur moi, autour de moi ?).
Une servante me conduisit avec une lenteur exaspérante dans les entrailles de la demeure et, dans une antichambre, m’aida à me dévêtir. Elle n’eut ensuite pas besoin de me mignarder bien longtemps pour que je fusse absolument "ready", comme disent les Anglais. D’un doigt, elle m’indiqua une porte et s’éclipsa. Derrière la porte se trouvait Mme Vaistas, alanguie dans une énorme baignoire, nue comme un songe, luisante de sueur, toutes lèvres écartées, humides, tremblantes, prêtes à la pénétration immédiate. Aucun parfait gentilhomme n’aurait su la faire attendre.
Je ne vous décrirai pas cette nuit-là en détail. N’eussiez-vous existé, c’eût-été l’une des plus belles de mon existence pourtant riche en nuits haletantes. Les seuls instants où je vous oubliai furent ceux où j’atteignais l’apogée de ma luxure. Car oui, je l’avoue, il y en eut quelques-uns. Au matin, lorsque je m’éveillai en sursaut dans un lit encore brûlant, fourbu mais rassasié, un mot m’attendait, posé sur mes vêtements.
« Doxa s’appelle aussi Sœur Marie-Paule et loge au couvent des Mad. à Saint-G., où elle s’apprête à prendre les ordres... ou à se marier. Vous devrez mettre au point vous-même le stratagème qui vous permettra de la toucher. Je vous fais confiance ; j’ai pu mesurer l’ampleur (que dis-je ? le volume !) de la motivation qui vous permettra d’y parvenir rapidement.

Mme Vaistas

PS : je prêche aussi les matous, comme vous avez pu le constater à maintes reprises. »
J’avoue que je ne fus guère surpris d’apprendre que vous étiez nonne. Ce qui m’agaçait, c’est que j’allais devoir élaborer ce fameux stratagème pour vous atteindre. Heureusement, je suis coutumier du fait, et les couvents de ce pays sont de véritables passoires (contrairement à ceux d’Espagne et d’Italie, qui sont de vraies prisons - une honte pour l’humanisme, sinon pour l’humanité). Il m’a fallu pas moins de trois jours et cinquante livres pour mettre au point le système de communication qui vous permet maintenant de me lire. Il vous suffira, pour me répondre, d’utiliser le même truchement.
Vous l’avez compris : je veux vous revoir avant qu’un fâcheux quelconque ne vous épouse et ne vous enferme à vie dans son répugnant donjon ; le fâcheux en question fût-il Dieu le père en personne. Pouvais-je rêver plus grand rival ? Tout se tiendra en une question : les extases qu’Il vous procure sont-elles plus belles (et plus durables) que les miennes ? Sachez déjà qu’en ce qui concerne l’extase unique que vous m’avez donnée, elle culmine au pinacle de mon existence, et je ne saurais vous en remercier assez, sinon en en partageant bien d’autres et d’autres encore jusqu’à satiété et encore au-delà.
Dites-moi simplement : où et quand ?

Euclide Pattel
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3VXXXLCCC / IXLCCC / XLCCC / XXCC / XXICC / IVCC / IV
Cette série de nombres romains a été notée (inversée, comme dans un miroir) à la plume sur la chemise qui protège la liasse de feuillets constituant Les Assiduités exemplaires. Rien ne permet de savoir qui l’a transcrite ni ce qu’elle signifie, encore moins si elle a une quelconque importance pour notre affaire. J’ai préféré la reporter ici par souci de vérité.
La mention "Leyde" est curieuse, dans la mesure où il s’agit d’un manuscrit, non d’un livre imprimé ; c’est à Leyde (et plus généralement aux Pays-Bas) que de nombreux livres jugés séditieux ou même périlleux pour la vie de leur auteur furent publiés tout au long de la Renaissance et jusqu’au XVIIIe siècle. Peut-être l’auteur du pasquin envisageait-il de se faire publier dans cette ville ?
Quant à la Confrérie des Bouteilles (à laquelle appartenaient Viau et d’autres libertins), voici ce qu’en dit le père Garasse dans sa Doctrine curieuse... : "Il est vrai que pour cette Confrérie des Bouteilles, je n’en sais ni les lois ni les fondations ni les officiers : d’autant qu’il n’est permis de souffler à la bouteille qu’à ceux qui se sont enrôlés en la fraternité et qui ont juré le secret qui se pourra garder entre les ivrognes : je sais seulement que c’est une assemblée de vilains, subalterne et indépendante des beaux Esprits prétendus qui font en cette confrérie comme leur apprentissage d’Athéisme. Le lieu de leurs rendez-vous a été deux ou trois fois dans cette petite Chapelle qui est en l’Île du pont de bois, en laquelle ils ont commis des profanations et des sacrilèges horribles, quelques défenses et excommunications qu’on ait pu jeter contre eux." De vrai démons, donc, puisqu’ils savaient résister aux (ch)armes de la religion ! En réalité, de simples bons vivants qui entendaient penser et agir librement sans que des jésuites viennent les sermonner ou les conduire au bûcher. Ils n'étaient pas plus pervers que Rabelais au siècle précédent, qui avait mis en exergue de son Cinquième Livre : "Ô bouteille, pleine toute de mystères, d'une oreille je t'écoute : ne diffère."

4Il y avait trop de beau monde...
Les abréviations utilisées par l’auteur du pasquin sont volontairement ambiguës. Mlle de Beauv. peut désigner l’une des deux filles de Mme de Beauvais, qui était la première femme de chambre d’Anne d’Autriche, dont on dit que c’est elle qui a déniaisé Louis XIV ; ou pourquoi pas (mais c’est peu probable) Mme de Beauvais elle-même ? Vass. peut désigner le marquis de Vassé, qui fut l’un des innombrables amants de Ninon de Lenclos, mais aussi de Mme de Sévigné, entre autres, et que l’on appelait "Son Impertinence". Mont. est trop vague et fera l’objet d’une note à part (42). Digb. peut renvoyer à George Digby, comte de Bristol, émigré britannique qui fréquentait assidûment la duchesse de Châtillon et lui soutirait des secrets d’état qu’il allait ensuite confier au prince de Condé réfugié en Belgique. Olon. renvoie sans doute à Mme d’Olonne, qui entama une carrière d’épouse fidèle et prude, avant de se déchaîner soudain et de devenir une Messaline. Feuq. ne peut guère désigner que la marquise de Feuquières, fille d’un intendant des Finances. Enfin, Brinv. évoque la marquise de Brinvilliers, laquelle, en 1657, n’avait pas encore rencontré son amant Sainte-Croix, qui ne lui avait donc pas appris à composer les poisons dont elle se servirait en 1676 pour assassiner son père et ses deux frères, ce qui la conduirait à être décapitée et brûlée, non sans avoir révélé les renseignements terrifiants qui conduiront à l’affaire des Poisons.
Un tel rassemblement de personnes paraît improbable, et sans doute l’auteur satisfait-il là sa mythomanie, dont on verra plus loin d’autres exemples. Il n’est toutefois pas impossible qu’un peu de vérité se cache sous cette pluie de noms.

lundi 18 mars 2013

Sherlock & Watson 3 : Une tonne de soucis



Message du Comm. LEPRINCE, PJ Paris: Pierre Curie tué ce matin. Piste anglaise. Besoin votre aide.
Sherlock HOLMES : Ai lu l'incident dans L'Aurore. PC renversé par charrette pechblende. Charretier coupable ou complice?
Commissaire LEPRINCE : Charr. travaille pour certain Raymund Timor, directeur de cirque américain. J'ignore encore lequel.
Sherlock HOLMES : Cirque Indiana; en ce moment aux Jardins de Lew. Timor l'a racheté. M'en occupe. Faites garder Marie C.
Commissaire LEPRINCE : Nous l'avons conduite en lieu sûr, sous bonne garde. Soyez prudent.

Sherlock & Watson 2 : Une chapka qui rapporte



Sherlock HOLMES : Watson, louez un cabriolet et, sans discuter, allez parier 100£ sur Jouvenceau second dans le Derby.
Docteur WATSON : Holmes, j'obéis mais vous me le paierez ; j'avais rendez-vous avec ma mère. Second, vraiment ?
Sherlock HOLMES : Votre mère ? Enchanté ! Vous lui offrirez une chapka en fennec des neiges avec nos gains. Oui: second !
Docteur WATSON : Mais si nous perdons ? C'est mon argent ! Pour une fois que vous m'en laissez. Me rembourserez-vous ?
Sherlock HOLMES : Bien sûr que non ! Je n'ai pas 100 £. C'est pourquoi vous devez gagner ce pari.

vendredi 15 mars 2013

2. Lettre de Gabriel Gilbert à Mazarin

2. Lettre de Gabriel Gilbert à Mazarin

29 décembre 1657

Votre Éminence,
je vous écris au nom de Sa Majesté la Reine Christine Vasa de Suède, qui a tenu à ce que je vous présente quelques détails secondaires concernant le décès du marquis Gian Rinaldo de Monaldeschi, survenu au château de Fontainebelleau le 10 novembre dernier. (Elle s’en est expliquée d’elle-même à Sa Majesté Louis, dans un courrier).
Avant tout, il est flagrant que, Sa Majesté étant souveraine, elle ne saurait rendre compte de ses agissements concernant la sûreté intérieure de son gouvernement. Vous savez bien que les cas de trahison réclament un traitement d’urgence, au cours duquel aucune intervention étrangère ne saurait être tolérée.


Le fait que l’exécution sommaire et légitime du marquis ait eu lieu dans la galerie des Cerfs du château prêté par S.M. Louis est certes regrettable mais vous ne sauriez oublier que S.M. Christine est en exil, ce qui signifie que sa cour, et donc sa justice, se déplacent avec elle. Je peux vous affirmer qu’elle s’est montrée pour le moins piquée que certaines personnes aient émis des réserves quant à cet événement, qui ne les regarde point. J’ai eu grand mal à calmer le tempérament de S.M., qui souhaitait porter l’affaire devant votre Parlement (elle a d’ailleurs pris langue à ce sujet avec un avocat). En échange de son atermoiement, j’ai promis que vous parviendriez à faire taire les rumeurs malvenues.
Le nœud de l’affaire consiste en une trahison des plus communes. S.M. suédoise a surpris M. le marquis - son Grand Écuyer - en intelligence avec un agent d’une puissance étrangère. Des documents saisis ont permis d’apporter la preuve du crime ; pire encore, la nature dudit constitue un cas de lèse-majesté aussi flagrant que manifeste, comme pourra en témoigner le père Le Bel, qui a tenu les documents en mains propres. Dans notre pays comme dans le vôtre, ainsi que dans toute autre nation civilisée digne de ce nom, ce crime abject mérite la peine capitale ; il n’existait aucune raison valable pour que ma reine y sursît.
Certes, le lieu ne s’y prêtait guère et il aurait peut-être fallu qu’un membre de votre gouvernement fût présent, ne serait-ce que pour éviter les débordements intempestifs du condamné, qui n’a pas su conserver la dignité de son rang et s’en est allé répandre son sang sur quelques tapis de valeur ainsi qu’un tableau de maître, que nous avons échangé contre un autre, tout aussi beau, en gage de notre bonne foi.
Je vous prie aussi de remarquer que la présence du père Le Bel, mandé par la reine, a permis à M. le marquis de recevoir l’extrême-onction et de se confesser avant de mourir ; cet acte prouve en soi que les intentions de S.M. étaient légitimes et pures. Tout au plus pourrait-on arguer qu’elle a agi sous le coup d’une passion bien compréhensible.
C’est justement afin d’éviter tout malentendu que je joins à ce courrier une copie du pamphlet responsable de ce drame. Elle a été trouvée dans les coffres du marquis lors de la perquisition et de la saisie effectuées après son décès. Je vous cède volontiers cette version manuscrite dans la mesure où nous disposons encore d’une version de la main du marquis lui-même, preuve flagrante, formelle, condamnante et indiscutable, dont S.M. entend disposer à sa guise.
Malheureusement, rien ne nous a permis d’identifier le véritable auteur de ce pasquin (si tant est qu’il ne s’agisse pas du seul marquis, lequel a déjà été accusé par le passé d’être l’auteur de satyres et de pasquinades contre son maître naturel le pape Alexandre). Il paraît évident que cet auteur mystérieux est au courant de nombreuses choses généralement tenues pour secrètes, ou disons peu divulguées. Il est presque certainement français ; cette enquête relève donc de votre ressort. Vous savez, bien sûr, que votre royaume regorge d’éléments séditieux ; mais celui-ci est d’une trempe hors du commun. Malgré son jeune âge apparent, il en sait énormément sur les affaires discrètes de l’Europe ; il est surtout imperméable au sens du sacré et ne respecte absolument rien (à part son amour dépravé pour les femmes impudiques).
Sa Majesté vous saura gré de bien vouloir faire tout le nécessaire en cette triste aventure ; de son côté, justice a été faite, et bien faite. À vous, maintenant, d’effacer le petit incident et de rendre à l’Empereur Claude ce qui lui appartient.

Gabriel Gilbert,
secrétaire aux commandements de Sa Majesté Kristina Vasa, reine de Suède

vendredi 8 mars 2013

1. Lettre de l'abbé Foucquet au cardinal Mazarin

1. Lettre de l’abbé Foucquet1au cardinal Mazarin
    4 janvier 1658

    Votre Éminence,
    permettez-moi d’aborder ici deux points importants :
    premièrement, vous trouverez ci-joints les documents révoltants dont je vous ai brièvement parlé hier. Peut-être parviendrez-vous à les lire ; je gage que vous n’atteindrez pas la cinquième page, comme ce fut mon cas. Une telle épreuve n’est pas nécessaire et quelques pages suffiront à vous forger une opinion sur la moralité de leur auteur et le but qu’elles sont censées remplir.
    S’il est vrai que ce pays n’a pas exécuté beaucoup de libertins fameux depuis que Théophile de Viau a été acquitté de son procès il y a trente-deux ans, il n’en reste pas moins que cette engeance mérite d’être arrachée du sol avant que de parvenir à essaimer.


    Selon le père Le Bel (qui vous a écrit par ailleurs, je crois), il est possible que l’exemplaire qu’il a eu en main soit unique, ce qui serait un grand soulagement pour les parties impliquées. Néanmoins, deux détails me mènent à émettre des doutes : d’une part, ce n’est pas un brouillon, lequel court peut-être encore en Dieu sait quelle poche ; d’autre part, le père Le Bel lui-même a tenu les documents pendant trois jours, et il a fort bien pu en effectuer une copie.
    Quant à savoir comment il a pu supporter stoïquement un tel tissu d’insanités, je ne peux qu’en conclure à la fermeté de ses vertus ou à la duplicité de ses intentions. J’ai beau être habitué à entendre des confessions, mon caractère a été plus qu’ébranlé par cet indigne pamphlet dont les obscénités me feront frémir encore longtemps.
    À ce jour, j’ignore pourquoi Sa Majesté la reine de S. a fait appel aux services du père Le Bel pour confesser le marquis de M. avant de le faire exécuter malproprement au château de Fontainebelleau. S’agit-il d’un hasard ? Cette question devra rester sans réponse, pour l’instant.
    Je vous laisse donc juge de la gravité de l’offense. L’argument présenté par Sa Majesté Christine Vasa de S. pour justifier de sa justice expéditive - les crimes de trahison et de lèse-majesté - n’est évidemment pas discutable, et Sa Majesté (je veux dire, la Nôtre) aurait mauvaise grâce d’en faire remontrance à notre illustre mais encombrante visiteuse (ce n’est pas le duc de Tyrol qui dira le contraire, lui qui a été ruiné par le passage de son train d’équipage, que dis-je ? de sa caravane interminable !)
    Comme vous le savez, son ambition pour le trône de Naples reste en butte à celle d’autres intérêts, moins hésitants et sans doute préférables à longue échéance. De plus, il me paraît que sa réticence à révéler publiquement sa conversion à la cause catholique constitue, sinon un camouflet, en tout cas une sérieuse entorse à la sincérité de nos accords. Je ne serais pas surpris outre mesure que cette reine qui se prend pour un roi ayant perdu son royaume cherche ainsi à ménager la chèvre et le chou, ainsi que le chevrier et le maraîcher si l’occasion s’en présente (voire la chevrière et la maraîchère, si j’en crois certaines rumeurs).
    Si donc vous entreprenez la lecture intégrale de ce nauséabond pasquin, munissez-vous, je vous prie, d’un bon brûle-parfum et d’une patience de dentelière ; vous en aurez besoin. Quant à moi, j’ai d’autres chattes à fouetter.
    Notamment (et c’est le deuxième point de ma lettre), je continue à faire rechercher l’agent imbécile que nous avions (pardon, que j’avais) engagé pour surveiller les imprimeurs parisiens soupçonnés de complaisances libertines excessives. Après l’affaire Millot-L’Ange qui a ridiculisé votre autorité au profit de celle des partisans du prince de Condé, nous avions bien besoin de redorer notre blason. Hélas ! ce demi-gredin se cache et, jusqu’à présent, tous les lièvres qu’il a prétendu lever pour nous se sont révélés sans le moindre intérêt, au point que je finis par me demander s’il ne le fait pas exprès. Laissons-lui encore une chance et si ce limier mal poli ne nous rapporte rien, je le jetterai nu dans l’arène pour voir s’il sait au moins se battre comme un bon chien.

    À Dieu ne plaise ! (mais à vous, d’abord, bien sûr)
    Basile Foucquet

    PS : vous trouverez en préliminaire au pasquin la lettre du secrétaire de Sa Maj. C. V. de S., qui constitue une manière de plaidoyer ; mon intuition me dit qu’elle contient des éléments cachés. Son ton général hésite entre la condescendance la plus énervante et la naïveté la plus touchante. Elle contient le terme "flagrant" un trop grand nombre de fois pour que ce soit fortuit. Quant à la conclusion qui mentionne l’Empereur Claude au lieu de Jules César, je ne l’ai pas comprise ; j’en ai déduit que cette lettre n’avait pas été écrite à l’initiative du secrétaire, comme il le prétend, mais bel et bien dictée par la reine, ce qui semble indiquer qu’elle a parfaitement saisi l’ampleur et la gravité de son acte mais qu’elle ne saurait s’abaisser à nous en parler directement.
    En d’autres termes, si c’est elle que nous laissons monter sur le trône de Naples, je ne donne pas deux ans avant que son influence nous échappe. Et je m'abstiendrai de vous en indiquer les conséquences.
    _____________________________________________________________________
    1Ne pas confondre l’abbé Basile Foucquet avec son frère Nicolas, le surintendant des Finances royales. L’abbé - un jésuite - dirigeait l’un des services de renseignements du cardinal Mazarin.

    vendredi 1 mars 2013

    Une aventure de Sherlock Holmes et du Dr Watson

    Aujourd'hui à 12h30, Michael Roch et votre serviteur ont publié sur Twitter la micro-aventure suivante :

    La vengeance de l'Avenger 


    Dr Watson : Holmes, j'ai perdu ma pipe. L'avez-vous vue ?
    Sherlock Holmes : Watson, ne vous tracassez pas autant et rassurez-vous : l'Avenger ne sera pas saboté aujourd'hui.

    0. INTRODUCTION du chercheur

    L'homme de douleurs, Maerten van Heemskerck, c. 1525















    Chère lectrice, cher lecteur,
    voici le résultat de mes tentatives pour résoudre l’une des nombreuses petites énigmes dont regorge l’Histoire. Il s’agissait de découvrir qui fut l’auteur du manuscrit Les Assiduités exemplaires, texte libertin anonyme datant du milieu du XVIIesiècle, dont on ne connaît que deux exemplaires : l’un dans l’enfer de la Bibliothèque mazarine ; l’autre dans les archives privées de la reine Christine de Suède ayant appartenu au baron von Bildt.
    La première étape de ma recherche consistait à mettre la main sur un exemplaire, si possible original et le plus complet possible. Je commençai par le plus simple pour moi : aller à la Bibliothèque mazarine. Le conservateur revint de l’enfer, furieux et bouleversé : le manuscrit avait disparu ! Pire encore, en visant ses registres, il découvrit que la dernière consultation remontait à... 1918 ! Et le nom inscrit était à peine lisible. Il n’y avait aucun moyen de savoir quand le document avait été volé ; ce pouvait être à n’importe quel moment entre la fin de la première guerre mondiale et aujourd’hui. La mort dans l’âme, il me fallut abandonner cette piste.
    La deuxième possibilité était de convaincre les descendants du baron von Bildt de me prêter leur exemplaire ou de me permettre de le consulter sur place, à Stockholm. Contactés par courrier, ils eurent l’obligeance de me répondre rapidement ; le manuscrit avait été découvert par le baron Carl en 1899, caché dans la doublure d’une serviette de cuir qui avait contenu une partie de la correspondance codée entre Christine de Suède et le cardinal Azzolino, écrite dans les années 1660. Le baron en avait fait une description sommaire alors qu’il préparait l’édition des lettres déchiffrées par ses soins ; le manuscrit était écrit en français clair. Il avait finalement décidé de ne pas le publier, « pour des raisons de décence et parce qu[’il] doutai[t] de son authenticité ». Fort poliment, les héritiers refusèrent de me laisser le consulter ; lorsque je les pressai un peu, ils m’avouèrent que le document avait en fait été vendu en 1975 à une bibliophile suisse, Sylviane Carelberg.
    En lisant ce nom, j’avoue que je ressentis une sorte d’affolement. D’abord, parce que je savais, pour l’avoir lu dans une revue spécialisée, que la collectionneuse Sylviane Carelberg venait de mourir (à l’âge canonique de 107 ans) et que sa prodigieuse collection de livres rares allait être vendue aux enchères par son seul héritier encore vivant, un petit-neveu industriel qui ne s’intéressait pas à leur contenu. Mais surtout, parce que je fus soudain assailli d’une intuition terrifiante ! Je retournai, fébrile, à la Bibliothèque mazarine et me débrouillai pour revoir le registre de 1918. Quelle ne fut pas ma stupéfaction de constater que le nom du consultant des Assiduités exemplaires pouvait fort bien se lire Sylviane Carnon ; or, c’était là le nom de jeune fille de Sylviane Carelberg !
    Était-il possible qu’une enfant de quinze ans fût allée voler un manuscrit à la Bibliothèque mazarine pendant la guerre ? Pourquoi pas, après tout ? Si l’on y réfléchit un peu, c’est même la meilleure des couvertures. Qui irait la soupçonner ? Mais enfin, qui a pu la laisser consulter un livre de l’enfer, donc par définition interdit aux mineurs ? Fallait-il envisager la possibilité que Sylviane Carelberg eût paru plus que son âge ? Ou qu’elle eût séduit le conservateur de l’époque ? Sans doute était-elle précoce si elle s’intéressait déjà aux manuscrits libertins, mais tout de même, c’était troublant.
    Ou bien encore : pour qui travaillait-elle ? L’infatigable découvreur de manuscrits que fut Frédéric Lachèvre ? L’hypothèse était absurde et blessante ; Lachèvre était honnête et travaillait en plein jour (même s’il le faisait « avec l’absence de méthode et le manque de rigueur qui le caractérisaient », pour citer Antoine Adam). Il était plus vraisemblable qu’elle travaillât contre lui. Mais alors, pour qui ? Elle-même ? Et à tout prendre : avait-elle réellement quinze ans en 1918 ? Comment en être sûr ?
    C’était là un mystère passionnant que je ne pouvais résoudre. Sylviane Carelberg était morte, ainsi que tous les témoins ; son seul héritier ne me répondrait certainement pas. Je n’avais qu’une chose à faire : attendre la vente aux enchères et acheter le manuscrit des Assiduités exemplaires. Je travaillai d’arrache-pieds pendant les mois suivants, économisant le moindre centime. Et un jour, le miracle attendu arriva ! Il me coûta, à vrai dire, un peu plus que mes économies (je n'entrerai pas dans les détails, étant pudique) ; mais le jeu en valait la chandelle.
    C’est ce qui me permet aujourd’hui d’en présenter la première version jamais publiée. Je l’ai voulue aussi complète que possible mais le travail concernant ce document étonnant ne fait que commencer. Il s’agit ici d’une sorte d’enquête criminelle ; bien que je puisse prétendre avoir formellement identifié l’auteur de ces pages, je ne vous le livrerai pas menottes au poignet, bien sûr. Après avoir suivi plusieurs pistes, j’ai eu le bonheur de trouver la preuve décisive quant à l’auteur de cette pasquinade(ainsi qu’on appelait alors les satires de mœurs). Comme dans une enquête, un coupable paraissait évident au premier abord mais la vérité se dissimulait dans les coulisses du spectacle. Les suspects étaient si nombreux, à vrai dire, que rien n’interdisait de penser qu’elle avait pu être écrite à plusieurs mains ; pourquoi pas au cours d’un atelier d’écriture un peu coquin ? On a les orgies que l’on peut.
    Mais je m’avance. J’ai donc rassemblé, autour du document incriminé lui-même, toutes les traces qui en parlent directement ou non, discrètement ou non, vraisemblablement ou non. Les amateurs d’énigmes pourront s’en donner à cœur joie ; ceux d’histoire véridique seront peut-être plus déçus, rien ne prouvant que certains des documents que j’ai dénichés ne sont pas faux eux aussi, tout au moins apocryphes. Comme l’écrit Antoine Adam dans sa préface à L’histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin : « Enfin, et c’est là le plus grave, nous ne saurions dire si le texte actuel est ou n’est pas l’état primitif et authentique de l’ouvrage ».
    Au contraire, si c’était là que résidait toute la beauté de la chose ? Car c’est ce dont parlent les Assiduités exemplaires : des désirs et des moyens de les réaliser, des passions et de leurs conséquences parfois terribles, des « amours libérées » (pour reprendre une expression qui apparaît quelquefois dans le manuscrit) et des prisons qui les détenaient, de la vérité et des armes qui permettent de la conquérir ou de la perdre. De s’y perdre ?

    Alfred Boudry

    PS : après mûre réflexion, j’ai fait le choix de regrouper les notes à chaque fin de chapitre. J’ai pensé qu’il ne fallait pas interrompre le discours de ces voix du passé1et les laisser s’épancher avec toute la fluidité d’un roman moderne, rapide et cinglant (j’en ai d’ailleurs modernisé le langage, afin d’éviter une surcharge de notes trop scolaires). Les lecteurs perdus ou curieux auront ainsi tout loisir de se reporter aux notes au fur et à mesure ; les autres auront peut-être la patience d'attendre la fin de l’intrigue et les liront ensuite comme une sorte d’enquête de détective où ils traqueront avec moi le serpent de la vérité ; on pourra aussi ne pas les lire et se faire sa propre opinion sur ce drame historique.
    Afin de vous éviter de vous égarer, chère Ariane, cher Thésée, je vous transmets ce conseil toujours actuel de Gabriel Naudé (dans son Apologie pour les grands hommes...) : « La vérité historique, si tant est qu’elle existe, s’est cachée sous la sottise des ignorants, l’envie des passionnés, la folie des téméraires, l’aveuglement des intéressés, et sous une infinité d’opinions fabuleuses, étranges et ridicules. »
    ________________________________________________________________________________
    1Le discours de ces voix du passé...
    J’ai rassemblé tant d’exergues possibles pour l’ouvrage, aussi savoureuses l’une que l’autre, que je m’en voudrais de les gaspiller. Aussi ai-je eu l’envie de commencer cette enquête par une saynète qui permettra aux lecteurs et aux lectrices de se plonger dans l’ambiance de l’époque. Il est bon, je crois, de laisser la parole à ces grands esprits, qui ne se sont pas toujours bien rencontrés.

    PÈRE FRANÇOIS GARASSE — J’appelle impies et athéistes ceux qui sont plus avancés en malice ; qui ont l’impudence de proférer d’horribles blasphèmes contre Dieu ; qui commettent des brutalités abominables ; qui publient par sonnet leurs exécrables forfaits ; qui font de Paris une Gomorrhe ; qui font imprimer le Parnasse satyrique ; qui ont cet avantage malheureux qu’ils sont si dénaturés en leur façon de vivre qu’on n’oserait les réfuter de point en point, de peur d’enseigner leurs vices et faire rougir la blancheur du papier.
    THÉOPHILE DE VIAU — La même façon de vivre qui s’appelait autrefois débauche, s’appelle aujourd’hui réformation.
    PIERRE GASSENDI — Heureux temps où nous pouvions rire de la comédie que le monde entier joue, le sachant ou non !
    BALTASAR GRACIÁN — Il vaut mieux ne rien faire que de s’occuper mal à propos.
    PIERRE L'ARÉTIN — Qui ne se montre point ami des vices devient ennemi des hommes.
    TRISTAN L’HERMITE — La Fable ne fera point éclater ici ses ornements avec pompe ; la Vérité s’y présentera seulement si mal habillée qu’on pourra dire qu’elle est toute nue.
    CHARLES SOREL — Aussi je ne touche ce beau sein qu’en tremblant, mon souverain plaisir est de frétiller, je suis tout divin, je veux être toujours en mouvement, comme le ciel.
    FRANCOIS DE LA MOTHE LE VAYER — Ma main est si généreuse, ou si libertine, qu’elle ne peut suivre que le seul caprice de mes fantaisies ; et cela avec une licence si indépendante et si affranchie, qu’elle fait gloire de n’avoir aucune visée, qu’une naïve recherche des vérités ou vraisemblances naturelles, ni plus important objet, que ma propre satisfaction.
    PERE JEAN-JOSEPH SURIN — Pour être aimé et caressé de Dieu, il faut, soit beaucoup souffrir intérieurement, soit maltraiter son corps.
    L’ANONYME DE L’ÉCOLE DES FILLES — Tu dois savoir que la principale cause de l’amour, c’est le plaisir du corps, et sans cela il n’y aurait point d’amour.
    PIERRE CHARRON — C’est une science divine et bien ardue que de savoir jouir loyalement de son être.
    SAINT-ÉVREMOND — Si j’avais à me marier j’épouserais volontiers une personne d’une autre religion que la mienne. Je craindrais qu’une catholique, se croyant sûre de posséder son mari en l’autre vie, ne s’avisât de vouloir jouir d’un galant en celle-ci.
    ANTOINE FURETIÈRE — Le libertinage des femmes est grand dans ce siècle, pour dire, leur coquetterie.
    CHARLES SOREL — Quelques dames qui avaient encore gardé leur pudeur la laissèrent échapper, se conformant aux autres qu’elles se donnaient pour exemple ; si bien qu’elles s’en retournèrent pas aussi chastes qu’elles étaient venues.
    SAVINIEN DE CYRANO — Un peu d’encens brûlé rajuste bien des choses.
    SAINT-ÉVREMOND — Pour moi, qui ai toujours vécu à l’aventure, il me suffira de mourir de même. Puisque la prudence a eu si peu de part aux actions de ma vie, il me fâcherait qu’elle se mêlât d’en régler la fin.
    THÉOPHILE DE VIAU — Il faut écrire à la moderne ; Démosthène et Virgile n’ont point écrit en notre temps, et nous ne saurions écrire en leur siècle ; leurs livres quand ils les firent étaient nouveaux, et nous en faisons tous les jours de vieux.