2. Lettre de Gabriel Gilbert à Mazarin
29 décembre 1657
Votre Éminence,
je vous écris au nom de Sa Majesté la Reine Christine Vasa de Suède, qui a tenu à ce que je vous présente quelques détails secondaires concernant le décès du marquis Gian Rinaldo de Monaldeschi, survenu au château de Fontainebelleau le 10 novembre dernier. (Elle s’en est expliquée d’elle-même à Sa Majesté Louis, dans un courrier).
Avant tout, il est flagrant que, Sa Majesté étant souveraine, elle ne saurait rendre compte de ses agissements concernant la sûreté intérieure de son gouvernement. Vous savez bien que les cas de trahison réclament un traitement d’urgence, au cours duquel aucune intervention étrangère ne saurait être tolérée.
Le fait que l’exécution sommaire et légitime du marquis ait eu lieu dans la galerie des Cerfs du château prêté par S.M. Louis est certes regrettable mais vous ne sauriez oublier que S.M. Christine est en exil, ce qui signifie que sa cour, et donc sa justice, se déplacent avec elle. Je peux vous affirmer qu’elle s’est montrée pour le moins piquée que certaines personnes aient émis des réserves quant à cet événement, qui ne les regarde point. J’ai eu grand mal à calmer le tempérament de S.M., qui souhaitait porter l’affaire devant votre Parlement (elle a d’ailleurs pris langue à ce sujet avec un avocat). En échange de son atermoiement, j’ai promis que vous parviendriez à faire taire les rumeurs malvenues.
Le nœud de l’affaire consiste en une trahison des plus communes. S.M. suédoise a surpris M. le marquis - son Grand Écuyer - en intelligence avec un agent d’une puissance étrangère. Des documents saisis ont permis d’apporter la preuve du crime ; pire encore, la nature dudit constitue un cas de lèse-majesté aussi flagrant que manifeste, comme pourra en témoigner le père Le Bel, qui a tenu les documents en mains propres. Dans notre pays comme dans le vôtre, ainsi que dans toute autre nation civilisée digne de ce nom, ce crime abject mérite la peine capitale ; il n’existait aucune raison valable pour que ma reine y sursît.
Certes, le lieu ne s’y prêtait guère et il aurait peut-être fallu qu’un membre de votre gouvernement fût présent, ne serait-ce que pour éviter les débordements intempestifs du condamné, qui n’a pas su conserver la dignité de son rang et s’en est allé répandre son sang sur quelques tapis de valeur ainsi qu’un tableau de maître, que nous avons échangé contre un autre, tout aussi beau, en gage de notre bonne foi.
Je vous prie aussi de remarquer que la présence du père Le Bel, mandé par la reine, a permis à M. le marquis de recevoir l’extrême-onction et de se confesser avant de mourir ; cet acte prouve en soi que les intentions de S.M. étaient légitimes et pures. Tout au plus pourrait-on arguer qu’elle a agi sous le coup d’une passion bien compréhensible.
C’est justement afin d’éviter tout malentendu que je joins à ce courrier une copie du pamphlet responsable de ce drame. Elle a été trouvée dans les coffres du marquis lors de la perquisition et de la saisie effectuées après son décès. Je vous cède volontiers cette version manuscrite dans la mesure où nous disposons encore d’une version de la main du marquis lui-même, preuve flagrante, formelle, condamnante et indiscutable, dont S.M. entend disposer à sa guise.
Malheureusement, rien ne nous a permis d’identifier le véritable auteur de ce pasquin (si tant est qu’il ne s’agisse pas du seul marquis, lequel a déjà été accusé par le passé d’être l’auteur de satyres et de pasquinades contre son maître naturel le pape Alexandre). Il paraît évident que cet auteur mystérieux est au courant de nombreuses choses généralement tenues pour secrètes, ou disons peu divulguées. Il est presque certainement français ; cette enquête relève donc de votre ressort. Vous savez, bien sûr, que votre royaume regorge d’éléments séditieux ; mais celui-ci est d’une trempe hors du commun. Malgré son jeune âge apparent, il en sait énormément sur les affaires discrètes de l’Europe ; il est surtout imperméable au sens du sacré et ne respecte absolument rien (à part son amour dépravé pour les femmes impudiques).
Sa Majesté vous saura gré de bien vouloir faire tout le nécessaire en cette triste aventure ; de son côté, justice a été faite, et bien faite. À vous, maintenant, d’effacer le petit incident et de rendre à l’Empereur Claude ce qui lui appartient.
Gabriel Gilbert,
secrétaire aux commandements de Sa Majesté Kristina Vasa, reine de Suède
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