vendredi 22 mars 2013

3. Lettre d’Euclide Pattel à Doxa



Les Assiduités exemplaires
une pasquinade anonyme


L'homme de douleurs
Maerten van Heemskerck (c. 1530)


VXXXLCCC / IXLCCC / XLCCC / XXCC / XXICC / IVCC / IV

à Leyde
par la Confrérie des Bouteilles3
______________________________________________________________________

3. Lettre d’Euclide Pattel à Doxa

Vaux-le-Pénil, en ce lundi 1er octobre 1657

Chère "Doxa",
c’est à la suite de plusieurs jours de recherche assidue que je suis parvenu à obtenir votre adresse et votre identité, au prix d’un sacrifice que je vous décrirai plus bas dans ma lettre (rassurez-vous, je n’ai pas eu à me séparer d’une bourse bien pleine - encore que je connaisse bien des gens qui n’auraient su résister à un tel argument).
La raison pour laquelle je vous ai cherchée et démasquée, je vais vous la dire maintenant, car je tiens à écarter toute possibilité de quiproquo. Le mieux est que je fasse comme si je ne savais pas qui vous êtes ; ce qui, à tout prendre, est presque le cas.
Tout a donc commencé chez Mme de Mont., chez qui je me trouvais le 22 septembre dernier. Comme vous le savez fort bien, elle organise - hélas, irrégulièrement ! mais elle argue que la routine tue l’ardeur, ce qui se conçoit - dans sa maison de campagne de F***y, des fêtes galantes où les plaisirs de la chère le disputent à ceux de la chair. J’en suis un habitué des plus assidus, Mme de Mont. ayant été mon amante tout au long de ses deux mariages (et même avant, mais c’est là un secret que je vous confie pour vous prouver que je me livre à vous corps et biens - ne l’ébruitez pas, ce secret ; il mordille encore un peu).
Pour être honnête, je faillis bien ne pas venir à cette soirée. Ces derniers temps, en effet, la lassitude me gagne vite, et l’arrivée brutale de l’automne m’incitait à rester chez moi, où une quelconque de mes chambrières aurait écarté ses cuisses dodues afin que je m’y insinue pour mettre le poupon au chaud.
Or, c’est justement la perspective de besogner une fois de plus sans entrain qui me décida au dernier moment à faire préparer ma voiture pour aller affronter le froid. J’arrivai donc chez Mme de Mont. bon dernier, à presque minuit, prêt à me repaître des rogatons, sachant qu’ils seraient tout de même de premier choix. Après avoir bu, afin de m’échauffer les fluides, trois verres d’hypocras coup sur coup, je me glissai sans coup férir sous les jupons de Mme de Brinv. - une habituée - qui, à genoux près de la cheminée, la poitrine débraillée et offerte aux caresses de Mlle de Beauv. assise dans son dos, tenait en sa bouche la virilité exacerbée de M. de Vass., lequel devisait par-dessus les corps avec Mme de Mont., assise à quelques mètres de là à califourchon sur M. Digb. dont les doigts lutinaient respectivement Mme d’Olon. et Mlle de Feuq., vautrées sur une fourrure dans une posture défiant les lois de l’équilibre et de la vertu. D’autres bouts de corps se trémoussaient çà et là, certains dans un tel état de dénuement que rien ne m’aurait permis de les reconnaître. Il y avait trop de beau monde4et mon retard m’avait empêché d’être introduit dans les règles. Tant pis pour moi.
Ayant donc repéré la libre entrejambe de Mme de Brinv., je me couchai devant elle, après avoir quémandé son approbation, qu’elle accorda d’un regard distrait sans désemboucher M. de Vass., me mis sur le dos et rampai en me tortillant sous la tente de ses jupons froufroutants. Il régnait là une chaleur étouffante ; heureusement, je n’avais aucune chance de mourir de soif en ce désert couleur de chairs roses : une pluie délicieuse tombait en gouttelettes des lèvres rougies de Mme de Brinv., gouttes que je commençai religieusement à recueillir sur ma langue, avant de m’élever, tout aussi religieusement, à leur source que je savais presque inépuisable.
L’effet escompté ne tarda pas à se produire : Mme de Brinv. émit bientôt des gémissements lents et profonds qui répondaient trait pour trait à mes assauts linguistiques ; et mon mât se dressait, de plus en plus fier et tout bardé, sémaphore immanquable pour toute créature désireuse de lui donner une ferme leçon de maintien. J’avais pris soin de dégager ma braguette, afin d’en faciliter l’accès.
Les quelques minutes qui s’écoulèrent alors me parurent fort longuettes, preuve que j’étais depuis trop longtemps dans des dispositions accueillantes. Je ne sais à quel moment exact m’effleura la première sensation suave ; tout à la satisfaction de Mme de Brinv., la sachant habituée aux paroxysmes lents et méticuleux, j’avais négligé la surveillance mentale de mon membre délaissé. Je sus bientôt que le geste qui avait attiré mon attention n’était pas, en fait, le premier, qu’il y en avait eu d’autres auparavant, d’une légèreté telle qu’ils n’avaient pas éveillé mes sens les moins subtils mais ceux de la partie la plus sombre de mon esprit, précisément là où sont enfouis mes désirs les plus secrets, ceux que je n’ose pas même avouer à mes compagnes de jeux amoureux, encore moins pratiquer en compagnie, si galante fût-elle.
En moins d’une minute, pourtant, mon âme bouleversée s’était concentrée au milieu de mon corps, pour jaillir, rectiligne et enflée, hors de moi, hors du temps. Pendant une durée indéfinie, un objet à la douceur indicible monta et descendit le long de ma hampe, en faisant parfois le tour complet, tel un géomètre consciencieux effectuant des mesures royales.
J’étais partagé - écartelé, même - entre le désir impérieux de connaître la personne qui me prodiguait de telles caresses, et la crainte qu’on ne me fît là quelque méchant tour. La chose s’est déjà vue - surtout entre orgiastes assidus - et ma réputation, si ferme soit-elle, n’est pas à l’abri des facétieux. Plus que tout, je souhaitai ardemment que ma fellatrix incognita ne fût pas un homme ; car même s’il est de bon ton de coucher quelquefois avec un représentant de son propre sexe, j’avoue que l’expérience ne m’enchante guère et que je la considère comme un vil expédient.
Bref, il arriva ce qui ne pouvait qu’arriver : de plus en plus perturbé par ce qui se déroulait autour de mon vit, je bâclai un peu Mme de Brinv., lui saisissant les hanches pour écraser sa mignonnette sur ma bouche, l’embrochant de ma langue dardée, laquelle commençait à s’ankyloser. J’ajoutai vite un doigt fureteur dans sa ferme rondelle, afin de précipiter sa douce agonie. Le résultat fut heureusement assez prompt et me laissa presque à bout de souffle. Mme de Brinv. se mit soudain à prier en latin et à tue-tête, prouvant accessoirement qu’elle avait fini de besogner M. de Vass., et signe habituel qu’elle atteignait l’apogée espéré. Salve me, vagina ! hurla-t-elle quatre ou cinq fois, ce qui signalait chez elle ces fameux orgasmes répétés dont vous parlez si souvent entre vous et qui nous rendent jaloux (peut-être même est-ce uniquement dans ce but que vous nous en parlez).
Mais je digresse.
Ayant expédié la marquise au septième ciel (sa résidence secondaire), je la fis aussitôt démonter, la poussant sur le côté avec un minimum de ménagements, pour mieux respirer tout d’abord, mais surtout pour mieux voir enfin qui me lutinait avec une telle maestria. Car mon plaisir lancinant venait d’évoluer : alors que je me dépêtrais des jupons de la marquise, un sublime anneau de chair brûlante s’était glissé autour de ma verge et descendait avec une lenteur irrésistible vers mon ventre tout vibrant d’émotions.
Réprimant à peine un gémissement, je baissai la tête pour tenter de contempler ma bienfaitrice. Las ! Sa chevelure opulente et brune se répandait telle une tente berbère autour de mon piquet et me cachait tout son visage. Je compris alors la nature de ce qui m’avait caressé avant que la demoiselle ne me prisse en bouche. Car - et quel soulagement ! - il n’y avait aucun doute qu’elle appartenait au beau sexe. La ronde nudité de ses épaules en mouvement ne pouvait tromper, pas plus que sa chevelure, quasi orientale dans sa démesure. Ses mains y plongeaient d’ailleurs et je sentais ses doigts exercer de subtiles pressions sur mon membre, qui me tirèrent bientôt des cris que je ne songeai plus à retenir.
Lorsque je sus que j’allais être comblé - si tôt ! - je posai une main sur cette tête au visage invisible, afin de lui laisser le choix d’avaler ou non ma sève, chose qui ne plaît pas à tous. Mais au lieu de la sublime fulgurance habituelle, je sentis alors, avec une déception qui n’eut pas l’occasion de durer, qu’elle se retirait, signe, croyais-je, qu’elle allait me laisser me répandre hors de son puits d’amour. Au lieu de quoi, une vive douleur me transperça la base du pénis... et mon petit geyser s’en trouva aussitôt découragé. Je faillis me plaindre de ce traitement mais constatai bien vite que la douleur n’avait été que fugace, et avait laissé place à une sensation de plaisir renouvelée, comme mise en attente de quelque chose de meilleur.
Je crus un instant qu’elle allait se relever pour je pusse la contempler enfin, mais pas le moins du monde. Après un temps savamment dosé, elle déplaça son corps tout entier, désenfourchant mes jambes pour se mettre à tourner autour de mon sexe, qu’elle avait repris entre ses lèvres. Ainsi, à genoux, par degrés, telles les aiguilles d’une horloge de chair, elle vint placer ses cuisses autour de ma tête. J’eus tout loisir de voir qu’elle était entièrement nue, hormis une jarretière de dentelle bleue qui ornait sa cuisse gauche. Mais à aucun moment, je ne pus distinguer son visage.
Avec une lenteur digne des tortures de la maudite Inquisition, elle abaissa la fente offerte de sa rose secrète, que j’eus à peine le temps de frôler du bout de la langue avant qu’elle ne se retire hors de ma portée. Pendant ce temps, à l’autre bout de mon corps, elle avait repris son va-et-vient buccal, qu’elle interrompait à chaque fois que je m’apprêtais à atteindre l’apogée. Comment savait-elle que j’allais le faire ? Je l’ignore, et c’est là la preuve que cette femme était versée dans d’autres arts que ceux de l’amour, qu’elle maîtrisait à la perfection. Mais vous le savez fort bien, comme je le démontrerai tout à l’heure.
Notre posture ne dura guère ; elle savait que j’étais à bout de patience et de force et que je ne résisterais pas longtemps encore à son assiduité exemplaire. Bientôt, au même instant exactement, elle abandonnait pour la dernière fois mon axe de chair, mes lèvres et ma langue prodigues - abandons qui me firent gémir d’inquiétude, voire d’angoisse. Or voici qu’en un bond prodigieux, elle vint s’empaler sur mon aiguille tendue à l’inouï, poussant un rugissement digne d’une féline africaine. Mon membre n’avait pas eu le temps de rester à l’air libre plus d’une seconde. Ma jouissance fut immédiate, sans retenue, d’une puissance inégalée à ce jour.
Me redressant autant que je le pouvais, je posai les mains sur les hanches sublimes de cette femme affolante et m’y agrippai de toute la force de mes muscles maltraités (mais comblés). Je me perdis alors (pour toujours, je crois) dans la contemplation enivrante de son dos, vaste fleuve de chair aux criques paradisiaques que fouettait en silence sa chevelure acajou. Je ne sais combien de coups de reins je parvins à donner encore, tous accompagnés de la décharge correspondante, mais je sentis que sous l’action de chacun, la peau de l’inconnue était parcourue de vagues de plaisir, comme l’onde est traversée par le vent. Je sentais même qu’au fond de son vase sublime, nos fluides les plus intimes se mêlaient sauvagement pour enfanter le plus délicieux des nectars et préparer la venue au monde d’un ou deux homoncules.
Bientôt terrassé, exsangue, je me laissai aller, cherchant l’air qui ressusciterait mes poumons brûlés. Il faut croire maintenant que je perdis connaissance ou que mon esprit battit la campagne. Car lorsque je relevai la tête, ma cavalière enthousiaste avait disparu. Je ne l’aperçus nulle part parmi les couples et les trios qui s’ébattaient mollement autour de moi. Il y avait une chaîne de six ou sept personnes enchevêtrées sur un canapé, mais une minutieuse inspection me révéla qu’elle n’en faisait pas partie. Ce qui me rassura, car une telle insatiabilité aurait dénoté d’un bien étrange caractère.
Je dus boire un cordial, puis un autre, avant de pouvoir questionner mes partenaires - du moins, ceux qui n’avaient pas la bouche pleine - au sujet de son identité. Vite exaspérés par mon insistance - ils voulaient, bien sûr, continuer à s’entre-baiser, mais moi, déjà, je ne voulais plus qu’elle, sans le savoir tout à fait encore -, ils me signifièrent que je les ennuyais.

Bien sûr, puisque je vous écris, vous avez compris que j’ai mené à bien ma petite enquête et que j’ai percé à jour votre identité (après en avoir fait de même avec votre intimité). Je conçois que vous désiriez demeurer dans l’ombre et ne souhaite pas vous effrayer. Vous remarquerez, comme preuve de ma bonne foi, que cette lettre ne comporte aucun nom propre, et que son interception éventuelle ne saurait servir à accuser quiconque. Au contraire, vous savez parfaitement ce que j’attends de vous. Jamais je n’aurais l’outrecuidance, que dis-je ? le manque de goût, de vous faire chanter ; sinon de plaisir, bien entendu.
J’en viens maintenant à l’enquête qui m’a permis de retrouver votre trace. Comme vous le savez, les soirées du marquis, bien que fameuses, ne sont pas des réjouissances auxquelles tout un chacun s’invite sur un coup de tête ; il faut y être introduit, si vous me passez l’expression (laquelle, d’ailleurs, doit précisément provenir de ce genre de situation et remonte donc aux calendes égyptiennes, voire babyloniennes !). Or donc, pour remonter jusqu’à vous, tel le saumon vers sa source, il me suffisait de découvrir qui vous y avait amenée et de l’interroger - fermement, si nécessaire.
Cette première étape fut la plus simple. Je rendis visite, sans fanfare, à M. le marquis de Mont., qui m’indiqua obligeamment que "l’ardente demoiselle brune à la taille de guêpe" était venue avec Mme Vaistas, une émigrée de passage qui risque de demeurer fort longtemps dans notre pays, car elle prend goût à nos divertissements culturels, bien différents de ceux de sa froide contrée natale. Il ignorait, par contre, l’identité réelle de ladite ardente, qui portait un voile de taffetas noir lors de sa présentation et qui avait été appelée Doxa, pseudonyme cinglant.
Avec un sourire en coin, le marquis regretta que ce soir-là, je fusse arrivé en retard, ce qui m’avait privé d’un spectacle réjouissant : Mme Vaistas et Doxa s’étaient en effet déshabillées mutuellement, avec force caresses et baisers savamment situés. M. le marquis m’avoua même être entré dans une érection dont il s’était violemment délivré quand l’exquise Doxa s’était mise à sucer lentement la langue de Mme Vaistas comme si celle-ci eût été une verge dûment érigée. Je sais par l’expérience que Mme Vaistas est dotée d’un appendice buccal anormalement long qui lui a valu (déjà !) le délicieux surnom de Prêche-minou ; aussi l’image suggérée par le marquis me mit dans tous mes états. Avant de quitter son domaine, je passai par les communs où je troussai rapidement une soubrette, la culbutant sur un buffet avec une rapidité et une ardeur qui me laissèrent pantois.
Le soir même j’écrivis à Mme Vaistas, qui eut l’obligeance de me répondre dès le lendemain matin.
« Cher Monsieur, je savais que vous me contacteriez bientôt et pour quelle raison. Sachez que votre affection a été payée de retour et que son objet espérait (priait, même) que vous tâcheriez de le retrouver vite, vite, vite. Venez donc me voir ce soir (je loge au manoir de M. de Vill. à T***y) et je vous donnerai volontiers le renseignement que vous désirez. Bien entendu, toute peine mérite salaire et vous vous acquitterez, je le sais, de la dîme qui consistera à satisfaire l’un, au moins, de mes caprices. »
Inutile de préciser que je fus au supplice toute la sainte journée. D’un côté, satisfaire Mme Vaistas était loin d’être une corvée (malgré ses trente ans, elle peut encore poser nue sans le moindre artifice), et en d’autres circonstances, la chose m’aurait réjoui outre mesure ; mais de l’autre, cette nuit de délai qu’elle m’imposait retardait ma rencontre avec l’objet de mon désir, ce qui me mettait à la torture. Pire encore, connaissant l’esprit volage de Mme Vaistas, je savais que si elle n’était pas pleinement satisfaite, par châtiment, elle risquait fort de ne pas tout me dire et de me laisser sur ma faim. Mais elle est votre aînée et entend parfaitement jouir des privilèges auxquels elle a droit.
Pour parer à toute éventualité, je pris vers les cinq heures un cordial très épicé, dont j’ai déjà pu éprouver les vertus aphrodisiaques. Lorsque j’arrivai chez M. de Vill. à neuf heures, j’étais au garde à vous depuis tout ce temps, prêt à tirer sans sommation, tout vibrant d’émotion sous l’effet des cahots de la route (ah ! que n’étiez-vous dans la voiture avec moi, sur moi, autour de moi ?).
Une servante me conduisit avec une lenteur exaspérante dans les entrailles de la demeure et, dans une antichambre, m’aida à me dévêtir. Elle n’eut ensuite pas besoin de me mignarder bien longtemps pour que je fusse absolument "ready", comme disent les Anglais. D’un doigt, elle m’indiqua une porte et s’éclipsa. Derrière la porte se trouvait Mme Vaistas, alanguie dans une énorme baignoire, nue comme un songe, luisante de sueur, toutes lèvres écartées, humides, tremblantes, prêtes à la pénétration immédiate. Aucun parfait gentilhomme n’aurait su la faire attendre.
Je ne vous décrirai pas cette nuit-là en détail. N’eussiez-vous existé, c’eût-été l’une des plus belles de mon existence pourtant riche en nuits haletantes. Les seuls instants où je vous oubliai furent ceux où j’atteignais l’apogée de ma luxure. Car oui, je l’avoue, il y en eut quelques-uns. Au matin, lorsque je m’éveillai en sursaut dans un lit encore brûlant, fourbu mais rassasié, un mot m’attendait, posé sur mes vêtements.
« Doxa s’appelle aussi Sœur Marie-Paule et loge au couvent des Mad. à Saint-G., où elle s’apprête à prendre les ordres... ou à se marier. Vous devrez mettre au point vous-même le stratagème qui vous permettra de la toucher. Je vous fais confiance ; j’ai pu mesurer l’ampleur (que dis-je ? le volume !) de la motivation qui vous permettra d’y parvenir rapidement.

Mme Vaistas

PS : je prêche aussi les matous, comme vous avez pu le constater à maintes reprises. »
J’avoue que je ne fus guère surpris d’apprendre que vous étiez nonne. Ce qui m’agaçait, c’est que j’allais devoir élaborer ce fameux stratagème pour vous atteindre. Heureusement, je suis coutumier du fait, et les couvents de ce pays sont de véritables passoires (contrairement à ceux d’Espagne et d’Italie, qui sont de vraies prisons - une honte pour l’humanisme, sinon pour l’humanité). Il m’a fallu pas moins de trois jours et cinquante livres pour mettre au point le système de communication qui vous permet maintenant de me lire. Il vous suffira, pour me répondre, d’utiliser le même truchement.
Vous l’avez compris : je veux vous revoir avant qu’un fâcheux quelconque ne vous épouse et ne vous enferme à vie dans son répugnant donjon ; le fâcheux en question fût-il Dieu le père en personne. Pouvais-je rêver plus grand rival ? Tout se tiendra en une question : les extases qu’Il vous procure sont-elles plus belles (et plus durables) que les miennes ? Sachez déjà qu’en ce qui concerne l’extase unique que vous m’avez donnée, elle culmine au pinacle de mon existence, et je ne saurais vous en remercier assez, sinon en en partageant bien d’autres et d’autres encore jusqu’à satiété et encore au-delà.
Dites-moi simplement : où et quand ?

Euclide Pattel
_____________________________________________________________________________
3VXXXLCCC / IXLCCC / XLCCC / XXCC / XXICC / IVCC / IV
Cette série de nombres romains a été notée (inversée, comme dans un miroir) à la plume sur la chemise qui protège la liasse de feuillets constituant Les Assiduités exemplaires. Rien ne permet de savoir qui l’a transcrite ni ce qu’elle signifie, encore moins si elle a une quelconque importance pour notre affaire. J’ai préféré la reporter ici par souci de vérité.
La mention "Leyde" est curieuse, dans la mesure où il s’agit d’un manuscrit, non d’un livre imprimé ; c’est à Leyde (et plus généralement aux Pays-Bas) que de nombreux livres jugés séditieux ou même périlleux pour la vie de leur auteur furent publiés tout au long de la Renaissance et jusqu’au XVIIIe siècle. Peut-être l’auteur du pasquin envisageait-il de se faire publier dans cette ville ?
Quant à la Confrérie des Bouteilles (à laquelle appartenaient Viau et d’autres libertins), voici ce qu’en dit le père Garasse dans sa Doctrine curieuse... : "Il est vrai que pour cette Confrérie des Bouteilles, je n’en sais ni les lois ni les fondations ni les officiers : d’autant qu’il n’est permis de souffler à la bouteille qu’à ceux qui se sont enrôlés en la fraternité et qui ont juré le secret qui se pourra garder entre les ivrognes : je sais seulement que c’est une assemblée de vilains, subalterne et indépendante des beaux Esprits prétendus qui font en cette confrérie comme leur apprentissage d’Athéisme. Le lieu de leurs rendez-vous a été deux ou trois fois dans cette petite Chapelle qui est en l’Île du pont de bois, en laquelle ils ont commis des profanations et des sacrilèges horribles, quelques défenses et excommunications qu’on ait pu jeter contre eux." De vrai démons, donc, puisqu’ils savaient résister aux (ch)armes de la religion ! En réalité, de simples bons vivants qui entendaient penser et agir librement sans que des jésuites viennent les sermonner ou les conduire au bûcher. Ils n'étaient pas plus pervers que Rabelais au siècle précédent, qui avait mis en exergue de son Cinquième Livre : "Ô bouteille, pleine toute de mystères, d'une oreille je t'écoute : ne diffère."

4Il y avait trop de beau monde...
Les abréviations utilisées par l’auteur du pasquin sont volontairement ambiguës. Mlle de Beauv. peut désigner l’une des deux filles de Mme de Beauvais, qui était la première femme de chambre d’Anne d’Autriche, dont on dit que c’est elle qui a déniaisé Louis XIV ; ou pourquoi pas (mais c’est peu probable) Mme de Beauvais elle-même ? Vass. peut désigner le marquis de Vassé, qui fut l’un des innombrables amants de Ninon de Lenclos, mais aussi de Mme de Sévigné, entre autres, et que l’on appelait "Son Impertinence". Mont. est trop vague et fera l’objet d’une note à part (42). Digb. peut renvoyer à George Digby, comte de Bristol, émigré britannique qui fréquentait assidûment la duchesse de Châtillon et lui soutirait des secrets d’état qu’il allait ensuite confier au prince de Condé réfugié en Belgique. Olon. renvoie sans doute à Mme d’Olonne, qui entama une carrière d’épouse fidèle et prude, avant de se déchaîner soudain et de devenir une Messaline. Feuq. ne peut guère désigner que la marquise de Feuquières, fille d’un intendant des Finances. Enfin, Brinv. évoque la marquise de Brinvilliers, laquelle, en 1657, n’avait pas encore rencontré son amant Sainte-Croix, qui ne lui avait donc pas appris à composer les poisons dont elle se servirait en 1676 pour assassiner son père et ses deux frères, ce qui la conduirait à être décapitée et brûlée, non sans avoir révélé les renseignements terrifiants qui conduiront à l’affaire des Poisons.
Un tel rassemblement de personnes paraît improbable, et sans doute l’auteur satisfait-il là sa mythomanie, dont on verra plus loin d’autres exemples. Il n’est toutefois pas impossible qu’un peu de vérité se cache sous cette pluie de noms.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire