dimanche 31 mars 2013

L'INCONSTANCE DE L'ESPECE, de Judith Schalansky


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Le premier roman de Judith Schalansky vient de paraître.
Je m'en suis donc emparé, afin de m'en parer le cerveau.
Il y a quelques années, JS a fait sensation avec l'Atlas des Îles abandonnées. Un beau livre, original, gonflé, bien fait, prometteur, plein d'idées, ambitieux.
L'Inconstance de l'espèce aurait dû se traduire par Le cou de la girafe. Sur la couverture, on voit une autruche. Certes, il y a des autruches dans le roman. Il y en avait aussi dans The lonely polygamist, de Brady Udall (Le polygame solitaire; une histoire de mormons), mais c'est à peu près le seul point commun. En tout cas, ça n'explique pas pourquoi l'éditeur français a mis une autruche au lieu d'une girafe. Ni pourquoi ils ont collé un titre qui fait plus "sérieux". Pour attirer les enseignants en biologie, peut-être?

CLOUD AT LAST !


Voilà, c'est fait !
Mon collègue Michael Roch et moi avons enfin vu Cloud Atlas, le film de Tom Tykwer et des fr... pardon, du Vaisseau Spatial Wachowski (c'est en effet ainsi que se font désormais appeler Lana et Andy). Le moment est donc venu d'en faire la chronique. Depuis le temps qu'on avait peur de ce qui allait en sortir...
Autant casser tout de suite le suspense : Cloud Atlas est un bon film. Pendant près de trois heures, on se balade entre six époques et espaces différents, suivant autant de récits apparemment déconstruits, dont les trames finissent par se relier peu à peu sans pour autant se rejoindre, au gré d'un montage de plus en plus précis, assez prenant et plein de sens.

SHERLOCK & WATSON # 5: La théorie des cardinales infiltrées



Sherlock HOLMES : Watson, connaissez-vous un moyen radical de faire fléchir un éditeur anglais?
Docteur WATSON : Vous, Holmes, me poser une question? C'est le monde à l'envers. Seriez-vous souffrant?
Sherlock HOLMES : Pas de sarcasmes, par pitié! Répondez: sauriez-vous convaincre un éditeur?
Docteur WATSON : Tout dépend de quoi. Avec de l'argent à la clé, cela ne présentera la moindre difficulté.
Sherlock HOLMES : Vous savez bien que je n'en ai pas et que ce procédé est en deçà de mes valeurs. Il est question d'honneur.
Docteur WATSON : Alors, cela dépend de l'honneur de qui. Serez-vous plus royaliste que notre reine insubmersible?
Sherlock HOLMES : Oh, la fine mouche. Il est bien question de reine mais pas la "nôtre", celle de Suède: Christine.

vendredi 29 mars 2013

4. Lettre de Doxa à Euclide Pattel

4. Lettre de Doxa à Euclide Pattel

Couvent des Mad., Saint-G., jeudi 4 octobre 1657

Cher Monsieur Pattel (si tel est bien votre nom, mais j’en doute, sans vous offenser),
je serai aussi honnête avec vous que vous semblez l’avoir été avec moi dans votre lettre : vos mots sont venus jeter dans mon existence un trouble plus grand encore que celui où elle se trouvait déjà.
Sachez tout d’abord que, si je suis au couvent depuis bientôt deux ans, c’est pour une faute que j’ai jadis commise - ou si vous préférez, pour un grave péché - et que j’avais presque réussi à oublier jusqu’à ce que je vous rencontre.
N’en tirez pas de conclusion hâtive, je vous prie ; vous vous méprendriez sur mon compte et les conséquences pourraient en être graves pour vous comme pour moi. L’objet de ma lettre est donc de vous détromper sur ce point.

Que les choses soient claires : j’estime que Mme Vaistas m’a séduite afin de m’entraîner avec elle hors de ma condition de future épouse divine. Quant à savoir si elle a dû me forcer ou si elle n’a fait qu’appuyer mon penchant le plus naturel, je vous en laisse juge. Je ne sais, à vrai dire, comment elle s’y est prise ; sans doute ses nombreuses visites, pleines de caresses et d’attentions, y sont-elles pour beaucoup ; l’ennui incoercible de ma vie au couvent y a certainement aussi contribué ; quant à l’injustice qui a présidé à mon châtiment, il est évident que cette responsabilité est établie de longue date. Je pense donc que j’aurais suivi les yeux fermés quiconque m’aurait invitée à quitter le couvent sous quelque prétexte futile, ne fût-ce que pour une soirée, sans même avoir recours à un philtre magique ou simplement alcoolique. Par contre, j’ignore de quelle nature sont les arrangements de Mme Vaistas avec la Mère supérieure, qui, seuls, ont permis que je m’échappasse pour une nuit.
Une nuit merveilleuse, j’en conviens, mais peut-être pas pour les raisons que vous paraissez désireux de croire.

Je vous l’ai dit, je ne suis pas au couvent par vocation mais par punition ; le voile que je portais le soir de notre rencontre est permanent. Je veux dire que ses fils sont tressés dans ma chevelure et que je dors, mange et fais l’amour avec lui. Comme souvent dans ces cas-là, lorsque l’âme est piégée autant que le corps, la meilleure chance de survie consistait pour moi à attendre de trouver la foi (comme par miracle, en quelque sorte) pour ensuite m’y plonger, m’y noyer, y disparaître jusqu’à ce que mort lente s’ensuive. C’est ainsi, je l’ai constaté, que notre monde (enfin, le vôtre) procède avec le mariage, cette sotte institution où les jeunes femmes n’ont pas leur mot à dire, qui permet à des parents sans amour de vendre littéralement leurs filles à de vieux nantis qui en feront leur prostituée légale et consentante (c’est-à-dire, n’ayant pas le droit de ne point consentir), avec pour unique solution de se forcer à les aimer (ou de se tuer si elles en ont le courage, sachant que, bien sûr, la religion a pris soin de les en effrayer, leur inculquant la croyance que le suicide n’est pas honorable).
Autant vous le dire tout de suite : je n’étais point amoureuse de vous. Du moins, pas que je susse ; car je suis novice en cette matière, n’ayant jamais eu quiconque à aimer, avant l’entrée de Mme Vaistas dans ma vie.
Afin que vous en ayez moins de regret, je vais vous dire maintenant pourquoi ma famille m’a reléguée au couvent ; vous saurez alors quel "monstre" je suis et pourquoi vous avez tort d’éprouver du sentiment pour moi.
Il y a deux ans, le jour de mes seize ans, mes parents m’apprirent sans ménagement qu’ils m’avaient fiancé à un certain M. de Cœu., "excellent parti", de trente ans mon aîné, que je n’avais même jamais rencontré. Lorsque je manifestai mon désaccord, mes parents ne m’entendirent point et mon père me gifla. Je n’étais rien pour eux, sinon un dernier fardeau à abandonner le long de la route (je suis la cadette de sept enfants, dont quatre filles).
Je passai plusieurs jours et autant de nuits en proie aux pires cauchemars. Ma mère resta sourde à mes prières ; mon père ne voulut pas même me recevoir. La veille du jour où je devais subir l’examen pré-nuptial, gage de ma virginité et condition de validité du mariage, je fus visitée en rêve par un ange (dont je savais pertinemment que n’importe qui d’autre l’aurait baptisé démon) qui m’indiqua la marche à suivre pour échapper à mon tourment à venir.
Me dénudant entièrement, je quittai ma chambre à minuit passé, descendis aux communs où je m’emparai d’un panier de légumes frais, remontai à ma chambre sans croiser quiconque et me jetai sur mon lit, essoufflée, le cœur battant à tout rompre, la tête en proie à un tournis dont je ne savais encore s’il était agréable ou non.
Mon ange onirique m’expliqua comment procéder. Avec une lente fébrilité, nue face à la grande croisée de ma chambre, baignée par la clarté de la lune pleine qui faisait de ma peau un écrin de nacre, j’entrepris la cérémonie de ma défloration, sur les draps qui serviraient ensuite de témoins irréfutables. J’avais décidé de m’épouser moi-même et je mettais le monde au défi de m’imposer un autre époux.
Ne sachant quel volume conviendrait le mieux à cette opération nouvelle (je n’avais jusqu’à ce jour exploré que les abords de mon sexe), je m’étais munie de plusieurs sortes de végétaux. Commençant par le plus petit d’entre eux, une fois la première douleur passée (qui ne fut pas intolérable, car mes gestes, je savais les empreindre de douceur), je pris grand plaisir (et même, plaisir de plus en plus grand), à essayer des cucurbitacées et des tubercules de plus en plus imposants, qui me comblaient à satiété. Du moins croyais-je à chaque fois avoir atteint la satiété, mais lorsque, ayant retrouvé mon souffle, je saisissais un autre rhizome un peu plus gros, je ne pouvais m’empêcher de penser que celui-ci remplirait encore mieux son office - c’est-à-dire ma caverne platonique. Le seul moyen de le savoir était d’essayer aussitôt.
Ainsi se déroula la nuit, à me baigner plus que nue dans un torrent de volupté pure et sans partage. Au matin, je dormais si profondément, bercée en rêve par mes propres gémissements de plaisir qui résonnaient encore tels les cris de la nymphe Écho, que je n’entendis pas ma chambrière entrer. Elle eut le temps d’aller prévenir mes parents, qui me trouvèrent ainsi, écartelée sur ma couche, les draps rougis de mon sang et souillés d’une autre humeur réputée indicible mais à laquelle j’avais goûté et dont je m’étais enivrée, portant sur mes lèvres un sourire plus obscène à leurs yeux que celui, perpendiculaire, qui béait entre mes cuisses.
Ma mère s’évanouit séance tenante, et sans feindre, pour une fois ; mon père hurla tout d’abord au violeur avant de se rendre à l’évidence devant les preuves étalées un peu partout. Car je n’avais nulle intention de le détromper sur la nature de mon acte. Il me fouetta lui-même, comme il se doit, et je sais parfaitement qu’il a joui de ses coups de lanière sur ma peau déchirée.
Peu m’importait ; les fiançailles furent rompues le jour même, ce qui était le but recherché. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que je serais envoyée aussitôt à l’autre bout de la France, à Saint-G., pour y être enfermée dans un couvent très strict, celui où je me morfonds depuis bientôt deux ans.

Pourtant, quand les visites de Mme Vaistas ont commencé il y a trois semaines, j’ai repris espoir. Car elle m’a laissé entrevoir que quelque chose se trame dans l’ombre de ce monastère ambigu. Elle m’a éprouvée, je le sais désormais, afin de savoir si je méritais sa confiance. La soirée du 22 septembre a été, je crois, ma première épreuve, et je suis fière de l’avoir franchie. Peut-être même l’ai-je franchie un peu trop bien.
Car voici ce qui, pour moi, s’est déroulé ce soir-là. Ce qui s’est passé, cher M. Euclide Pattel (Catulle dépité ?), c’est que j’ai trouvé ce soir-là ma vocation véritable. Et ma vocation sera, à tout jamais, d’adorer le Christ. Mais pas n’importe quel Christ, entendez-le bien ! Je ne parle pas de cette marionnette souffreteuse et geignarde, aussi torturée que tordue, pourvue de ces bras ridiculement maigres et incapables de prodiguer des caresses, ces bras en croix qui signifient à qui veut l’entendre l’interdiction de tout plaisir, criant muettement à tous "Vous n’êtes rien et ne serez jamais rien ; abandonnez tout espoir à mes pieds, léchez-les misérablement et mettez-vous à genoux que je puisse vous cracher sur la tête" !
Oh oui, c’est cette allégorie lumineuse qui m’a ouvert les yeux. Le vrai Christ, celui que je veux adorer jusqu’à la fin de mes jours, jusqu’à la dernière goutte de mon sang et de ma salive dont je l’oindrai sans trêve jusqu’à ce que ma gorge en soit desséchée, c’est celui que vous avez attaché au bas du ventre. Fièrement dressé vers le ciel qu’il perce de sa noble tête rouge sang, vibrant de vigueur vitale, gorgé de semence prête à jaillir telle la fontaine de jouvence, droit comme un I, flèche enflammée qui transpercera le cœur dilaté et humide de sa cible si sensible... Ah oui, Monsieur, c’est votre verge que je désire vénérer de toute ma verve, de tout mon corps, de tous mes fluides.
J’ai su tout cela lorsque je vous ai vu, vous, le buste engoncé sous les jupons de Mme de Brinv., anonyme, absent, autrement dit réduit à votre plus simple expression : un pénis délaissé jaillissant d’une braguette délacée. Vous-même n’étiez que l’innocent autel sur lequel se dressait le symbole du plus désirable des cultes. Dès l’instant où je le vis, je le voulus pour moi seule et me penchai sur lui pour le couver de ma chaleur ardente, le cacher sous ma chevelure afin que nul ne me le vole ni ne le souille, lui prodiguer les caresses que l’on réserve aux animaux nouveau-nés. À vrai dire, par la force des choses, c’est mon voile de taffetas qui le toucha en premier. Quel savoureux symbole de ce que nous sommes, n’est-ce pas ?
J’improvisai alors le rite de ma nouvelle religion, la seule que je pusse accepter en moi, et ne fus pas étonnée de découvrir que le plaisir procuré par la présence de ce cylindre de chair dans ma bouche n’était pas sans rappeler celui qu’est censée offrir l’hostie dans la bouche des communiants. Êtes-vous choqué ? Pourtant, pensez-y : les hosties, empilées en grand nombre, ne forment-elles pas autre chose qu’un cylindre finement tranché ? Quand le Christ dit que nous devons manger sa chair, il n’en précise pas quelle partie. Et ce vin qu’il faut boire jusqu’à la lie, ne symbolise-t-il pas un autre liquide corporel, que, de peur de le laisser s’épandre, il faut bien avaler lorsque la flûte divine déborde enfin ?
Soyons honnêtes : même s’ils n’en sont pas pleinement conscients, ne pensez-vous pas que les prêtres (ces puissants impuissants) jouissent de nous enfiler entre les lèvres ces friandises qui sont censées nous procurer la joie magique d’être avec le Christ ? N’est-ce pas là la description symbolique d’une orgie ? Or, croyez-moi, lorsque j’étais pleine de vous, monsieur, lorsque votre champignon tout enflé venait buter contre le fond de ma gorge, ce que je ressentais était plus proche que jamais de l’extase religieuse telle que nous l’ont décrit Thérèse d’Avila et Jean Chrysostome. C’est d’ailleurs dans cette posture que j’ai compris ce que représentait la couronne d’épines : tout simplement la douleur qui attend le mâle érigé s’il venait à déplaire à sa lutineuse et que celle-ci le mordît, imprimant à sa chair la plus tendre la marque sanglante d’une autre couronne précieuse, celle de ses dents.
Et cette huile sainte qui est censée représenter la divinité ? N’est-elle pas le symbole de la sueur exsudée pendant l’acte unificateur ? N’est-elle pas l’équivalent de l’ardeur des corps poussés à l’extrémité de leurs forces avides de plaisir ?
Continuons à (han !) filer la métaphore. Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les crucifix sont élevés au lieu d’être plantés au sol, comme ils devaient l’être sur le vrai Golgotha ? (car il n’est pas nécessaire de placer un crucifié en l’air pour qu’il souffre). La réponse est simple : parce que lorsqu’on s’agenouille devant un homme debout, on a le visage à hauteur de son aine, c’est-à-dire qu’on a la bouche à hauteur de son sexe. Et ceci vous explique aussi pourquoi les Christ portent un pagne, alors que les vrais crucifiés (relisez Suétone, Sénèque, Flavius-Josèphe) étaient nus afin que leur humiliation publique fût complète (accessoirement, si le fondateur malgré lui du christianisme était exposé nu, tout le monde verrait qu’il était juif). De plus, on ne décrochait certes pas les suppliciés pour les inhumer ; bien au contraire, on les laissait pourrir, comme les pendus de notre temps, et les chiens venaient leur ronger les pieds et les pudenda. Il est donc évident qu’il n’y a pas eu de résurrection. (Ou devrais-je écrire jésus-érection ?)
La preuve que le christianisme est mensonge et fabrication ? Si vous lisiez attentivement l’Ancient testament, au lieu de forniquer à tours de "bras" comme un homme que vous êtes, vous découvririez que le crime pour lequel Jésus a été condamné n’était pas puni de crucifixion mais de lapidation. Dès lors, quelle peut être l’explication de ce traitement de faveur ? Eh ! sans doute eût-il été éprouvant pour les fidèles d’exposer sur l’autel un tas de chairs sanguinolentes et d’os brisés dont ils se fussent promptement détournés pour aller vomir plus loin, c’est-à-dire hors de la sacro-sainte église. Non, décidément, la crucifixion a tout pour plaire : un crucifié se voit de loin, ce qui est idéal pour qui veut, de cette position, dominer les foules. Oh ! "Dominer les foules..." L’expression m’a échappé ; à moins qu’elle ne se soit échappée d’elle-même.
Vous voyez que l’hypocrisie de ce monde va très loin.

Mais je suis sans doute allée trop loin, moi aussi, et vous voici tout écœuré de m’avoir lue, d’avoir partagé mes pensées après avoir partagé ma chair. Si tel est le cas, tant pis pour vous ; je ne vous donnerai plus l’occasion de pénétrer dans mon temple aux portes bien huilées afin que les prêtresses de mes sens y exerçassent leur sacerdoce sur votre sceptre de Dyonisos. Vous fûtes le premier, ce qui n’est déjà pas si mal pour votre orgueil, si j’en crois les "valeurs" de votre société. Il n’y en a pas eu d’autres jusqu’à présent, mais c’est seulement parce que le couvent ne renferme que des femmes (dont certaines, mais vous le savez certainement, ne sont d’ailleurs pas sans charmes ni talents).
Si toutefois mes opinions peu orthodoxes ne vous terrifient point outre mesure, sachez que Mme Vaistas a accepté de nous prêter refuge lors de notre prochaine "cérémonie", qui pourra se dérouler dans le pavillon qu’on lui prête, dimanche prochain après les vêpres. Si vous ne venez pas, je pourrai toujours me consoler avec sa longue langue qui sait si bien le latin et vaut toutes les messes du monde.

Doxa

PS : si nous en avons l’occasion, il faudra que je vous parle d’un projet qui nous tient à cœur (ainsi qu’à d’autres organes), Mme Vaistas et moi-même. Vous êtes riche ; vous comprendrez vite de quoi nous avons besoin (en plus de vos autres liquidités).
PPS : au fait, vous semblez vous plaindre de n’avoir pas eu l’occasion de voir mon visage. Je puis vous rassurer : moi non plus, je n’ai pas regardé le vôtre. Peut-être devrions-nous continuer ainsi. Qui sait ? Je suis peut-être fort laide et mes traits ne seraient plus propices à vous mettre en condition. Après tout, peu importe qui nous sommes, du moment que nous adorons Aphrodite et Apollon comme ils doivent l’être, c’est-à-dire aveuglément.
PPPS : Comme je m’ennuyais (un peu) de vous, j’ai joué avec les lettres de votre nom ; j’ai trouvé ceci : Culte de Pilate ? Drôle d’occupation. Le délit peut ça ? Et il peut bien plus, je gage. Éclat de tulipe ? Des fleurs ? Comme c’est joli. Tulle décapité ? Irez-vous jusqu’à déchirer ce voile qui m’enserre ? Allons, vous ne vous intéressez tout de même pas à Tel cul de Pietá ? Vous, ce serait plutôt le Cul de la petite ? Merci pour le compliment détourné. En tout cul... Oh, pardon ! Je voulais dire : en tout cas, que de mystères à résoudre ! Enfin, je souhaite sincèrement que vous ne vous montrerez pas cupide et létal envers moi.5
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5Culte de Pilate ... cupide et létal...
On m’a (gentiment) signalé que les anagrammes étaient passées de mode et que leur présence dans le manuscrit risquait de "perturber le public" voire de le faire "décrocher". Soyons franc : outre que je n’ai jamais compris comment on pouvait savoir ce que pense ou fait "le" public (comme s’il n’était composé que d’une seule personne, douée de télépathie, qui plus est !), j’estime au contraire que les anagrammes constituent l’un des ingrédients essentiels de la littérature du XVIe au XVIIIe siècles ; non seulement elles doivent rester à leur place, mais j’ai même consacré plusieurs heures à traquer les éventuelles anagrammes cachées dans le texte. Après tout, Alcofribas Nasier est une anagramme, Voltaire aussi, et Stendhal, et Yourcenar, et Agesilaus Santander, et qui sait combien d’autres ? Quant à L’histoire amoureuse des Gaules, elle en regorge (même si elles n’ont pas suffi à exempter Bussy-Rabutin), de même que le Cymbalum Mundi de Des Périers, ouvrage qui, sous les noms de Thomas du Clénier et Pierre Tryocan, cache en fait une dispute entre un incrédule et un croyant.
Bref, il serait aussi absurde d’effacer les anagrammes d’un tel document que de faire un western sans cheval, un polar sans cadavre, un roman français sans nombrilisme, un roman américain sans culpabilité (ni le mot "american" dans le titre, ni exergue biblique, ni recherche d’une figure paternelle...), un roman anglais sans personnage homosexuel, un roman russe sans suicide, un roman italien sans curé, un roman pour adolescents sans faute de goût ou un roman à l’eau de rose sans proverbe. Je ne dis pas que c’est impossible, seulement que ce serait atypique.

mardi 26 mars 2013

SHERLOCK & WATSON # 4 : Les Pies qui chantent



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SHERLOCK HOLMES : Watson! Mais que faites-vous donc?
DOCTEUR  WATSON: J’ai perdu ma paire de jumelles. Je range donc notre appartement.
SHERLOCK HOLMES : Profitez-vous toujours de mon absence pour flanquer le souk là où vous ne devriez pas?
DOCTEUR  WATSON: Je range votre souk et le rangerais tant que je n’aurais pas retrouvé mes jumelles en laiton.
SHERLOCK HOLMES : Êtes-vous certain de les avoir perdues? Ne vous les a-t-on pas plutôt dérobées?
DOCTEUR  WATSON: Pourquoi me les aurait-on volées? Je les range toujours par ici dans une boîte en noyer.
SHERLOCK HOLMES : Vous rangez tout où bon vous semble: j’ai retrouvé votre chapeau sur le réservoir de nos commodités.
DOCTEUR  WATSON: Je l’y avais oublié. Ah! Voilà leur boîte! Dire que je les tiens de mon aïeul.
SHERLOCK HOLMES : Votre étourderie vous perdra. Qu’y a-t-il dedans?
DOCTEUR  WATSON: Une cuillère à marmelade. Que fait-elle là?
SHERLOCK HOLMES : Vous l’y avez sûrement rangée. Votre chevalière était dans le beurrier, ce matin.
DOCTEUR  WATSON: Diable! Quelle tête en l’air je fais!
SHERLOCK HOLMES : Reprenons : où étiez-vous hier soir, vers 17 heures?
DOCTEUR  WATSON: Chez Lady Bloomberry. Pour prendre le thé, en tout bien tout honneur.
SHERLOCK HOLMES : Voilà donc d’où provient cette cuillère. Qu’avez-vous fait ensuite ?
DOCTEUR  WATSON: Je me suis rendu au club pour une partie de cartes. Mais je ne me souviens plus de mes gains, car…
SHERLOCK HOLMES : Car vous êtes revenu ivre et au bras de Miss Appletone.
DOCTEUR  WATSON: Impossible! Miss Appletone et moi avons rompu toute relation il y a un mois.
SHERLOCK HOLMES : Lorsque vous avez rencontré Lady B., sa plus proche amie. Lily est-il le prénom de l’une d’entre elles?
DOCTEUR  WATSON: C’est celui de Miss Appletone, pourquoi?
SHERLOCK HOLMES : Vous le murmuriez cette nuit en vomissant dans nos commodités la drogue qu’elle vous a fait ingérer hier.
DOCTEUR  WATSON: Diantre! Les chamelles! S’en prendre à moi ainsi, pour une histoire de cœur!
SHERLOCK HOLMES : Et pour retirer la chevalière de votre doigt gonflé, vous avez utilisé le beurre du breakfast.
DOCTEUR  WATSON: Où est cette voleuse de Lily Appletone?
SHERLOCK HOLMES : Elle observait la Tour de Londres, depuis l’autre berge de la Tamise, il y a une heure déjà.
DOCTEUR  WATSON: Holmes, ne pouviez-vous pas le dire plus tôt?!
SHERLOCK HOLMES : C’est ma revanche, Watson. Je déteste qu’on glisse ses doigts dans le beurre de mon breakfast.
DOCTEUR  WATSON: Je n’ai pas le temps pour vos sautes d’humeur; je cours à la City.
SHERLOCK HOLMES : Prenez garde tout de même, je crains que nos deux pies voleuses ne nous préparent autre chose.

vendredi 22 mars 2013

Dans Autodafé, il y a "auto" ou "soi" ?

Dans les films et les romans dits romantiques, quand on voit le protagoniste jeter ses Mémoires au feu (ou ceux de son rival, qui a eu la maladresse de le désigner son héritier), on se dit que tout cela est un peu grandiloquent; un peu gothique. Et pourtant, croyez-moi sur parole, ça fait quelque chose.
Eh bien, voilà. C'est fait. Au cours de la semaine écoulée, j'ai brûlé près de cent kilos d'archives personnelles.
Bon. Un cinquième de documents administratifs sans intérêt. Pas grave. Normal. Jusqu'ici, tout va bien.

3. Lettre d’Euclide Pattel à Doxa



Les Assiduités exemplaires
une pasquinade anonyme


L'homme de douleurs
Maerten van Heemskerck (c. 1530)


VXXXLCCC / IXLCCC / XLCCC / XXCC / XXICC / IVCC / IV

à Leyde
par la Confrérie des Bouteilles3
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3. Lettre d’Euclide Pattel à Doxa

Vaux-le-Pénil, en ce lundi 1er octobre 1657

Chère "Doxa",
c’est à la suite de plusieurs jours de recherche assidue que je suis parvenu à obtenir votre adresse et votre identité, au prix d’un sacrifice que je vous décrirai plus bas dans ma lettre (rassurez-vous, je n’ai pas eu à me séparer d’une bourse bien pleine - encore que je connaisse bien des gens qui n’auraient su résister à un tel argument).
La raison pour laquelle je vous ai cherchée et démasquée, je vais vous la dire maintenant, car je tiens à écarter toute possibilité de quiproquo. Le mieux est que je fasse comme si je ne savais pas qui vous êtes ; ce qui, à tout prendre, est presque le cas.
Tout a donc commencé chez Mme de Mont., chez qui je me trouvais le 22 septembre dernier. Comme vous le savez fort bien, elle organise - hélas, irrégulièrement ! mais elle argue que la routine tue l’ardeur, ce qui se conçoit - dans sa maison de campagne de F***y, des fêtes galantes où les plaisirs de la chère le disputent à ceux de la chair. J’en suis un habitué des plus assidus, Mme de Mont. ayant été mon amante tout au long de ses deux mariages (et même avant, mais c’est là un secret que je vous confie pour vous prouver que je me livre à vous corps et biens - ne l’ébruitez pas, ce secret ; il mordille encore un peu).
Pour être honnête, je faillis bien ne pas venir à cette soirée. Ces derniers temps, en effet, la lassitude me gagne vite, et l’arrivée brutale de l’automne m’incitait à rester chez moi, où une quelconque de mes chambrières aurait écarté ses cuisses dodues afin que je m’y insinue pour mettre le poupon au chaud.
Or, c’est justement la perspective de besogner une fois de plus sans entrain qui me décida au dernier moment à faire préparer ma voiture pour aller affronter le froid. J’arrivai donc chez Mme de Mont. bon dernier, à presque minuit, prêt à me repaître des rogatons, sachant qu’ils seraient tout de même de premier choix. Après avoir bu, afin de m’échauffer les fluides, trois verres d’hypocras coup sur coup, je me glissai sans coup férir sous les jupons de Mme de Brinv. - une habituée - qui, à genoux près de la cheminée, la poitrine débraillée et offerte aux caresses de Mlle de Beauv. assise dans son dos, tenait en sa bouche la virilité exacerbée de M. de Vass., lequel devisait par-dessus les corps avec Mme de Mont., assise à quelques mètres de là à califourchon sur M. Digb. dont les doigts lutinaient respectivement Mme d’Olon. et Mlle de Feuq., vautrées sur une fourrure dans une posture défiant les lois de l’équilibre et de la vertu. D’autres bouts de corps se trémoussaient çà et là, certains dans un tel état de dénuement que rien ne m’aurait permis de les reconnaître. Il y avait trop de beau monde4et mon retard m’avait empêché d’être introduit dans les règles. Tant pis pour moi.
Ayant donc repéré la libre entrejambe de Mme de Brinv., je me couchai devant elle, après avoir quémandé son approbation, qu’elle accorda d’un regard distrait sans désemboucher M. de Vass., me mis sur le dos et rampai en me tortillant sous la tente de ses jupons froufroutants. Il régnait là une chaleur étouffante ; heureusement, je n’avais aucune chance de mourir de soif en ce désert couleur de chairs roses : une pluie délicieuse tombait en gouttelettes des lèvres rougies de Mme de Brinv., gouttes que je commençai religieusement à recueillir sur ma langue, avant de m’élever, tout aussi religieusement, à leur source que je savais presque inépuisable.
L’effet escompté ne tarda pas à se produire : Mme de Brinv. émit bientôt des gémissements lents et profonds qui répondaient trait pour trait à mes assauts linguistiques ; et mon mât se dressait, de plus en plus fier et tout bardé, sémaphore immanquable pour toute créature désireuse de lui donner une ferme leçon de maintien. J’avais pris soin de dégager ma braguette, afin d’en faciliter l’accès.
Les quelques minutes qui s’écoulèrent alors me parurent fort longuettes, preuve que j’étais depuis trop longtemps dans des dispositions accueillantes. Je ne sais à quel moment exact m’effleura la première sensation suave ; tout à la satisfaction de Mme de Brinv., la sachant habituée aux paroxysmes lents et méticuleux, j’avais négligé la surveillance mentale de mon membre délaissé. Je sus bientôt que le geste qui avait attiré mon attention n’était pas, en fait, le premier, qu’il y en avait eu d’autres auparavant, d’une légèreté telle qu’ils n’avaient pas éveillé mes sens les moins subtils mais ceux de la partie la plus sombre de mon esprit, précisément là où sont enfouis mes désirs les plus secrets, ceux que je n’ose pas même avouer à mes compagnes de jeux amoureux, encore moins pratiquer en compagnie, si galante fût-elle.
En moins d’une minute, pourtant, mon âme bouleversée s’était concentrée au milieu de mon corps, pour jaillir, rectiligne et enflée, hors de moi, hors du temps. Pendant une durée indéfinie, un objet à la douceur indicible monta et descendit le long de ma hampe, en faisant parfois le tour complet, tel un géomètre consciencieux effectuant des mesures royales.
J’étais partagé - écartelé, même - entre le désir impérieux de connaître la personne qui me prodiguait de telles caresses, et la crainte qu’on ne me fît là quelque méchant tour. La chose s’est déjà vue - surtout entre orgiastes assidus - et ma réputation, si ferme soit-elle, n’est pas à l’abri des facétieux. Plus que tout, je souhaitai ardemment que ma fellatrix incognita ne fût pas un homme ; car même s’il est de bon ton de coucher quelquefois avec un représentant de son propre sexe, j’avoue que l’expérience ne m’enchante guère et que je la considère comme un vil expédient.
Bref, il arriva ce qui ne pouvait qu’arriver : de plus en plus perturbé par ce qui se déroulait autour de mon vit, je bâclai un peu Mme de Brinv., lui saisissant les hanches pour écraser sa mignonnette sur ma bouche, l’embrochant de ma langue dardée, laquelle commençait à s’ankyloser. J’ajoutai vite un doigt fureteur dans sa ferme rondelle, afin de précipiter sa douce agonie. Le résultat fut heureusement assez prompt et me laissa presque à bout de souffle. Mme de Brinv. se mit soudain à prier en latin et à tue-tête, prouvant accessoirement qu’elle avait fini de besogner M. de Vass., et signe habituel qu’elle atteignait l’apogée espéré. Salve me, vagina ! hurla-t-elle quatre ou cinq fois, ce qui signalait chez elle ces fameux orgasmes répétés dont vous parlez si souvent entre vous et qui nous rendent jaloux (peut-être même est-ce uniquement dans ce but que vous nous en parlez).
Mais je digresse.
Ayant expédié la marquise au septième ciel (sa résidence secondaire), je la fis aussitôt démonter, la poussant sur le côté avec un minimum de ménagements, pour mieux respirer tout d’abord, mais surtout pour mieux voir enfin qui me lutinait avec une telle maestria. Car mon plaisir lancinant venait d’évoluer : alors que je me dépêtrais des jupons de la marquise, un sublime anneau de chair brûlante s’était glissé autour de ma verge et descendait avec une lenteur irrésistible vers mon ventre tout vibrant d’émotions.
Réprimant à peine un gémissement, je baissai la tête pour tenter de contempler ma bienfaitrice. Las ! Sa chevelure opulente et brune se répandait telle une tente berbère autour de mon piquet et me cachait tout son visage. Je compris alors la nature de ce qui m’avait caressé avant que la demoiselle ne me prisse en bouche. Car - et quel soulagement ! - il n’y avait aucun doute qu’elle appartenait au beau sexe. La ronde nudité de ses épaules en mouvement ne pouvait tromper, pas plus que sa chevelure, quasi orientale dans sa démesure. Ses mains y plongeaient d’ailleurs et je sentais ses doigts exercer de subtiles pressions sur mon membre, qui me tirèrent bientôt des cris que je ne songeai plus à retenir.
Lorsque je sus que j’allais être comblé - si tôt ! - je posai une main sur cette tête au visage invisible, afin de lui laisser le choix d’avaler ou non ma sève, chose qui ne plaît pas à tous. Mais au lieu de la sublime fulgurance habituelle, je sentis alors, avec une déception qui n’eut pas l’occasion de durer, qu’elle se retirait, signe, croyais-je, qu’elle allait me laisser me répandre hors de son puits d’amour. Au lieu de quoi, une vive douleur me transperça la base du pénis... et mon petit geyser s’en trouva aussitôt découragé. Je faillis me plaindre de ce traitement mais constatai bien vite que la douleur n’avait été que fugace, et avait laissé place à une sensation de plaisir renouvelée, comme mise en attente de quelque chose de meilleur.
Je crus un instant qu’elle allait se relever pour je pusse la contempler enfin, mais pas le moins du monde. Après un temps savamment dosé, elle déplaça son corps tout entier, désenfourchant mes jambes pour se mettre à tourner autour de mon sexe, qu’elle avait repris entre ses lèvres. Ainsi, à genoux, par degrés, telles les aiguilles d’une horloge de chair, elle vint placer ses cuisses autour de ma tête. J’eus tout loisir de voir qu’elle était entièrement nue, hormis une jarretière de dentelle bleue qui ornait sa cuisse gauche. Mais à aucun moment, je ne pus distinguer son visage.
Avec une lenteur digne des tortures de la maudite Inquisition, elle abaissa la fente offerte de sa rose secrète, que j’eus à peine le temps de frôler du bout de la langue avant qu’elle ne se retire hors de ma portée. Pendant ce temps, à l’autre bout de mon corps, elle avait repris son va-et-vient buccal, qu’elle interrompait à chaque fois que je m’apprêtais à atteindre l’apogée. Comment savait-elle que j’allais le faire ? Je l’ignore, et c’est là la preuve que cette femme était versée dans d’autres arts que ceux de l’amour, qu’elle maîtrisait à la perfection. Mais vous le savez fort bien, comme je le démontrerai tout à l’heure.
Notre posture ne dura guère ; elle savait que j’étais à bout de patience et de force et que je ne résisterais pas longtemps encore à son assiduité exemplaire. Bientôt, au même instant exactement, elle abandonnait pour la dernière fois mon axe de chair, mes lèvres et ma langue prodigues - abandons qui me firent gémir d’inquiétude, voire d’angoisse. Or voici qu’en un bond prodigieux, elle vint s’empaler sur mon aiguille tendue à l’inouï, poussant un rugissement digne d’une féline africaine. Mon membre n’avait pas eu le temps de rester à l’air libre plus d’une seconde. Ma jouissance fut immédiate, sans retenue, d’une puissance inégalée à ce jour.
Me redressant autant que je le pouvais, je posai les mains sur les hanches sublimes de cette femme affolante et m’y agrippai de toute la force de mes muscles maltraités (mais comblés). Je me perdis alors (pour toujours, je crois) dans la contemplation enivrante de son dos, vaste fleuve de chair aux criques paradisiaques que fouettait en silence sa chevelure acajou. Je ne sais combien de coups de reins je parvins à donner encore, tous accompagnés de la décharge correspondante, mais je sentis que sous l’action de chacun, la peau de l’inconnue était parcourue de vagues de plaisir, comme l’onde est traversée par le vent. Je sentais même qu’au fond de son vase sublime, nos fluides les plus intimes se mêlaient sauvagement pour enfanter le plus délicieux des nectars et préparer la venue au monde d’un ou deux homoncules.
Bientôt terrassé, exsangue, je me laissai aller, cherchant l’air qui ressusciterait mes poumons brûlés. Il faut croire maintenant que je perdis connaissance ou que mon esprit battit la campagne. Car lorsque je relevai la tête, ma cavalière enthousiaste avait disparu. Je ne l’aperçus nulle part parmi les couples et les trios qui s’ébattaient mollement autour de moi. Il y avait une chaîne de six ou sept personnes enchevêtrées sur un canapé, mais une minutieuse inspection me révéla qu’elle n’en faisait pas partie. Ce qui me rassura, car une telle insatiabilité aurait dénoté d’un bien étrange caractère.
Je dus boire un cordial, puis un autre, avant de pouvoir questionner mes partenaires - du moins, ceux qui n’avaient pas la bouche pleine - au sujet de son identité. Vite exaspérés par mon insistance - ils voulaient, bien sûr, continuer à s’entre-baiser, mais moi, déjà, je ne voulais plus qu’elle, sans le savoir tout à fait encore -, ils me signifièrent que je les ennuyais.

Bien sûr, puisque je vous écris, vous avez compris que j’ai mené à bien ma petite enquête et que j’ai percé à jour votre identité (après en avoir fait de même avec votre intimité). Je conçois que vous désiriez demeurer dans l’ombre et ne souhaite pas vous effrayer. Vous remarquerez, comme preuve de ma bonne foi, que cette lettre ne comporte aucun nom propre, et que son interception éventuelle ne saurait servir à accuser quiconque. Au contraire, vous savez parfaitement ce que j’attends de vous. Jamais je n’aurais l’outrecuidance, que dis-je ? le manque de goût, de vous faire chanter ; sinon de plaisir, bien entendu.
J’en viens maintenant à l’enquête qui m’a permis de retrouver votre trace. Comme vous le savez, les soirées du marquis, bien que fameuses, ne sont pas des réjouissances auxquelles tout un chacun s’invite sur un coup de tête ; il faut y être introduit, si vous me passez l’expression (laquelle, d’ailleurs, doit précisément provenir de ce genre de situation et remonte donc aux calendes égyptiennes, voire babyloniennes !). Or donc, pour remonter jusqu’à vous, tel le saumon vers sa source, il me suffisait de découvrir qui vous y avait amenée et de l’interroger - fermement, si nécessaire.
Cette première étape fut la plus simple. Je rendis visite, sans fanfare, à M. le marquis de Mont., qui m’indiqua obligeamment que "l’ardente demoiselle brune à la taille de guêpe" était venue avec Mme Vaistas, une émigrée de passage qui risque de demeurer fort longtemps dans notre pays, car elle prend goût à nos divertissements culturels, bien différents de ceux de sa froide contrée natale. Il ignorait, par contre, l’identité réelle de ladite ardente, qui portait un voile de taffetas noir lors de sa présentation et qui avait été appelée Doxa, pseudonyme cinglant.
Avec un sourire en coin, le marquis regretta que ce soir-là, je fusse arrivé en retard, ce qui m’avait privé d’un spectacle réjouissant : Mme Vaistas et Doxa s’étaient en effet déshabillées mutuellement, avec force caresses et baisers savamment situés. M. le marquis m’avoua même être entré dans une érection dont il s’était violemment délivré quand l’exquise Doxa s’était mise à sucer lentement la langue de Mme Vaistas comme si celle-ci eût été une verge dûment érigée. Je sais par l’expérience que Mme Vaistas est dotée d’un appendice buccal anormalement long qui lui a valu (déjà !) le délicieux surnom de Prêche-minou ; aussi l’image suggérée par le marquis me mit dans tous mes états. Avant de quitter son domaine, je passai par les communs où je troussai rapidement une soubrette, la culbutant sur un buffet avec une rapidité et une ardeur qui me laissèrent pantois.
Le soir même j’écrivis à Mme Vaistas, qui eut l’obligeance de me répondre dès le lendemain matin.
« Cher Monsieur, je savais que vous me contacteriez bientôt et pour quelle raison. Sachez que votre affection a été payée de retour et que son objet espérait (priait, même) que vous tâcheriez de le retrouver vite, vite, vite. Venez donc me voir ce soir (je loge au manoir de M. de Vill. à T***y) et je vous donnerai volontiers le renseignement que vous désirez. Bien entendu, toute peine mérite salaire et vous vous acquitterez, je le sais, de la dîme qui consistera à satisfaire l’un, au moins, de mes caprices. »
Inutile de préciser que je fus au supplice toute la sainte journée. D’un côté, satisfaire Mme Vaistas était loin d’être une corvée (malgré ses trente ans, elle peut encore poser nue sans le moindre artifice), et en d’autres circonstances, la chose m’aurait réjoui outre mesure ; mais de l’autre, cette nuit de délai qu’elle m’imposait retardait ma rencontre avec l’objet de mon désir, ce qui me mettait à la torture. Pire encore, connaissant l’esprit volage de Mme Vaistas, je savais que si elle n’était pas pleinement satisfaite, par châtiment, elle risquait fort de ne pas tout me dire et de me laisser sur ma faim. Mais elle est votre aînée et entend parfaitement jouir des privilèges auxquels elle a droit.
Pour parer à toute éventualité, je pris vers les cinq heures un cordial très épicé, dont j’ai déjà pu éprouver les vertus aphrodisiaques. Lorsque j’arrivai chez M. de Vill. à neuf heures, j’étais au garde à vous depuis tout ce temps, prêt à tirer sans sommation, tout vibrant d’émotion sous l’effet des cahots de la route (ah ! que n’étiez-vous dans la voiture avec moi, sur moi, autour de moi ?).
Une servante me conduisit avec une lenteur exaspérante dans les entrailles de la demeure et, dans une antichambre, m’aida à me dévêtir. Elle n’eut ensuite pas besoin de me mignarder bien longtemps pour que je fusse absolument "ready", comme disent les Anglais. D’un doigt, elle m’indiqua une porte et s’éclipsa. Derrière la porte se trouvait Mme Vaistas, alanguie dans une énorme baignoire, nue comme un songe, luisante de sueur, toutes lèvres écartées, humides, tremblantes, prêtes à la pénétration immédiate. Aucun parfait gentilhomme n’aurait su la faire attendre.
Je ne vous décrirai pas cette nuit-là en détail. N’eussiez-vous existé, c’eût-été l’une des plus belles de mon existence pourtant riche en nuits haletantes. Les seuls instants où je vous oubliai furent ceux où j’atteignais l’apogée de ma luxure. Car oui, je l’avoue, il y en eut quelques-uns. Au matin, lorsque je m’éveillai en sursaut dans un lit encore brûlant, fourbu mais rassasié, un mot m’attendait, posé sur mes vêtements.
« Doxa s’appelle aussi Sœur Marie-Paule et loge au couvent des Mad. à Saint-G., où elle s’apprête à prendre les ordres... ou à se marier. Vous devrez mettre au point vous-même le stratagème qui vous permettra de la toucher. Je vous fais confiance ; j’ai pu mesurer l’ampleur (que dis-je ? le volume !) de la motivation qui vous permettra d’y parvenir rapidement.

Mme Vaistas

PS : je prêche aussi les matous, comme vous avez pu le constater à maintes reprises. »
J’avoue que je ne fus guère surpris d’apprendre que vous étiez nonne. Ce qui m’agaçait, c’est que j’allais devoir élaborer ce fameux stratagème pour vous atteindre. Heureusement, je suis coutumier du fait, et les couvents de ce pays sont de véritables passoires (contrairement à ceux d’Espagne et d’Italie, qui sont de vraies prisons - une honte pour l’humanisme, sinon pour l’humanité). Il m’a fallu pas moins de trois jours et cinquante livres pour mettre au point le système de communication qui vous permet maintenant de me lire. Il vous suffira, pour me répondre, d’utiliser le même truchement.
Vous l’avez compris : je veux vous revoir avant qu’un fâcheux quelconque ne vous épouse et ne vous enferme à vie dans son répugnant donjon ; le fâcheux en question fût-il Dieu le père en personne. Pouvais-je rêver plus grand rival ? Tout se tiendra en une question : les extases qu’Il vous procure sont-elles plus belles (et plus durables) que les miennes ? Sachez déjà qu’en ce qui concerne l’extase unique que vous m’avez donnée, elle culmine au pinacle de mon existence, et je ne saurais vous en remercier assez, sinon en en partageant bien d’autres et d’autres encore jusqu’à satiété et encore au-delà.
Dites-moi simplement : où et quand ?

Euclide Pattel
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3VXXXLCCC / IXLCCC / XLCCC / XXCC / XXICC / IVCC / IV
Cette série de nombres romains a été notée (inversée, comme dans un miroir) à la plume sur la chemise qui protège la liasse de feuillets constituant Les Assiduités exemplaires. Rien ne permet de savoir qui l’a transcrite ni ce qu’elle signifie, encore moins si elle a une quelconque importance pour notre affaire. J’ai préféré la reporter ici par souci de vérité.
La mention "Leyde" est curieuse, dans la mesure où il s’agit d’un manuscrit, non d’un livre imprimé ; c’est à Leyde (et plus généralement aux Pays-Bas) que de nombreux livres jugés séditieux ou même périlleux pour la vie de leur auteur furent publiés tout au long de la Renaissance et jusqu’au XVIIIe siècle. Peut-être l’auteur du pasquin envisageait-il de se faire publier dans cette ville ?
Quant à la Confrérie des Bouteilles (à laquelle appartenaient Viau et d’autres libertins), voici ce qu’en dit le père Garasse dans sa Doctrine curieuse... : "Il est vrai que pour cette Confrérie des Bouteilles, je n’en sais ni les lois ni les fondations ni les officiers : d’autant qu’il n’est permis de souffler à la bouteille qu’à ceux qui se sont enrôlés en la fraternité et qui ont juré le secret qui se pourra garder entre les ivrognes : je sais seulement que c’est une assemblée de vilains, subalterne et indépendante des beaux Esprits prétendus qui font en cette confrérie comme leur apprentissage d’Athéisme. Le lieu de leurs rendez-vous a été deux ou trois fois dans cette petite Chapelle qui est en l’Île du pont de bois, en laquelle ils ont commis des profanations et des sacrilèges horribles, quelques défenses et excommunications qu’on ait pu jeter contre eux." De vrai démons, donc, puisqu’ils savaient résister aux (ch)armes de la religion ! En réalité, de simples bons vivants qui entendaient penser et agir librement sans que des jésuites viennent les sermonner ou les conduire au bûcher. Ils n'étaient pas plus pervers que Rabelais au siècle précédent, qui avait mis en exergue de son Cinquième Livre : "Ô bouteille, pleine toute de mystères, d'une oreille je t'écoute : ne diffère."

4Il y avait trop de beau monde...
Les abréviations utilisées par l’auteur du pasquin sont volontairement ambiguës. Mlle de Beauv. peut désigner l’une des deux filles de Mme de Beauvais, qui était la première femme de chambre d’Anne d’Autriche, dont on dit que c’est elle qui a déniaisé Louis XIV ; ou pourquoi pas (mais c’est peu probable) Mme de Beauvais elle-même ? Vass. peut désigner le marquis de Vassé, qui fut l’un des innombrables amants de Ninon de Lenclos, mais aussi de Mme de Sévigné, entre autres, et que l’on appelait "Son Impertinence". Mont. est trop vague et fera l’objet d’une note à part (42). Digb. peut renvoyer à George Digby, comte de Bristol, émigré britannique qui fréquentait assidûment la duchesse de Châtillon et lui soutirait des secrets d’état qu’il allait ensuite confier au prince de Condé réfugié en Belgique. Olon. renvoie sans doute à Mme d’Olonne, qui entama une carrière d’épouse fidèle et prude, avant de se déchaîner soudain et de devenir une Messaline. Feuq. ne peut guère désigner que la marquise de Feuquières, fille d’un intendant des Finances. Enfin, Brinv. évoque la marquise de Brinvilliers, laquelle, en 1657, n’avait pas encore rencontré son amant Sainte-Croix, qui ne lui avait donc pas appris à composer les poisons dont elle se servirait en 1676 pour assassiner son père et ses deux frères, ce qui la conduirait à être décapitée et brûlée, non sans avoir révélé les renseignements terrifiants qui conduiront à l’affaire des Poisons.
Un tel rassemblement de personnes paraît improbable, et sans doute l’auteur satisfait-il là sa mythomanie, dont on verra plus loin d’autres exemples. Il n’est toutefois pas impossible qu’un peu de vérité se cache sous cette pluie de noms.

lundi 18 mars 2013

Sherlock & Watson 3 : Une tonne de soucis



Message du Comm. LEPRINCE, PJ Paris: Pierre Curie tué ce matin. Piste anglaise. Besoin votre aide.
Sherlock HOLMES : Ai lu l'incident dans L'Aurore. PC renversé par charrette pechblende. Charretier coupable ou complice?
Commissaire LEPRINCE : Charr. travaille pour certain Raymund Timor, directeur de cirque américain. J'ignore encore lequel.
Sherlock HOLMES : Cirque Indiana; en ce moment aux Jardins de Lew. Timor l'a racheté. M'en occupe. Faites garder Marie C.
Commissaire LEPRINCE : Nous l'avons conduite en lieu sûr, sous bonne garde. Soyez prudent.

Sherlock & Watson 2 : Une chapka qui rapporte



Sherlock HOLMES : Watson, louez un cabriolet et, sans discuter, allez parier 100£ sur Jouvenceau second dans le Derby.
Docteur WATSON : Holmes, j'obéis mais vous me le paierez ; j'avais rendez-vous avec ma mère. Second, vraiment ?
Sherlock HOLMES : Votre mère ? Enchanté ! Vous lui offrirez une chapka en fennec des neiges avec nos gains. Oui: second !
Docteur WATSON : Mais si nous perdons ? C'est mon argent ! Pour une fois que vous m'en laissez. Me rembourserez-vous ?
Sherlock HOLMES : Bien sûr que non ! Je n'ai pas 100 £. C'est pourquoi vous devez gagner ce pari.