mardi 4 septembre 2012

Le Principe de la Balle à blanc


LE PRINCIPE
DE LA BALLE À BLANC
ou le Remède pour guérir du Capitalisme


         Chers correspondants, comme vous le savez peut-être, lors d'une exécution militaire, l'officier qui distribue à chaque soldat la cartouche qui va permettre d'appliquer la sentence explique à ses hommes que l'une de ces douze balles est chargée à blanc ; ainsi les braves soldats - qui, dans les pays démocratiques, ont été tirés au sort ; dans les autres, ils sont volontaires - pourront se sentir moins coupables en se persuadant qu'ils n'ont pas vraiment tué leur ancien camarade devenu déserteur.

         Ce que l'officier ne leur dit pas - et que, parfois il ignore lui-même - c'est que rien ne l'oblige à respecter à la lettre cette coutume délicieusement humaniste ; il suffit que tous y croient pour que chacun garde la conscience tranquille. Mieux encore : si l'officier choisit de ne pas distribuer la balle à blanc, non seulement personne ne pourra le vérifier par la suite, mais de toute façon cela ne serait pas considéré comme un crime.
         Je vois dans ce principe « moral » de la balle à blanc une analogie assez frappante avec l'essence du capitalisme : à savoir que tous spéculent (c'est-à-dire bâtissent leur richesse sur le travail d'autrui, le plus souvent des inconnus, voire des étrangers) mais chacun se persuade que seuls les autres spéculateurs sont conscients de ce qu'ils font et sont donc les vrais salauds. Quant à ceux qui ne spéculent jamais, ils sont comme les soldats qui assistent à l'exécution du déserteur ; impuissants, résignés, uniformes et infirmes, ils justifient le spectacle de l'injustice par leur seule présence. (A moins que ce ne soit plus prosaïquement par la peur d'être le prochain).
         Cela ne paraîtra peut-être pas logique à certains (notamment ceux qui croient que tout travail mérite salaire et autres proverbes du même acabit) mais je suis persuadé (par moi-même, ce qui n'est pas encore un délit) que les injustices flagrantes du capitalisme seraient supprimées si on lui coupait enfin les Bourses. Vous me direz : « Mais cela va faire des millions de chômeurs ! Tous ces pauvres traders ne pourront plus se payer leur Rollex afin de détourner les moqueries de leurs pairs ! »
         Rassurez-vous, j'ai la solution.



       La voici : puisqu'ils savent si bien manipuler les chiffres et leur faire dire ce qu'ils veulent, il suffira tout simplement aux courtiers de se reconvertir dans la redistribution équitable des ressources planétaires. Après tout, cela ne changera rien à l'organisation du monde ni à la nature de leur travail quotidien. Sauf qu'au lieu d'envoyer les denrées au plus offrant (qui vit en général de l'autre côté de la Terre), elles iraient au plus nécessiteux (qui est le plus souvent le voisin de l'ouvrier qui récolte, quand ce n'est pas l'ouvrier lui-même). La seule chose qui changerait vraiment, c'est que plus personne ne ferait de profit, puisque tout le monde en profiterait.
         (Les plus pertinents d'entre vous remarqueront en passant que c'est là, déjà, le discours officiel tenus par ceux qui profitent individuellement pendant que les collectivités crèvent. Attention : un tel discours n'est pas hypocrite dans la conscience de ceux qui le tiennent, puisqu'il s'agit du discours dominant. Et comme la majorité ne saurait avoir tort, il en résulte que ce sont les communistes qui sont des hypocrites, et que le peuple, s'il a faim, n'a qu'à apprendre à manger moins. CQFD, mon général !)
         Mais alors, les pauvres traders qui ne pourront plus se gaver à mort se sentiront coupables de laisser passer toutes ces « opportunités de se faire des testicules en uranium » ; c'est pourquoi il faut leur fournir un moyen d'éviter ce sentiment désagréable et parfois traumatisant. Le remède est fort simple : il leur suffira de s'enfoncer une balle à blanc dans le fondement.
         On pourra même les commercialiser, en boîte de douze, sous le nom de Poop Blank, ou le Suppo de Satan. Allons encore plus loin : dans chaque boîte, il y aura un suppositoire à effet placebo, c'est-à-dire qu'il ne déculpabilisera pas du tout le patient. Ainsi, de temps en temps, le courtier devenu authentique bienfaiteur de l'humanité pourra se sentir délicieusement puissant, tout comme avant, quand son argent dominait le monde.
         Et même, plus fort encore : on pourra les faire tous placebo et ne rien dire à personne ! Ainsi, tout sera vraiment comme avant, à part ce tout petit détail que la faim dans le monde ne sera plus qu'occasionnelle ou accidentelle, et pas plus difficile à gérer que, mettons, un tournoi de poker ou de belote.
         Etonnant, non ?

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