Bestiaire amazonien
de François Feer
(éditions Le Dilettante)
Voici quelques années,
après l'invention de la « jungle urbaine » (concept justifiant le
démantèlement de la culture au profit d'une sécurité peu sociale), est apparue
une nouvelle sous-espèce humaine : l'homo sapiens lectorans.
Celui-ci, hagard mais décidé à survivre, cherche les ultimes bons livres dans
la jungle gonflée aux hormones du marketing mondial inféodé aux gras
distributeurs (F1635 : goncourisone, BHL000 : romankétine,
$700$ : néolibéralyse, en sont les principales représentantes). Comme tous
les chercheurs hagards et décidés, c'est dans les grands moments de désespoir,
tout près d'abandonner et de céder aux appels les plus clinquants, que lectorans
déniche soudain la perle, le papillon rare, le parangon de ces bois
méphitiques.
Disons-le tout de
suite : si j'avais fait confiance aux professionnels de la profession, je
n'aurais jamais trouvé le Bestiaire amazonien de François Feer. Pour y
parvenir, il aura fallu que, poussé par un instinct contradictoire, je suive un
sentier délaissé, broussailleux et quasi invisible. De fait, je me croyais
perdu, loin de tout, atrocement seul ; j'étais si démoralisé que je
m'apprêtais même à relire un classique, quand mon attention fut attirée par un
cri discret et plein de tact, qui évoquait autant le garnement rigolard que le
lama en peluche grandeur nature : il était là, assis à ma droite, et me
regardait avec, dans les yeux, tout le contraire d'une menace.
La première chose qui
frappe, en François Feer, c'est qu'il est déjà fort grand garçon pour son
âge ; la deuxième, c'est son sourire, qui mesure au bas mot sept doigts de
large ; la troisième, ce sont ses lunettes, dont on se demande comment il
les retient sur son nez lorsqu'il bondit d'une liane à l'autre. Car François
Feer est - on le comprend très vite - le petit-neveu caché de Tarzan.
Mais, contrairement à son parent olympique qui se souciait plus d'esthétique
musculatoire que d'écologie, l'auteur du Bestiaire amazonien parcourt la
canopée, tête en bas, par pur souci de connaissance. De sagesse ? Je n'ose
prononcer le mot à voix haute ; pourtant, il n'est que de lire la moindre
de ses phrases pour songer aussitôt à un beau tas de Pierre : Desproges,
Perret, Loti, Bonte, et même - mais oui, cette lueur dans l'œil
gauche - de Coubertin.
Comme tous les bestiaires,
celui de François Feer est classé dans l'ordre, peu importe lequel. On y
trouvera donc, entre autres, les descriptions de plusieurs bestioles sylvestres
équinoxiales, tels le colibri, la rainette, le singe hurleur, le scarabée ou le
jaguar, qui se nomment en réalité scientifique : trochilidé, phylloméduse,
alouate et phanée (quant au jaguar, il n'a pas besoin de pseudonyme, puisqu'il
est connu dans la jungle comme le loup blanc), toutes bestioles dont les mœurs
ont de quoi surprendre l'usager de la
RATP, étonner
les derniers spécimens de ménagères et dérouter le parasite des fauteuils mous
(aussi appelé « téléspectateur »). Qui croirait, en effet, que le
pian, lorsqu'il est menacé, peut feindre la mort à s'y tromper ? Ou que
les plumes du colibri changent de couleur selon la quantité de microscopiques
bulles d'air qu'il a emprisonnées sous ses ailes ? Ou que le tatou a cent
dents et qu'il est, à la naissance, « tendre comme un cœur de laitue » ?
Ou que la rainette sécrète une drogue mille fois plus puissante que le LSD ? Ou que la mémoire
défaillante de l'agouti permet à la forêt de s'enrichir ? Ou un millier de
choses encore plus incroyables mais dont personne ne parle.
François Feer nous affirme
que tout cela est vrai, qu'il l'a constaté et observé lui-même (ou tout comme,
car il connaît personnellement l'homme qui a vu la bête), que ce ne sont point
là des racontars propagés par notre cousin proche, l'homo sapiens explorans (qui
se reconnaît à son haleine parfumée au ti-punch et à ses Pataugas délabrées).
Non, tout est authentique, avéré, véritable, au point que l'on est tenté
d'enfourcher sa bicyclette favorite pour aller le vérifier séance
tenante : on constate alors que la forêt amazonienne est bel et bien d'une
richesse confondante, merveilleuse, aussi nécessaire que menacée, et si nous
n'y faisons rien, elle succombera tantôt à une fatale overbulldoze qui
ne laissera après elle qu'un gigantesque parking de terre battue à mort
traversé d'un cours d'eau désormais inutile : l'Amazone sinistré.
C'est pour cela qu'il faut
lire le Bestiaire amazonien ; d'abord parce qu'il dit des choses
tellement vraies qu'elles nous changent agréablement des « vérités officielles » ;
ensuite parce qu'il les raconte dans une langue aussi savoureuse que celle de
Cyrano, aussi déliée que celle d'un fameux écrivain auvergnat du milieu du XXe siècle (qui vécut dans l'arrondissement
parisien du même carat et dont le nom rime avec alouate), aussi délicieuse et
riche qu'un vin orphelin qui aurait rencontré son fromage idéal (pourquoi pas
un jeune clinton avec un banon entre-deux ?) ; enfin, parce qu'il
contient de beaux dessins à l'encre noire de Dupuy & Berberian, ce qui ne
gâte rien.
Il paraît même qu'une
certaine académie (celle qui jouxte l'acadécroûte, bien connue des amateurs de
chroniques) vient de lui accorder un prix. La chose est évidemment
absurde : François Feer est comme l'inox, incorruptible ; ou tout au
moins, incorrodable. La preuve, c'est qu'il nous prépare la suite de son Bestiaire ;
cette fois, en version sous-marine. Je vais tout de suite aller équiper mon
vélo d'une paire de palmes et d'un tuba !
¤ ¤ ¤
Ô joie indicible ! Le suivant est aussi bien :
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