Dictionnaire
des Voyageurs et Explorateurs occidentaux
du
XIIIe au XXe siècle
de
François Angelier
(éditions
Pygmalion, 2011)
L'autre
jour, en visite chez mon bouquiniste favori, j'eus le regard attiré
par un objet séduisant : un beau gros livre à la couverture
bleue et vanille arborant une caravelle toutes voiles dehors et un
bout de carte représentant l'Amérique centrale. C'était le
Dictionnaire des Voyageurs et Explorateurs occidentaux (du XIIIe
au XXe siècle) de François Angelier,
aux éditions Pygmalion.
Je
m'en emparai avec avidité, de peur qu'un autre en profite, et fonçai
à la caisse sans même finir mon tour d'horizon. Il faut dire que
j'adore les dictionnaires (Pérec les trouvait rassurants ; moi,
ils me fouettent les sens ; d'ailleurs, le Dico des Lieux
imaginaires d'Alberto Manguel et Gianni Guadaluppi est mon livre
de chevet - entre autres). Plus encore : j'adore la période
historique dite des Grandes Découvertes ; elle contient en
germe toutes les contradictions de l'homme moderne, et on y trouve
les racines du bien et du mal qui tissent le monde d'aujourd'hui. Par
dessus tout, un tel objet n'existait pas (car même si l'Atlas des
Explorations de l'Encyclopædia
Universalis est magnifique, il n'est pas exhaustif et encore
moins d'usage pratique).
Bref,
j'étais heureux d'avoir un nouvel outil pour explorer l'Histoire.
Rentré chez moi, j'ouvris le trésor et plongeai au hasard dans ses
pages exotiques. Chaque personnage y est présenté par son nom, ses
dates de naissance et de mort (parfois supputées), ses occupation
principale et nationalité, ses destinations de prédilection, une
notice biographique relatant ses exploits les plus connus, enfin une
éventuelle source bibliographique. En moyenne, chaque notice fait
une demi-page ; certains inconnus ayant à peine laissé une
trace dans l'histoire n'ont droit qu'à deux ou trois lignes
(Heurter, Guerreiro, Baumgarten, Tenreiro...) ; Christophe
Colomb occupe trois pages et demie ; le plus généreusement
doté (Hernan Cortès) a droit à six pages.
Je
naviguais bientôt dans les eaux les plus douces qui soient, celles
de la découverte. Car j'ai beau m'y connaître un peu sur la
question, il faut bien admettre que la quantité d'Européens qui
sont un jour partis voir ailleurs s'ils y étaient force le respect.
Qu'ils fussent missionnaires (jésuites ou autres), négociants,
aventuriers, pirates, espions, traîtres, diplomates, anthropologues,
botanistes (combien de ses élèves Linné a-t-il envoyé à la mort
pour qu'ils lui ramènent des échantillons ? Je n'ai pas osé
les compter), conquistadores, trappeurs, interprètes,
cartographes, alpinistes, fonctionnaires, gestionnaires,
actionnaires, marins naufragés ou simples colons, la liste est
longue, voire interminable ; c'est bien sûr ce qui fait la
richesse de ce sujet.
Des
gens aussi incroyables que le fanfaron George Psalmanazar, l'utopiste
Christian Gottlieb Priber, le séducteur Maurice Benyovski, le
mystérieux Vincent Le Blanc, le malchanceux George Pollard Jr ou
l'indestructible Piri Reis ne peuvent qu'inspirer les écrivains en
quête de bonnes idées (James Clavell, par exemple, a fondé son
Shōgun sur la vie ébouriffante de William Adams). Bref, ce
Dico est tout prêt à servir de mine d'inspiration(s), raison pour
laquelle je me le suis procuré sans hésitation.
Sauf
que...
Sauf
que, au détour d'une notice concernant un missionnaire jésuite
parti d'Europe en 1601, on apprend qu'il est arrivé à Pékin en
1703 ! Faute de frappe, sans doute ; oui, mais aussi :
Thomas Cavendish, mort en 1592, accomplit son plus grand exploit
en... 1684. Matthew Flinders est né en 1774 et mort en 1814 mais il
est "rentré à Sydney en 1902". Fautes de frappe, le fait
que les îles Galápagos n'aient presque jamais leur accent ?
Que les Espagnols n'aient jamais de tilde sur leurs n,
ni les Portugais sur leurs ao ? Quant à la ville de
Calicut, elle n'a jamais droit à la majuscule, sans doute victime
d'une opération « Ctrl+F / Remplacer tout » aussi
abusive que malvenue.
Ce
n'est pas tout : Malaspina né à Mulazzo au début de sa
notice, revient dans "sa ville natale Pontremoli". Le
missionnaire récollet Joseph de La Roche Daillon, né en 1625,
arrive au Canada en... 1625 pour aider le père Viel ; quel
prodigieux bébé ! Dans la notice de Laplace, Hobart (Tasmanie)
se nomme "Hobort", erreur qui se reproduit plusieurs fois ;
dans une autre notice, l'île se nomme "Tansmanie" à
plusieurs reprises. Étienne de Flacourt réussit à "mâter"
une insurrection (sans doute grâce à des charpentiers musclés). On
apprend que Humboldt et Bonpland ont résidé en France de 1804 à
1827 (alors qu'ils sont
partis en 1807 ; leurs familles
les avaient réclamés). Ailleurs, Cortès doit "libérer [les
Mexicains] du jour de
Moctezuma" (p. 241), vu qu'il est "un rebelle à l'égard
de qui aucun égard n'est dû" (p. 242), et même que "Diego
de Velazquez, toujours hostile à Cortès, le convint
de rentrer dans le rang" (p. 243) ! Heureusement pour lui,
il n'est pas resté convintu
longtemps. Le 26 janvier 1500, Vicente Pinzon découvre
l'Amazone, le prenant pour le Gange, et en remonte le cours sur la
distance incroyable de "environ 50 mètres" (normal
qu'il se soit trompé ; en tout cas, sacré freinage, pour une
caravelle !)
Ailleurs
encore, John Byron (le grand-père du poète) effectue son tour du
monde de 1764 à 1766 "dans le cadre des opérations navales de
la Guerre de Sept ans", ce qui n'a pas dû être évident, vu
que celle-ci s'est déroulée de 1756 à 1763 (sauf dans la notice de
Tobias Furneaux, où la même guerre a duré de... 1760 à 1763 ;
sans doute a-t-elle bénéficié d'une remise de peine). Estevao de
Gama, né vers 1430, est le "fils de Vasco", lequel est né
trente ans plus tard, au bas mot. Selon le cas, la Muscovy Company a
été fondée soit par Sebastian Cabot en 1552, soit par Richard
Chancellor en 1555. Dans la notice sur Diego de Guadalajara, on nous
renvoie à la notice sur Benavides au sujet des Indiens Jumanos,
rencontrés en 1654 ; non seulement il n'y est pas question
d'Indiens, mais Benavides est mort en 1635. Dans la notice de
"Charles Clerke (1741-1799)", on peut lire la phrase
suivante : "Capitaine du Discovery jusqu'en 1799, il
prend le commandement du Resolution après la mort de Cook en
février 1799 à Hawaï" ; la bonne date est bien sûr
1779, comme aurait pu le vérifier l'auteur lui-même (ou le
correcteur, ou l'éditeur) dix pages plus loin dans la notice sur
James Cook. Quant à la triple répétition de ladite erreur, elle
exclut l'éventualité d'une faute de frappe ; et si jamais on
avait un doute, elle se répète dans la notice de Bellingshausen !
Voici
un exemple extrême (p. 354) : « HAYTON, Nicolas (?-1271)
Monarque puis religieux arménien. Destination :
Mongolie. Roi de Cilicie entre 1124
et 1269, il abdiqua à cette
date pour se faire moine. [...] Mandé ensuite à la cour mongole par
le prince Batou, il s'y rendit incognito en septembre 1354.
Il resta aux côtés du monarque jusqu'en novembre de la même année
pour revenir en Arménie en juillet 1255. » Et à part ça,
pourrait-on avoir un début d'explication pour le nom bien anglais de
cet Arménien ? Il travaillait pour Jasper Fforde, sans doute ;
ou pour Poul Anderson ?
J'abrègerais
volontiers ici les souffrances ; les exemples d'erreurs
pullulent (en moyenne deux par page, et le livre en compte 750) aussi
bien dans les dates que dans les noms, quand ce n'est pas dans les
faits eux-mêmes, qui sont souvent décrits sur un ton flou à faire
pâlir de jalousie les politiciens les plus roués (pardon pour le
pléonasme). Par exemple, Bodega y Quadra meurt d'une "attaque
subite qui met fin à sa vie", sans que le contexte permette de
savoir s'il s'agit d'une attaque par des ennemis ou d'une congestion
cérébrale. William Broughton découvre des îles, certes, mais pas
les Chatham auxquelles il a pourtant donné le nom de son navire,
découverte qui allait entraîner la destruction de la civilisation
indigène moriori. Dans la notice de Jacob Le Maire, le cap Horn est
"nommé ainsi en souvenir de ses commanditaires", alors que
c'était le nom de son navire ! De nombreuses phrases bancales
("Tomas de Berlanga flotte, à la demande de Charles Quint, en
direction du Pérou", "Golovnine et son équipage
s'enfuient à la face des Anglais" !) ou sans verbe sentent
l'absence de relecture, voire le copié-collé vite-fait/mal-fait. Et
pourquoi, mais pourquoi, mille sabords, avoir mis Du Petit-Thouars
père à la lettre D, et son fils à la lettre P ?
Bref,
tout cela évoque fortement le genre d'amateurisme irritant dont
nombre d'entrées Wikipedia sont percluses. Et ne parlons même pas
du ton général employé par l'auteur pour mettre en valeur
« l'aspect positif » des conquérants et colonisateurs
européens face à l'obscurantisme et la barbarie des sauvages
primitifs (exemple : les trois cents pélerins musulmans que
Vasco de Gama rencontre dans l'océan Indien en 1502 sont victimes
d'une mesure de "représailles", alors qu'ils n'avaient
rien demandé et qu'ils ont été attaqués, pillés, brûlés vifs
et coulés par les vaillants chrétiens ; quelques semaines plus
tard, le zamorin de Calicut est sobrement "maté", mot qui
traduit le fait que Gama a fait capturer au hasard une poignée
d'innocents sur le quai, les a pendus sans procès à ses vergues,
leur coupant ensuite mains, pieds et têtes, mettant le tout dans une
barque poussée vers le rivage en guise de message diplomatique). Et
bien entendu, les gentils missionnaires sont toujours "assassinés"
et "trahis" par leurs guides indigènes, tandis
qu'eux-mêmes "apportent la lumière de la civilisation".
Ce ton-là, on y est malheureusement habitué, au point de ne presque
plus le remarquer ; raison de plus pour ne pas l'excuser.
Hélas,
il y a encore pire.
Comme
le savent les amateurs d'exploits héroïques, le Norvégien Roald
Amundsen a disparu quelque part dans l'Arctique en essayant de porter
secours aux membres de l'expédition Nobile, dont le dirigeable
s'était écrasé ; on est donc en droit de s'attendre à voir
le nom de Nobile suivi de l'astérisque qui renvoie à sa notice.
Las ! Non seulement les astérisques sont distribués au petit
bonheur la chance, mais... ladite notice ne s'y trouve pas. Nobile
n'est pas dans le dico. L'espace d'un moment, on se dit que c'est une
simple erreur (une de plus !), que ce n'est pas si grave que ça.
Après tout, c'est une punition inconsciente, peut-être, pour cet
officier affligeant qui a non seulement provoqué la mort de presque
tout son équipage mais a égoïstement sauvé la sienne.
Sauf
que...
Sauf
qu'il n'est pas le seul grand absent. En cherchant un peu, on finit
même par en découvrir beaucoup, des absents. Passe encore que
l'hypothétique pirate Clipperton (censé avoir découvert l'îlot
insignifiant qui porte son nom) ne figure pas au côté de Pizarro et
des divers Aguirre ; ils ne sont pas de la même trempe. Passe
encore que l'interprète-soldat Máximo Rodriguez (qui a passé un an
sur Tahiti, à apprendre la langue indigène avant l'installation des
premiers Blancs) soit omis. Que Clark ait droit à une notice mais
pas Lewis, c'est curieux mais au moins, son nom est-il cité quelque
part. Que Bulmo et Estreito, prédécesseurs malchanceux de Colomb
sur la route des Indes par l'ouest, soient omis, pourquoi pas ?
Nous avons l'habitude de subir toute sorte de propagande à propos de
Colomb au point d'y être devenus indifférents. Que des voyageurs
mineurs comme Nachtigal, Frotet, Blosseville, Beaumetz, Faidherbe,
Alopen, les frères Buzoni, Marmaduke, Schuyler, Jackson ou Acquaviva
soient oubliés alors qu'ils sont parfois mentionnés, c'est
embarrassant mais on peut bien faire l'effort de l'admettre, étant
donnée l'ampleur de l'entreprise ; il fallait bien que quelques
personnes subissent les aléas de ce travail colossal (même si un
bon relecteur avait pour mission de s'en apercevoir et d'y remédier).
Et qu'il n'y ait guère qu'une douzaine de femmes en tout, on ne peut
sans doute le reprocher qu'à l'Histoire et à la misogynie atavique
des hommes qui l'ont écrite.
Certes,
à la rigueur, je veux bien, oui, mais...
Oublier
Surcouf alors que d'autres pirates moins célèbres y figurent ?
Oublier Guillaume de Rubroek, alors que son nom est cité des
dizaines de fois ? Oublier Franklin, alors qu'une bonne douzaine
d'expéditions sont parties à sa recherche, et que son nom est
mentionné autant de fois ? Oublier Clive, le conquérant
anglais des Indes ? Oublier Montcalm et La Condamine ?
Oublier Pigaffetta, l'un des dix-huit survivants de l'épopée de
Magellan ? Oublier Sebastiano Del Cano, qui a ramené à bon
port le premier navire européen à avoir fait le tour du monde ?
Oublier
Magellan ?
OUBLIER
MAGELLAN ?
...oublier Magellan...!
Peut-être
(hypothèse folle, mais la seule plausible en l'occurrence) que
l'auteur du Dico ne croit pas à l'existence de Magellan, et
que, dans sa générosité, il a souhaité nous faire partager cette
conviction peu orthodoxe...
Imaginez
un Dictionnaire des Politiciens sans Saint-Just ; un
Dictionnaire des Fromages sans Roquefort ;
un Dictionnaire des Femmes sans Marie Curie ; ou une
voiture sans marche arrière, un vélo sans roues, un navire sans
boussole... Laissons filer la métaphore au loin ; elle a besoin
de prendre l'air du large.
De
respirer un grand coup.
En
conclusion : outre le fait qu'un tel projet aurait dû être
confié à un vrai chercheur, cet objet aguicheur et plein de
promesses qu'il ne tient pas, bâclé par la hâte et la négligence
(tant celles de l'auteur que celles de l'éditeur), mérite une bonne
correction, une très sérieuse révision, et une réédition
augmentée. Après quoi, ce sera peut-être un bon outil de travail,
et pas seulement une source embarrassante de curiosité(s).
Merci pour cet avis très argumenté qui m'a évité de me précipiter sur ce titre pourtant prometteur... Je cherche ce genre de sommes depuis des années : auriez-vous en passant quelques conseils complémentaires de "vrais et bons" dictionnaires encyclopédiques des voyageurs et explorateurs ? Merci d'avance ! (et petite question par simple curiosité : avez-vous transmis votre relevé d'énormités au sieur Angelier, pour qu'il revoie sa copie ?)
RépondreSupprimerCher anonyme,
Supprimertout d'abord, non, je n'ai pas transmis ce compte rendu à l'intéressé; j'ignore comment il le prendrait et je n'ai pas assez d'amis puissants pour me défendre contre ses foudres éventuelles (ou celles de son grossissant éditeur).
En ce qui concerne votre recherche d'un bon dictionnaire d'explorateurs, j'ai bien peur que tout reste à faire. "Les découvreurs" de Daniel Boorstin est très intéressant, mais outre que ce n'est pas un dictionnaire, il parle de toute sorte de découvreurs, dans plusieurs domaines parfois intérieurs (néanmoins, le seul chapitre sur Henry Oldenburg vaut la peine de le lire). Le dico des Lieux imaginaires de Manguel & Guadaluppi en mentionne plusieurs, mais le classement est géographique (en plus du fait que ce sont des voyageurs généralement imaginaires - mais pas tous).
De fait, mon outil favori en l'occurrence est wikipedia en anglais. Les articles rédigés par des membres et des fans de la Royal Navy sont d'une précision historique incroyable et sans équivalent français; il y a même certains marins français qui y sont mieux détaillés que dans notre langue!
Bref, l'idée d'un dictionnaire des explorateurs était excellente, et c'est pourquoi ce gâchis est d'autant plus navrant. Si vous en avez le courage (ou l'entregent) n'hésitez pas à tenter de convaincre Pygmalion de publier une version totalement remaniée de cet ouvrage, qui le mérite. Mais surtout, par pitié, qu'ils confient le boulot à un vrai bibliophile connaisseur, pas à un bidouilleur de clavier.
Merci.
(Oublier Magellan... SOS!)
Un grand merci ! De mon côté je me penche sur l'Encyclopedia of Exploration de Ray Howgego en 5 volumes. On m'en a dit grand bien, et les quelques pages du 1er tome que j'ai pu consulter sont prometteuses. (et Magellan y est ! ouf !...)
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