Schéma de l'intrigue |
Reamde
roman de Neal Stephenson
roman de Neal Stephenson
« Limez-zoi,
ou il vous en cuira ! »
Avertissement du blogueur : cette chronique raconte tout le livre, et même plus.
Trois
ans à peine après le sublimissime Anathem (dont la
traduction en français est actuellement perdue dans les limbes
éditoriales d'un éditeur que je ne nommerai pas, de peur de créer
un caillot sur votre écran), Neal Stephenson revient à l'assaut
avec un autre pavé de plus de mille pages, au titre mystérieux
quoique-pas-tant-que-ça-pour-peu-qu'on-y-réfléchisse :
Reamde. Non, non, ce n'est pas une faute ; ou plutôt si,
c'en est une, mais elle a été voulue par l'auteur (c'est-à-dire
que, pour une fois, ce n'est pas l'éditeur qui s'est gouré). Il
faut donc bel et bien... lire Reamde !
Comme
la traduction française n'aura sans doute pas lieu avant 2016 au bas
mot, je peux bien vous raconter l'intrigue de A à Z aujourd'hui ;
d'ici parution, vous l'aurez largement oubliée. Pour l'essentiel,
disons que Reamde se déroule en deux étapes : la
première s'intitule Neuf dragons et fait une bonne moitié du
bouquin ; la seconde s'appelle Chutes américaines et
occupe l'autre moitié (je parie d'ores et déjà mon chapeau contre
une enclume en or massif que l'éditeur putatif de la traduction
s'efforcera d'en tirer un nombre étrange de volumes ;
passons...).
Reamde
a pour héros Richard Forthrast, ancien objecteur de la guerre du
Vietnam (que les USA ont perdue sur le score de 58.000 à deux
millions) devenu concepteur de jeux en réseau et fondateur du plus
gros succès de ces dernières années : T'Rain, un
MMORPG médiéval-fantastique dont l'univers a été créé
littéralement de fond en comble, où les sous-fifres creusent le sol
en quête d'or pour ensuite se faire piller par ceux qui ont des
flingues et/ou du fric. (On pourrait accessoirement se demander à
quoi bon créer un monde imaginaire super-chiadé si c'est pour y
reproduire exactement les mêmes comportements débiles que dans
notre Réalité™, mais bien sûr, c'est là une question idiote :
les utopies n'ont jamais rien rapporté, et Richard Forthrast est un
Entwepweneuw améwicain™, autrement dit un gagneur de pèze, a.k.a.
un personnage sérieux qui n'a pas le temps de délirer.)
Tout
va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes virtuels jusqu'au
jour où un petit malin décide de prendre en otage les données
échangées sur le net via la plate-forme T'Rain grâce à un virus
de sa conception, ne les relâchant que contre la somme mirifique de
mille pièces d'or ! Ce qui ne serait pas très grave si (par un
concours de circonstances qui donnerait une crise de delirium
tremens à un scénariste hollywoodien jaloux de Charlie Kaufman,
Christopher Nolan et David Mamet réunis) ledit virus ne prenait un
beau jour en otage une liste de cartes bleues destinée à un
intermédiaire écossais qui travaille pour la mafia russe, laquelle
liste a été établie par le futur ex-petit ami de Zula, la nièce
adoptive préférée de Richard, originaire d'Erytrée. (Je
simplifie.)
De
boules de neige en avalanches, l'affaire prendra des proportions
méta-cosmiques et conduira une poignée de personnages aussi
savoureux que disparates (ah ! comme ils sont beaux, les deux
écrivains-fondateurs du background de T'Rain ; personnellement,
je me sens plus proche de D², avec son mépris de l'informatique,
ses crises de sémantique aiguës, ses e-mails retraduits en anglais
médiéval sur papier vélin et son château dans l'île de Man, que
de l'autre, avec ses tee-shirts de hard-rock et sa caravane au bord
de la route ; on trouve aussi un informaticien hongrois, un
mercenaire russe, une espionne britannique, une Chinoise générique,
un hacker chinois prénommé Marlon -bin, tiens-, des défenseurs du Deuxième
amendement, un pilote d'hélicoptère, des marins tai'wanais...) à
parcourir les deux mondes, celui d'en-haut et celui d'en-bas, dans
tous les sens.
La
traque du virus et de son concepteur présente bien des moments
d'anthologie, cela ne fait aucun doute. Les nostalgiques (ou
pratiquants actuels, s'il en reste) du jeu de rôles Shadowrun™ ne seront
pas déçus et retrouveront l'ardeur de scènes de poursuites /
fusillades en parallèle réalité / matrice qui leur procureront
frissons / rigolades garantis (j'ai même cru un moment que Maria
Mercurial viendrait pousser la chansonnette ; c'est dire !).
Bref,
tout cela est bel et bon, jusqu'au moment où...
...où
la traque se termine, aux alentours de la page 500. Car c'est là, en
effet, dans un coin improbable du monde réel où se cache l'objet du
litige (Amoy, vous vous rappelez où c'est ? Eh bien, ça a
changé de nom) que l'intrigue bascule radicalement pour verser
dans... Dans quoi ? Le Ridicule ? Le Grotesque ? Le
Niais ? Ou pire : le Politiquement correct ?
Ce
que je vais dire est peut-être osé mais je crois sincèrement que
seul un geek 'ricanisé jusqu'au grunge sous ses ongles de pieds
pourrait prendre au sérieux le développement ourdi par l'auteur de
Reamde à ce moment-là. Ce qui est clair, c'est qu'il croit
dur comme fer aux terroristes islamistes. Attention : je ne dis
pas que ceux-ci n'existent pas. Disons qu'ils existent autant que les
soldats-américains-persuadés-d'œuvrer-pour-la-paix ou les
politiciens-qui-respectent-leur-électorat. Mais il y croit d'autant
plus qu'il connaît la solution finale à ce problème : il
suffit de les exterminer, comme des chiens qu'ils sont !
Soyons
brefs : Chutes américaines n'est rien d'autre qu'une
chasse à l'Arabe de 350 pages, quelque part entre le Canada et
l'Idaho, avec déploiement de flingues tous azimuts, remarques
semi-racistes (il y a même un Noir décrit comme « négro » ;
pas « nigger », hein ? « négro » !),
comparaisons lamentables (vous avez vu comme « ils »
jettent leurs emballages dans « notre » nature ?
Bien la preuve qu'« ils » sont sales et méritent de
crever, les vilains !), pseudo-démonstrations de bravoure et
d'intelligence occidentales face à la bestialité et la bêtise
méso-orientales (je précise bien « méso » et non
« extrême »-orientale car la Chine est à l'honneur,
comme il se doit entre deux pays qui pratiquent toujours la peine de mort
et l'amnésie nationale sur les crimes gouvernementaux). Le tout se
termine en une interminable (sic!) fusillade de 150 pages, farcie de clichés
jusqu'à la gueule et finissant en une apothéose tellement
prévisible que même un fan de Happy Rotter™ ne parviendrait pas à
feindre la surprise. Car, oui, sachez-le : le Méchant Bougnoule se
fait buter à la fin, non sans proférer une dernière stupidité qui
vient s'ajouter à la longue chaîne de niaiseries insondables qu'il
a passé son temps à débiter auparavant, tout en inventant chaque
jour une nouvelle raison de ne pas tuer l'héroïne prisonnière et
de la garder en otage sans jamais la violer, en attendant que... eh
bien, en attendant qu'elle s'évade, évidemment.
Mais
s'il n'y avait que cela ! Non content de confondre l'Arabie avec
l'Afghanistan (eh oui, cher auteur de Reamde, les Afghans
parlent l'afghani -dit aussi pashtoun-, un dialecte persan aussi différent de l'arabe que
le français l'est du néerlandais ; mais puisque George W. Bush
et son staff de surhommes surpayés s'y étaient trompés, il n'y a pas de
raison que vous fassiez mieux), l'auteur de ce demi-livre
malencontreux nous dispense une leçon de morale que John Wayne et
Charlton Heston n'auraient pas reniée en leur temps (mais que Bob
Zemeckis et John Milius avaient heureusement tournée en ridicule
dans 1941, film que plus personne n'oserait -ne pourrait- tourner
aujourd'hui). Or, cette leçon de morale, outre qu'elle est
nauséabonde et féodale, ne fait que jeter de l'huile rance sur le
feu de la guerre de religions internationale qui ronge notre planète
désormais étriquée (la vraie, hélas, pas une virtuelle). Son
message, si on peut appeler ainsi cette ragougnasse de « néo-cons »
(jamais abréviation ne fut mieux mérité qu'icelle) républicaine,
est même très clair : quand la Chine s'alliera enfin au
grand-frère US, l'Islam n'aura qu'à bien se tenir (et les victimes
collatérales auront droit à leur quinze secondes de célébrité au
journal de 20 heures, dans la rubrique "milliers de victimes", cela va sans dire).
Ce
qui me chagrine (pour dire le moins), c'est que le ton vertueux qui
exsude de la deuxième partie de Reamde, je l'ai déjà perçu
ailleurs. Où ? Précisément dans les deux romans que Neal
Stephenson a co-écrits, sous le nom de Stephen Bury, avec un certain
J. Frederick George (« historien vivant à Paris », nous
dit sobrement sa notice) : Interface (1994) et The
Cobweb (1998), jamais traduits en français (mais qu'attend donc
le merveilleux éditeur Braque-l'Homme pour payer un jeune ou un
sous-doué 10€ le feuillet ?). Déjà, à l'époque, ces deux
ouvrages ne brillaient pas par leur... comment dire ? charité
chrétienne ? compréhension des cultures autres ?
ouverture au monde ? Difficile à préciser, d'autant plus que
leur ton général, à l'instar de celui de la deuxième partie de
Reamde, est particulièrement ambigu et ne fait pas du tout
honneur à la littérature de fiction. Mais peut-être me suis-je
fourvoyé ? Peut-être sont-ce là des ouvrages d'histoire ou de
politique ? Je ne sais. Ce que je sais, c'est que le nom de J.
Frederick George n'apparaît nulle part dans Reamde. Serait-il
mort ? Y aurait-il anguille sous roche ? Ce monsieur
aurait-il mystérieusement disparu peu après le 11-Septembre-2001,
ayant exécuté un contrat pour le compte d'une sous-agence de la
NSA ? Ou autre chose de tout aussi inavouable ?
En
faisant quelques menues recherches, on trouve ceci : M. George
n'a pas disparu ; il est toujours l'oncle de Neal Stephenson.
Celui-ci le remercie d'ailleurs à la fin de son ouvrage, sous son
vrai nom de George Jewsbury, pour ses traductions du russe. M. Jewsbury
enseigne toujours l'histoire à l'École active bilingue Jeanine
Manuel de Paris. Cela vous dit quelque chose ? Si vous
n'êtes pas riche à crever, il y a peu de chances. Curieuse école
que celle-ci : fondée en 1954 par une ancienne résistante
franco-américaine qui appartenait au Bureau central de Recherche et
d'Action (l'un des ancêtres du SDEC), cette école privée accueille
actuellement 2900 élèves à qui elle dispense un enseignement en
français et en anglais ; bien sûr, cette école est fort
élitiste et seuls peuvent y accéder les enfants dont les parents
ont les moyens de la leur offrir. Les moyens, et peut-être aussi
autre chose ; disons, une inclination politique, que je me
garderais bien de définir mais que vous devinerez aisément grâce à
ces quelques exemples de parents attentionnés : Jean-François Copé, Arnaud Lagardère,
Alain Delon, Thierry Ardisson, Christian Clavier, Frédéric
Mitterrand et un certain... Nicolas Sarkozy (Comment ? « Qui
c'est, celui-là ? » Mais si, rappelez-vous : c'est
le type qui gagnait 55.000 € par mois + six millions
annuels en fonds discrétionnaires, qui n'a pas payé d'impôts
depuis la vie des rats, et qui n'est pas franchement de gauche).
Réflexion faite, c'est peut-être cette odeur-là, imprégnant toute
la deuxième partie de Reamde, qui m'a « légèrement »
incommodé.
Dommage, oui ; vraiment dommage.
Dommage, oui ; vraiment dommage.
Bien
sûr, on pourra m'objecter que j'utilise là un procédé un peu
douteux, en insinuant qu'il existe peut-être une collusion entre la
droite réactionnaire et la « pensée » de M.
Stephenson ; mais c'est exactement le genre de procédés qu'il
(lui et son tonton-macoute?) utilise dans son roman pour
instiller ses théories politico-raciales bien dignes du Patriot Act.
Allez,
M. Stephenson, on ne peut pas réussir un chef-d'œuvre à tous
les coups, surtout en faisant (pardon : en croyant faire) de la
politique de haut vol. L'Âge de Diamant, Cryptonomicon, Anathem
et Le Samouraï virtuel suffisaient à mon bonheur culturel,
et je pense qu'à l'avenir, je vais m'en contenter. Bien sûr, il y a
aussi le Trône de Fer que j'apprécie grandement, mais (outre que ce
n'est pas de vous) c'est surtout parce que, comme dans la vraie vie,
on a les plus grandes difficultés à y différencier les
« méchants » des « gentils » ; sans
doute un indice que George RR Martin, lui, a cessé d'être un
adolescent boutonneux et complexé.
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