LOGOTOMIE apologie de la liberté d'écrire



LOGOTOMIE

(apologie de la liberté d’écrire)




Nothing survives being thought of.
(Rien ne survit, sitôt pensé.)
OSCAR WILDE



  1. L’écrivain est le profanateur1 de ses lectures. On écrit comme un membre de l’espèce se reproduit2 : par croisements. De soi par soi, de soi par les autres, des autres par soi, des autres par autrui3. La première forme est celle de l’intime, le seconde celle de l’obscène4, la troisième celle de la science, la quatrième celle de la politique5. Les écrits sacrés relèvent des deux premières catégories mais ont été versés de force à la science politique par les réprimés de l’histoire.
  2. Dans l’expression « dire la vérité », il vaut mieux entendre le dire que la vérité. C’est pourquoi le mot mentir peut se permettre d’exister sans contraire. L’écriture est un rejet de l’âme. C’est-à-dire à la fois : pour ceux qui croient à l’âme, ce qu’elle rejette ; et pour ceux qui n’y croient pas, la rejeter. Ecrire, c’est (re)connaître enfin qu’il n’est pas et n’a jamais été nécessaire de croire en la réalité.
  3. L’écriture est respiration des doigts qui n’ont pas appris la musique. Tout ce qui manque de sens en nous transpire par les doigts et se dépose huilé sur le papier-filtre de la transmigration des mots, qui font communication là où nous ne voulions que dire.
  4. La parole, écrite, est dépôt, tas d’ordures, grain irrégulier de nos vues intérieures, une lie que nous nous échinons à trier toute la vie, alors qu’il suffit de s’éloigner pour n’en plus percevoir que la valeur inerte, celle des assemblances.
  5. Ecrire c’est se fissurer pour atteindre au plus vite6 le fond passé de notre vie cumularde. Se plonger cheville encordée dans un puits de mémoire acariâtre, parce qu’on nous a dit que les sentiments étaient précieux, chérissables et beaux, alors qu’ils se nichent aussi comme des murènes bouffeuses de phalanges.
  6. On n’écrit pas en regardant la page ou la plume ou les mots mais en fixant le bout de l’index, en le désirant arrêté, inculpé à court de mots-bile, pour pouvoir enfin retourner à rêver. Parce que rêver ne laisse pas de traces, seulement des fibres. Pas besoin de passer derrière le rêve pour balayer, trier, ranger, reproduire. Ecrire, ce peut être violer les rêves de l’autre, se faire aimer de quelqu’un qu’on ne connaîtra jamais, qu’on n’a pas forcément envie de connaître, seulement de savoir.
  7. On n’écrit pas par désir d’écrire mais par contumace de tous nos organes. L’écriture qui n’est pas fluide corporel ne vaut guère que de l’argent, autant dire du néant millésimé. Il n’y a pas autant d’écritures que d’humains, non ; il y a autant d’écritures que d’estomacs capables de boire l’encre comme si c’était de la honte. Le reste – les styles – n’est que visages.
  8. L’écriture est l’un des principaux moyens de survie de l’espèce humaine. La parole n’est que fables et accidents, un pont d’ordres jeté sur la mer-chaos7 du monde, qui s’en moque et continue à s’épandre hors du temps, hors du langage8, hors des livres bien découplés. Le chaos est entre les livres comme le vide entre les espaces. Aucune écriture n’est assez chaotique pour échapper à l’ordre humain et pourtant c’est ce vers quoi elle doit tendre. Une écriture qui ne tend à rien est un éloge de la mort, une promesse de non devenir, un recul de l’humain vers l’homme, un tocsin greffé dans l’occiput. Une écriture généreuse ne donne rien à entendre, seulement à savoir-dire.
  9. Aujourd’hui la mode-médecine est à l’écriture cancéreuse qui surpeuple le monde d’individus réputés imaginaires, lesquels finissent fatalement par exister pour aller nourrir la littérature mafieuse des pilleurs d’inconscients et des Kons Kasseurs de Kulture. Les pirates, modernes, n’ont même plus besoin de surnoms terrifiants ; ils s’intitulent « docteurs » et opèrent sans anesthésie sur des paroles déjà mutilées par la civilisation à température ambiante9.
  10. On ne peut pas écrire sans un trou quelque part, au ventre ou au crâne, sans une trappe où plonger le bras pour y puiser le corps militant des mots qui, enfilés, prendront esprit tandis que l’écrivant le perd. On écrit toujours pour tenter de persuader un autrui inconscient qui refuse de s’augmenter10, de s’altérer, de se perdre.
  11. On écrit plutôt parce qu’une bouche qui parle ça fait peur, parce que ça s’entend une bouche qui parle, mais on ne veut pas toujours la comprendre, la saisir, parce que saisir une bouche, c’est forcément l’embrasser au moins du regard et ça, ça ne se fait pas, pas toujours, pas à tous les coups, pas à toutes les bouches, c’est pas moral d’aimer tout le monde aussi fort, c’est pas permis, sinon pourquoi aimer quelqu’un en particulier plutôt que n’importe qui ?
  12. Ecriture est la mesure de cette intimité, ce baiser à grande bouche qui naît dans le ventre même et fait jouir notre larynx en lui donnant un air d’emprunt. Lire c’est être trahi par notre propre gorge qui couche avec les mots d’un autre. Ecrire c’est cocufier la pensée, foutre le sida à tous ceux qui ont assez confiance pour ne pas mettre de préservatif à leur conscience, c’est éjaculer le million des spermatozoïdes un par un avec discernement. Oh si, écrire, c’est de la masturbation, mais pas intellectuelle, non, ça non. C’est de la masturbation en gros, de la masse-turbation, de l’axélération perpétuelle, la désinvention du freinage, la course à l’absence de temps mort, la fin considérée comme utopie et tous ces moyens inutiles à oublier dans l’émurgence.
  13. Parce que si on commence à penser ce qu’on veut écrire, on n’écrit plus que ce qu’on pense. On fait du mime avec les doigts. On réfléchit du quant-à-soi au qu’en-dira-t-on. On s’impose soi-même comme frontière11 et on en meurt étouffé par petits saccadés12 de rire, une épaule plus haute que l’autre à force de tenir le front pour ne pas perdre la tête ou la feuille pour ne pas être copié13.
  14. Une écriture n’est qu’une méthode, certainement pas universelle, certainement univoque. L’important c’est la matière, la matière qu’on a en soi, la matière qu’on est : la chair, et le travail de cette matière : la vie, la façon dont on lui tire des sanglots de plaisir ; je veux dire que là, je suis en train de parler de tous ces sentiments, ceux-là mêmes sans lesquels on ne serait que des bestiaux, des porte-paroles immortelles, des informatichiens et des renseignementeurs, des bêtes de somme théologique, des fabricants de carnages avec canon sur rue, des faiseurs de tours de bras séculier, des diseurs de conne-aventure, des cuistots-poètes à mâchoire magnétique, des ravagés de la nuque qui courent de plage en plage, la bite pendule ou les seins grouillots, poilus comme des feutres, mono-chromosomés ad vitam æternam, les pieds fondus en terre, incapables de goûter d’autres sols de grès ou de force, toujours amoureux de nos mères et craintifs de nos pères, entartrés de familles, balourdistants, pré-pubères jusqu’à la mort, déconfiturés par ordre croissant, rutilateurs de justes mécomptes, fruits sans soif, êtres sans feu, récits sans histoire.
  15. Ecrire « écrire », c’est faire scier les arbres.
  16. L’écrit-nul ne touche que les nerfs du lisant. Le mot écrit vain n’est que le concept mis à plat ou la dernière émotion en date de l’écrivant. Le mot écrit vain n’est qu’un tas d’encre, un accident aléatoire de lettres circulaires, une onomatopée qui veut que tout le monde la prononce de la même manière, un bruit sourd qui devient rumeur, une couleur qui affiche sa fréquence sur une étiquette, une planète à mille années-lumière dont les habitants nous adressent des grimaces, un plaisir disparu qui cherche un dessein à ranimer, un orgasme calibré qui fouille la ville en quête d’un.e prosti-tué.e à combler de son urgence, un hurlement sans question à l’intérieur, un grain de folie qui grippe la machine à déployer les gorges, un lapsus interruptus.
  17. Le savoir-faire de l’écrivant s’apprend à l’école de la dérision14, qui ne connaît qu’un cursus : gêne > embarras > honte > dégoût > mépris > indifférence > détachement > calme > paix > irradiation > nirvana > ennui > irritation > gêne >>>
  18. Ecrire n’est qu’un moyen d’écarter en soi les objets qui meublent le vide pour faire croire à son absence. Les mots sont des meubles, les phrases des pièces, les textes demeures, les livres cités, l’œuvre contrée de l’écrivain dont la mort est cette frontière où l’on peut enfin déclarer en montrant le creux de nos paumes ce vide élastique qui nous a toujours tenu le corps en cohérence15 avec la pensée.
  19. D’écriture ce n’est pas le mot qui est l’unité mais le texte, ou si l’on veut, le conte. Les textes sont en nous comme des sacs de lest16 à notre parole. Ceux qui ne les jettent pas en bas craignent d’assommer quelqu’un. Alors ils restent à la même béaltitude et se plaignent un jour de la lourdeur de l’air ou de leur tête. Beaucoup d’écrivants montent, s’échappent, disparaissent à la vue ou même au souvenir. Certains sont canonisés. Quelques-uns pourtant sont descendus de leur nacelle avant qu’elle ne s’élève, quand personne ne regardait vraiment. Ils vivent, sourire droit, parmi les gens qui ont le nez en l’air.
  20. Ecrire n’est jamais vrai, mais bon, cela peut être — je veux dire, ça peut être bon. Ça peut être de tailler dans la langue des vêtures aux idées nues avec les doigts en forme de ciseaux tendus. Ça peut être uniquement pour qu’on nous lise entre les lignes, parce qu’on a quelque chose à cacher et qu’on aime être à découvert17.
  21. Ecrire c’est se ruiner, se vider le conte en branque. S’écouiller la cervelle du cœur. Fulminer contre ses pieds qui n’ont pas le courage18 de changer tous les jours d’itinéraire. Ecrire c’est se suicider japonaisement19 de trois lignes de sang en travers du ventre et perdre la tête dans un courant d’air fredonné.
  22. Ecrire peut être l’état d’alerte de nos sens qui se rappellent au deuil de nos cauchemars. Ce peut être dessiner au diamant le contour de notre propre reflet dans un miroir ; les crissements de la pointe nous font grincer des dents et nous découvrons que cela nous plaît. Quand le trait est terminé nous avons ce choix : ne laisser qu’une silhouette et changer de miroir – ou rester et compléter indéfiniment la figure, en nous ridant le même du même. Quelquefois (plus rarement20), nous quittons tous les miroirs et partons vivre ailleurs avec l’argent du diamant vendu à la sauvette. Mais le plus souvent, le miroir a éclaté avant la fin du travail et nous maudissons l’hôtre pour sa fragilité21, sa défection prévisible et son inconséquence.
  23. On en rencontre parfois, de ces silhouettes poreuses ; on peut les endosser en leur tournant la face, on s’y regarde seul à seul, et la forme de l’autre nous gêne aux entournures ; nous pouvons l’apprendre ou non. Il faut du temps. La moitié d’une vie. Une vie sur deux.
  24. Ecrire d’ailleurs ne veut peut être rien dire. Ça nourrit par exemple ceux qui n’ont rien à dire mais qui le disent quand même. Ça peut être une mèche qui flambe sous nos pieds pour faire peur à la farce de nos habitudes mais qui ne va nulle part exploser. Ça peut être aussi se soumettre à la loi de la révolte, refuser de vivre en paix dans un monde en guerres.
  25. Les écrits sont des recettes de révoltes qui ne peuvent dès l’hors que s’acter — toute parole qui suit un éclair de révolte n’est que slogan. Le révolté qui a détruit devrait rester muet devant les décombres de ses actes — tout ce qu’il peut dire nuit à la qualité du silence réinstallé — silence au cours duquel ne devraient résonner que les sons d’une reconstruction sans équivoques22, d’un rebâtisme à neuf, à dix-neuf, à sang neuf.
  26. Ecriture, pâle inceste, est la fille cachée d’une conscience violée à l’âge de la puberté par un monde qui se dit adulte mais où personne n’enseigne à vivre seul.
  27. On écrit toujours en se forçant à ne pas savoir l’heure, pour se croire en avance. On écrit toujours trop. On écrit toujours « trop ». L’écriture est un outil surchargé d’accessoires au cours des temps souverains et qui commence à devenir singulièrement inutilisable ; seules ses options d’armement sont encore en usage aujourd’hui. On n’écrit pas par sécurité ; on ne peut pas. Si on y parvient, ce n’est plus de l’écriture mais de la lecture à attardement.
  28. On n’écrit que si l’on se croit différent et si l’on croit que ce mot signifie le contraire d’indifférent. La norme ne lit pas : elle suit des lignes. La norme n’écrit pas : elle signe son identité répétée à longueur de formulaires et de libertés administrées comme des médicaments. La norme est dans l’escahier à spirale des éditeurs du langage, concierge nourrie de ragots, de proverbes, de slogans, de livres à concours, de grands prix de romance poussés au fond des gorges internationales. La norme est ce qui se défend d’autant mieux qu’on ne l’attaque pas.
  29. Un éditeur23 courageux donc fou sortira un jour des œuvres philosophiques dont les préfaces, commentaires, avant-propos, notes, scolies, biographies, prolégomènes et autres accessoires historiques réputés critiques auront été supprimées. Le résultat en sera une belle cacophonie de monologues rigoureusement parallèles.
  30. Ecrire c’est buriner sec aux portes des tempes du langage, mais pas pour qu’elles s’ouvrent, non, au contraire, pour qu’elles restent coincées, pour les bousiller, pour les fermer une mauvaise foi pour toutes, avec plein de cocufidèles à l’intérieur qui crèveront de faim et d’asphyxie ou de cannibalisme si ça les excite. Pendant ce temps, arpenter l’espace entre les survivants pour les mesurer à l’aune de leur silence et profiter de la moindre occasion pour faire sauter leurs voix ferrées.
  31. Ecrire c’est manifester trop bruyamment contre l’approbation24 générale de la langue. On croit si facilement que le fait d’exprimer une opinion tient lieu de preuve pour le sentiment qui la porte. Mais on n’écrit jamais ce qu’on pense, seulement ce qu’on pensait dire.
  32. Qui écrit en mangeant à plus d’un râtelier n’éprouve que la monnaie de ses paroles, qui se soudent aux plis de son portefeuille cortical. L’écrivain se paie de silences, de corrections putassières, de tirs à blanc en pleine auto-poitrine qui lui coupent souffle et bras mais pas jambes.
  33. L’écricidiviste époumondé se trouve apidement une ouvelle oie espiratoire et en fait son hemin de roi, machette à gauche, hachette à droite, branches déçues, sève en clabousse, fleurs trucifiées, racines croûteuses à s’arracher le soir lors des haltes. Hécriture est ce qui reste de traces au fond d’une jungle jumelle qui a repoussé en foisonnant les pommaroles de l’hexplorateur hidicule hinconscient qui croit rienventer le langage mais ne fait que hatouiller sa hervelle d’un hindex hamoureux certes mais hincapable de s’ouvrir le crâne.
  34. Certains impératifs25 sont reversables à l’écriture. Plus généralement, tout est bon du moment que ça ne ressemble plus à autre chose. J’écris « ne ressemble plus » et non « ne ressemble pas » ; c’est à dire que l’écriture a droit à son évolution comme tout ce qui relève de l’espèce ; ce qui est écrit peut se cacher, contrairement à ce qu’on dit, qui reste fiché en l’air, dans l’espace entre deux gens, lesquels pourront toujours redessiner ces paroles en l’air et prétendre s’y appuyer de tous leurs assentiments.
  35. Je ne parle pas26 de la « maturité du style », qui vient avec l’âge ou qui est là tout de suite comme un talent monnayable et pléonasmique — je parle de l’évolution de l’écriture en tant qu’espèce en voie de disparition de ce qui vit en nous, les micro-orgasmines et les fonctions multiples de nos organes survivalistes, les idées-tarabustes qui font de la géographie avec nos cerveaux jusqu’à nous faire croire qu’il y a une capitale en nous, un lieu où tout se décide, où une volonté qui serait nôtre prend source, un lieu qui aurait un fond, agrémenté d’une forme chaleureuse, travaillante, théoricienne.
  36. L’erreur, l’empêchement de tout écrivain mort-né est de croire que son écriture sort de sa tête et qu’elle traduit sa pensée. Si c’était le cas, écrire ne servirait qu’à communiquer des données en espérant pour bientôt des comptes rendus bancaires.
  37. L’écrit n’est qu’un organe optionnel et indolent, une souplesse du cerveau, un clitoris en guise de langue intérieure. On écrit en s’arrachant les cordes vocales pour les disposer sur le papier en colimaçons signataires27 — le plus dur n’est pas de les ôter mais de les remettre en place après qu’elles ont goûté l’air frais et on ne les remet jamais tout à fait en place — on a la voix qui change, on devient aiguillonné comme un bœuf, on mue à chaque réveil ; alors on en profite pour vérifier ses os avant de se rhabiller d’une peau qui n’est pas toujours la Nautre.
  38. On n’écrit pas sans chirurgie improvisée — tout ce qu’on peut améliorer c’est le coup de scalpel. On n’apprend pas non plus à maîtriser la douleur — elle reste signal suprême de l’anti-anesthésie. Ecrire la conscience tue.
  39. Ecrire la conscience tue.
  40. Ecrire c’est travailler là où on ne sait rien. Parce qu’on n’apprend jamais rien en écrivant sinon à s’avoir soi. C’est à dire qu’on apprend la valeur du temps, qui est la seule chose au monde à laquelle on puisse fixer une valeur inestimable, celle de notre ardeur à être ardent.
  41. Ecriture peut être le fleuve dont la main est le delta. La source de toute écriture doit être aussi inépuisable que celle du moi. Tout écrit sous influence est définissable donc fini avant même d’avoir commencé. Les influences recensées vont de l’air (la plus ténue) à l’amour (la mieux réputée), en passant par l’argent (la plus pauvre), l’imitation (la plus inculte), la foi (la plus désespérée) et l’eau (la plus insipide). La substance de l’écrit est affaire de pertinence rétinienne.
  42. On peut être docteur en psychologie et pour autant ne pas écrire en logique de la psyché. L’écriture peut être chapelet de métaphores et tout ce qui en surgit alors n’est reversé qu’à d’autres pensées qui vont s’agiter dans d’autres êtres pas toujours vivants et ce trafic d’images fait croire que l’espèce humaine communique alors qu’elle ne fait qu’échanger les coordonnées de ses coïncidences. Le texte doit pouvoir se partager sans se diviser.
  43. La question « Pourquoi écrire » ne renvoie qu’à elle et se tient au lieu même de sa réponse. La question « Qu’écrire » ne renvoie qu’à des objets, or on peut parfaitement écrire sans objet. La question « Comment écrire » renvoie au faire, or écrire n’est pas faire, c’est chercher le dire. L’écrivain n’a qu’un principe qui lui tient lieu de morale à l’exclusion de tout autre : dire c’est faire.
  44. La question n’est ni de savoir ni de pouvoir écrire. L’écriture est un caravansérail d’échange sans taux pour ceux qui comprennent l’économie de l’économie des mots, pour ceux qui voient clair dans le jargon des livres, pour ceux qui habitent le labyrinthe des bibliothèques et déposent leurs empreintes dans la poussière des rayonnages orthonormés.
  45. Ecriture n’est pas liberté même si on le croit parce que le bruit du capuchon prépusculaire qui saute évoque celui de la serrure idéale, celle de la boîte de Pandore28. Il s’en trouve que cela fascine. Le taire ou la terre ? Ecrire « la conscience » tue.
  46. Le vide dont il est question en art n’est ni le renoncement historique du bouddhisme ni le détachement mondain de la philosophie — c’est seulement la forme possible du corps imaginé.
  47. Encrechair – cheveuplume – onglegomme – doigtlecture29. Les yeux sur l’encre entendent les mots et les transmettent sur le champ30 neuronal. Les oreilles de l’écrivain servent à l’équilibre-arbitre de son corps-écrivant. Ce qu’on écrit cuisses serrées sort à l’envers de notre vagin physique ou mental.
  48. Ceux qui prétendent interpréter le corps de l’autre sont terroristes de la parole, donc terrorisés par elle31, et n’ont jamais su s’écrire. On ne dycte pas à l’autre ce qu’il doit fayre, mais on peut le lui écryre, parce qu’il y a du délai entre les mots donc de la réflexion32. Ecrire c’est conseiller ce qu’on a éprouvé soi-même à un.e ami.e dont on veut se défaire et être entendu en conséquence de peu.
  49. On croit d’ailleurs que pour écrire il faut prolonger une énergie puisée ici ou là, consumer une substance jusqu’au bout pour en être enfin débarrassé, on croit qu’il faut ainsi tuer ce qui nous parasite. Mais les parasites n’auront jamais le courage d’abandonner, eux qui nous ont été inculqués depuis outre enfance par incarnation sociale.33
  50. Il n’y a pas d’expérience de l’écrit — il n’y a que de faux rapports aussi sexuels que des lapsus. L’écriture n’est pas une expérience mais un exercice au sens où un métier s’exerce34 ; on met de l’écriture sur du papier pour se maintenir en forme35 sans s’échouer sur le fond36. L’écrit qui se veut expérience valide ne porte pas, il se consacre à son propre sens et se commente entre gens du monde, donc du même monde, entre auto-risées.
  51. On écrit pour insuffler de l’air à quelqu’un qui se noie ; ce faisant, on l’influence, on le mordifie, on le fait sien, on se propulse métreur en scène de sa vie qui n’a rien demandé. Ecrire c’est empêcher quelqu’un de mourir, manifester contre l’euthanasie des confiances, inséminer le désir là où il ne poussait qu’à jouir.
  52. Ecrire c’est modeler l’existence en fonction d’une pente à nombre inconnu d’inconnues — les résultats qu’on lui trouve ne sont jamais issus d’un calcul mais aussi fortuits que des rencontres amoureuses. La vie en écriture n’est ni monastique ni douloureuse — le seul drame des solitaires est d’être précédés de leur réputation. La solitude est une récompense rythmique.
  53. Le travail écrit s’adresse à un public qui s’est trompé de salle37. On n’y est pas seul sauf à le vouloir, sauf à jouer au martyr, sauf à s’acrifier sa propre importance, sauf à montrer des blessures qu’on s’est infligé soi-même en coulisses avec des armes théâtristes — alors-qu’on-n’a-jamais-rien-eu-d’autre-à-perdre-que-soi.
  54. Même même même celui qui témoigne d’une torture subie décrira fatalement la forme de son bourreau et travaillera ainsi contre le temps. La mémoire n’est pas qu’un devoir, c’est aussi un impôt sur le temps. Se souvenir des larmes c’est payer son double. Ecrire en souffrance c’est photographier la course du vent pour y déposer le relief des cicatrices qu’on nous a creusé en chair. Cette écriture : survie. Cette écriture : nécessaire à l’espèce. Tout être humain ayant vécu la torture doit être publié, c’est-à-dire enterré une première et symbolique fois au su de tous, au vu du ciel, nu comme un ver et cru par la terre entière.
  55. Car c’est à dire.
  56. Ecrire peut être ce réveil intra-muros, cette raclure d’ongles aux parois des cercueils, l’estomac qui se serre et se digère lui-même tandis que son corps-enveloppe a cessé d’arpenter le quai terminable où les trains s’entassent et ne déversent que du rien, de la chair pré-mâchée dans les fastes fous de la culture de masse non critique.
  57. Tout ce qui nu s’emporte prend le froid avec soi et s’en brûle les ailes dans une odeur de mascarade. Jamais vu d’yeux plus ouverts que ceux des descendus en flèche, des cramés du soleil, des parcheminés par la lune, des burinés pour la peau. Jamais rien vu, jamais, rien, même pas rien, moins que rien, rien de rien, moins que moins.
  58. Pharmacons que nous sommes, à bouffer de l’air creux, l’estomac volontaire, le ventre près de l’âme pour monter plus vite au paradigme des bien-peureux. Toute écriture qui n’atteint pas immédiatement le creux pensant de son lecteur est falsifiée par les conditions de son existence. Un mot doit graviter plusieurs années avant de s’écraser avec la même force qu’il aurait eue en frappant son læcteur de plein feu. Nos crânes planètes sont lardées d’orbites inutiles pleines d’yeux viscéraux, de satellites à chaînes indivisibles, de diffuseurs d’hygiène prévisionniste, de messages à saveur contenue, de protocollisions savamment réglées par des champs bêlants aveugles où paissent des moutons à la laine chargée des poudres à canons de la mode. Pétaradam et Triturève. Séparadis. Ainsidieu.
  59. Tout écrit est fuite de temps. Au bout de l’élan de la mémoire vive, il y a le saut dans le vide qui seul peut apprendre à voler. Tout conteur qui ne souhaite pas forger de légende est menteur ou pénitent : le lire est nul et non advenu. Tout conteur qui n’a pas au moins un continent inexploré en tête est un venturier de pacotille, un marin boucané, un politicien armé d’une épée de parade en catafalque de suie. Tout conteur qui prétend tout savoir de ses personnages est un pape-sychologue qui fulmine des bulles où enfermer les sentiments.
  60. On n’écrit pas par concurrence, on n’écrit pas pour prouver qu’il y a eu crime contre l’humanité, on n’écrit pas pour faire justice de ses opinions, on n’écrit pas pour montrer la voie, on n’écrit pas pour signifier qu’on a su réfléchir ou qu’on a réfléchi sur38, on n’écrit pas pour faire progresser le progrès.
  61. Du moins, on peut, oui, on peut faire tout cela, écrire à plume rabattue, à boyaux torchés, en diluant les sentiments dans un sirop exotique à la constipation générale ; on peut, oui, on a le droit. Mais ça, ça n’intéresse que les aiguiseurs de coupe-choux gras, les tailleurs de mortaises à idées, les pignochards de la sainte-taxe, les culottés de la gramme-mère, les inoculistes de la loi-virale-en-moi, les boursouffleurs de trous merdus, les consignataires de listes-à-fond, les zélecteurs de pouvoir en branches, les femmes de petit-chef, les mesuriers de couillomètres à piston, les mesquinteurs d’établis et les besogneux à la petite semence. On peut, oui, écrire comme ça, tout comme ça, pour ça ; on peut. On a aussi le droit de s’en foutre et de crever sans papier dans une cellule à tombeau ouvert.
  62. On peut vouloir rester brouillon toute sa vie parce qu’on aime la caresse de la main qui nous lisse après nous avoir ramassé, parce qu’on aime ce plissement des yeux qui peinent à nous relire, parce qu’on aime que notre dos serve de support à des mots froissés, jetés dans l’urgence du bout des doigts, des lèvres entrouvertes, du souffle à l’étroit, des narines affamées, de la gorge qui insiste et baise les mots au fur et à mesure qu’ils sont couchés, de la langue qui renâcle parfois contre le bord des dents, parce que ça écrit mal, parce que ça écrit pas bien, que les froissures déforment les paroles, parce qu’on sait que plus tard tout ce qu’on a écrit là-dessus aura perdu tout son sens, qu’on n’arrivera pas à la relire cette hémorragie internée, que tout ce qu’on aura vécu entre-temps sera buté, songé à part, toutes parenthèses bouclées. La force du papier froissé est dans le poing qui lui donne sa forme et dans le bras qui imprime sa portée39.
  63. Ce qui est écrit ne reste jamais indemne d’être lu. Le læcteur qui cautérise ce qu’il lit ne rend pas service à l’écrivant ; il lui forge au burin un masque d’oubli à même la peau. Le læcteur bon, qui aime être au monde, jette du vinaigre sur la plaie car il a compris quel acide l’avait creusée. L’écrivant qui ne va pas au contact du læcteur le laisse penser avec sa bouche en tête au lieu de lui ouvrir par amour des lèvres dans le ventre.
  64. Toutes ces failles et ces craquelures, toutes ces vrilles et ces croissances, toutes ces volitions de la criture, toutes ces courbes à douceur de lutte sont les sinus criblés de la cervelle humaine en prise directe avec le monde.
  65. L’écrivain est le trépanateur de sa culture.
  66. J’écris : « Il ne faut pas tuer les armés du verbe ; il faut attirer leurs attentions grotesques et une fois au centre de leur haine, à l’instant même où ils frappent, disparaître en sachant qu’ils vont s’entretuer à notre place ».
  67. J’écris : « Extirper du verbe toute la religion qu’il contient ».
  68. J’écris : « Logotomie ».
1Prof amateur.
2S’heureux produit.
3Autre huis.
4L’aube scène.
5Dont il n’existe aucun traité honnête.
6Au plus vide.
7L’amer chaos / l’âme-RKO.
8Langue-âge.
9La proportion d’enfants autistes est en augmentation croissante depuis les années 1970, notamment dans les pays dits en « voie de développement ».
10Auteur < latin auctor = qui augmente la confiance.
11Front tiers / front hier.
12Sacs à dés.
13Co-pillé.
14L’adhérison.
15Co-errance.
16Sacs de l’est = pillages de l’Orient.
17A dés couverts.
18Le court âge.
19Mishimachinalement.
20Curarement.
21Sa frangilité.
22Sans écrits-vioques.
23Editeur < latin editor = qui donne ; à Rome, titre provisoire de l’organisateur des jeux offerts au public, donc déjà à l’époque, quelqu’un qui faisait rejaillir sur soi le prestige dû au talent d’autrui.
24La probation.
25Si, Varina !
26Je ne parle pas !
27Signes à terre.
28Pour rencontrer Camilla Rhodes, il faut demander la permission à Dick Laurent.
29Lecteur > latin legere = ce qui doit être lu ; même racine que "légende" et "loi".
30Sur-le-champ.
31Militairorisés.
32Réflexe-ion.
33Et à tout prendre, qui nous garantit que nous ne sommes pas les parasites de nos invités intimes ?
34Ou une armée.
35En formes.
36Le fonds.
37La société du spectacle judéo-chrétien ne manque pas de clous.
38 Sûr.
39Musicale.

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