SUITE NOMEDIENNE : 7 documents de la 2e génération



1. Une trace de la Nomédie parmi les débris
de l’expédition maritime autour du monde
 
En juin 1962, un plongeur néo-zélandais fixé à Port Vila
va prospecter le récif de part et d’autre du gisement de l’Astrolabe
et repérer rapidement, par 15 mètres de fond, des formes d’ancres
et de canons pris dans le corail. Il remontera en outre un débris
de mât dans lequel figure un texte gravé. Chant de marin ?
 
La Nomédie
(Le domaine)
 
Mon Adélie,
Mon idéale !
Île nomade,
Main d’Éole !
 
À moi l’Éden,
Monde ailé !

Jacques Perry-Salkow

 ¤¤¤


Laurence Bedford déguisé en George Bass
à l'occasion de son trentième anniversaire

2. Supplément 
au voyage
de La Pérouse

Le continent éperdu

Note de la rédaction :

Le document suivant constitue une rareté. Il s'agit de l'éditorial du premier numéro de la revue Adynata, paru en septembre 1967. La revue, qui allait se consacrer pendant près de soixante ans à la recherche de la Nomédie, avait commencé modestement ses jours, au point que le premier numéro n'avait été tiré qu'à deux cent vingt-deux exemplaires, que l'on croyait tous perdus.

En toute honnêteté, nous devons reconnaître ici que nous ignorons s'il s'agit du texte exact, tel qu'il fut publié dans la revue ; en effet, ce que nous reproduisons ici est adapté du brouillon qu'en avait établi Laurence Bedford. Car, et c'est là une merveilleuse nouvelle, une caisse contenant certaines archives de l'illustre chercheur métaphysique a été retrouvée l'hiver dernier à l'occasion de travaux dans le grenier d'une maison sise en plein cœur de la vallée de l'Hérault, en France. Les propriétaires de ladite maison, Mrs Monica Mackanness et M. John Garratt, ignorent pourquoi cette caisse était dissimulée derrière une paroi de plâtre, sous un escalier. C'est par un ami à eux, intrigué, qu'ils ont pu remonter jusqu'à nous. Et c'est par ce long cheminement plein d'obscurités que nous pouvons aujourd'hui vous présenter ce document fondateur de l'expérience nomédienne.

Le Comité

LE CONTINENT ÉPERDU
étude d'un mythe, mythe d'une étude

par Laurence Bedford
CAP.DEL.EST.1



Commençons par une évidence qu'il faut néanmoins préciser : je ne suis pas un savant, ni même un érudit. Si j'ai écrit ce qui suit, c'est que diverses personnes m'ont demandé de le faire, m'investissant d'une autorité formelle qu'eux seuls reconnaissent et qui me paraît bien présomptueuse.
Disons-le donc clairement : je ne me considère pas comme un spécialiste de la Nomédie. Au contraire, je n'en suis qu'amateur, au sens le plus primitif et innocent du terme. J'aime l'idée qu'une idée telle que la Nomédie existe, qu'elle flotte quelque part entre ciel et terre, entre connaissance et conscience... d'aucuns diraient entre mythe et religion.
Depuis toujours, la question essentielle de la Nomédie n'est pas de savoir si elle existe réellement (ou a existé ou existera ou même existerait) mais de savoir comment il est possible qu'elle n'existe pas alors que nous en avons le désir. Que ce soient contingences matérielles, morales ou mentales, d'où proviennent vraiment les forces qui nous empêchent de la trouver une bonne fois pour toutes, de la concrétiser pour qu'enfin nous puissions l'habiter, la reproduire en nous (y) reproduisant ? C'est ce sujet que je me propose d'aborder dans l'article présent : les forces diverses qui se combinent dans l'esprit humain pour, de leurs inerties mutuelles, réduire à néant les efforts pour tout changer, pour rendre le monde, non pas meilleur (rêve d'enfant ou d'anarchiste) mais moins injuste, moins laid, moins blessant - car c'est bien là ce que tout le monde veut.
Plus généralement, en présentant les multiples textes nomédiens sans appareil critique dans Adynata, j'entends faire appel à la conscience des lecteurs aussi bien qu'à leurs connaissances, afin de créer, sinon la Nomédie elle-même, du moins sa forme en creux, sa forme existentielle. L'aspiration collective ainsi créée, atteignant un seuil critique, permettra alors peut-être un jour de fonder le monde que les Nomédiens ont expérimenté avant de s'évanouir ; à jamais ?


1. Mariage, Trésor & Solution

« Dans tout homme qui parle,
il y a ce qu'il dit et ce qui se comprend,
et ce qu'il ne dit pas et qui le fait dire. »
(Henri Laborit, L'homme et la ville)

Il n'est pas aisé, a priori, de déceler de point commun à toutes les Nomédies. Cela peut même paraître une entreprise absurde que d'en chercher un ; ce serait comme de vouloir prouver que tous les Russes sont suicidaires ou tous les Italiens volages. Il est pourtant possible, à la longue, qu'un schéma se dessine, qu'un motif apparaisse à force de superposer les mille et une approches du Continent dit égaré. Mais ce motif est difficile à appréhender parce qu'il ne se compose pas seulement d'éléments positifs ; au contraire, c'est plutôt un ensemble d'éléments négatifs qui, cumulés et juxtaposés, finit par susciter une forme, au sens le plus plastique du terme ; forme qui, sans être vivante, n'est pas non plus totalement morte.
Si on y réfléchit un tant soit peu, on s'apercevra que, selon le point de vue adopté, toutes les cultures se définissent en fin de compte par un ensemble d'interdictions, de défenses et de tabous ; ceux-ci ne sont pas toujours écrits, mais cela ne les empêche pas d'être efficaces pour autant. Dès lors, il n'y a pas de raison valable pour que les études subjectives de la Nomédie ne finissent par en déterminer une culture positive. A part, bien sûr, la mauvaise volonté, mais c'est là une attitude moins grave que la mauvaise foi, laquelle n'a d'autre remède que la violence abjecte ou le mépris absolu, qui ne construisent rien.
La question devient alors : si cette culture peut exister, puisqu'elle a des interdits, de quoi se compose-t-elle positivement ? Pourquoi n'en parle-t-on jamais, ou si difficilement ? Ces absences - ces choses impensables pour des non-Nomédiens -, en voici quelques-unes que je crois avoir déterminées au fil de mes lectures et de mes découvertes.
D'abord, pas un seul des textes concernant le Continent égaré ne se conclut par la découverte d'un trésor. Je parle ici de tous les types de trésor ; qu'il s'agisse de bijoux, d'objets magiques, de formules de bonheur garanti, de martingales, de postes de pouvoir absolu ou d'amours inespérées, les histoires nomédiennes ne permettent jamais à leur héros/ïne d'assouvir sur un "objet" le désir qui les (é)mouvait depuis le départ.
Notons deuxièmement que le mariage aussi est exclu de tous les récits nomédiens, pas plus en tant que moyen qu'en tant que finalité ; sans doute pour la simple et bonne raison qu'il implique l'existence d'une institution capable de lui conférer sa légitimité ; ce dernier concept n'a rien à faire en Nomédie, ou le concept d'autorité se confond avec celui d'intimité.
A vrai dire, il paraît impossible de prendre les Nomédiens en flagrant délit d'idéologie. Les détracteurs du Continent égaré n'hésitent pas à s'emparer de cette notion aussi terrifiante que vague pour clamer haut et fort que l'absence d'idéologie est toujours une idéologie. Il est difficile voire impossible de les contredire, dans la mesure où une idéologie est avant tout un discours ; or tout discours est empreint d'idéologie, sans quoi il ne dit rien.
L'argument ici est simple à penser mais difficile à présenter : c'est que les Nomédiens ne tiennent pas de discours. De là à conclure qu'ils n'ont pas (besoin) d'idéologie, il n'y a qu'un pas, que je n'hésite pas à franchir, tandis que les gens qui n'ont jamais appris à se passer d'idéologie sont incapables de sauter par-dessus la misérable fente cloacale qui leur tient lieu de conscience et qu'ils prennent pour un abyme, justifiant ainsi leur inaction et leur incapacité à (vouloir) tout changer.
Troisièmement, les récits nomédiens ne présentent jamais de résolution aux énigmes qu'ils posent et que pose la Nomédie. Les critiques littéraires usuels auront beau jeu de conclure que c'est là une facilité éhontée, arguant que le public a raison de bouder des œuvres qui ne le font pas se sentir plus intelligent (que qui ?). Disant cela, ils prouvent seulement qu'ils ne sont - suivant la formule consacrée - que des écrivains brimés ; le plus souvent par eux-mêmes, ajouterai-je.
Pour en avoir parlé avec de nombreux voyageurs revenus de Nomédie ou l'ayant perdue de vue, je peux témoigner en leur nom à tous que cette absence de solution aux énigmes nomédiennes, cette frustration perpétuelle qui borne la vie d'un horizon capricieux, est en réalité loin d'être une facilité ; qu'au contraire, c'est la chose la plus dure à atteindre en art. Et en amour aussi, peut-être, mais je m'avance là en terrain miné.
J'en viens donc à conclure que le corpus nomediensis contient des germes capables de détruire le monde tel que nous le connaissons. Curieusement, cette idée ne parvient pas du tout à me terrifier. Au contraire, elle est même plutôt réconfortante. Comment pourrais-je en effet regretter un monde qui a inventé la guerre mondiale et soupire d'effroi (à moins que ce ne soit d'aise ?) en songeant à "la prochaine" ?
A l'heure où j'écris ces lignes, j'apprends même que des biologistes travaillent à inventer des céréales qui ne germent qu'une fois et dont les graines deviennent stériles après la première récolte ; dans quel but ? vous demanderez-vous. Pour obliger les paysans qui s'en serviront à racheter des graines l'année suivante au "généreux" fabricant. Je me refuse à croire qu'un être humain doué de ce que j'ai la faiblesse d'appeller une conscience ait pu avoir une idée aussi répugnante.

2. Nous sommes tous des Nomédiens

« On ne peut révéler le monde
que sur un fond de monde révélé par les autres. »
(Simone de Beauvoir, Pour une morale de l'ambiguïté)


J'avancerai ici une thèse hardie qui fera sourire : non seulement les Nomédiens existent, mais ils sont déjà là, parmi nous.
En effet, si le Continent est là (où qu'il soit) depuis des siècles, il est difficile d'admettre que leurs habitants n'aient jamais mis les pieds "chez nous". De fait, la chose est impossible. Même les Chinois, qui ont toujours plié sous le joug de gouvernements protectionnistes, ont tout de même réussi à voyager, laissant çà et là quelques traces - même si la plupart sont incompréhensibles.
Nous devons donc admettre que des Nomédiens marchent parmi nous, que nous en fréquentons peut-être quotidiennement. Il est même probable que certaines personnes (oserons-nous les appeler des privilégiés ?) vivent plus ou moins maritalement avec des natifs de la Nomédie sans le savoir ! J'irai encore plus loin : rien n'interdit de penser qu'un petit nombre d'individus réputés "normaux" soient en réalité des Nomédiens qui se cachent ou qui s'ignorent. Qui sait ? Vous, peut-être.
Comment la chose serait-elle possible ? N'est-ce pas totalement absurde ? Je répondrai par diverses hypothèses : tout d'abord, rien d'interdit de penser que certaines personnes peuvent souffrir d'amnésie. Que celle-ci soit d'origine traumatique, virale ou hypnotique, cette affection mentale nous empêcherait de détecter un Nomédien égaré au milieu des humains, car qui songerait à chercher les symptômes d'une maladie inconnue ? Aussi insoupçonnable qu'insoupconné, le Nomédien engagé resterait invisible, y compris à lui-même, ce qui est, à tout prendre, la meilleure des couvertures pour un espion.
On voit par là que, si la Nomédie avait quelque raison d'espionner notre monde traditionnel, ses agents n'auraient aucune difficulté à rester indécelables. Mais c'est là une idée que je qualifierais de proprement "occidentale" ; en tout cas, elle correspond à un raisonnement politique digne d'une grande puissance moderne, ce que la Nomédie ne saurait être (elle n'est pas grande, elle est profonde ; elle n'est pas puissante, elle est transcendante ; elle n'est pas moderne, elle est intemporelle).
Ce que je crois plutôt - et qui en trouble plus d'un - c'est qu'une proportion non négligeable de gens sont des Nomédiens qui s'ignorent ou qui ont oublié, voire renié, leurs origines. Comment ? Eh bien, par exemple, on sait que de nombreux enfants doués de l'oreille absolue à leur naissance perdent cette faculté en grandissant. On sait aussi qu'un enfant arraché trés tôt à sa culture risque de la perdre irrémédiablement au profit d'une autre ; avec pour corollaire qu'elle peut aussi ressurgir à l'occasion d'un nouveau contact. Ou bien jamais.
On sait aussi que les circonstances personnelles peuvent entraîner chez un individu un enfouissement psychologique de tout ou partie de ses facultés, le réduisant à une sorte de pâle copie de lui-même, que ses proches auront du mal à reconnaître. Or, si la civilisation nomédienne est fort différente de la nôtre, il paraît évident que l'immersion d'un Nomédien dans un pays occidental ou oriental (avec toutes ses valeurs reconnues comme allant de soi) doive entraîner une sorte de choc mental et/ou moral exceptionnel, un traumatisme capable de provoquer l'oblitération pure et simple d'un passé, d'une mémoire, et des valeurs affiliées. Mais ces valeurs - si tant est que nous ayons raison de leur accorder une haute importance - ne sauraient être que des handicaps dans des sociétés comme les nôtres. Songez, par exemple, que le XIXe siècle a réussi à convaincre tout un chacun que l'ambition était une qualité enviable plutôt qu'une calamité sociale !
Franchement, ne vous arrive-t-il jamais de dire (peut-être même à voix haute) : "Qu'est-ce que je fais ici ?" ou "J'ai envie d'être ailleurs", "Je ne comprends rien à ce monde", "Tout cela m'échappe", "Je me sens en terre étrangère", "Pourquoi faut-il que les choses soient ainsi et pas autrement ?", "Cela ne peut être ainsi", "Il existe forcément une autre solution"... Sans parler de toutes les occasions où les mots nous manquent, où nous restons muets de stupéfaction sous le choc d'un constat informulable qui nous permettrait de mieux supporter l'intolérable.
C'est dans ces moments-là, sans doute, que la culture nomédienne s'efforce de ressurgir, de s'exprimer à travers notre effroi, notre honte, notre désarroi, nos paroles étouffées. Quelques-uns parviennent à la libérer ; ils nous la donnent alors en partage, par bribes, par éclats, par bouffées. Mais comment les reconnaître pour ce qu'ils sont ? Comment les entendre ? C'est ce que je vais tenter d'expliquer maintenant.

3. Poésie de l'aventure, aventure de la poésie

« Les mythes nous viennent du passé ; la Nomédie, elle, provient de l'intérieur à-venir, comme une musique jouée en sourdine par nos propres organes, à peine en dessous du seuil audible décrété par le bruit du monde. »
(Mélanie de Crémone, compositrice)

Avant tout, il faut affirmer ici une chose qui nous situera d'emblée hors des sphères en vigueur : la Nomédie ne saurait être un symbole. Ou, pour le dire en termes plus contemporains : les éléments qui la constituent ne relèvent pas de l'analyse jungienne ; peut-être pas même des catégories kantiennes.
Dès lors, qu'est-ce qui nous autorise à en parler puisque "nous ne pensons pas comme eux" (sans oublier que la réciproque est aussi vraie). C'est là, je crois, une erreur de jugement facile à diagnostiquer mais difficile à contourner. Ce que je veux dire, c'est qu'il nous arrive parfois de penser comme des Nomédiens, lorsque la spontanéité nous submerge et s'empare de nous. Par éclats, par bribes et par bouffées, la Nomédie qui se joue en nous transparaît soudain et (nous) parle.
Que dit-elle ?
Au risque de décevoir certains lecteurs, j'avoue l'ignorer. Je ne peux parler ici qu'au nom de ma propre Nomédie. Car c'est ainsi que se déroule le terrible drame : je ne peux jamais savoir a posteriori ce que j'ai dit ou fait lorsque j'étais Nomédien. Mais je sais que j'ai soudain parlé en nomédien2 parce j'ai soudain vu mes interlocuteurs me regarder différemment. Et le plus souvent, hélas, leur regard m'a ramené... ici. De force.
Saurais-je le décrire, ce regard ? Est-ce celui que l'on accorde aux fous ? Pas vraiment. A l'abscons ou à l'excentrique qui se perd dans ses circonvolutions ? Un peu, oui, mais pas seulement. A l'étranger, qui s'efforce de parler la langue locale mais reste incompréhensible à cause de son accent impénétrable ? Pour beaucoup, oui. Mais aussi, c'est le regard que l'on évite de renvoyer à l'amoureux qui se déclare à tort et à travers, quand on sait déjà qu'on va devoir l'éconduire mais que l'on ne saurait dire pourquoi.
Il y a un peu de tout cela dans ces moments. Ce sont ces indices qui vous permettront de savoir que la Nomédie est en train de vous parler. Et c'est dans ces moments-là qu'il vous faudra écouter très attentivement. Car si vous décelez ces signes chez vos interlocuteurs, c'est que vous êtes vous-même en phase nomédienne.
Des Nomédiens, vous en avez déjà croisés. Plus que vous ne le croyez. Peut-être même que vous en avez aimé un ou deux. Mais ils n'ont fait que passer, ou vous avez préféré l'oublier. L'enfouir. Le fuir ou la laisser fuir. Ce qui reste en vous, c'est une envie, une étincelle, une flèche enflammée qui attend d'être décochée... ou de se consumer pour rien.
Bientôt - demain ? - vous en croiserez un/e autre. Vous ne læ reconnaîtrez pas tout de suite. Vos barrières, vos défenses culturelles, seront érigées comme d'habitude. Votre intuition ne sera peut-être pas déclenchée. Si elle l'est, si vous ressentez cette émotion diffuse et embarrassante qui vous murmure que quelque chose est en train d'arriver, il vous faudra alors avoir la force de mettre votre corps en arrêt (voire aux arrêts) et votre esprit en marche. Vous devrez vous empêcher de fuir pour gagner les rivages connus, reconnus, dûment cartographiés. Vous devrez faire violence à la personne que vous aimez le plus (vous ?) pour vous mettre soudain à aimer quelqu'un dont vous ne savez rien.
Au début, vous aurez l'impression d'avoir mal ; et puis vous comprendrez que cette sensation n'est que celle d'un deuil accéléré. Après, il restera une impression de délivrance et d'horizon impalpable, vide et sublime ; comme si vous aviez réussi à faire le tour de la Terre à la voile sans jamais rencontrer la moindre terre.
La Nomédie est à peine au-delà de cet échine-horizon ; floue encore, comme un rêve dont on se nourrit depuis toujours, comme une brume qu'on pourra déchirer si le monde nous accorde enfin le droit de nous réveiller en douceur, c'est-à-dire quand nous avons dûment achevé de rêver, quand nos désirs se sont tous au moins exprimés.
Je ne sais qui a inventé le réveille-matin ; sans doute, comme toujours, partait-il d'une louable intention. Je me souviens que la première horloge publique - inaugurée à Paris, en 1307, sur la place de Grève - servait à convoquer la foule pour qu'elle ne soit pas en retard aux exécutions. Je me souviens aussi que lors des procès staliniens, la torture la plus pratiquée consistait simplement à réveiller les prisonniers au milieu de leurs phases de sommeil profond ; afin de briser leurs rêves. Et s'il suffisait, pour trouver la Nomédie, de désinventer le réveille-matin, et d'oser imaginer tout ce qui s'effondrera ensuite ? Les choses peuvent-elles vraiment être aussi simples ?
Vu d'ici et de maintenant, c'est difficile à dire.

Laurence Bedford
Red actor

1Note du Comité : nul ne sait à quoi correspondent ces lettres, dont Laurence Bedford accompagnait son nom à partir de 1947.

2Délicieuse ambiguïté du langage : parler en langue nomédienne ou en tant que Nomédien ? Et si c'était bel et bien la même chose ? (Cette note de Laurence Bedford ne semble pas avoir été reprise dans l'éditorial de la revue [note du comité]).




¤¤¤


3. MENUS RITUELS

« Sœurs et frères, mes chers compagnons de voyage ! »
Le prêtre ouvrit les bras et contempla un instant ses ouailles, qui se tenaient debout, les pieds dans le sable, ou assis sur des troncs abattus. Comme il avait le soleil dans les yeux, il ne les voyaient pas distinctement mais les connaissait tous fort bien.
« Je vous ai réunis ici pour célébrer le vingtième anniversaire de la fin de notre périple. »
Une des silhouettes, en face de lui, bâilla à se rompre la mâchoire sans mettre la main devant la bouche. Le prêtre entendit mais ne put savoir de qui il s'agissait.
« Il y a vingt ans en effet, jour pour jour, que notre vaisseau L'Hespérion, a touché cette île inconnue de tous, qui ne pouvait être que celle que nous cherchions : la Nomédie ! »
Une autre silhouette éternua ; ou peut-être la même. Il faisait encore frais et un petit vent soufflait de l'ouest.
« Abrège, Max, marmonna un homme dans l'assistance. On se gèle. »
A cause du vent, seule sa voisine de gauche l'entendit ; elle lui jeta un regard de reproche, assorti d'un demi-sourire.
« La Nomédie ! reprit Max. Nous l'avons tant cherchée ; et nous l'avons trouvée alors que nous avions perdu tout espoir. La moitié d'entre nous était morts de soif, de faim ou de désespoir. Et elle nous a recueillis, nourris et soignés.
Et tués aussi, mumura un des spectateurs. Nous ne sommes plus que douze, au cas où tu l'oublierais, mon petit Max. Et sans enfants pour continuer. On n'a pas réussi à en avoir... Tant mieux pour eux, remarque. »
Là encore, le vieux Max n'entendit rien. Chaque année, sa ferveur augmentait avec l'âge. Inversement, l'intérêt des "Nomédiens" diminuait d'autant. Dans ses prêches, Max oubliait de dire que les habitants originels de l'île avaient pris soin de déguerpir en les voyant approcher, et qu'ils n'étaient jamais revenus pour leur porter secours ou leur permettre de s'échapper. Leur petite expédition "pleine d'espérance pour l'humanité" (extrait du discours qui figurait sur le fascicule distribué lors de l'embarquement) allait se terminer ici, lentement, au fil des ans, à la vitesse de la plus banale des agonies. Et sans témoin.
Justement, en parlant de témoin, Max leva les yeux au ciel. Bleu.
« J'en appelle aux forces supérieures qui nous gouvernent ! »
Ça, c'était du politiquement correct. Rien qu'avec cette petite phrase, il y avait de quoi deviner la carrière professionnelle que Max suivait avant de changer de cap et d'embarquer (avec ses économies) sur L'Hespérion : publiciste.
« Voyez ! Nous sommes vivants ! Et je vais, sous vos yeux, accomplir les gestes qui perpétuent le souvenir de notre arrivée, l'achèvement de notre quête. »
Le "prêtre" se pencha vers le sol, y prit une noix de coco (qu'aurait-il pu utiliser d'autre, d'ailleurs ?), la souleva, fit quelques passes évoquant vaguement celles d'un magicien amateur, l'ouvrit en deux (il l'avait coupée et vidée auparavant) en faisant semblant de se l'écraser sur le crâne. Puis, d'un geste grandiloquent, il jeta au loin les deux moitiés et se laissa ensuite tomber dans le sable, face en avant, où il exécuta des mouvements de nage.
Il y avait longtemps que les "fidèles" ne trouvaient plus ce spectacle amusant ou dérangeant. On avait renoncé à dissuader Max de le faire. Mais chaque année, il devenait de plus en plus douloureux de le regarder gigoter, un peu comme une tortue persuadée qu'elle est sur le dos alors qu'en fait elle est seulement défoncée à l'alcool de palme, pour ensuite se relever avec moult difficulté.
Une fois encore donc, on le regarda se remettre debout en s'appuyant sur un bâton. Il représentait ainsi le naufrage de L'Hespérion et la sortie des eaux par les survivants ; il se devait de le faire seul. Sauf qu'il avait plus de soixante-quinze ans. Après être retombé une fois sur un genou, il parvint enfin à se redresser ; le souffle court, il reprit son espèce d'élégie.
« Et nous avons survécu puis nous avons vécu. Et nous voici, debout face à l'océan qui nous a fait naître. Et nous avons fondé la Nomédie. Et nous sommes les Nomédiens, et nuls autres que nous. Et à jamais ! »
Comme d'habitude, les autres escomptaient que Max dise amen à la fin de son discours, mais il n'avait commis cette faute de goût qu'une seule fois, au tout début. Peut-être quelqu'un lui en avait-il fait la remarque ensuite ; on l'ignorait. En tout cas, l'année suivante, il avait fait une allocution plus sobre. Et depuis, il faisait toujours la même chose ; plus ou moins. Les autres n'allaient pas l'embêter pour si peu. Après tout, c'était le principe même de la Nomédie : chacun faisait ce qui lui plaisait, du moment que ça n'empiétait pas sur les plates-bandes d'autrui. Si quelqu'un n'était pas content, l'île était assez grande.
Depuis quelques années, toutefois, la totalité des "Nomédiens" se retrouvaient au rituel anniversaire de Max, plus par ennui que pour d'autres raisons. C'était surtout l'occasion de se revoir et d'organiser une petite fête, avant de retourner chacun dans son coin. A vrai dire, ils n'en avaient jamais parlé entre eux, mais l'expérience nomédienne leur avait appris que, sans contraintes sociales, on passe bien souvent ses soirées tout seul.

Quelques mois plus tard, quand le vieux Max mourut tranquillement dans son sommeil, tout le monde fut un peu soulagé, sans aller jusqu'à l'avouer devant les autres. On l'enterra gentiment, sans rien dire, puis chacun retourna à ses affaires, qui n'étaient pas bien palpitantes.
C'est pourquoi tout le monde fut surpris lorsque, peu avant la date anniversaire du naufrage, tous les habitants de l'île se virent distribuer un message les invitant à participer à la cérémonie habituelle. Ledit message (un bout d'écorce) n'était pas signé. C'est donc plutôt intrigués que les Nomédiens se rendirent au coin de plage qu'affectionnait Max. Lequel d'entre eux avait donc décidé de perpétrer... pardon : de perpétuer la tradition instaurée par Max ?
Charlène les attendait, tournée vers la mer. C'était, peut-être, la plus discrète d'entre eux. Sur le moment, ils furent un peu surpris ; après quoi ils s'avouèrent qu'ils ne l'étaient pas tant que ça.
En tout cas, personne ne fit de commentaire en arrivant à la plage. Les dix survivants se disposèrent en éventail autour de Charlène. Presque tous s'assirent à la même place que l'année précédente, sauf Elisa, qui changea d'avis au dernier moment et alla occuper le bout de tronc sur lequel Charlène s'asseyait en général, et qui était plus confortable. Nul n'y trouva à redire.
« Il y a vingt et un ans, jour pour pour, que notre vaisseau L'Hespérion est arrivé dans cette île inconnue, qui était celle que nous cherchions depuis le départ de notre périple. »
La voix de Charlène était moins puissante que celle de Max, moins assurée aussi. Mais comme il n'y avait pas de vent ce jour-là, et que l'attrait de la nouveauté jouait son petit rôle insidieux, les autres n'eurent pas besoin de tendre l'oreille.
« Nous avons trouvé la Nomédie alors que nous étions presque morts de faim et de soif. Elle nous a nourris et abreuvés. »
Aussitôt, quelques-uns se demandèrent si l'absence du désespoir dans la liste était une omission volontaire ou une maladresse. Alejandro ne put même s'empêcher de se pencher vers son voisin Lucius pour lui murmurer : « Elle n'a rien dit sur l'espoir.
Franchement, lui répondit Lucius en chuchotant, on n'était pas si désespérés que ça.
Cela dépend à qui tu penses », ajouta Alejandro en secouant la tête.
Un coup d'œil en coin de la part de Sigrid les arrêta net. Ils échangèrent néanmoins tous les trois des sourires policés.
La disparition du désespoir parmi les ingrédients du rituel n'était pas bien grave. Après tout, leur voyage n'avait pas duré six mois ; il y avait pire, comme périple.
« J'en appelle à l'énergie des êtres supérieurs ! s'écria la néo-prêtresse en levant les mains, paumes ouvertes, vers le firmament. Regardez-nous ! Nous sommes vivants, encore et toujours. Je vais, sous votre regard aveugle, accomplir les rites qui perpétuent le souvenir de notre arrivée, et l'achèvement de notre quête. »
Elle se pencha vers le sol, s'y agenouillant devant un monticule de sable, qu'elle dégagea avec le tranchant de ses mains, révélant ainsi une noix de coco. Elle éleva ensuite le fruit devant son visage, mais celui-ci s'ouvrit d'un seul coup, avant qu'elle n'ait eu le temps de faire le moindre geste. A moins qu'elle n'eût pas eu l'intention d'en faire ; c'était impossible à dire. D'un geste ample, elle jeta les deux moitiés au loin et se laissa tomber gracieusement au sol, où elle effectua alors des mouvements évoquant la nage ou peut-être le vol aquatique des raies-manta.
Au bout d'une minute de ce spectacle fort évocateur (Charlène avait encore belle allure), elle se releva prestement et reprit son élégie.
« Nous avons survécu puis nous avons vécu. Nous voici, debout, face à l'océan qui nous a donné naissance. C'est ici que nous avons fondé la Nomédie. C'est nous qui sommes devenus les Nomédiens. Qui d'autre le pourrait ? Nous le resterons et nous resterons ici. A jamais ! »
Bien sûr, il aurait été déplacé d'applaudir, mais le cœur y était presque. On félicita Charlène pour son initiative, à quoi elle n'opposa qu'un modeste haussement d'épaule. Quelqu'un eut même le culot de dire que sa grammaire était meilleure que celle du vieux Max. Et la vie reprit son cours, qu'elle n'avait d'ailleurs jamais abandonné.
La nouvelle prêtresse officia cinq ans, avant de mourir subitement, peut-être empoisonnée par un poisson venimeux mal préparé. Les autres firent brûler son corps, pour changer. Le temps leur voûta un peu plus l'échine.

A l'anniversaire suivant, sans bien savoir pourquoi, les dix survivants se réunirent sur la plage. Ils se saluèrent puis se tournèrent vers l'océan. Il n'y avait personne face à eux. Certains échangèrent des regards ; d'autres les esquivèrent. En baissant les yeux, Alejandro vit une noix de coco qui était tombée là. Il lui flanqua un coup de pied négligent. Le fruit dévala la pente de sable et vint buter contre le pied de Jamel.
Jamel haussa les sourcils, regarda par terre et releva la tête. Il chercha à savoir qui lui avait envoyé ce message un peu lourd. Personne ne lui rendit son regard. Au bout d'un long moment, plissant les lèvres, il se baissa, ramassa la noix d'une seule main (il était très grand) et s'avança vers l'eau.
Un imperceptible soulagement parcourut les neuf autres. Le fait que Jamel ait perdu l'usage de la parole pendant le naufrage (ses enfants et son épouse y avaient péri) ne les gêna pas tout de suite. Au lieu de se tourner vers eux pour tenir un discours, Jamel monta sur un rocher, tendit les bras vers le ciel, lui montrant la noix, en quelque sorte, avant de la lancer par-dessus son épaule sans se retourner. Avec un bruit souple, elle tomba dans le sable à quelques pas derrière lui.
Il descendit alors de son piédestal à reculons, lentement, en une sorte de danse fort lente, presque hypnotique. Au lieu de nager en arrière, il exécuta une figure longue et compliquée qui évoquait peut-être l'accouchement nocturne d'une portée de six ou sept chats. Il s'arrêta lorsque son pied gauche toucha la noix de coco, monta dessus et l'enfonça dans le sable d'un coup sec. Après quoi, il poussa un son guttural et inarticulé en direction du soleil.
Et ce fut tout. Les autres furent un peu déçu, mais ne le montrèrent point. La soirée fut très agréable.
Jamel n'eut pas l'occasion de renouveler son cérémonial. Il se noya un peu plus tard dans le lagon, sans doute piqué par une méduse. On le pleura beaucoup et, comme il n'avait jamais exprimé ses vœux funéraires, on vota ; la majorité décida d'emballer son corps, de le lester et de le conduire au large afin de l'immerger avec les siens, pour ainsi dire. Ce qui fut fait avec grande émotion, et aussi avec un danger considérable, étant donné la configuration du lagon.

A l'anniversaire suivant, il y eut un problème (accessoirement, personne ne parvint à savoir à quel moment on avait décidé que le rituel aurait lieu le soir plutôt que le matin, mais tout le monde était d'accord pour reconnaître que c'était plus agréable le soir). Il se trouva que deux personnes voulaient assumer le rôle de prêtre. On dut organiser un vote ; comme il y avait sept votants, les candidats furent départagés en un seul tour de scrutin.
Le jour venu, presque tout le monde fut sur place dès le milieu de l'après-midi ; seul l'un d'entre eux manquait à l'appel : Ernst, celui qui n'avait pas été élu. On songea vaguement à surseoir, mais Angel, l'officiant désigné par ses pairs ne voulut pas perdre de temps.
Ecartant les bras et les jambes, il se mit à hurler : « Neumédiens ! » Puis il se tut. Les autres eurent amplement le temps de se poser des questions. Avant qu'ils puissent y répondre, le prêtre enchaîna : « Nous t'avons découverte ! Mise à nu ! Et tu nous as accueillis en ton généreux giron ! »
Il y eut des rires gênés, enfin. Angel n'en tint aucun compte et haussa encore le ton. « Trente ans déjà que nous sommes tiens, que tu es nôtre, que tu nous nourris, nous abreuve, nous console, nous guérit, nous rend heureux, nous montre l'avenir ! »
Dans l'assistance, on secouait la tête. « N'importe quoi ! » laissa tomber Olivia en se détournant de la scène. « En plus, ça ne fait pas trente ans, mais vingt-huit. » Mitch essaya vaguement de la retenir, mais Olivia s'éloigna en haussant les épaules.
Angel continuait sans s'apercevoir de rien. « Ô puissances supérieures ! » C'était direct, au moins. « Venez à moi ! Contemplez-nous ! Nous aimons l'océan. Nous l'aimons d'amour. Nous sommes ses amants infinis. »
Angel attrapa alors deux noix de coco et les fracassa l'une contre l'autre. Une seule éclata, l'éclaboussant de son lait sucré. En rugissant, il se coiffa d'une moitié de coquille, jetant l'autre au loin, à la mer ; comme il l'avait enfoncée brutalement, des gouttes de sang se mirent bientôt à couler le long de ses temps et de son cuir chevelu.
« Nous sommes tes esclaves. A jamais ! » Puis il entreprit posément de s'enfoncer la moitié de noix dans le crâne avec la noix intacte. Les spectateurs se regardèrent, estomaqués. L'un d'eux fit mine d'intervenir mais les autres lui intimèrent de n'en rien faire.
« Voici venir... la... grande... orgie... et la... fin... du... monde ! » beuglait Angel en continuant à marteler son crâne.
« Que veut-il dire exactement ? » demanda Caramelle à ses cinq compagnons ; ceux-ci haussèrent les épaules. Il ne leur fallut pas longtemps pour comprendre ; Angel se retourna alors vers eux en arrachant son pagne, révélant ainsi une indubitable érection qui oscillait au rythme des horions qu'il s'infligeait.
« Non, mais il a mangé trop de gaufres, lui ! » s'écria Caramelle - qui avait son petit caractère - en partant aussitôt. D'autres la suivirent, sauf Piotr, qui rêvait depuis longtemps de dire à Angel ce qu'il pensait de lui.
Angel fut retrouvé trois jours plus tard, le crâne fracturé comme une vulgaire noix de coco. Les autres, réunis, décidèrent par trois voix contre zéro (et quatre abstentions) que le prochain prêtre serait Ernst, même s'il était fort possible qu'il fût l'assassin d'Angel ; mais personne ne décida de mener une enquête.

Curieusement, l'année suivante, Ernst reproduisit mot pour mot, geste pour geste, le rituel de Max. Les réactions, chez les autres, furent mitigées. Certains furent émus ; d'autres non. Un ou deux s'en foutaient résolument et le signifièrent.
Ensuite, il y eut une petite épidémie de décès.

L'année suivante encore, Ernst refit exactement la même chose. A la fin de son rituel, il se retourna, poussa un cri imprévu, regardant un point élevé au-dessus de ses coréligionnaires. Tous se retournèrent pour s'apercevoir que, pendant le rituel, Sigrid s'était éclipsée pour aller se pendre à une branche d'acacia tout proche.
Sans un mot, ils essayèrent de la décrocher ; mais ils étaient tous trop vieux, maintenant, pour ce genre d'exercice. Sigrid était leur cadette. Elle ne disait pratiquement jamais rien. Elle n'avait pas laissé de mot d'adieu, ou bien le vent l'avait emporté. Son corps resta là, à pourrir, jusqu'à ce que la corde rompe. De toute façon, personne ne mit plus les pieds sur cette plage pendant un an.

Peu avant l'anniversaire suivant, Ernst fit savoir qu'il n'officierait plus. Les trois survivants débattirent de la question : était-il vraiment nécessaire d'accomplir le rituel ? Ils finirent douloureusement par conclure que oui, ne serait-ce que par respect pour les morts. (Plus tard, la nuit venue, chacun dans sa hutte se demanda en quoi cet argument était plus valable qu'un autre, mais aucun ne répondit à cette question).
Pour savoir lequel des deux candidats possibles - dont aucun n'avait envie d'assumer cette charge - officierait, ils résolurent de passer une sorte d'épreuve symbolique. Se battre leur paraissait ridicule. A leur âge, nager, même sur une courte distance, était périlleux. Ils savaient tout ce qu'il y avait à savoir sur l'île. Ils s'en remirent donc au hasard, en tirant à pile ou face avec un bout d'écorce relativement plat.
Shinoko fut désignée par le sort. Le lendemain soir, sur la plage fort silencieuse, elle attendit patiemment que ses deux derniers amis soient réunis, agenouillée face à la mer. Quand elle sentit leur présence dans son dos, elle se mit à chanter doucement, d'une très belle voix. Elle chanta dans sa langue natale, que les deux autres ne comprenaient pas.
Lorsqu'elle eut apparemment fini son chant, elle se leva et fit quelques pas de danse, en jetant çà et là des pincées de sable qu'elle avait saisi dans ses poings, et dont les grains scintillaient dans le soleil couchant.
Puis elle fit du thé (enfin, une infusion de feuilles) dans des moitiés de noix de coco, qu'elle passa ensuite à ses hôtes. Elle répéta plusieurs fois ses pas de danse, son chant, et déclama aussi de courts poèmes dans plusieurs langues inconnues, qu'elle adressait au ciel, aux arbres, aux rochers, au sable ou à la mer. L'un des spectateurs en eut les larmes aux yeux. A moins qu'il n'ait bâillé de fatigue.

Plusieurs années passèrent ainsi. Chaque fois, Shinoko ajoutait des éléments au rituel. En plaisantant peut-être, Ernst lui demanda un jour si elle avait été prêtresse avant de quitter le monde normal pour la Nomédie, car elle tenait là une sorte de vocation évidente. Elle ne répondit pas.

Un jour, Ernst disparut. Les autres ne l'avaient pas vu depuis des semaines, à vrai dire. Shinoko passa le voir dans sa hutte mais il n'y était pas. Elle alla chercher Ettore, qui ne l'avait pas vu non plus depuis un bon mois. Ils fouillèrent l'île, ce qui leur prit du temps et les fatigua beaucoup. Ils ne trouvèrent rien. Pas le moindre indice. N'importe quoi avait pu arriver. Ils s'interrogèrent sans conviction, puis décidèrent presque naturellement qu'il valait mieux oublier.
L'anniversaire approchait ; c'était le quarantième. Shinoko officia lentement, sans rien changer. Dans son dos, Ettore s'endormit. Quand elle s'en aperçut, elle ne lui en voulut pas ; songea à interrompre son rituel ; hésita même. Mais après une courte pause, elle reprit son chant et sa danse.
Au petit matin, elle s'était endormie elle aussi. Des petits crabes lui pinçaient les mollets. Elle les chassa en réprimant des frissons, poussant quelques gémissements. Puis elle découvrit le corps d'Ettore, à quelques pas de là. Il avait succombé pendant la nuit ; les crabes l'avaient largement entamé.
Elle courut trois jours et deux nuits à travers l'île, en hurlant comme une folle. Il y eut ensuite un orage qui lui rendit ses esprits ; du moins, quelques-uns. Sans savoir pourquoi ni comment, elle vécut encore une année, seule sur cette île qui les avait accueillis, eux et nuls autres qu'eux. L'anniversaire arriva sans qu'elle ait tenu de calendrier ; il était bientôt là, c'est tout. Au jour dit, elle se retrouva à la plage où ils avaient débarqué.
Avec la lenteur d'un spectre, Shinoko rassembla les ingrédients de son rituel, puis prit place face au soleil couchant. Elle médita longuement. Se demandant si elle devait accomplir quoi que ce soit. Si cela en valait la peine.
Au petit matin, alors que le soleil illuminait sa silhouette en lui réchauffant la nuque, elle poussa un soupir et prononça une phrase à haute voix (la première depuis longtemps, hormis les cris de folle).
« A quoi bon ? dit-elle. Le soleil se lèvera tout de même... »
C'est alors qu'elle entendit un rire éclater quelque part dans l'amas de rochers, du côté est de la baie. Elle eut peur tout d'abord, avant de reconnaître le rire. A travers ses larmes, elle vit la silhouette torve d'Ernst qui se levait, sortait des rochers puis s'approchait d'elle.
« Je le savais ! disait-il haut et fort en s'approchant. Je le savais ! » Il chantait presque.
Shinoko faillit l'insulter mais elle ne sut pas quoi dire, exactement.
« Je le savais ! » répéta Ernst jusqu'à ce qu'il soit hors de l'amas de rochers. Ensuite, au lieu de venir vers Shinoko, il s'éloigna rapidement en dandinant et disparut dans la forêt, continuant à scander :  « Je le savais, je le savais ! » Et Shinoko ne voyait pas du tout de quoi il voulait parler.

¤¤¤

L'îlot de Rangatira, archipel des Chatham, NZ

Retrouvez sur le blog des Vicariants d'autres aventures nomédiennes, dont Rangatira.



¤¤¤
 4.
LES AVENTURES
DE JACK SPINN
EN NOMÉDIE

Un soleil purpurin s'approchait de l'horizon déchiqueté aux montagnes inconnues. Jack Spinn poussa un juron sonore en laissant retomber la portière du cockpit, puis il regarda le fuselage de son planeur. Le côté droit de la carlingue était fendu sur un bonne partie de sa longueur, en commençant sous l'aile, ne s'arrêtant qu'après l'aileron arrière. Celui-ci avait été arraché et gisait à cent mètres de là, sur la lande, parfaitement visible.
A l'oeil nu, on ne voyait qu'un seul autre obstacle sur la lande : une pierre, pas très haute, fichée dans l'espèce de bruyère, que Jack n'avait pas réussi à esquiver et qui, dans le soleil couchant, portait une ombre démesurée. C'était ce qu'on pouvait appeler un sérieux accroc dans son monoplan.
La déchirure au flanc de l'appareil émettait encore des cliquetis métalliques et des grincements affligés. Jack s'efforça de ne pas penser au sourire d'un requin, ce qui le fit rire jaune. Il donna un coup de pied dans une touffe d'herbe qui avait été délogée du sol par son appareil ; sa mission était sévèrement compromise. Pour ne pas dire pire. Il n'avait aucun moyen de contacter son commanditaire. Toute l'affaire reposait sur la possibilité de son retour physique, avec échantillons et témoignages directs (extorqués, au besoin).
Il ne se souvenait pas d'avoir eu la moindre intuition négative en acceptant cette expédition ; elle paraissait raisonnablement risquée et c'était fort bien payé. Le quotient intérêt/risque était en tout cas très alléchant. Les quelques photos granuleuses qu'on lui avait montrées - en lui disant qu'elles avaient été prises par Amelia Earhart, ce dont il n'avait eu aucune raison de douter - révélaient de vastes étendues d'herbe plates, idéales pour un atterrissage, quoique peu propices à la discrètion. Il lui suffisait d'en trouver une qui se terminât par une falaise ou un surplomb d'où il pourrait repartir une fois sa mission accomplie.
Au lieu de quoi, il était tombé sur un os de taille. Si l'île n'avait pas d'industrie métallurgique, comme il le craignait, ni le moindre artisan, son planeur était irréparable. Il ne pourrait donc rentrer que par voie de mer. C'était justement ça, le problème ; la raison pour laquelle il accomplissait cette exploration spéciale. Nul ne savait revenir de la Nomédie, car, apparemment, ce Continent se déplaçait. Pour y aller, il fallait faire vite ; l'avion était donc idéal, du moment qu'on partait d'une base assez proche. En l'occurrence, il avait décollé d'une plaine herbeuse, en plein coeur de la Nouvelle-Calédonie.
On était le 19 mars 1938 ; Jack Spinn était bel et bien coincé en Nomédie. Avec une moue dégoûtée, il enleva son casque de cuir et ses lunettes de vol, jeta ses gants dans le casque et le tout sur son siège. Pour ce soir, il dormirait sous l'aile intacte. La température ne tomberait sans doute pas beaucoup. En attendant qu'il fasse complètement nuit, il décida d'aller voir de plus près la satanée caillasse qui lui avait bousillé son aéroplane. Il prit sa lampe et faillit refermer l'habitacle ; en plissant les lèvres, il se pencha pour prendre aussi son revolver. Il vérifia qu'il était chargé.
Cinq minutes plus tard, quand il atteignit l'Obstacle - bon sang ! c'était vraiment le seul à portée de vue -, la luminosité avait considérablement diminué. Près de l'équateur, le soleil se couche vite. L'épaisse bruyère ne rendait pas la progression facile. Jack se demanda s'il parviendrait à retrouver le chemin du planeur ; très élastique, l'herbe ne laissait aucune trace derrière lui. A vrai dire, la traînée laissée par le ventre de l'appareil sur cent mètres était à peine visible.
Il hésita à faire demi-tour avant qu'il ne soit trop tard, secoua la tête et reprit sa marche d'un pas volontaire. L'obstacle apparut bientôt dans le faisceau de sa lampe. Il ne mesurait guère plus d'un mètre de haut ; heureusement, sans quoi, l'aile aurait été coupée net et l'engin serait parti à tournoyer, précipitant violemment son pilote contre la paroi. Peut-être même à travers le cockpit. Sa forme était grossièrement celle d'un oeuf ; sa couleur dominante était difficile à déterminer dans le jaune blafard de la lampe. Mais l'objet était plutôt pâle. De près, cela ressemblait plutôt à un oeuf fossilisé. Le plus étrange était les stries émoussées qui dessinaient des entrelacs à sa surface. A priori, elles n'évoquaient rien de particulier ; mais il était difficile de prendre du recul.
Bien sûr, le passage brutal du planeur avait laissé des traces : des morceaux de métal et de bois, quelques vis et boulons, un bout de câble, traînaient tout autour. Une estafilade de trente centimètres de long avait défiguré les entrelacs, sur un côté de l'oeuf. Jack se demanda si le choc de la collision avait déplacé l'objet ; il s'agenouilla pour en inspecter la base. L'herbe y était beaucoup plus épaisse ; quelques vrilles escaladaient même le pied de l'oeuf. Il en fit le tour pour se faire une idée plus générale. A un moment, posant la lampe sur le sol, dirigée vers l'oeuf, il entreprit de soulever à deux mains le tapis de bruyère, pour voir jusqu'où s'enfonçait la borne de pierre.
Le végétal, quel qu'il fût (il n'y connaissait rien en botanique) était solidement agrippé. Jack faillit sortir son coutelas pour se faciliter la tâche, mais il y renonça au dernier moment. C'était risqué, car le suc pouvait être vénéneux. Il laissa retomber les pousses, avec des frémissements sonores à peine perceptibles. Apparemment, le matériau dans lequel l'objet avait été sculpté continuait sous la bruyère ; le socle devait être très large et très ancien, ce qui expliquait que la puissance du choc n'ait pas suffi à le désolidariser, ni à le décapiter.
Frustré, Jack retourna au planeur. Il n'eut aucun mal à en repérer la direction, grâce à l'éclat du cockpit dans le faisceau de sa lampe. Néanmoins, la distance lui parut beaucoup plus longue qu'à l'aller. Il se drapa dans sa veste de cuir et dans sa seule couverture, son casque en guise d'oreiller. Quand la lune se leva quelques minutes plus tard, il dormait du sommeil du juste.

C'est en se réveillant, baigné de la lumière du soleil levant, qu'il comprit d'un seul coup ce que représentait l'objet sculpté. Sa révélation était sans doute liée au rêve qu'il venait de faire ; un rêve très agréable quoique perturbant.
Assis sur son séant, clignant des yeux, Jack Spinn éclata soudain d'un énorme rire. Devant lui, autour de lui, s'étendait toute une colline légèrement arrondie, dont la pierre sculptée occupait le sommet. A deux kilomètres vers le sud, une autre colline présentait exactement le même relief. A son sommet siégeait un autre roc de même taille et de même forme. Jack ne pouvait comprendre pourquoi mais il était évident que les deux collines représentaient (ou étaient) deux seins gigantesques dont les petits menhirs tenaient lieu de mamelons.
Son rire homérique s'éteignit d'un coup lorsque, dans son esprit, se formula la question de savoir si les collines avaient été délibérément sculptées en forme de seins ou si l'artiste avait seulement profité d'un caprice de la nature. Les implications n'étaient pas les mêmes. Bien sûr, Jack ne pouvait envisager une troisième solution, infiniment plus délirante, à savoir que, peut-être, la nature avait été convaincue par l'artiste de prendre la forme d'une poitrine féminine. C'était impensable, donc il ne le pensa pas.
Le moral de Jack Spinn avait été regonflé à bloc par sa nuit de sommeil, comme c'était toujours le cas. Le rêve final en avait constitué un contre-point parfait, bien qu'il ne s'en souvînt pas du tout. Il grignota un peu de ses rations militaires, enfourna son maigre matériel dans son havresac, dissimula le bout d'aileron brisé derrière le siège, donna une tape amicale sur le nez de son planeur, en boucla le cockpit (plus pour empêcher des bestioles d'y faire leur nid que pour toute autre raison) et partit d'un bon pas. La question de la direction à suivre se poserait plus tard.
Parvenu au téton, il sortit ses jumelles et fit un tour d'horizon. Il souriait en se disant qu'il n'avait aucun moyen de savoir s'il s'agissait du téton droit ou du gauche, puisqu'il ignorait quelle était l'orientation de la "sculpture". Il fut un peu rassuré de ne rien voir qui fît penser à un visage couché ; la perspective d'un travail aussi colossal avait de quoi effrayer, même un individiu des plus endurci comme lui.
Il ne put s'empêcher de calculer que, à l'échelle, une telle face aurait dû mesurer presque cinq kilomètres de long sur trois et demi de large. C'était tout bonnement irréalisable. Jack haussa les épaules en se disant qu'il était bien bête de se laisser impressionner. Cette poitrine n'était qu'un accident de terrain mis à contribution par des gens inspirés et pour le moins facétieux.
Il lui fallait maintenant un autre indice, d'une nature moins ludique, pour choisir son itinéraire. Les coordonnées du dernier rapport radio d'Amelia Earhart correspondaient à un point situé à un peu moins de cent kilomètres vers le nord-ouest. Jack devrait attendre midi pour faire le point. Sur ce type de terrain, il pourrait parcourir la distance en trois ou quatre jours à peine. Il décida qu'il commencerait son exploration systématique à partir de là-bas.
Son commanditaire et lui-même avaient opté pour le déplacement en spirale. En effet, sans partenaire pour le seconder, Jack ne pouvait quadriller ; cela aurait conduit à de nombreuses omissions. Alors qu'une spirale, suffisamment serrée, minimiserait les oublis. La principale difficulté résidait dans le relief. Il n'avait pu s'embarrasser d'instruments de géomètre. Le sextant, même s'il était en alliage à base d'aluminium, pesait déjà assez lourd en soi.
{Ce document est visiblement inachevé ; c'est bien dommage. 
Le comité)

¤¤¤

5. Le Scarabée de Verre

Hier soir, au casino de Brighton, les constables Brown et McMurphy ont dû intervenir peu après minuit. Appelés d'urgence par le directeur de l'établissement, les forces de l'ordre ont évité de justesse un drame terrible qui se déroulait à la table de roulette.
Comme toujours lorsque plusieurs témoins assistent à une scène violente, les renseignements sont contradictoires et difficiles à comprendre, en tout cas, peu décisifs. Nous commencerons donc par présenter les éléments qui nous ont paru les plus sûrs. L'indicent a impliqué deux personnes ; l'une d'elles est bien connue de nos lecteurs des pages mondaines, puisqu'il s'agit de la Princesse Shâdi Sarfani, la fille du malheureux shah du Sabiristan qui a perdu son trône voici quatre ans, suite à la rébellion de ses sujets. On sait qu'elle est plus exilée que simplement réfugiée en Grande-Bretagne, car les autorités qui ont renversé son père la considèrent comme une criminelle, bien que son crime n'ait jamais été précisé officiellement.
L'autre acteur de l'incident est, par contre, un homme parfaitement inconnu, d'autant plus qu'il a disparu et que personne ne parvient à se mettre d'accord quant à sa description. Voici le peu que nous ayons réussi à reconstituer : à minuit pile, alors que la Princesse Shâdi - qui parle couramment l'anglais, en sus du français et de sa langue maternelle, le sabir, un dialecte farsi - était favorisée par la fortune et gagnait peu à peu de jolies sommes qui la mettaient en joie, un homme qui venait à peine de prendre place à la table, posa soudain une mise peu orthodoxe.
On le sait, le réglement du casino de Brighton permet, exceptionnellement il est vrai, d'utiliser au lieu des jetons d'ivoire, de petits objets de valeur qui seront ensuite estimés puis convertis par la Caissier en chef. Il était évident que l'objet posé par l'inconnu au dernier moment n'était pas un jeton. Pourtant, nul n'eut le temps de voir de quoi il s'agissait exactement ; en effet, au mépris du réglement intérieur, alors que le croupier venait de prononcer la phrase consacrée "Rien ne va plus, les jeux sont faits" et de lancer la bille, la Princesse se leva d'un bond, abattit une main sur le mystérieux objet et serra aussitôt le poing en arborant une expression qu'un témoin a qualifiée de "douloureuse autant qu'extatique, avec une pointe d'effroi et quelque chose d'indéfinissable." A peine eut-elle serré le poing qu'elle poussait un cri de souffrance et s'effondrait sur son siège, emportant avec elle la plupart des jetons qu'elle avait gagnés durant la soirée.
On se précipita à son secours, pour découvrir bientôt que sa main était ensanglantée. Le temps qu'un médecin présent sur les lieux, le Dr Watson, parvienne à arrêter l'hémorragie, l'inconnu avait profité de la confusion pour s'enfuir ; il n'a pas été arrêté par les vigiles de l'entrée, ce qui est inexplicable.
Le Dr Watson, qui a répondu aimablement à nos questions, nous a avoué la chose suivante : après avoir nettoyé la plaie à la main de la Princesse Shâdi, qui était due à des éclats de verre très fins, il s'aperçut que les blessures dessinaient une forme bien curieuse, à laquelle il n'attacha d'abord guère d'importance. C'est seulement au petit matin, après avoir fait un rêve où figuraient les coupures en question, que le Dr Watson, ayant consulté fébrilement un dictionnaire arabo-persan, fut en mesure de "lire" le mot inscrit si cruellement dans la paume de l'infortunée Princesse. Et ce mot était nomedi.
Or, le bon docteur est formel ; ce mot (ou ce nom) n'a aucune signification connue, pas plus en arabe qu'en persan ; il reste la possibilité qu'il appartienne à la tradition sabiri, auquel cas son sens nous resterait inaccessible à moins d'une explication soutenue. A l'heure où nous écrivons ces lignes, l'héritière du trône du Sabiristan est toujours évanouie, et son fidèle gardien, Shayon Tcheresfani, interdit à quiconque l'accès à sa chambre d'hôpital.
Inutile de préciser que Scotland Yard recherche activement l'inconnu, avec l'aide du Dr Watson, qui "regrette sincèrement l'absence de son célèbre ami, lequel n'aurait pas manqué d'être passionné par cette affaire, eût-il encore été parmi nous." Nous ne pouvons qu'être d'accord avec ce monsieur, et lui faisons part de toute notre affliction.

O. G. Welles
pour le London Times
10 avril 1912

¤¤¤

6. ICI ET MAINTENANT
par Léonce de Cayoux

J'avais trente-trois ans et je venais d'être abandonné par une femme plus âgée que j'aimais à la folie. Je m'appelais Antoine mais cela ne pouvait pas durer. Pendant six mois et huit jours j'ai pensé me suicider tous les soirs mais j'ai échoué à concrétiser cette idée tout comme j'avais échoué à tout le reste y compris fonder une famille ou avoir un boulot intéressant et suffisamment payé. Fils d'un militaire et d'une chimiste travaillant pour le ministère de la défense je croyais tout savoir à vingt-cinq ans sans pour autant m'être jamais rebellé. J'avais aimé Sylvina dès la première rencontre. Elle accompagnait sa sœur cadette que nos parents respectifs me destinaient. A vrai dire elles se ressemblaient tellement qu'il était presque impossible de les différencier. En me quittant Sylvina m'a dit que si je l'avais choisie elle et non sa sœur c'était pour faire semblant de désobéir à ma famille alors qu'en réalité cela n'a gêné personne. Jacques mon frère aîné a d'ailleurs épousé Katrina à ma place en quelque sorte. Ils sont toujours ensemble et ont deux enfants Charles et Tatiana. Je suis le parrain de Tatiana.
Le présent récit n'est pas celui de ma famille ni de ma résurrection. Je n'ai pas ressuscité puisque je ne suis jamais vraiment mort. Je ne suis pas non plus resté tout à fait vivant pendant ces longs mois où j'ai tenu un journal de mes souffrances que j'ai intitulé Journal de mort. Au fur et à mesure que chaque carnet était rempli je le jetai. Dans divers endroits. Le premier simplement à la poubelle parce que je ne sortais pas encore de chez moi. Le second depuis ma fenêtre droit dans une benne à ordures qui passait dans la rue à cinq heures du matin l'heure de Paris. Le troisième dans une bouche d'égout de la rue Darcet quelque entre la place Clichy et le boulevard des Batignolles. Enfin je crois. Je ne sais plus ce que je faisais dans ce quartier puisque j'habite rue Vieille-du-Temple. Le quatrième je l'ai toujours mais je ne m'en sers plus. Il est inachevé et le restera. J'ai arrêté d'y écrire le jour où j'ai appris l'existence de la Nomédie.
Je ne devrais pas lui mettre de majuscule car j'ignore encore si elle n'est qu'un rêve. Je décide ici et maintenant de ne lui attribuer de majuscule que lorsque je l'aurai trouvée. D'ici là j'écris dans ce journal cinquième du nom. Ce sont mes recherches. Le cinquième carnet est bleu à spirale et tout allongé. J'aime écrire en hauteur en lignes étriquées. C'est plutôt un carnet pour écrire de la poésie ou des chansons. Je ne sais pas faire ça. Il me manque une certaine façon de voir les choses de la vie. Je m'appelle Antoine j'ai trente-trois ans et Sylvina ne m'a jamais aimé. Ce n'est pas grave. Moi non plus.
Demain je pars seul.
Lendemain du premier jour du carnet
Il faudrait que je raconte comment j'ai entendu parler de la nomédie pour la première fois mais je préfère ici et maintenant parler de ma nièce filleule Tatiana. J'ai téléphoné hier soir à mon frère pour lui dire que j'allais partir loin et longtemps et lui demander de passer chez moi arroser les araucarias mais c'est Tatiana qui a répondu. Je ne savais pas qu'elle était déjà assez grande pour le faire. J'étais si surpris que je l'ai longuement écoutée me raconter sa journée d'école et les choses qu'elle y avait faites. Elle ne se rendait pas du tout compte que c'était la première conversation téléphonique que nous avions elle et moi. Tatiana est très importante à mes yeux. A la fin elle a raccroché en disant au revoir tonton et j'ai oublié de lui demander de me passer son père. J'aurais pu rappeler aussitôt mais je ne voulais pas gâcher l'unicité de ce moment. En reposant le combiné j'ai su que la nuit serait vide et monotone.
La nuit a été vide et monotone. Le lendemain matin je suis installé à une terrasse de café de l'avenue de Wagram et le soleil brille j'avais écrit vrille c'est amusant. Les gens autour de moi ont tous quelque chose à faire. Quelque part où aller. Quelqu'un à aimer. Moi non. Je me demande comment aller en nomédie. Une fois sur place je trouverai bien de quoi m'occuper. J'ai l'impression que si je n'écris pas ici et maintenant ma première rencontre avec le continent égaré je risque de tout oublier. La journée passe vite. Presque sous mes yeux nus. Chaque phrase que j'écris me prend plusieurs minutes. Je laisse mûrir les mots dans ma tête avant de les coucher sur le papier finement quadrillé. Ce n'est pas aussi dur que je l'avais cru de prime abord. Certains écrivains sont de vrais menteurs. Il y a longtemps que je n'ai pas lu un livre jusqu'au bout. Je préfère imaginer leur fin moi-même c'est moins décevant.
Je n'emporterai pas de livres en nomédie même si c'est une île et que pour respecter la tradition je suis censé y emporter trois ou dix ouvrages indispensables. Je ne veux pas m'encombrer. Je veux tout oublier. De toute façon les livres craignent l'air marin cela les fait gonfler et rend les pages cassantes et gondolées. Je n'aime pas prêter un livre à quelqu'un qui part en vacances à la mer. Si cela arrive je préfère qu'on ne me le rende pas. Il y a des gens qui gardent les livres plusieurs années et qui les lisent d'un coup comme ça un jour. Ne parlons pas de ceux qui ne vous les rendent jamais. Il devrait exister une catégorie spéciale de châtiment pour eux. Si j'avais fait des études de droit c'est ce que je serais devenu. Expert en voleurs de livres. Quand quelqu'un à qui je prête un livre doit le lire à la plage alors je préfère qu'il m'en rende un autre exemplaire ou même un autre livre. En fait si la chose est possible j'aimerais bien débarquer tout nu en nomédie. Oui en numédie. Ainsi dénommée elle serait un peu plus à moi.
Pendant quelques minutes j'ai oublié comment j'avais connu la nomédie. Il faudrait vraiment que je le raconte ici et maintenant mais une femme vient de s'asseoir à côté de moi et elle ressemble à Sylvina. Ou peut-être à sa sœur. J'écris à toute vitesse pour ne pas lever les yeux vers elle. Si je la regarde ce sera terrible. Pour elle et pour moi. Je pourrais ici et maintenant imaginer un fantasme facile. C'est quelque chose que j'ai remarqué dans les livres et dans les films. Les fantasmes sont toujours faciles. Ils ressemblent toujours à d'autres fantasmes très connus. On ne peut pas aborder une inconnue en lui proposant de réaliser là tout de suite un fantasme commun. Ce serait un fantasme. Et je suis sûr que comme tous les fantasmes quelqu'un d'autre l'a déjà écrit avant. Voire vécu. Du coup je n'en ai plus envie.
Je me demande si elle me regarde tout en buvant son café. Elle est assise sur mon côté gauche mais elle est tournée vers moi. Pour me regarder elle doit faire un geste plus facile que le mien pour la regarder elle. Si je lève les yeux et que je tourne la tête je verrai si elle me regarde. Si elle me regarde je lui proposerai de venir avec moi en noumédie. Il me suffit d'une impulsion cérébrale suivie de l'impulsion musculaire correspondante puis d'ouvrir la bouche en articulant les sons appropriés dans la langue idoine. C'est une démarche assez simple que l'on accomplit des centaines de fois par jour. Ce ne serait qu'une de plus mais qui changerait tout. Ou rien. Avant de me lancer j'aimerais tout de même savoir si elle a déjà entendu parler de la normédie comme moi. Si elle est tombée sur la même coupure de presse jaunie glissée dans le vieil atlas que j'ai consulté hier à la Bibliothèque nationale et qui parlait du continent égaré. Ce serait très beau si c'était le cas oui très beau. Cela simplifierait grandement les choses. Mais les probabilités sont très minces oui très minces. La ville est immense et les livres trop nombreux.
La femme qui ressemblait à Sylvina vient de partir après avoir bu son café et griffonné pendant quelques minutes dans un grand cahier de la main gauche. J'ai levé les yeux vers elle et nous avons échangé un bref regard. Sylvina avait les yeux bleus elle. Je partirai seul demain.
Lendemain du jour précédent mon départ pour la nommédie
J'ai tellement décidé de partir que mon sac est déjà prêt. Il est dans l'entrée par terre. Il n'y a vraiment pas grand chose dedans. De quoi me changer deux fois parce que je ne pense pas pouvoir atteindre ma destination en une seule escale. Une petite bouteille d'eau. Mon passeport évidemment pas le choix ça non pas le choix. Je le brûlerai une fois arrivé. Un paquet de cigarettes qui sera le dernier et des allumettes pour le passeport et parce que j'ai une chance sur deux d'arriver à la nuit tombée. Je ne comprends pas le sens de la phrase que je viens d'écrire mais je ne la bifferai pas. Un peu d'argent pour le voyage. Je donnerai ce qui restera avant de débarquer à un pauvre. Il y a toujours des pauvres près des aéroports ce sera pratique.
L'appartement est presque vide puisque j'ai tout vendu sur e-bay pour payer le voyage. Je suis assis par terre et j'écris sur le carnet numéro cinq ouvert sur mes genoux avec un stylobille. A l'aéroport international je prendrai le premier avion pour l'est. C'est ce que j'ai décidé. Il n'y a que le téléphone qui ne soit pas coupé. Ils m'ont dit qu'ils le feraient demain. Je n'ai pas compris pourquoi. Je voulais qu'il soit coupé aujourd'hui mais je viens de vérifier et il marche encore. Ce qui veut dire qu'il pourrait sonner. Je pourrais arracher la prise mais ce ne serait pas une rupture officielle. Je veux être libre pour avoir envie d'aller là-bas sans y apporter mes chaînes. Mes pensées doivent être détachées pour accueillir pleinement celles des phomédiens. Je le leur dois. Ils m'attendent. Je sais qu'ils m'attendent. Je le sens. Le sac est dans l'entrée. Je suis assis au milieu de mon ancien studio. Le téléphone ne sonne pas. Seul je partirai demain.
Lendemain du jour où le téléphone n'a pas sonné
Je ne sais pas à quelle heure exacte ils ont coupé la ligne. De nos jours ils ne se déplacent plus pour faire ça. J'aurais bien voulu appeler ma filleunièce une dernière fois pour lui dire de ne pas s'inquiéter. Enfin ce n'est pas grave. Elle comprendra plus tard. Seul demain je partirai.
Lendemain du jour précédent
La nuit est achevée. J'ai dû ouvrir le sac pour y prendre du linge propre. Je demain seul partirai.
Lendemain
Il y a comme une odeur. Je seul partirai demain.
Demain
Partir. Seul. Demain.
Gargouille


¤¤¤

7. DROIT DE REPONSE
(suite aux Oiseaux lents, in La Bibliothèque nomédienne, L'Atalante, 2008)

Disons-le d'emblée, je n'aurais jamais cru que j'entendrais de nouveau parler de la Nomédie avant de mourir calmement comme toute personne civilisée qui se respecte. Cette théorie du "Continent égaré" pas tout à fait au milieu du Pacifique" m'a toujours paru - dès que je l'ai entendu mentionner en 1999 - vouée à disparaître dans les limbes de la non actualité la plus intégrale.
C'était sans compter sur l'extraordinaire faculté qu'ont mes semblables de bavarder interminablement sur tous les sujets possibles et imaginables, même et surtout les plus abscons, pour ne pas dire les plus dépourvus d'intérêt et les plus incohérents. Jamais je n'aurais misé une piastre sur l'authenticité de la lettre que le New Yorker m'a fait suivre quelques semaines après la parution de mon article Les Oiseaux lents (voir le numéro #). Le simple fait que vous soyez en train de lire ce droit de réponse vous prouve que non seulement je l'ai lue mais qu'elle m'a poussée à agir.
Voici d'abord le contenu de ladite lettre (avec les fautes et tout, car elles semblent avoir de l'importance - tant pis pour vos oreilles internes) :

Ô Cory Andrah,
vous estes notre inspiratrice ; soyez notre red hemptrix.
Nous savons que vous connaissez le granh secret. Bien sçur, vous l'avez rendu publique mais sous une phorme si sçubtile que nul n'en saura tirer le moindre anseignement, nul ne saurait le perçer à jour ; grâce au voile obxur que vous avez tiçé autour d'L, L restera inviolée, inaxeçible et seule.
Cela prouve que vous avez comprix son importance et que vous estes prête à la déphendre plux encore.
C'est pourquoi nous avons choisi de vous avertir d'un danger immanent. Il se trouve que nous sçavons de source sçure que la société Bonheur-du-Jour (phyliale du groupe pharmaceutique Begin-to-Say) achève axuellement la mise-au-poing d'un médicament dit "de comphort" destiné à estre commercialisé dans le monde enthier dès l'an prochain. Son nom : le Nomédil. Son domaine d'applicaçion : les rêves. Ou si l'on préphère un terme + sçientiphyque : l'activité cérébrale en ondes delta.
Vouvous demandez peut-estre comment la chose est poçible. Peu emporte. Nous pourrions vous l'expliquer mais nos explications permettraient aux concepteurs-promoteurs du Nomédil de nous identiphier et de mettre nos vies en danger. Nous vous demandons de nous croire sur paroles. Néanmoins (comme disent les statues grecques), pour vous convaincre sans l'hombre d'un doubte, nous joignons à cette lêtre trois (3) gélules-test dérobées à l'unité de production du laboratoire où nous avons un contact. Les marques qui permettraient d'identiphier cette père-sonne ont été limées.
Nous vous engageons à essayer vous-mêmes ce produit en prenant l'après-caution de le faire en présence d'un médecin de comphiance (si la chose existe encore). Le Nomédil ne doit pas parvenir en phase de commercialisation. Les enjeux sont énaurmes ; vous comprendrez mieux leur hampleur après avoir goûté à ce fruix des fendues.
Les juristes qui travaillent pour le monstre Begin-to-Say ont découvert que l'activité onirique ne faisait l'objet d'aucune législation et qu'elle était donc librement offerte à toute exploitation envisageable. Il faut intervenir avant qu'il n'est trop tard pour le monde. Le pouvoir conféré par le contrôle du Nomédil dépasse l'entendrement humain ; il est à craindre que nul ne puisse s'y soustraire.
Vous seule avez la poçibilité et le talens pour alerter l'opinion publique. La police ne nous écoutera pas ; ils travaillent pour le pouvoir. Les services secrets nous étoufferont. Les autres nous enverraient à l'asile.
Courage. Aidez-nous. Aidez-vous.
Harry Yoy

Bon. Que les choses soient claires : voilà précisément le genre de courrier que tout journaliste digne de ce nom rêve de recevoir un jour... du moins en début de carrière. Puis, avec l'âge et l'expérience, le journaliste reçoit effectivement des lettres de ce genre (appelons-les "exaltées" pour déranger le moins de gens possible) et s'aperçoit que dans la quasi-totalité des cas, elles ne mènent strictement à rien, sinon à douter de la rationalité de l'espèce humaine. (Les autres cas sont adressés à Woodward et Bernstein). Il n'y avait donc aucune raison que cette lettre-ci bafoue les règles du "Plus ça a l'air dingue, plus ça l'est".
Oui, mais il y avait les gélules. Les trois gélules anonymes, de couleur blanc cassé, au contenu doublement mystérieux. J'étais jeune ; je ne savais pas quoi faire. Il était hors de question que j'en avale une de même, sans savoir ce qu'il y avait dedans. Rien ne garantissait que la lettre avait été écrite par de vrais "dissidents" de Bonheur-du-Jour ; elle pouvait fort bien être issue d'un quelconque thinktank proxénète (pardon pour la plaie-au-nasme) à la solde de "Begin-to-Say", et dont un "brillant" cervelet aurait trouvé que c'était là un bon moyen d'obtenir de la pub gratuite. Cela s'est déjà vu, et l'on sait parfaitement de quoi ils sont capables1.
Le problème, c'est que pour le savoir j'aurais dû contacter Begin-to-Say, ce qui aurait mis en danger mes interlocuteurs putatifs, si toute l'histoire était vraie, bien sûr. A la place, j'ai donc dû me rabattre sur un mien ami qui bidouille dans la biochimie moléculaire, et que j'appellerais désormais Maxwell pour éloigner les soupçons.
La première chose a été de faire prêter serment à Maxwell de ne rien divulguer sur cette affaire, quel qu'en fût le résultat. Il s'en montra d'abord légèrement offusqué (environ un quart de seconde) puis ouvrit grand les yeux et les oreilles.
Après explications (ou ce qu'on voudra bien considérer comme tel, étant donné le caractère sybillin de la lettre d'appel), Maxwell dit simplement : "Hors de question que tu prennes de ce truc !" ce qui me rassura pleinement ; j'avais choisi la bonne personne.
"J'entends bien, très cher", ne lui dis-je pas (car je lui parle normalement). Dès lors, comment faire ?
̶  On va commencer par sacrifier une des gélules pour les analyses toxicologiques de base (il m'énonça tout un tas de termes et de procédés fort savants que je vais passer sous silence afin que mes lecteurs ne zappent pas vers les pages Sport). Et quand on aura une idée plus précise de ce machin, on choisira le cobaye idéal pour lui refiler le bébé.
̶  Un cobaye ?
̶   Oui, un vrai cobaye. Un cochon d'Inde, si tu préfères.
̶  Ah oui, bien sûr. Ha ha.
Je l'avoue, j'avais eu un peu peur. Cette histoire me travaillait déjà, ce qui prouve que mon aventure à Baie-Comeau m'avait beaucoup impressionnée (en plus de m'avoir mise enceinte, ce que j'ignorais encore pendant l'entrevue avec Maxwell).
Je laissai tomber mes idées sombres et abandonnai le mystère à Maxwell, pour aller courir d'autres guilledoux, moins inquiétants, il est vrai. Max me rendit deux des gélules.
̶  Enferme-les dans deux endroits différents, connus de toi seule. Si je me plante avec celle-là, je t'en demanderai une autre. Autant éviter de tenter le diable.
Je quittai Maxwell avec un petit noeud d'angoisse au ventre et une boîte de Pétri contenant les deux gélules monstrueuses.

Pendant une semaine, je m'effor/

1L'inverse est aussi vrai ; on sait parfaitement de quoi ils ne sont pas capables : de s'excuser, de disparaître une fois pour toutes, d'avoir une conscience professionnelle, voire une conscience tout court... Le temps que j'écrive cette liste, elle se sera allongée de deux ou trois autres saletés. S'il vous plaît, quelqu'un, vous ne pourriez pas déclarer les thinktanks coupables de crimes contre l'humanité, qu'on en finisse et qu'on puisse respirer un air un peu plus frais ? Merci. (C'était la minute utopique de Cory Andrah, journaliste en voie de corruption).

¤¤¤
Fin provisoire des documents nomédiens de la deuxième génération. Comme on peut le constater, certains sont inachevés. Qui sait combien d'autres encores sommeillent dans des tiroirs, des mémoires mortes ou des enveloppes predues ? Le temps nous le dira peut-être...
Le comité 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire