samedi 10 novembre 2012

PAUVRE DEMOCRASSEUSE!

Toujours en chantier...


« PAUVRE, PAUVRE DÉMOCRASSEUSE !1 »

Fin 2010, une amie biblio (aussi -phile que -thécaire), soucieuse de ma santé morale, me conseilla d'adhérer à une association d'écrivains. Puisque j'étais isolé (c'est-à-dire sans alliés), une bonne solution était, selon elle, d'intégrer un groupe déjà actif. Son argument n'était ni faux ni idiot, et je voulus lui faire plaisir autant qu'essayer. La réalité et son principe bien connu allaient me faire miroiter des alouettes pendant à peu près six mois.
(Zut ! J'ai cassé le suspens. – Non, vraiment, tu crois ?)
Après avoir farfouillé le bordel inextricable qu'est la Toile, je jetai mon dévolu sur l'association ADA (Autour des Auteurs) qui regroupe une centaine d'auteurs résidents en Languedoc-Roussillon et publiés au moins une fois à compte d'éditeur, critères auxquels je correspondais. Je pris contact par Internet, reçus une réponse rapide et encourageante, vins assister à une première réunion, où je rencontrai des frères et sœurs de plume, dotés de cerveaux apparemment en état de marche (en tout cas, plus que la moyenne du client lambda que l'on croise "chez" Cultura, par exemple). A vrai dire, il y en avait un ou deux que je connaissais déjà ; c'était encore mieux. Encore que : pourquoi ne m'avaient-ils jamais invité à les rejoindre chez ADA ? Distraction, sans doute. Ou bien parce que, comme disait Arthur Kœstler (qui n'a pas connu Internet, le pauvre) : « L'information aujourd'hui n'est pas un privilège, c'est une inquiétude ». Traduction (pour les geeks) : si t'as Internet, t'es censé savoir tout ce que tu devrais connaître, sinon t'es qu'un gros nul.
(C'est logique, ça ? – Passons.)

ADA est donc une association assez active, qui chapeaute / anime / diffuse plusieurs événements / actions / démarches auprès des institutions diverses et avariées, le tout pour défendre les auteurs dans leur grande guerre inavouée contre les éditeurs incompétents et contre le méchant marché du livre (un des rares secteurs commerciaux qui, soit dit en passant, n'est pas en régression, même si sa progression n'a rien de phénoménal). Avec une adhésion de 25 € et une bonne partie des membres vivant à moins de cinquante bornes de chez moi, c'était pas trop mal. Je me sentais presque entre potes.
Ce qui me plaisait le plus, c'est qu'ADA anime un webzine (le MAG) à vocation littéraire et artistique, qui publie mensuellement des chroniques, des récits, des critiques de livre, etc. Ça, ça me bottait un max : une tribune libre pour échanger et diffuser des idées, des œuvres, des gens. Très vite, je fus invité à m'y exprimer, à l'instar des autres membres. Vu que j'ai à peu près dix millions de mots en retard (pardon : en attente) de publication (les éditeurs ne lisent pas vite... quand ils lisent), j'avais largement de quoi faire. Il ne me restait qu'à trier.
J'envoyai aussitôt une manière de chronique à la responsable, qui me répondit que c'était vachement bien mais vachement trop long. Premier bémol. Il fallait réduire à 1500 signes. Je m'étranglai. Demandai confirmation. 1500 signes, ça ne fait même pas une page standard. Or, mon texte faisait 10 000 signes ! Je tentai de négocier à 5000, puis 2500. Rien à faire. On me fit miroiter que c'était là un exercice salutaire ; qu'apprendre à résumer est bon pour le style, et que de toute façon, les lecteurs ne lisent pas les textes plus longs que 1500 signes. Ah bon ? n'objectai-je point ; même quand ils en lisent plusieurs à la suite ?
Pour le fun de la chose, je ramenai mon animal littéraire déjà en voie d'extinction à 2200 signes, qui furent acceptés avec une gentille réprimande, du genre ça-va-pour-cette-fois-circulez. Deux semaines plus tard, j'appris que le texte avait été accepté par le comité de lecture, dont j'avais jusque-là ignoré l'existence. Mon texte suscita quelques félicitations discrètes, et on m'encouragea à en fournir d'autres. Ce que je fis cinq ou six fois, me saignant aux quatre cents veines pour tout ramener à ces 250 mots étriqués, qui suffisent à peine à raconter une bonne blague mais qu'on peut dire d'un souffle (avantage dont je n'ai jamais pu tirer parti, mais avantage indéniable).
Un jour, par e-mail, je demandai à quoi bon raccourcir les interventions des chroniqueurs sur un magazine internet qui, par définition, n'a que faire de contraintes matérielles liées au prix du papier et de l'encre (entre autres). On me répondit que c'était surtout une question de confort de lecture (moi, j'avais cru que le confort était surtout lié au siège dans lequel on est assis) et de capacité d'attention sur l'écran (dans la réalité vraie, j'ai pu constater que celle-ci varie entre deux minutes et vingt-deux heures par jour, et que cela dépend surtout de l'âge de l'internaute et de la santé de ses yeux). Là encore, je laissai tomber la "discussion" (dont l'objet était seulement de me faire admettre l'évidence d'autrui) et entérinai ce second bémol. Comme son nom l'indique, un rédac-chef, c'est aussi un chef.
Tout se passa donc à peu près bien jusqu'au jour où j'envoyai le texte suivant :

« En 1848, la Démocratie n'a pas empêché Napoléon III de se faire élire président de la république française (avant de rétablir l'Empire de son tonton chéri) ;
En 1917, la Démocrati n'a pas empêché Woodrow Wilson (élu grâce à un programme pacifiste) de décréter la conscription militaire aux USA ;
En 1922, la Démocrat n'a pas empêché Mussolini d'être nommé chef du gouvernement italien ;
En 1933, la Démocra n'a pas empêché Hitler d'être élu chancelier d'Allemagne ;
En 1958, la Démocr n'a pas empêché De Gaulle de se faire offrir la France sur un plateau en fondant la Ve république, dont le chef d'État ne peut être destitué ;
En 1969, la Démoc n'a pas empêché Pompidou de pactiser avec les néo-libéralistes de Milton Friedman, qui ont pu commencer impunément le partage du gâteau français ;
En 1981, la Démo n'a pas empêché Thatcher d'attendre que son adversaire politique principal soit absent du Parlement, se faisant ainsi élire Premier Ministre à une seule voix de majorité ;
En 2000, la Dém n'a pas empêché George W. Bush d'être désigné président de son pays par son propre frère gouverneur de Floride, bien qu'il eût obtenu moins de voix que son adversaire Al Gore, dont le recours fut rejeté par la Cour suprême qui se déclara incompétente à une voix près, celle d'un juge qui avait été nommé par... George Bush Sr ;
En 2002, la Dé n'a pas empêché le criminel Jacques Chirac d'être réélu par défaut, pour faire pièce à la honte nationale ;
En 2007, la D n'a pas empêché le Mépris incarné de devenir la quintessence du régime ;
En 2012, la —
Zut ! Elle est retournée chez sa mère... en Grèce. »

Ce qui fait 1589 signes. J'étais dans les filets. Bon pour le marbre, coco !
Quelques temps plus tard, je reçus un coup de fil (inhabituel) de la rédac-chef qui, avec force excuses, m'annonçait que ce texte n'avait pas été accepté par le comité de lecture. A la question pourquoi, elle me répondit que l'une des autres membres du comité décisionnel avait opposé son veto. J'apprenais ainsi qu'ils avaient ce droit. L'eussé-je su avant que j'aurais refusé de participer à cette mascarade ; le droit de veto est comme la raison d'État : la preuve irréfutable que nous ne vivons pas en démocratie véritable, puisque tout progrès social peut être détruit par la volonté d'un seul individu qui s'estime au-dessus des lois (et que la lâcheté du troupeau laisse jouir de ce passe-droit). Mais c'était de ma faute ; j'avais oublié de demander comment fonctionnait ledit comité. Je n'avais qu'à me mordre les doigts.
Je me résignai donc à cette décision arbitraire, bien décidé à me consacrer désormais à d'autres moutons, notamment les miens (et ceux de quelques amis cévenols). L'affaire aurait pu s'arrêter là ; le ridicule n'ayant plus tué qui que ce soit depuis la fin du Régime dit Ancien (mais toujours omniprésent), je me serais peut-être contenté de continuer à fournir mes billets d'humeur déshydratés et démotivés. Mais il y eut un développement.
Lors d'une discussion ultérieure, j'appris (apparemment par mégarde) qu'en fait, la personne qui s'était opposée à mon texte, bien qu'elle appartînt au comité, n'y avait pas de rôle décisionnel mais seulement consultatif. Elle avait tout simplement vitupéré, tempêté, beuglé puis menacé l'un des membres disposant du droit de veto pour l'obliger à exercer celui-ci, en quelque sorte par procuration. Elle était allée jusqu'à menacer de donner sa démission du bureau de l'association.
Ayant appris, donc, ce petit détail de l'histoire, je fis savoir (par personne interposée) à la virago en question que j'attendais ses arguments pour en discuter entre gens intelligents, cultivés, raisonnables (bref, le ragoût habituel des intellos qui font semblant de croire que tous les autres intellos sont aussi sympas que lui-même se prétend). Elle n'a bien sûr jamais daigné répondre. Nul doute que je ne vaux pas la peine qu'elle s'abaisse à me parler, même par Internet.
Il n'y a donc pas eu démocratie, comme dirait Romain Gary. Et je ne saurai jamais quel point "litigieux" a heurté la "sensibilité" de cette personne ; le plus probable est que je n'aurais pas dû égratigner de Gaulle, dont le "génie héroïque" dégouline encore dans les cœurs de certaines personnes. Il y avait pourtant un point polémique dans le texte, que j'y avais glissé exprès pour vérifier que mes coreligionnaires étaient bien réveillés (il s'agit de la phrase sur Margaret Thatcher. En effet, elle n'a pas été "élue" par le peuple mais par le Parlement britannique, ce qui n'est pas du tout pareil ; n'oublions pas que, comme son nom l'indique, le Royaume-Uni n'est pas une démocratie, même si ses représentants invoquent régulièrement ce principe, qu'ils ne pratiquent pas en réalité).
En d'autres termes, mon mini-texte-gag – déjà décontextualisé par l'imposition du gabaridicule, mais historiquement exact, qui tente de montrer simplement que la démocratie, malgré tous ses beaux discours, n'est toujours pas capable de défendre les humains contre les fanatiques qui se cachent en son sein infiniment tolérant – a été censuré par une fanatique de la démocratie tronquée, qui prétendait défendre icelle en exerçant une oppression, prouvant par là-même que j'avais entièrement raison.
C'est-y pas merveilleux ?
« Il n'y a socialisation véritable que sous condition qu'elles [les associations loi 1901] fonctionnent de manière démocratique, ce qui n'est jamais évident. » (Gérard MENDEL, Histoire de l'autorité, permanences et variations, La Découverte, 2003)
Tu l'as dit, Gérard. Et là, il n'y avait même pas d'argent en jeu ! Seulement un petit prestige de merde dans la tête d'une affligée mentale. Tiens, si j'étais mieux éduqué, je la remercierais presque.

Six mois plus tard, ayant laissé reposer ladite merde pour constater qu'elle n'a pas révélé la moindre parcelle de courage ou d'honnêteté chez les membres du comité qui avaient promis de m'aider mais ne l'ont pas fait, j'ai tiré la leçon de cette cacaventure : Fuck les assos ! Aux chiottes l'esprit de 1905 ! Retour de l'Église au sein de l'État ! Ou l'inverse, ça leur fera les pieds, à ces enfoirés de Répudicains ! Les bigots au pouvoir ! Et un gros cierge pour le Sacré-Cœur ! Revenez, Louis-Philippe et Je-Suis-Partout ; vous nous manquez ! Vive la famille bourgeoise forcenée ! Chacun devant son écran, le cul rivé à son fauteuil ! Et demain, tous des chiens !
Remarque : attention, ce dernier paragraphe est une parodie satirique ; de l'ironie, en quelque sorte ; du second degré, quoi. Quiconque le prendra pour argent comptant sera transformé en Knacki géante et exposé au milieu d'un rond-point. Les lecteurs incapables de distinguer les degrés de discours entre eux sont priés d'aller se faire soigner dans une clinique au Lichtenstein.

1 Le mot est de Marc Favreau, alias Sol.

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