samedi 13 juillet 2013

Une soirée avec Holmes & Watson: les SHERWATS N° 16, 17 et 18

SherWat N° 16 : Dans la lueur des crocs

Docteur WATSON: Holmes, je me demandais si... Non, c'est idiot. Excusez-moi de vous avoir dérangé pour rien.
Sherlock HOLMES: Pas du tout, John. Je m'apprêtais à fumer une bonne pipe. Qu'est-ce qui vous taraude?
Docteur WATSON: Je ne sais pas trop, à vrai dire. Ce n'est qu'une intuition, peut-être même une bêtise...
Sherlock HOLMES: Vous n'êtes pas à l'école. Personne ne vous punira si vous proférez une bêtise. Nous la corrigerons.
Docteur WATSON: Bon. Alors, voilà: si je vous dis Dorian Gray, Dracula, Mr Hyde... A quoi pensez-vous?

Sherlock HOLMES: Tous ces personnages de fiction épouvantables jaillis ces derniers mois? Ma foi... Une mode?
Docteur WATSON: La mode n'a jamais été si morbide, dans ce cas. J'ai plutôt l'impression qu'ils doivent tout à–
Sherlock HOLMES: A quoi? Vous avez l'air effrayé, pour autant que je puisse en juger par twittogramme.
Docteur WATSON: J'en frémis de l'écrire: à Jack l'éventreur. Voilà, le surnom atroce est lâché!
Sherlock HOLMES: A l'instar de son propriétaire, qui court toujours, hélas. Votre remarque appelle réflexion.
Docteur WATSON: Ne trouvez-vous pas que ses actes abominables ont pour ainsi dire engendré d'autres monstres?
Sherlock HOLMES: Qu'ayant frappé l'imagination de tous, il aurait d'autant plus inspiré les écrivains? Thèse intéressante.
Docteur WATSON: Plus que troublante. N'avais-je pas raison? Ce n'était pas une bêtise.
Sherlock HOLMES: Pas du tout. J'ignore où nous mènera le fil que vous venez de commencer à démêler. Loin, j'en ai peur.
Docteur WATSON: Vous aussi, vous avez peur, alors?
Sherlock HOLMES: Façon de parler. De quoi avez-vous peur? Jack a disparu, j'en suis sûr. Si tant est qu'il eût jamais existé.
Docteur WATSON: Cette phrase n'est pas faite pour me rassurer. Si l'éventreur n'a pas existé, qui a tué ces cinq femmes?
Sherlock HOLMES: Redescendez sur terre avant de crier au fantôme. Vous êtes médecin, pas un spectre dans une pièce du Barde.
Docteur WATSON: Vous-même êtes si peu réel, parfois. Qu'est-ce qui vous prouve que vous existez?
Sherlock HOLMES: Ma logeuse! Elle me le rappelle chaque matin, d'un vibrant toc toc! Lisez donc moins de romans.
Docteur WATSON: Mais Holmes, et si chacun de ces monstres donnait vie à d'autres, à l'infini, ad libitum?
Sherlock HOLMES: Alors, nous ne manquerions pas d'ouvrage. A vrai dire, je crois que l'un de ces monstres a déjà frappé.
Docteur WATSON: Par tous les diables! Que voulez-vous dire? Où ça? Qui est la victime? Où est mon fusil à sanglier?
Sherlock HOLMES: Je viens de recevoir la lettre d'un Mr Baskerville. Rejoignez-moi à Paddington; vous la lirez dans le train. 
 


SherWat N° 17: Mort dans le brouillard (A Greenwich hunt)

"Il y avait en cette ville assez de ténèbres pour y enterrer cinq millions de vies." (Joseph Conrad, L'agent secret, 1907)
Sherlock HOLMES: Watson, prenez le carton à chapeau ci-joint et retrouvez-moi à l'entrée de Greenwich Park dans 30 minutes.
Docteur WATSON: J'obéis mais j'espère que l'explication vaudra le dérangement. Avec ce froid, nous risquons la mort.
Sherlock HOLMES: Bien pire. Nous n'aurons pas le loisir de tergiverser. Êtes-vous en route?
Docteur WATSON: J'ai pris le premier fiacre aperçu dans la brume. Je devrais être à l'Observatoire dans cinq minutes.
Sherlock HOLMES: N'enlevez pas votre chapeau; il y va de votre vie. Au fait, vous portez bien votre feutre habituel?
Docteur WATSON: Oui, oui. Est-ce votre silhouette que je distingue au loin? Coiffée d'un béret? Quelle idée!
Sherlock HOLMES: Non. Approchez-vous de l'homme au béret, dites: "Le bouc émissaire a été choisi" et donnez-lui le carton.
Docteur WATSON: Il m'a donné le sien. C'est un jeune homme, à l'accent français; il a dit, je crois "Mort à l'héritier".
Sherlock HOLMES: Plutôt "Mort à Sion." Je vais le filer. Il ne faudrait pas qu'il se réfugie dans l'Observatoire.
Docteur WATSON: Je vous ai perdu de vue. Dois-je vous poursuivre, m–? Holmes? HOLMES! Ce bruit, était-ce une explosion?
Sherlock HOLMES: Je vais bien; sonné. L'autre est blessé; occupez-vous en. Je dois retrouver le scélérat qui m'a donné cette–
Docteur WATSON: Cette bombe, car c'est bien ce que c'était! Au lieu de quoi, bonté divine?
Sherlock HOLMES: Au lieu d'une quantité de fausse monnaie, qui devait payer les services de cet homme.
Docteur WATSON: Il ne survivra pas à ses blessures. L'hôpital marin est tout près, je vais tâcher de l'y amener.
Sherlock HOLMES: J'ai été joué. J'ai fait confiance à un agent du Foreign Office qui œuvrait pour une puissance plus obscure.
Docteur WATSON: Je viens de regarder dans le carton, pour savoir ce qui valait la peine de mourir si jeune.
Sherlock HOLMES: C'était imprudent de votre part. Vous auriez pu sauter vous aussi, pour ce que j'en sais.
Docteur WATSON: Il s'agit d'un paquet de correspondances, rédigées en français, signées d'un certain Lt Esterhazy. IAB.
Sherlock HOLMES: IAB? Que voulez-vous dire? Est-ce une distinction française que j'ignore?
Docteur WATSON: C'est du jargon de militaire en retraite: "Inconnu au bataillon". Expliquez-moi mon rôle dans tout ceci.
Sherlock HOLMES: Je vous ai fait prendre la place d'un intermédiaire arrêté hier au Silénus, suite aux attentats parisiens.
Docteur WATSON: Vous voulez dire qu'Auguste Vaillant a fait des émules? Que feraient-ils en Angleterre?
Sherlock HOLMES: Trop tôt pour le dire. Mais ce qui est sûr, c'est que j'ai mal estimé les risques. Quel idiot je fais!
Docteur WATSON: Ma foi, je vous pardonne, puisque j'ai survécu. Et vous, est-ce que vous allez bien?
Sherlock HOLMES: J'ai été berné et un homme va mourir par ma faute. N'attendez pas que je sois transporté de joie.
Docteur WATSON: Trouvez les vrais coupables et livrez-les à la Justice. Ce sera le meilleur des soulagements.
Sherlock HOLMES: Ceux-ci sont guidés par des forces supérieures à la Justice: la haine des Juifs. Hors de ma juridiction.
Docteur WATSON: Je ne sais que vous dire, Holmes. Sinon qu'il vient de mourir. Il s'appelait Martial Bourdin.
Sherlock HOLMES: Vous l'a-t-il dit avant de mourir? A-t-il dit autre chose?
Docteur WATSON: Non, Holmes, il n'a rien dit. Ce nom est cousu sous le revers de son manteau.
Sherlock HOLMES: Cette affaire va avoir d'énormes retentissements, et pas seulement en France. Croyez-en ma parole. 
 



SherWat N° 18 : Branle-bas de combat !

Sherlock HOLMES: Watson! Branle-bas de combat! Ça va barder! Tout le monde sur le pont! Sabre au clair!
Docteur WATSON: Ça ne va pas, non? Me réveiller à trois heures du matin par des fariboles de marin. Rendormez-vous!
Sherlock HOLMES: Certainement pas. L'ennemi est en vue. Faites donner les canons. Chargez à mitraille! Pièces de huit!
Docteur WATSON: Où êtes-vous, bon sang? Faut-il que je vienne vous ramasser à la sortie d'un bouge?
Sherlock HOLMES: Hypocrite! C'est de vous que je parle. Vous m'avez ridiculisé. Je vais vous couper la tête. A l'abordage!
Docteur WATSON: Mais de quoi parlez-vous, bonté divine? En quoi vous aurais-je ridiculisé?
Sherlock HOLMES: J'ai lu le récit de nos aventures que vous avez fait publier dans le Twittograph.
Docteur WATSON: Lequel? Je croyais que vous ne lisiez jamais les feuilletons dans les journaux?
Sherlock HOLMES: Cette fois, si. Je voulais voir comment vous me traitiez. Eh bien, je n'ai pas été déçu.
Docteur WATSON: Bon sang, soyez plus précis. Quels mots vous ont offensés? Je vous expliquerai tout.
Sherlock HOLMES: Comment, quels mots? Mais tous. Vous devriez avoir honte.
Docteur WATSON: Mais enfin, vous êtes bien le héros, non? Et je me contente du rôle de sous-fifre; alors quoi?
Sherlock HOLMES: C'est ça: vous vous donnez le beau rôle. Moi, je suis le saligaud qui vous traite comme un moins que rien.
Docteur WATSON: Mais n'est-ce pas exactement ce que vous faites? Je me contente de décrire la réalité.
Sherlock HOLMES: Si vous étiez un écrivain digne de ce nom, vous la déformeriez. C'est votre devoir moral.
Docteur WATSON: Peut-être. Mais voilà: je ne suis pas un "vrai" écrivain. Je ne suis que votre chroniqueur.
Sherlock HOLMES: Dans ce cas, je pense que je vais vous licencier.
Docteur WATSON: Impossible; je suis bénévole. Et puis vous divaguez; mes récits font de vous un héros.
Sherlock HOLMES: Un héros pétri de défauts. Pas du tout de la catégorie mythologique.
Docteur WATSON: Je ne vous connaissais pas ce travers-là: l'aspiration à la gloire. Vous m'étonnez; êtes vous bien vous-même?
Sherlock HOLMES: A vrai dire, je l'ignore. Je suis complètement perdu. Venez me chercher.
Docteur WATSON: Je ne peux vous retrouver si vous ne savez où vous êtes; je n'ai pas votre flair. Cuvez où vous êtes.
Sherlock HOLMES: A vue de nez, la Tamise doit être sur ma droite. Je vais m'y jeter.
Docteur WATSON: Bien sûr que non. Je vous jure que je ne raconterai jamais cette conversation. Dans un journal.
Sherlock HOLMES: Vraiment? Alors dans ce cas... ce banc fera l'affaire. Bonne nuit, Watson.
Docteur WATSON: Le jour se lève; autant que je l'imite.

THE END
(until next time)

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