samedi 7 décembre 2013

LA VOIX SUAVE: Elisabeth Wiener

Contre toute attente, l'un des messages les plus visités de mon blog est l'hommage à l'acteur Georges Aminel (alias Jacques Maline). Cet article a suscité quelques réactions inhabituelles, ainsi que (je l'espère) des rencontres imprévues. Je songeai donc depuis quelque temps à renouveler l'expérience.
C'est fait : voici le visage de quelqu'un que vous connaissez surtout par sa voix.
Photo extraite du tournage de La Prisonnière (Henri-Georges Clouzot, 1968)

Elisabeth Wiener a commencé sa carrière aussi discrète qu' indispensable en jouant au cinéma dans Dragées au poivre de Jacques Baratier, à l'âge de 16 ans. On la retrouve dans une vingtaine de films  (dont La jeune fille assassinée de Roger Vadim), quelques téléfilms, ainsi que sur les planches, jusqu'à la fin des années 70.
C'est là qu'elle arrête le monde de l'image pour passer à celui du son. En 1979, elle fonde le groupe Phoenix qui sort l'album Magick. Ensuite, de 1980 à 84, elle sort sous son nom quatre albums : Bombes à billes pour les filles, à neutrons pour les garçons ; Sauver sa peau ; Cap Canaille (B.O. du film éponyme de Juliet Berto et Jean-Henri Roger, 1983)  ; Quitte ou double.

Les fans de Jacques Higelin connaissent et apprécient les duos qu'elle a chantés avec lui, notamment L'attentat à la pudeur (en fait un trio) sur le mythique album Champagne pour tout le monde...

C'est au milieu des années 80 qu'elle commence à doubler des actrices, et ce jusqu'à nos jours :
Glenn Close (A double tranchant, Le Meilleur, Les 101 Dalmatiens...)
Jamie Lee Curtis (Un poisson nommé Wanda, Créatures féroces, Virus...)
Madonna (Recherche Susan désespérément, Snake Eyes...)
Madeline Stowe (Vengeance, L'armée des 12 singes...)
Debra Winger (La main droite du diable..)
Cher (Eclair de Lune, Deux en un...)
Lorraine Bracco (Traquée, Medecine Man...)
Linda Hamilton (Terminator...)
Michelle Pfeiffer (Grease 2)
Sandra Bernhard (La valse des pantins)
Margaret Avery (La couleur pourpre)
Merryl Streep (Bons baisers d'Hollywood)
Kathy Baker (Edward aux mains d'argent)
Angela Bassett (Tina)
Bette Middler (Fantasia 2000)
Dianne Wiest (Coups de feu sur Broadway)
Oprah Winfrey (Le Majordome)
...

Elle prête aussi sa voix à des personnages animés ; Zira dans Le Roi Lion 2, Yzma dans les deux Kuzco, Baba Yaga dans Bartok le magnifique, Kali dans La légende de Parva...
Enfin, elle est la voix de Lauren Holly dans NCIS Enquêtes spéciales ainsi que de Harriet Sansom Harris dans Desperate Housewives...
J'en oublie forcément, mais l'on notera que cette liste contient quelques-uns des films les plus marquants des décennies 80 et 90.

Elle trouve aussi le temps de co-fonder le groupe Castafiore Bazooka, qui a produit trois albums entre 1996 et 2005. Et aujourd'hui, elle revient sous les projecteurs dans le groupe Callas Nikoff...

La Voix Suave
Ce qui m'a toujours frappé dans la voix d'Elisabeth Wiener, ce n'est pas seulement son aspect suave, charnu et plein comme un fruit aussi périlleux que généreux (qui lui a souvent permis de doubler des actrices noires), c'est tout simplement qu'à chaque fois que je l'entends, je tombe instantanément amoureux du personnage (précisons toutefois que je n'ai pas vu Le Majordome en VF).
Ce qui me décide aujourd'hui à présenter cet hommage maladroit, c'est que j'ai enfin pu voir La Prisonnière, le dernier fim réalisé par H.-G. Clouzot en 1968. Elisabeth Wiener y joue une héroïne "en perdition", comme on disait au XIXe siècle. Josée, jeune femme mariée à un artiste plasticien volage (Bernard Fresson), décide de faire pièce à son mari en tombant sous la coupe d'un pervers amateur de photos plus ou moins bondage (Laurent Terzieff). Leur relation vouée à l'échec et à la douleur laisse des traces sordides dans la vie du couple, non sans passer par diverses phases dangereuses.
A l'époque, le film avait été considéré comme "sulfureux, subversif, subjuguant..." et autres qualificatifs de la même eau trouble. D'aucuns estiment même que c'est lui qui mit un terme à la carrière de Clouzot, ce dernier n'ayant plus jamais tourné ensuite. Ce que j'ai trouvé d'intrigant et de révélateur dans ce film effectivement dérangeant, c'est qu'il était au contraire très en avance sur son temps. En effet, on ne compte plus, de nos jours, les films qui, sous prétexte de "dénoncer la perversité", la montrent en fait ouvertement à l'oeuvre. Car lorsqu'un réalisateur demande à une actrice de jouer la soumise, on a concrètement et une fois de plus une femme qui se soumet aux caprices d'un homme - et le cinéma ne devient alors qu'un prétexte.
Est-ce cela que voulait dire Clouzot, en déclarant que La Prisonnière était son film "le plus trouble et aussi le plus personnel, celui où il se dévoile vraiment" ? Est-ce pour cela qu'il n'avait pu terminer L'Enfer en 1964, ce film avorté où le lesbianisme latent des deux rôles féminins (Romy Schneider et Dany Carrel, qui joue justement l'autre rôle féminin dans La Prisonnière) cherchait à se manifester précocement ? Aujourd'hui, combien de réalisateurs ont "osé" franchir le pas et s'offrir le fantasme de mettre en scèxe deux belles actrices au lieu d'une ? Lynch dans Mulholland Drive, Darren Aronowsky dans Black Swan, Todd Hayes dans Carol, etc. L'image de deux actrices s'adonnant au French-Kiss goulu est devenue un cliché, un fantasme obligé (et pas forcément masculin) du cinéma contemporain. Elle a même reçu la Palme d'Or ; c'est dire si elle est totalement entérinée.

Elisabeth Wiener était donc une pionnière tout autant qu'une prisonnière ; le public de l'époque, choqué dans sa vertu réputée, l'a tout simplement répudiée et reléguée au rang d'exemple à ne pas suivre, de non vedette.
Pourtant, sa voix demeure et laisse des traces doucereuses dans nos consciences éprises de beauté musicale.
Merci à elle et à ses harmoniques qui forment la plus suave des prisons.

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