dimanche 12 octobre 2014

Léger Décalage Temporel

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(Note de la rédaction : c'est avec une certaine perplexité que nous reproduisons ici le contenu d'un message reçu ce matin, à 00h00. Malgré nos recherches, nous n'avons pas encore découvert d'où provient l'erreur technique qui l'a détourné vers notre blog ; toutefois, pour le cas où il ne s'agirait pas d'une erreur, nous le faisons figurer ici dans son intégralité. Merci de votre compréhension.)

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A la fin du XIXe siècle, quelqu'un s'aperçut que le monde était absurde. La pièce de théâtre qui le révélait au « grand public », Ubu Roi, fit scandale dès que son premier mot fut prononcé. Vingt ans plus tard, les dadaïstes puis les surréalistes démontraient que nous (l'espèce humaine) vivions dans un monde dépourvu de sens unique, ce qui fit de nouveau scandale chez les bourgeois, et réjouissance chez les amateurs de liberté. Après la parenthèse guerrière des années 40 (qui étouffa les rires), les mouvements de pensée absurde firent florès tout au long des années 50 et 60, culminant au début des années 70 avec le psychédélisme et l'art « sous influence ». Les quarante années suivantes marquèrent la régression de l'art sous les coups de boutoir de l'économie et de la politique asservie ; on apprit alors que le monde n'était plus absurde mais gérable ; les artistes n'apprenaient plus la technique propre à leur mode d'expression, ils apprenaient à exprimer leur personnalité à travers un mode technique, si possible quelconque. Andy Warhol était leur prince et Milton Friedman leur manager.

Dans les années 2010, seuls quelques penseurs s'aperçurent que le monde avait en fait cessé d'être créativement absurde. Les Monty Python et Pierre Desproges ne faisaient plus rire les jeunes, qui leur préféraient le Zapping, les Caméras cachées ou l'ex-président de l'Art-&-Pub'Lick Michael Youn. Parallèlement, les humains n'arrivaient plus à ressentir d'émotion en assistant à de l'art ; il leur fallait désormais assister à la douleur ou à la détresse d'autrui. La perte massive de conscience qui accompagnait cet état de fait ne fut remarquée que par quelques psychologues cliniciens (auxquels on supprima rapidement les crédits de recherche) et une pincée d'écrivains (dont les livres ne se vendaient pas). Le monde était devenu inepte.
La fuite des cerveaux ne se faisaient plus à l'Ouest ou à l'Est, mais vers l'intérieur des crânes, dont les idées ne parvenaient plus à s'échapper. Il ne restait plus qu'à inventer un moyen de recueillir (après trépanation, par exemple) la substance ainsi délivrée de ses cages crâniennes, à la sublimer sous forme de produit commercialisable et à la lancer sur le marché. Seul défaut : les individus qui étaient le plus en manque d'intelligence ne pouvaient évidemment pas s'en rendre compte par eux-mêmes et n'achèteraient pas le produit (baptisé selon les pays : N/Y, NoSi, SiNon, DaNiet ou HaÏie...).
Dès lors, il suffisait de mettre sur pied une campagne publicitarte idoine pour sensibiliser le public à ce nouveau dadagaga. Et c'est ainsi que l'espèce humaine entra de plein fouet dans l'âge bipolaire. La dialectique était vaincue, écrasée, trucidée, enterrée, évacuée ; les gens n'avaient plus qu'à cliquer des yeux sur 0 ou 1 à chaque fois qu'un choix se présentait, du plus insignifiant au plus déterminant pour leur existence. L'indécision disparut, et avec elle, l'indifférence aux activités politiques jadis perverties par des individus égocentriques.
Bien sûr, quelques philosophes et un ou deux penseurs antiques protestèrent pour la forme, et parce qu'ils ne savaient rien faire d'autre ; heureusement, leurs blogs furent rapidement enfouis sous des giga-octets de vidéos d'accidents stupides parfois mortels.
Et la vie continua son chemin cahotique et branlant.

(extrait de « Mort-de-rire et Mort-de-chagrin sont dans un implant neuronal ; l'un des deux tombe dans le liquide intersticiel... ou Les deux derniers destins disponibles », essai comicstorique de Framptonia CYÜBER-MENSCH, professeuse d'Oubli raisonné à l'Univers-cité L5 de New Camorra ; titre original : « lol & dog go rafting : the last two available fates », Ə 12/10/2054).

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