lundi 16 octobre 2017

Réponses au questionnaire de Procuste

8.2 Réponses, assorties de quelques vérités très-bonnes à dire


1. Pierre Michaut, fondateur des éditions L'Atalante, au cours d'une conversation téléphonique où il refusa mon essai de traduction de Dragon Bones (roman ado-fantastico-bateau de Patricia Briggs, paru plus tard sous le titre Les Chaînes du Dragon), sous le prétexte lumineux qu'elle était trop fidèle à la médiocrité du texte original. J'ai vérifié le premier paragraphe de la traduction finalement commercialisée : ça a bien été "amélioré", c'est clair. J'avoue n'avoir pas lu le reste ; déjà que j'avais dû me le taper en VO !

2. Marion Mazauric, fondatrice des éditions Au Diable vauvert, commentant le livre de Julien Blanc-Gras, que j'avais repéré parmi les manuscrits envoyés spontanément. A la place du poétique et parfait L'horizon en vrac, elle imposa donc (à la suite de je ne sais quelles tractations plus ou moins musclées, suivant sa méthode habituelle réputée irrésistible) Gringoland, un "choix" nettement plus... près du caniveau, disons.
Mentionnons en passant que dans ma fiche de lecture de L'horizon en vrac, j'avais signalé une petite erreur de montage du texte ; je réitérai mon avertissement lors de la phase de fabrication du bouquin. Inutile de préciser que l'erreur ne fut pas corrigée, ainsi que quelques autres, comme c'est toujours le cas avec les livres d'ADV, dont les correctrices travaillent parfois en open-space (ce qui permet de tailler le bout de gras tout en regardant passer les fautes), et dont le maquettiste (à l'époque où j'y étais) ignorait la fonction Agrandir la Vue de son traitement de texte, qui lui aurait permis d'y voir mieux et d'avoir moins mal aux yeux. Heureusement, les qualités de ce livre restent visibles malgré les techniques en vigueur chez cet éditeur (et qui le sont toujours, quinze ans après a fondation, comme cela m'a été confirmé récemment par quelqu'un qui y travaille).
Plus tard, Marion Mazauric transforma aussi Camera Obscura en Scream Test (j'ignore si l'auteur de ce dernier ouvrage était d'accord). Et elle tenta de changer La Mariée mise à nu en... je préfère ne pas savoir quoi. Heureusement, comme il s'agit là de l'évocation d'une œuvre célèbre (une installation de Marcel Duchamp, La Mariée mise à nu par ses célibataires mêmes) et que je n'ai pas cédé à ses "arguments", elle se résigna (ce fut bien la seule fois) à le laisser tel quel. Elle eut aussi la lumineuse idée de transformer All tomorrow's parties en... Tomorrow's parties (in French in ze texte ; et hop ! escamoté, le titre des Velvet Underground !) ou encore Girlfriend in a coma en Girlfriend dans le coma (toujours in French ; et bye bye la chanson des Smiths) ! Au secours ? Ou alors, c'était pour ne pas payer des droits ? Non, ça ne peut pas être ça, puisque les titres ne sont pas déposables. En fait, il n'y a qu'une réponse possible, mais je ne peux pas l'écrire ; un avocat pourrait estimer que c'est une injure envers les cons.
Par étourderie (à moins que ce ne fût par revanche inconsciente, suggérerait un psy), Marion Mazauric "oublia" de faire figurer mon nom sur la couverture (puérile et rose-dragée, effectuée sans consultation de l'auteur ; celle-ci, lorsqu'elle la découvrit plus tard, en a pleuré de rage et de frustration) de La Mariée mise à nu, ce qui constituait une violation de clause contractuelle. Quand je m'en plaignis légitimement, je fus taxé de "grossièreté" par une chienne de garde de la matronne. L'affront fut réparé lors de la réimpression du livre, mais ça n'aurait pas été le cas si le livre n'avait pas "rencontré un certain succès".

3. Mathias Échenay, directeur de La Volte (et huile discrète de la Sodis), dans un retour d'épreuves de ma traduction du roman de Jeff Noon, Nymphormation. Il s'agissait du mot "taquin". Un peu plus loin, il soulignait le mot "torve" et l'affublait d'un point d'interrogation, prouvant par là qu'il n'avait pas de dictionnaire sous la main, ou pas de dictionnaire tout court. Pour cette traduction, j'ai aussi dû supporter et commenter chacune des 2.000 suggestions aberrantes, inutiles et fausses à 99 % de leur correcteur indigent ; quant à ses idées sur la traduction, elles étaient du niveau collège. Aujourd'hui, je n'hésiterais pas une seconde à révoquer un tel tissu d'âneries pour incompétence notoire. C'est sans doute pourquoi La Volte ne me confie plus de chantier (rires). Ça tombe bien, je les refuserais.
(A noter en passant que cette perle de sagesse éditoriale ressemble étrangement à une autre, fictive celle-ci : « Cela ne me dit rien, donc cela ne dira rien aux lectrices. » Elle prend tout son sel quand on sait qu'elle est prononcée par le personnage de Miss Prescott dans le film Funny Face / Drôle de frimousse (Stanley Donen, 1957) ; Miss Prescott y est la directrice d'un magazine de mode qui prend ses propres caprices pour le goût du public, une erreur de jugement extrêmement répandue dans les milieux éditoriaux1. Le scénariste s'est sans doute inspiré d'une personne réelle ; on en déduira que ce genre de personnage existe depuis longtemps et n'est pas près de disparaître. A vrai dire, on est même en droit de se demander si cette forme de projection psychologique (« Si ça me plaît, ça plaira à la foule ») n'est pas le fondement même de l'occupation d'éditeur ; ce ne serait pas la seule occupation à être fondée sur une illusion. A un psychologue de répondre.

4. Hélène Ramdani, à l'époque directrice chez Mnémos, s'appuyant sur cet "argument" pour refuser un des mes romans. Sur une quarantaine de lecteurs-tests, elle est la seule à n'avoir pas su (ou pu ou voulu) distinguer les trois héroïnes ; de là à en conclure qu'elle préfère les héros, ou les descriptions proustiennes... Peut-être aussi que, par "empathie", elle voulait dire "tour de poitrine". Il est vrai que ce roman ne contient aucune scène torride, pas même un strip-tease ou un petit viol vite fait sur le gaz ; il n'est donc pas "à la mode". Malgré mes demandes de précision, aucune réponse ne m'a été donnée et je n'ai donc pas pu insuffler d'air dans la poitrine de mes personnages féminins. Tant mieux ; j'aime pas les baudruches. Ni les godemichés. (Oh, pardon ! On dit sextoys, aujourd'hui ; c'est plus correct.)
Au fait, le même roman a été refusé par Mathias Échenay sous prétexte que j'y affirme (et même : j'y démontre) que les vampires existent seulement dans l'imaginaire humain et qu'il faut être pour le moins bizarre pour y croire en vrai. On en déduira, soit que ce monsieur croit vraiment aux vampires, soit qu'il est... bizarre. (Soit les deux, ne soyons pas sectaire.) Quoi qu'il en soit, comment voulez-vous discuter sérieusement avec ce genre d'arguments irrationnels, puérils et imbitables ? La réalité, comme toujours, est plus radicale : il n'y a jamais de discussion possible avec un éditeur, celui-ci se basant entièrement sur ses convictions, même pour juger de choses objectives comme par exemple l'existence des vampires. De là à en conclure qu'ils prennent leurs décisions en dépit du bon sens, il n'y a qu'un pas. Le plus lamentable est de voir un travail de plusieurs années jugé en une phrase, parfois en un seul mot. Mais pourquoi s'en étonner puisque les humains se jugent entre eux d'un seul regard, à leur mine, à leurs habits, voire à la simple couleur de leur peau ? Le préjugé est la pierre de touche de l'édition française.

5. Marion Mazauric, après que je lui avais remis mon analyse du premier chapitre de la traduction de Pattern Recognition de William Gibson par Cédric Perdereau. Le "travail" de celui-ci a finalement été publié pratiquement tel quel, avec les 17.000 et quelques fautes (voir le chapitre correspondant ; dans la vraie vie, j'ai dit 3.000 pour faire moins peur). Le même individu avait précédemment commis le viol de l'essai de Mark Lynas, Marée haute, que j'ai mis quinze jours à réécrire et corriger ; à noter aussi que l'original de ce livre contenait un cahier de photographies couleurs qui n'a pas été reproduit dans l'édition française, et ce sans demander son avis à l'auteur. A l'heure où j'écris ces lignes, l'individu Perdereau a commis un nombre certain de "craductions"2. Je n'ai pas eu l'estomac de vérifier s'il avait enfin appris les bases du métier ou acheté un dictionnaire bilingue.
Quant à Jacques G., il est considéré comme l'un des "pères" de la SF en France. Nul doute qu'un de ses anciens amis de trente ans me fustigerait pour avoir osé tirer sur un corbillard. Il n'avait qu'à faire son boulot, qui est de respecter les auteurs et le public, et non uniquement ses chers collègues.

6. Pierre Michaut, au cours de la conversation citée précédemment (#1).
Citons Alberto Manguel : « A son ami Edmund Wilson, qui lui reprochait d'avoir traduit Eugène Onéguine défauts compris, Vladimir Nabokov répliqua que l'affaire du traducteur n'est pas d'améliorer ni de commenter l'original mais de donner au lecteur ignorant d'une langue, un texte recomposé dans tous les mots équivalents d'une autre. » On en déduira que Nabokov et Manguel ne sont pas des autorités suffisantes aux yeux du directeur de L'Atalante, qui préfère "ajouter de la valeur" aux ouvrages étrangers (parfois médiocres) qu'il achète (pas trop cher), pour mieux les revendre ensuite à ses compatriotes. Mais au fait, puisqu'il leur fait ajouter de la valeur (donc travailler plus), pourquoi en l'occurrence ne paye-t-il pas ses traducteurs des honoraires supérieurs à la moyenne ? C'est cela qui serait logique et décent (et légal). En réalité, il les paie 16 € le feuillet + 5 % (au lieu des 22 € + 10 % préconisés par la Charte des Traducteurs européens, ce qui fait donc en gros la bagatelle de 30 % économisés sur le salaire décent tel qu'il est défini par le Code du Travail.) Encore un de ces mystères que seule la "loi non écrite" du milieu saurait expliquer.
"Améliorer" est en l'occurrence un acte purement mercantile, qui engendre le mensonge sur le produit final et la tromperie du lecteur sur la marchandise (qui est une infraction au Code du Commerce ; manque de bol, la traduction littéraire relève du droit civil). Le plus pitoyable, c'est que ladite amélioration est jugée par l'éditeur à l'aune de sa propre compétence dans la langue étrangère ; or ce niveau oscille le plus souvent entre le nullissime et l'inexistant. Il suffit, lors d'un salon livresque, de laisser traîner une oreille pour s'en rendre compte ; voici un échantillon authentique (entendu à Londres) : "O maille gaude, Misteure Parkeure, you raïte so goude Aïe ouante to meïque euh bouque ouïz you ; hit ouïl bi so gouèyte ! Letteuce saïne ze contracte naô, ouaïe note on zis tèbeul, 'ire ? Aïe 'appeune tou 'ave ouane on mi. Ouot euh coïnesidance !"
Ainsi donc, sous prétexte de proposer au public un livre "mieux écrit" que l'original, l'espoir véritable de l'éditeur en l'occurrence est bien de vendre plus de bouquins. Pourquoi faire autrement ? On se le demande, en effet. Le pire est que, même si par miracle, l'auteur vient à apprendre que son roman est retouché dans une langue étrangère, il en est généralement ravi, puisqu'il caresse le même espoir que "son" éditeur (que, soit dit en passant, il n'a presque jamais choisi ; les traductions sont presque toujours négociées par personne/s interposée/s). On a alors un auteur vendu deux fois, qui rêve de devenir "prophète en pays d'autrui". Certains le sont effectivement devenus ; on en est content pour eux. De là à conclure que les éditeurs font œuvre de salubrité publique, il ne faut pas exagérer ; c'est pourtant leur fantasme le plus répandu.

7. Interjection proférée sur un ton vertueusement indigné par Charlotte Volper, directrice de collection aux éditions Mnémos, à qui j'expliquais qu'il existe une Charte des Traducteurs que les éditeurs sont censés respecter s'ils veulent être inattaquables au titre de l'article 132-5 du CPI sur "l'équité de la rémunération". J'ai appris plus tard qu'un certain éditeur important (Bragelonne ; important en chiffre d'affaires, pas en qualité) paie parfois jusqu'à 11 € le feuillet leurs traducteurs débutants, ce qui les met en violation flagrante avec ledit article. Hélas, le CPI relève du droit civil, pas du pénal, ce qui signifie que, pour qu'il y ait sanction, il faut que la victime porte plainte. Ce qui implique de se griller définitivement, car qui voudra ensuite faire travailler un dénonciateur, une balance, un ingrat ?
On aura reconnu là le vocabulaire des mafieux qui cherchent à devenir respectables.

8. Marion Mazauric, à table. Le même auteur-maison (Nicolas Rey, avant de se casser chez Grasset, puis de revenir avec une daube écrite la veille de la date de remise du manuscrit et vendue à 30.000 gourdes exemplaires) a un jour coûté plus de 500 € à l'association Les avocats du diable (qui gère la résidence officieusement affiliée à la maison d'édition3) parce qu'il ne souhaitait pas aller dormir à la résidence (gratuite), lui préférant un hôtel 3-étoiles. C'était sans doute pour mieux épater sa compagne la plus récente, une très très très jeune fille qu'il avait « rencontrée lors d'un match de foot » (du moins est-ce ainsi qu'il nous la présenta, à grands renforts de sourires niais et de frottements de narines, car il venait apparemment de manger un paris-brest).

9. Une éditrice, s'adressant par e-mail à son correcteur, qui a refusé d'obéir par principe, en argumentant néanmoins longuement son choix. Le plus triste est que ni le correcteur, ni l'éditrice ni le diffuseur ne sont conscients de l'existence du Droit moral de l'auteur, qu'ils ont donc failli violer à divers titres. Il est malheureusement impossible de savoir combien d'autres romans (et plus encore, de traductions) ont été ainsi trafiqués par des gens qui n'ont aucun droit de le faire.
Accessoirement, je ne peux nommer personne dans cet exemple navrant, dans la mesure où le correcteur qui m'a transmis cette information à ses risques et périls, perdrait son travail (et sans doute sa réputation) si son nom était divulgué. Les lecteurs auront là un petit aperçu de l'ambiance merveilleuse qui règne dans ce milieu, jusque chez les simples techniciens. (J'ai dû aussi modifier la forme du texte, afin de désamorcer toute tentative de recherche ; mais le fond est le même.)

10. Cet extrait d'un message soi-disant conciliant, mais en réalité pur règlement de comptes à l'hypocrisie fort bien dissimulée (peut-être même aux yeux de son auteur ; au fait, l'orthographe est de lui) m'a été envoyé par Norbert Merjagnan, à la suite du rejet par l'auteur Jeff Noon du premier projet de couverture pour son livre Nymphormation (que j'avais traduit), projet que je lui avais fait suivre par e-mail, parce que je le trouvais nullissime et hors-sujet. Les éditeurs de La Volte avouaient ainsi qu'ils n'avaient jamais eu l'intention de transmettre la couverture à l'auteur, violant donc son droit moral. On jugera de leur lâcheté quand on saura qu'ils ont en fin de compte obéi au choix de l'auteur (le seul légal, en l'occurrence) et ont remplacé la mauvaise couverture par une autre, médiocre et exécutée à la va-vite, alors que le livre a finalement été fabriqué avec plus de quatre mois de retard ; il aurait donc été largement possible de faire faire une autre couverture, meilleure et correspondant aux désirs de l'auteur. "Les autres personnes" de La Volte ne sont bien sûr pas citées, mais on saisira toute l'ampleur de ladite "rogne" quand on saura que, depuis cet incident, les membres de cette maison d'édition – qui se veut non conformiste, comme quoi, il existe plusieurs définitions du conformisme – évitent soigneusement d'avoir affaire à moi sur le plan professionnel. C'est réciproque.
Quant au "rapport de confiance" dont parle cet éditeur novice (ancien banquier !), il est assez curieux de constater qu'il le considère comme allant de soi, comme si c'était l'élément le plus important d'un travail commun. Nul besoin d'être psychologue pour comprendre que, pour lui, la confiance en question est unilatérale : à l'auteur de se mettre "spontanément" en position d'infériorité hiérarchique, l'éditeur ayant "fatalement" la position supérieure, et les choses ne sachant aller autrement. La quantité phénoménale de bidouillages foireux et de modifications intempestives dont La Volte a grevé ma traduction (un internaute a appelé ça des "pains") prouve sans l'ombre d'un doute que leur confiance envers moi était nulle et qu'ils m'ont traité comme un demeuré. (Soyons bon prince et reconnaissons-leur le trait suivant : c'est le seul éditeur – avec Christian Bourgois – qui m'a payé mon travail au taux correct préconisé par la Charte des Traducteurs ; tous les autres ont appliqué des taux inférieurs dans une proportion de 15 % à 33 % !)
Ceci prouve une fois de plus que cet éditeur ignore purement et simplement que la création d'un livre n'est pas un travail en commun ; bien au contraire, les tâches de chacun sont parfaitement définies par la loi et ne sauraient se chevaucher. Il n'est donc pas nécessaire que le rapport auteur/éditeur soit basé sur la confiance, laquelle est aussi subjective que facile à tromper ; il devrait s'agir d'un rapport juridique, tel qu'il est défini par la loi, et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais reconnaître qu'on est l'égal de quelqu'un, c'est avouer qu'on ne lui est pas supérieur ; et ça, avant qu'un éditeur ait le courage, l'honnêteté, voire la sagesse de l'admettre, il coulera beaucoup d'encre sous les ponts.

11. Gilles Dumay (alias Thomas Day), directeur de la collection Lunes d'encre chez Denoël ; il répondait ainsi, sur un forum, à l'un des participants de La Bibliothèque nomédienne qui s'étonnait que notre livre n'ait pas eu plus de succès. Était-ce là une manifestation de subtile intelligence de sa part, ou d'intelligente subtilité ? Dur de trancher. Depuis plus de dix ans, à chaque fois que nous nous croisons, il me promet qu'il pensera à moi quand une traduction intéressante se présentera. Ça ne coûte rien, les promesses, pas vrai ? Le pouvoir politique est même fondé là-dessus. A moins qu'aucune traduction intéressante ne se soit présentée depuis dix ans, bien sûr...
Tiens, je parie un vaisseau spatial contre un âne corse empaillé qu'Anathem de Neal Stephenson ne sera jamais traduit en français.

12. Ces mots ont pour auteur mon ami et collaborateur Marc Vassart, écrivain et vétérinaire ; on les trouve à la page 487 de son roman Le Serval noir, publié en 2008 au Diable vauvert. A la ligne au-dessus, on peut lire : « A Alfred Boudry, pour son soutien ». C'est en effet moi qui avais repéré le manuscrit de Marc parmi les envois spontanés ; c'est même ainsi que nous nous sommes rencontrés. J'ai eu un mal de chien à faire accepter cet extraordinaire roman par la directrice d'ADV, ce qu'elle a fini par faire en grinçant des dents, alors que j'avais claqué la porte de son antre merdique depuis un an4. Ce que les lecteurs ignorent, c'est que le remerciement attribué à N. M. (une correctrice) m'était en fait adressé à l'origine ; mais lorsque Sa Majesté Mazauric a vu mon nom dans la liste, elle a téléphoné à Marc pour... l'engueuler ! Oui, comme un adolescent fugueur5. Tourneboulé, celui-ci m'appela juste après pour me présenter ses excuses (ce qu'il n'avait pas à faire, puisqu'il n'est pas responsable de la bêtise humaine, mais c'est un homme fondamentalement bon, ce qui le perdra) ; la Mazaurâtre (qui ne pouvait plus se dédire, puisque le contrat avait enfin été signé), en guise de punition, l'obligea à accepter la "petite" modification, ne lui laissant de toute façon pas le choix. Et la correctrice se retrouva couronnée d'un compliment qu'elle ne pouvait refuser puisqu'elle n'était même pas au courant. En réalité, c'est bibi qui a aménagé le manuscrit désordonné de Marc, lequel est aussi piètre dactylographe que grand conteur (mais il apprend avec l'âge, lui).

13. Toujours Marion Mazauric, à une soirée de lancement, voyant arriver l'auteur des Enfants du plastique Thomas Clément. Depuis, cet auteur n'a plus rien publié au Diable vauvert, ni ailleurs.

14. Une éditrice de chez Thierry Magnier, dont j'ai (heureusement ?) oublié le nom, se fondant sur ce seul argument (écrit à la va-vite sur une carte) pour refuser un recueil de mes contes. Un peu plus tard, L'École des Loisirs a hésité pour finalement refuser avec quelques regrets et échanges de lettres ; j'en remercie ici Geneviève Brisac, une des très rares personnes à m'avoir traité comme un être humain dans ce milieu. Comme quoi, on n'a pas tous les mêmes critères d'apartheid.
La vérité est que les qualités objectives d'un manuscrit n'entrent pour presque rien dans la décision par un éditeur de le publier ou non ; les critères qui interviennent réellement sont : 1/ la subjectivité de l'éditeur, 2/ la rentabilité apparente, 3/ la recommandation par un collègue. Tout le reste, c'est du pipeau pour calmer les auteurs et les empêcher de se suicider trop jeunes.

15. Catherine Rassat, directrice ou rédactrice ou je-ne-sais-trop-quoi chez Hoëbeke, répétant ces mots tandis que je passais récupérer un manuscrit refusé (en dix jours ! c'est un record) qu'elle n'a pas réussi à retrouver dans le tas d'enveloppes empilées au sol de son bureau ; le tout en deux minutes chrono, alors que je l'avais prévenue de mon passage. Elle n'a même pas retrouvé la trace du manuscrit dans sa base de données. Y était-il seulement ? Mystère et va-chier habituels... (Cf. Annexe X)

16. Jerôme Vincent, fondateur d'actusf, éditeur de mon deuxième livre paru, La Digitale, décrété "polar sf" par lui seul, et distribué à l'époque par Calibre, une boîte créée officiellement pour faciliter la vie des petits éditeurs mais qui ne répond jamais au téléphone, qui ne stocke pas de livres, ne coûte pas cher aux éditeurs (et pour cause), et avec laquelle la plupart des libraires ont renoncé à travailler puisqu'il faut entre six semaines et l'infini pour que leurs commandes soient livrées. Mon roman La Digitale n'a ainsi jamais été distribué dans les librairies de ma ville6, bien que j'aie servi d'intermédiaire entre certains libraires et l'éditeur ; ce qui rend celui-ci coupable d'une infraction à la loi et d'une violation de contrat puisque, selon le CPI, deux commandes non honorées constituent une raison suffisante pour faire invalider un contrat, aux dépens de l'éditeur, qui n'a pas respecté son devoir d'exploitation. Mais qui aurait envie de saisir la justice pour la misérable somme de 360 € (sachant que la demi-heure de plaidoirie en coûte 300) ? Évidemment personne, et c'est ainsi que l'immense majorité des éditeurs indélicats se prémunissent contre les auteurs qu'ils exploitent : par la dérision.
360 € pour six mois de travail ! Un collègue a touché, pour un recueil de nouvelles... 115 €. Avec mon premier livre, j'ai touché en tout et pour tout 2.800 € pour l'équivalent de neuf mois de travail éditorial et un an et demi de recherches et de préparation ; et le troisième : 460 € pour cinq mois. Un contrôleur technique automobile (l'une des professions les plus inutiles et parasitaires de la planète) gagne en moyenne 225 € de l'heure ; moi : 42 centimes. Vous accepteriez, vous, un travail aussi mal payé ? Nous, oui, puisque nous n'avons pas le choix ; bien la preuve que nous sommes masochistes et que nous méritons de souffrir !
Pourquoi, mais pourquoi accepte-t-on d'être traités comme des putes par leur mac ? Sans doute, comme dit Frank Lepage, « parce qu'on est cons ! »

17. Le néant, ou encore le grand silence muet. Réponse classique de tous les éditeurs qui n'ont pas le courage de leurs opinions, encore moins celui de tenir leurs promesses. Les exemples sont si nombreux que je n'ai pas la place de tous les noter. Attribuons tout de même quelques prix spéciaux :
- à Claro (directeur de la collection Lot49 chez Denoël et traducteur à la chaîne, appliquant les mêmes procédés à tous ses auteurs, leur imposant son style au lieu de chercher à véhiculer le leur) ; on n'est jamais si bien servi que par soi-m'aime ;
- à Joëlle Losfeld, qui hoche beaucoup la tête mais, à part ça... Contactée directement sur son stand au Salon du Livre (nous avons même discuté assis par terre – il n'y avait pas de sièges), je lui ai proposé la traduction d'un excellent roman américain dont Marion Mazauric n'avait pas voulu pour le Diable : Colors insulting to Nature de Cintra Wilson. J'avais l'accord tacite de l'auteur, celui de son agent, et le début de la traduction ; il n'y avait qu'à négocier les droits et le faire. Intéressée, Mme Losfeld promit, avec force sourires, de me recontacter bien vite et me félicita pour mon esprit d'initiative. C'était en 2006 ; j'attends encore sa réponse, et la prodigieuse Cintra Wilson est toujours inconnue du public français. Par qui a-t-elle enterrée ? Pourquoi ? Et pour combien ?
- à Marie-Catherine Vacher, d'Actes-Sud, rencontrée au même Salon, enthousiasmée par ma démarche, mon projet (et par ma carte de visite en forme de marque-page, qui me valut cinq minutes d'éloge... ou de foutage de gueule, pour ce que j'en sais) puis disparue dans les limbes si pratiques d'Internet ;
- à Agone, contactés physiquement lors d'un Salon du livre à Paris, fortement intéressés par mes projets, ayant lourdement insisté pour que je les recontacte... et qui n'ont jamais donné suite, pas même à un simple e-mail. Ce qui est d'autant plus dommage que j'apprécie leur politique éditoriale et leur catalogue. C'est sans doute pourquoi ils n'ont pas hésité à m'envoyer ce dernier dans l'espoir que j'achète tous leurs titres, au lieu de me répondre, ne serait-ce que par politesse ;
- Anacharsis, éditeur devenu coopératif en 2012, ce qui ne les a pas rendus plus communicatifs ;
- Monsieur Toussaint-L'ouverture, sans doute fermé pour inventaire de ses boîtes aux lettres ;
- Wu Ming, le fameux groupe d'écrivains italiens, qui fait aussi dans l'écriture collective, à qui j'ai eu l'outrecuidance de proposer une collaboration et qui m'a demandé un délai de quatre mois pour me répondre... C'était en l'an 2009 ! Depuis : rien.
- e-fractions : éditeur numérique, rencontré sur leur stand à la Comédie du Livre en 2013, ayant fait plein de promesses, dont aucune n'a été tenue ; ils n'ont même pas daigné répondre à mes e-mails ;
- à la Matière noire : voir plus loin ;
- aux consternants et gluants Manuscrits d'Oroboros ;
- à Pascale Rozé, des éditions [XXX] : contactée en direct-live sur le salon de Cadenet, elle sollicite un manuscrit, que je lui envoie ; après quoi, le vide intersidéral ;
- aux éditions Sansouïre : à l'origine, des amis ; après m'avoir demandé un recueil de nouvelles pour leur collection littéraire, ils cessent de répondre à son sujet.. mais ne cessent pas de m'envoyer des invitations aux lancements de leurs autres auteurs ;
- les éditions Vanloo : rencontré lors de l'excellent Festival Les Carnets, cet éditeur me demande si je n'ai pas une traduction dans mes tiroirs ; je lui indique Couleurs contre Nature, de Cintra Wilson ; il le lit, me dit que ça l'intéresse ; je recontacte l'auteur, qui est ravie ; je reprends la traduction pendant que l'éditeur est censé émettre un contrat ; puis.. plus rien. Le silence des lâches.
Et deux Prix de consternation, attribués :
- à Dominique Bourgois (des éditions Christian du-même-nom) à qui j'ai proposé un jour trois projets (deux traductions et une création) et qui me répondit assez rapidement. Le hic, c'est qu'elle refusait le premier projet sur un argument purement commercial qui se révéla caduque quelques mois plus tard (ce qui ne la fit pas changer d'avis), que son argument pour refuser le deuxième projet démontrait qu'elle ne l'avait pas compris, et qu'elle ne disait absolument rien sur le troisième. J'étais content, toutefois ; il y avait eu une sorte de demi-dialogue ;
- et le prix spécial du Contre-Sens Absolu à Léa Silhol, qui m'écrivit un jour trois lettres interminables, d'une absurdité confinant au délire très-mince, pour me signifier son refus de publier une simple nouvelle (Victime de son charme) que je lui avais envoyée spontanément ; elle s'étendait longuement sur les "règles du récit de vampire", les détaillant minutieusement, règles que j'étais censé respecter si je voulais "avoir droit à la reconnaissance de mes pairs".
Finalement, ce n'est peut-être pas plus mal qu'ils se taisent..

« Quand je lui demande pourquoi, pas de réponse ! Silence complet ! » C'est ce que disait déjà Carion de son maître Chrémyle au tout début de Ploutos, dieu du fric d'Aristophane, une satire vieille de 25 siècles !
Pour les statistiques, j'indiquerai qu'en gros, seuls 10 à 15 % des éditeurs français répondent aux courriers (postaux ou électroniques) qu'on leur envoie, y compris ceux qui relèvent directement de leur activité professionnelle. Nul doute qu'ils en blâmeront leur ordinateur ou les méchants expéditeurs de spams. (C'est pour ça que c'est très pratique, les spams ; c'est même sans doute pour ça qu'ils ont été inventés.) Bizarrement, les éditeurs anglais, australiens, néo-zélandais et américains que j'ai contactés à divers titres au fil du temps m'ont répondu à.. 100 % ! De là à en déduire quelque chose sur les raisons pour lesquelles la littérature anglo-saxonne est plus saine et plus efficace que la française..

18. Manon Viard, éditrice chez L'Aube, me répondant après que j'avais analysé le contrat qu'elle me proposait, puis émis la velléité de le négocier. On en déduira qu'à ses yeux, la seule forme de négociation acceptable consiste à se taire et à signer les yeux fermés. Il va de soi que leur contrat est l'un des plus dégradants de tous ceux que j'aie jamais lus. Je ne l'ai signé que parce que je n'étais pas seul dans cette "aventure"7 et que ma partenaire en écriture aurait nerveusement craqué si je ne l'avais pas fait. L'avenir dira si je dois m'en mordre les doigts ; pour l'instant, le bilan est plus que mitigé, le seul point positif étant que la couverture du livre Les Désamants est réussie8, bien que nous n'ayons reçu qu'une seule proposition, assortie de la phrase "nous n'avons pas le temps d'élaborer un autre projet", qu'on est prié de ne pas interpréter comme un ultimatum. De plus, j'avais souhaité faire figurer le portrait de l'un des protagonistes en fin de livre ; la chose fut promptement refusée lorsque j'informai l'éditeur qu'il y avait la faramineuse somme de 33 € de droits de reproduction à payer.
Vous avez dit "mesquins" ?
A l'heure qu'il est, quatre ans après la sortie du livre, rien n'a été fait, et je n'ai jamais reçu la moindre reddition des comptes.

19. Fin du dernier e-mail de Mireille Rivalland, co-directrice de L'Atalante ; en date du 17 mars 2009, donc moins de six mois après la sortie du livre La Bibliothèque nomédienne édité chez eux, lequel ne se trouvait déjà plus en librairies depuis la mi-janvier, puisque le distributeur Harmonia Mundi l'avait retiré en masse pour le « remplacer par des merdes de Bragelonne », dixit un libraire9. Cette dame n'a plus jamais daigné répondre à mes messages, même ceux d'ordre professionnel, ce qui constitue un manquement à l'éthique, en plus d'être la preuve d'une goujaterie sans nom et d'une lâcheté abjecte. Et, contrairement à son affirmation, le livre n'a jamais eu de seconde chance, pas même en édition de poche ou en version numérique (puisque cet éditeur vient de s'y lancer).
Quant aux redditions de comptes que je reçois chaque année, elles ne sont pas toutes identiques et sont incompréhensibles sans lexique comptable ; je ne sais toujours pas combien d'exemplaires du livre ont été vendus (ni même combien ont été fabriqués, puisque, lorsque j'ai posé cette question, j'ai obtenu trois réponses différentes, allant de 2.500 à 6.600 ; à ce jour, j'ignore encore le vrai chiffre, ce qui constitue une infraction de la part de l'éditeur). Cerise sur le gâteau : j'ai appris depuis en bavardant avec une libraire que le diffuseur-distributeur de L'Atalante avait changé ; ce n'est plus Harmonia Mundi mais la Sodis. Est-ce une bonne nouvelle ? Va savoir, Balthazar ! Depuis, il ne s'est strictement rien passé.

20. Marion Mazauric, un vendredi soir, entre deux portes, me tendant un manuscrit maigroulet. Je n'ai accepté qu'en sachant pertinemment que je ferais tout mon possible pour écarter cette muflerie. Heureusement, je n'ai pas eu à me forcer. Il s'agissait d'une soi-disant enquête sur le 11-Septembre 2001. Non seulement le travail d'investigation était aussi indigent que l'écriture, mais l'auteur de cette navrance affirmait à plusieurs reprises dans sa présentation que son livre faisait 70.000 mots (de quoi faire un essai de 230 pages standard) alors que j'en comptais péniblement 22.000, à peine de quoi remplir 70 pages. Le tout était raconté dans un désordre indescriptible, aucune information n'était étayée, l'introduction était répétée deux fois sans raison, ainsi que l'épais CV du prétendant ; pour couronner le tout, la thèse défendue par l'auteur était que les États-Unis n'avaient en réalité jamais aidé l'Irak militairement et que la guerre du Golfe était une croisade parfaitement légitime aux yeux... d'on ne savait trop qui.
C'était lamentable, pas même du travail d'amateur ; du pur foutage de gueule. Mais surtout, l'auteur de cette gabegie était koweitien ! Ah, bon ? Un actionnaire d'Au Diable vauvert a un gendre koweitien ? Tu m'en diras tant ! D'un autre côté, ça explique pas mal de choses, non ? Rendons grâces à Belzébuth : cet étron n'a pas été publié. En tout cas, pas par le Diable.

21. Conversation que j'ai eue en appelant le numéro officiel (celui qui figurait sur le site web de la maison) des éditions Équatoriales (apparemment liquidées, depuis), spécialisées dans les essais et romans historiques de voyages et d'explorations, à qui j'avais envoyé le manuscrit des Désamants, en me disant qu'ils étaient parfaitement susceptibles d'être intéressés. J'ai aussi envoyé un e-mail, qui n'a jamais eu de réponse, comme 85 % des e-mails envoyés à des éditeurs. Mon interlocutrice devait avoir quatorze ou quinze ans. La fille de l'éditeur ? Aucune idée. (Depuis, je suis passé en Normandie ; il n'y était pas.)

22. L'auteur de cette phrase restera anonyme, puisqu'il est traditionnel de protéger les innocents. Je déplore toutefois que cette personne ait préféré refuser de se battre et ignorer la protection de la loi, à laquelle elle aurait pu et dû recourir. La faiblesse et l'ignorance seront toujours exploitées par ceux qui se croient destinés à avoir des esclaves. Depuis, cette jeune écrivain a effectivement publié son deuxième roman chez le même éditeur, que je ne puis nommer ici, ce qui est bien dommage. J'ignore si elle a été payée finalement, mais l'argent n'est plus son souci majeur, puisqu'elle a épousé un courtier en bourse de vingt ans son aîné. Une belle solution, non ?
Je suggère d'ailleurs que tous les écrivains de France l'imitent ; ainsi, nos amis éditeurs n'auront plus à se tracasser pour nous payer. Nous travaillerons gratuitement, ce qui nous libérera l'esprit et nous rendra tous gentils et obéissants, calmes et adorables, photogéniques et toujours bien lunés. Et le monde sera encore plus merveilleux !
Non, c'est vrai, franchement, entre nous : quel écrivain frustré n'a jamais rêvé de se farcir une banquière frigide et de la rendre nymphomane ? (Le fantasme inverse est un peu moins excitant ; les banquiers sont en général chauves et bedonnants, et n'ont pour plus haute ambition que d'avoir à la maison une nounou-cuisinière gratuite et docile. Mais des goûts et des couleurs, on ne discute pas plus que des termes d'un contrat d'édition.)
La même jeune femme, avant d'être publiée, avait refusé de passer à la casserole que lui "proposait" avec insistance un éditeur leader du marché de la littérature fantastique. Comme elle n'avait pas porté plainte à l'époque pour tentative de viol ou harcèlement sexuel, il est impossible de nommer ici l'individu en question, puisque ce serait de la diffamation, un crime beaucoup plus grave que le viol, à en croire certains. Sachez toutefois que sa "noble maison" est citée dans ces pages, qu'il est toujours en exercice et impuni.

23. Marion Mazauric. Sans commentaire.

24 à 27. Toutes ces perles de sagesse (pas prétentieuses pour un sou) sont dues à Bernard Grasset, qui s'estimait l'inventeur du best-seller à la française. Son premier coup d'éclat, en 1916, fut Maria Chapdelaine, un récit du Canada français, littéralement prélevé sur un cadavre, puisque l'auteur Louis Héron était mort dans un accident en 1914, et que son livre n'avait pas soulevé le moindre intérêt de son vivant. Depuis, le monde de l'édition a su largement profiter des manuscrits orphelins, que ce soient ceux de Fernando Pessoa, Valérie Valère, Irène Némirovsky, John Kennedy O'Toole, D. H. Lawrence, Raymond Radiguet, et bien évidemment la dernière coqueluche en date, Stieg Larsson, décédé quelques semaines avant la sortie de son livre, à 50 ans. On appréciera en passant le fait qu'il léguait par testament ses droits à une ligue communiste mais que, "finalement", ceux-ci ont été reversés à son frère et à son père... mais pas à sa compagne, qui avait négligé de l'épouser. Encore une grande victoire de la tradition !
Quant au coup de "bluff" dont parle Grasset, il s'agissait du fait que Le Diable au corps était passé subitement (pour des raisons publicitaires et avec l'aval de Radiguet, afin sans doute de lui garder bonne conscience) de la 52e à la... 83e édition ! On notera que Grasset ne dit pas « Je n'ai vendu que 10.000 exemplaires » ; il positivait déjà, cinquante ans avant "Et hop, Prisunic !", ce qui prouve son génie visionnaire à côté duquel Jacques Séguéla n'a pas du tout l'air d'un con. On en déduira en passant que si la loi empêche un éditeur de mentir à ses auteurs, elle ne l'empêche pas de mentir au public. (Et aussi que, puisqu'il bluffe, c'est qu'il croit jouer au poker. L'analogie est pertinente : pour jouer au poker, il faut beaucoup d'argent et de culot ; par contre, du sens artistique, c'est nettement moins nécessaire.)

28. Ian Fleming himself à propos de James Bond. D'accord, il n'était pas éditeur ; mais il négociait déjà les droits d'adaptation cinématographique de son premier livre avant même d'avoir trouvé un éditeur. Ce qui en dit long sur ses prétentions, artistiques ou non. Je parie que s'il avait vécu plus longtemps au lieu de fumer comme un sapeur, il serait devenu éditeur.

29. Kurt Wolff, éditeur allemand mort en 1963, "découvreur" de Franz Kafka, Werfel, Trakl... On se demande alors ce qu'est censé faire un "faux éditeur" ; publier ce que les gens aimeraient lire, peut-être ? Mais comment le savoir à l'avance ? Facile ; il suffit d'engager un devin ou une cartomancienne.

30. Paul-Loup Sulitzer (in Les Épées #13, août 2004). Je viens d'aller voir dans ma boîte aux lettres. Je n'ai toujours pas reçu le chèque. Tu fais chier, Paulo ! J'ai les traites de la Bentley à payer, moi !

31. Gaston Gallimard. Cet aveu circonstancié est à peu près le seul exemple de déclaration honnête (et compréhensible) proférée par un éditeur (ne s'appelant pas Jérôme Lindon) au cours des cent dernières années. Dans son testament, GG écrivait aussi : « La recherche de nouveaux talents [...] entraîne la publication de nombreux manuscrits au succès incertain. » Au vu de ce que font ses successeurs (parfois génétiques) aujourd'hui, ce sage conseil a été égaré corps et biens quelque part entre la ré-élection tragi-comique de Chirac et celle de son suck-cesseur.

32. Émile Zola, dans une lettre à Flaubert. Note "optimiste", prouvant que certains auteurs peuvent être aussi cyniques que leurs éditeurs. D'un autre côté, il ne faut pas oublier que Zola avait été chef des services publicitaires de Hachette, avant de se faire éditer par Georges Charpentier (dont la maison deviendrait plus tard les éditions Fasquelle, qui deviendraient Grasset, qui deviendront... ad nauseam.)

33. La journaliste Marie-Dominique Lelièvre dans Libération, parlant de Bernard Fixot ; ce dernier est capable d'investir jusqu'à 9 % du chiffre d'affaires dans la réclame d'un livre. Ce qui laisse combien à l'auteur ?

34. Bernard Fixot en 2005, à propos de sa maison XO. C'est donc bien d'un retour en arrière qu'il s'agit ; nul doute qu'il se considère comme l'un des « hauts barons de la féodalité industrielle » dont parlait Regnault dans Les Français peints par eux-mêmes.

35. Marion Mazauric dans toute sa splendeur (c'est-à-dire en survêtement Adidas aux couleurs de l'OM), annonçant son coup "génial" à la cantonade, avant même de dire bonjour. Bien que sans boulot à l'époque, j'ai refusé de participer à la traduction collective de U2 par U2, dont le cahier des charges épais comme le pouce, la fabrication interminable et la parution dans des conditions catastrophiques (les chères vedettes changeaient d'avis tous les jours, revenant sur leurs propos, qu'il fallait retraduire et remettre en page, les modifiant au gré de leurs caprices, et comme la maquette du livre devait être identique pour toutes les versions, le livre sortant en plusieurs langues simultanément, et la fabrication étant centralisée en Birmanie juste avant le coup d'État...) ont bien failli couler la maison ADV. C'est marrant, je n'ai aucun regret.

36. Claude Durand, éditeur au Seuil, puis chez Grasset, puis Fayard, puis... Auteur d'un livre sous pseudonyme : J'aurais voulu être éditeur, dont la postface est de... Claude Durand ! Ce même "livre" a obtenu un grand prix "littéraire".
Profitons-en pour parler d'une différence culturelle de taille : dans les années 1950, Anthony Burgess, alors jeune journaliste, avait publié une critique dithyrambique de l'un de ses propres romans paru sous pseudonyme ; son rédacteur en chef ne s'était pas rendu compte tout de suite qu'il s'agissait de la même personne. Lorsque le pot aux roses fut découvert, Burgess fut aussitôt licencié pour faute professionnelle et éthique. Il va de soi que ceci est impensable en France, où les écrivains et les journalistes sont très souvent les mêmes personnes. C'est très pratique et cela fait faire des économies. Cela permet surtout à des écrivains ratés d'avoir un salaire décent et de continuer à écrire de la merde sans souci du lendemain. Si le public connaissait les vrais chiffres de vente de ses auteurs favoris, il se poserait bien des questions... ou crèverait de rire.

37. Antoine Gallimard, propos recueillis par Sébastien Lapaque, in AG, l'indépendant, Le Figaro du 14/10/2007.

38. « On aurait peut-être préféré que Francis Esmenard [patron d'Albin Michel] reproche aux "petits éditeurs" d'encombrer les rayonnages de mauvais livres. Mais non, simplement, de livres. » (in Discepolo)
Comme si Albin Michel ne sortait que des bons livres ! A ce niveau-là, ce n'est plus l'hôpital qui se fout de la charité, c'est la Sécurité sociale qui chie dans les marmites des Restaus du Cœur.

39. Bernard Fixot. Dont l'épouse est, soit dit en passant, Valérie-Anne Giscard d'Estaing. Je le précise pour le cas où il resterait quelque part des personnes qui estiment qu'il n'y a pas de relations entre le monde de l'édition et celui de la politique.

40. Olivier Nora, directeur chez Lagardère, et fils de Pierre Nora, qui fut lui-même directeur de Hachette. « Bernard Grasset, furieux d'être désormais boudé par les Dix [de l'Académie Goncourt], mais plus que jamais convaincu de l'importance des prix littéraires dans la genèse des best-sellers, participe en 1922 à la création du prix Balzac, richement doté par le marchand de canons Basile Zaharoff. » (in Discepolo). Déjà, les marchands d'armes, grands amis des lettres...
Précisons qu'à la Libération, Bernard Grasset fut condamné pour collaboration avec l'ennemi à la dégradation nationale à vie et à la confiscation de ses biens ; en 1948, le président Auriol le gracia et commua sa peine en une simple amende ; Grasset fit appel et fut amnistié en 1953 ; un an plus tard, il cédait sa maison à Hachette.
C'est tout cela, être un génie de l'édition ; rassurons-nous : depuis Grasset, il y a eu encore plus génial.

41. Guy Birenbaum, éditeur chez Denoël (maison appartenant à Gallimard), interviewé par Marie-Dominique Lelièvre.

42. Françoise Nyssen, fille d'Hubert, fondateur d'Actes Sud, et héritière de la "galaxie". Inutile de préciser que, sur les plans juridique et commercial, les termes "novateurs" employés par la nouvelle patronne font office d'emplâtre sur une langue de bois.

43. Hervé de la Martinière (in Le Monde, 11 oct. 2002). Beurk !

44. Giangiacomo Feltrinelli, éditeur italien, à propos de Dr Jivago, le roman qui valut son Nobel à Boris Pasternak. En réalité, le manuscrit avait été volé à Pasternak, qui en avait seulement prêté un exemplaire à l'agent de Feltrinelli, venu le voir en URSS ; celui-ci avait décidé seul de le publier, c'est-à-dire sans demander la moindre confirmation à l'auteur. On pourra jouer les étonnés en apprenant que cet éditeur a été assassiné à coup de dynamite en 1972 ! Quant à Boris Pasternak, il était mort en 1960 et n'a donc jamais profité de sa gloire imposée, dont il ne voulait pas de toute façon. Quant à savoir ce qui l'a tué, du chagrin, de la haine ou du mépris..

45 à 47. Francis Esmenard, PdG d'Albin Michel. Pastichons ce sinistre cuistre : « J'en ai vraiment assez de ces éditeurs à qui il faut dix journalistes, jurés, politiciens, banquiers, pour vendre cent bouquins, sans compter ce qui a été emprunté ici ou là. » Tiens, c'est curieux : pas besoin de changer la fin pour que ce soit marrant !

48. Georges Monti, fondateur des éditions Le temps qu'il fait ; entretien avec Olivier Bessard-Banquy.

49. Jean-Louis Lisimachio (néo-comptable chez Grasset) à Jean-Claude Fasquelle, au sujet de la reprise de Grasset.

50. Jimmy Goldsmith, ex-PdG des gâteaux Vandamme et de La pie qui chante, repreneur de Hachette, à Olivier Orban. ("Sois spontané, mon fils !" comme disait l'autre.)

51. Régis Debray, en 1979. Déjà, à l'époque... Quel grand visionnaire !

52. L'éditrice Betty Mialet à son auteur Ania Francos, qui lui annonçait qu'elle avait un cancer.

53. Gérard Voitey, notaire devenu éditeur avant de se suicider, s'adressant à Denis Tillinac.

54. Philippe Muray ; j'ai souligné le mot comme, car il contient à mon sens tout le sel de cette déclaration hautement autorisée. Quand on pense comme un flic, pas étonnant qu'on ait les idées bien arrêtées.

55. Françoise Verny à Emmanuel Pierrat, jeune avocat qui voulait devenir éditeur et publier un manuel de droit à l'intention des auteurs. Celui-ci a bien suivi le conseil de la "grande éditrice" et a finalement publié un Guide du droit d'auteur à l'usage des éditeurs (Ed. Du Cercle de la librairie, 1995) ; il a depuis co-fondé les éditions Privé et Cartouche, défendu Houellebecq qui disait du mal de l'Islam, et il dirige la collection L'enfer chez Flammarion.

56. Jean-Claude Fasquelle à Jack Thieuloy, qui le braquait avec un flingue pour être édité chez lui.

57. Victorien Duval, ancien éditeur de La Matière noire; il m'avait contacté, étant intéressé pour publier Il était une mauvaise foi. Au bout de six mois d'hésitation, nous avons découvert que nous habitions à 20 km l'un de l'autre. Nous nous sommes vus une demi-douzaine de fois, sans que rien de concluant n'en sorte. Finalement, Victorien a déménagé à 200 km. Cette réplique est la dernière qu'il m'ait adressé, lors d'un coup de fil en février 2016. Depuis, je suis sans nouvelles et j'hésite à lancer un appel sur Twitter.

8.3 En guise de conclusion

Ce maigre échantillon de comportements et de hautes pensées permettra au public de se faire une idée concrète de la vie quotidienne des écrivains français. Tous les événements que je cite sont authentiques ; ceux dont j'ai été le seul témoin, je ne peux que jurer les avoir vécus, même s'il est évident que les concernés s'écrieront « Mais je n'ai jamais dit ça ! » Leur mémoire continuera à leur faire défaut, comme d'habitude ; c'est à peu près tout ce qu'elle sait faire. Là où les preuves manquent, nous verrons peut-être ce que vaut la parole d'un éditeur contre celle d'un écrivain, dans ce beau pays démocratique qui est le nôtre. Nul doute que la bonne vieille solidarité des professionnels de la profession me procurera des heures de stress intolérable. Et si je vais en prison, je pourrai enfin écrire tranquillement, sans penser au lendemain. (Mais ça m'étonnerait ; les prisons ne sont plus ce qu'elles étaient du temps d'Albertine Sarrazin.)
Il va de soi que bon nombre de personnes se sentiront lésées, blessées, choquées, etc. par tout ce qui précède. Si ce sont des lecteurs, je ne peux que compatir ; il doit être effectivement douloureux de découvrir qu'un monde que l'on croyait magique se révèle en fait être un panier de crabes et de vipères, ou de requins et de cafards selon les goûts, en tout cas aussi pourri que n'importe quel autre milieu professionnel verrouillé et défendu toutes griffes dehors par ceux qui ont la "chance" d'en faire partie. Hélas, je n'y peux rien ; à eux de s'en remettre ou de décider de ne pas croire à tout ce que je raconte. Le cerveau humain fait ça très bien ; c'est même ce qu'il fait de mieux. (D'ailleurs, si les gens concernés par ce pamphlet ne voyaient pas leur nom y figurer en toutes lettres, ils ne comprendraient même pas que l'on parle d'eux. C'est pourquoi ils y sont, en toutes lettres.)
Cela permettra à ces lecteurs de continuer à vivre dans une merveilleuse illusion toute platonique, qui leur permet d'admirer la réalité de loin. Ce sont d'ailleurs ces lecteurs-là qui font perdurer l'industrie littéraire, puisqu'ils achètent régulièrement les mêmes livres qui racontent toujours la même histoire sous un titre vaguement différent10 (parfois même pas) ; on ne peut que les encourager à continuer, si l'on ne veut pas être taxé d'ennemi de la littérature par ceux qui s'en prétendent les défenseurs.
Si, par contre, les gens touchés par mes propos sont des éditeurs, cela signifie (ou devrait signifier) qu'ils sont honnêtes et ne peuvent supporter qu'on les compare à des saligauds. Cela se comprend, et c'est un inconvénient déplorable. Mais... comment dire ? Où se cachent-ils, ces "bons" éditeurs ? Comment se fait-il que je n'en aie pas rencontré un seul en dix ans ? Et d'ailleurs, comment savent-ils qu'ils sont de "bons" éditeurs ? Qui le leur a dit ? Leurs auteurs favoris (= ceux qui leur rapportent du pognon sans jamais oser les critiquer) ?
Il n'y a malheureusement pas de remède à ce défaut inhérent à la satire : la minorité des gens "biens" doit souffrir à cause de la courte majorité de ceux qui pourrissent le métier et lui confèrent son image de marque dégueulasse. Le problème est le même dans tous les domaines de la société et le restera, tant que nous nous croirons obligés de vivre dans / sous des pyramides sociales, ce qui dépasse largement le cadre de ce pamphlet.
Enfin, si les gens choqués par mes propos sont eux-mêmes écrivains, alors je ne peux que m'étonner de leur réaction ou les envier ; en effet, soit ils vivent dans le bonheur du monde merveilleux de l'édition (en d'autres termes, ils sont soit auteurs à succès, soit pourvus d'une profession à haut salaire compatible avec l'occupation d'écrivain), soit aveugles et sourds, soit ils font partie de la (très rare) catégorie des génies authentiques que nul (pas même un éditeur, c'est dire !) ne serait assez stupide pour traiter en inférieurs. Mais des gens comme ça, il n'y en a guère qu'un par génération et par continent, aussi il est fort peu probable que ce document parvienne un jour sous ses yeux.

Et cela ne fait pas de mal de le répéter, aussi souvent qu'on le peut : Sans moi, l'industrie littéraire n'existerait pas ; les éditeurs, les agents, les sous-agents, les sous-sous-agents, les comptables, les avocats spécialisés, les départements de littérature, les professeurs, les thèses, les livres de critique, les articles de presse, les pages littéraires – tout ce vaste édifice proliférant n'existe qu'à cause de cette petite personne traitée avec condescendance, déconsidérée et mal payée.
Doris LESSING
_______________________________________________
1 De telles erreurs de jugement sont en fait l'apanage des écrivains, puisque ce sont eux qui engagent leur droit moral et cherchent de nouvelles idées. Le bon éditeur est censé les détecter et leur donner une chance de s'exprimer, pas les corriger et les arranger à sa sauce-ketchup idéologique.
2 Dave Duncan, Karen Miller, Ian McDonald, Simon Green, Tad Williams, Richard Morgan ! Mais aussi le très intéressant 365 positions (Du sexe où vous voulez, du sexe quand vous voulez), un livre certainement révolutionnaire (mais dans quels égouts ?)
3 Cela veut dire en réalité que les réunions interminables servaient à entériner les décisions que Mme Mazauric avait déjà prises de toute façon. Son énervement lorsqu'une situation n'évoluait pas comme elle le voulait m'amusait au début, puis je compris qu'elle se comportait de la même manière dans la vie professionnelle. Un exemple parmi d'autres : « Bon, Alfred, tes fiches de lecture, on ne peut plus les payer 25 € ; donc, on va les faire passer à 18,50 €, ce sera plus facile pour tous. Il y en aura plus souvent, pour compenser. Est-ce que tu es d'accord ?! » Quand on sait qu'un lecteur parisien touchait à l'époque entre 40 et 50 € par fiche (jusqu'à 90 € pour une lecture effectuée en urgence) et que la promesse en question ne fut jamais tenue, on saisit mieux la portée réelle de l'intervention. Il va de soi que j'étais "d'accord", puisqu'il n'était pas prévu que je fusse quoi que ce soit d'autre, et qu'à la question "et si je ne suis pas d'accord ?", il fut répondu "nous allons aborder le sujet suivant."
4 Les raisons de mon départ sont si nombreuses qu'il faudrait un roman pour les évoquer toutes ici. Une seule suffira : alors que j'avais entamé depuis six semaines la traduction du roman de Tricia Sullivan Maul (dont les droits traînaient depuis cinq ans), j'ai appris par un tiers que sa parution avait été repoussée par l'éditrice aux Calendes grecques, qui n'avait pas jugé bon de m'en informer (accessoirement, ce fut la dernière fois que je travaillai sans avoir signé de contrat, donc en me fiant à la seule parole d'un éditeur ; je sais désormais ce que ça vaut). Pire encore, en envoyant un e-mail de regrets à l'auteur, j'ai eu la "merveilleuse" surprise de constater qu'elle non plus n'avait pas été informée ! J'ai donc joué à mon corps défendant le rôle du porteur de mauvaise nouvelle, ce qui a évité à la vraie responsable de devoir l'assumer...
Maul a finalement été publié en 2011, dix ans après sa parution originale, dans une traduction que je n'ai pas eu le courage de lire ; comme quoi, moi aussi, je peux être lâche.
5 Dois-je révéler ici que le passe-temps favori de Marion Mazauric est de passer des savons aux stagiaires et de les faire pleurer ? Ce serait un peu méchant de ma part, non ? C'est tellement plus cool d'être quelqu'un de charismatique capable de diriger et de donner des ordres. On aura reconnu là le comportement odieux de tous les patrons paternalistes et paternants du monde capitaliste, qui se croient justifiés dans leur armure de vertu et de rôle social indispensable à la bonne marche de l'économie. A les entendre, ce sont eux qui maintiennent la paix dans le monde et nous devons, nous leurs larbins sur-payés, nous prosterner à leurs pieds et leur obéir aveuglément jusqu'au sacrifice, parce qu'ils souffrent à notre place, tels des christs écartelés dans leur fauteuil de direction, martyrs du monde moderne, futurs saints encore méconnus, maîtres du monde parce qu'ils le "valent" bien. (Voir à ce sujet l'excellent film de Stéphane Kazandjian : Moi, Michel G., milliardaire, maître du monde, 2010 ; on remarquera en passant que ce petit bijou de critique sociale n'a pas dépassé les cent mille entrées en France ; ce qui en dit long sur le silence des médias à son sujet). Eh, oh ! Vous avez déjà vu un entrepreneur travailler autrement qu'en se servant de son bagout et de sa surdité morale ? Moi, pas. Mieux vaut en rire, dit la sagesse populaire, qui ne sait plus quoi dire après avoir largué ses perles. Ça tombe bien, je ne suis ni sage ni populaire.
6 A une exception près, que j'ai démarchée moi-même (sans avoir été payé pour cela).
7 Tu parles d'une aventure ! Trois coups de téléphone en deux mois, une douzaine d'e-mails échangés (dont quatre comminatoires), une série d'e-mails échangés avec la correctrice, un coup de fil final en guise de Bon à Tirer, et basta ! C'est à ça que se résume l'"aventure éditoriale" aujourd'hui. Les rencontres avec un public n'auront lieu que si quelqu'un chez l'éditeur (généralement une jeune diplômée qui croit en votre ouvrage - jusqu'au jour où on lui fait comprendre qu'elle doit arrêter les frais, en général au bout d'une semaine) se démène auprès des libraires pour obtenir des séances de signature. En réalité, seule une notoriété déjà installée permettra à des organisateurs de manifestations d'entreprendre les démarches amenant à inviter un écrivain ; si la chose arrive deux fois dans l'année, il pourra s'estimer chanceux. Quant aux interviews et communications à propos de l'ouvrage, elles consistent neuf fois sur dix en un encadré de 200 mots dans la presse locale, contenant en moyenne un contre-sens et deux inepties.
La palme de l'inconséquence professionnelle revient à une "journaliste" de la Gazette de Montpellier que je n'ai jamais rencontrée, ce qui ne l'a pas empêchée de publier une "interview" de moi à propos de mon premier livre ; non seulement l'entrevue a en fait été montée à partir d'extraits du dossier de presse, mais je n'ai jamais été informé par cette personne de la parution de l'article (je l'ai appris par hasard, six mois plus tard, par une amie libraire).
8 On se rendra compte de la marge de liberté des auteurs en apprenant que, sur mes huit publications (en 2013), trois ont des couvertures à dominante rose, couleur que j'abhorre et que j'avais à chaque fois exclue de mes préférences. Seule celle de La Bibliothèque nomédienne correspond à mes attentes, et pour cause, puisque c'est une amie qui l'a conçue d'après mes directives. L'argument avancé en général par l'éditeur pour imposer ses choix à l'auteur est celui de la "charte graphique". Nous oublions souvent, en effet, pauvres artistes demeurés que nous sommes, que l'éditeur ne conçoit pas le livre comme une œuvre mais comme un produit. Ce qui explique énormément de choses, même si ce n'est pas légal, puisque aucune loi n'autorise l'éditeur à imposer son choix à l'auteur.
9 Depuis cette époque, Bragelonne a quitté l'écurie Harmonia Mundi, les amputant apparemment de 40 % de chiffre d'affaires. Impossible de savoir s'il s'agit d'une bonne nouvelle. Mais quand les requins se bouffent entre eux, le menu fretin ne peut que se réjouir. Signalons en passant qu'Harmonia mundi est un distributeur qui a pour habitude de changer brusquement de partenaires (transporteurs, diffuseur, etc.) sans en avertir ses éditeurs, encore moins les auteurs.
10 On pourra s'amuser quelques minutes avec l'excellent "générateur de titres semi-aléatoire" d'Omer Pesquer : http://www.omerpesquer.info/untitre/

2 commentaires:

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