samedi 25 juillet 2020

L'interview virtuelle

     Il y a quelque temps, une blogueuse (Coralie Raphaël) a refusé de m'interviewer sous prétexte que je "risquais de dire du mal des éditeurs". J'avais enterré cet incident lamentable avec les autres ; il y avait à peine de quoi en faire une note en bas de page dans "Il était une mauvaise foi". Mais la chose s'est renouvelée tout récemment, "avec une vengeance", comme disent les Anglo-Saxons et les traducteurs automatiques.
     C'est ce qui m'a décidé à publier ici l'intégrale de l'interview proposée par Charlène Malandrain, qui tient le blog/instagram/twitter/etc. "Le carnet de Stitch", interview dont elle souhaitait censurer une partie des réponses. Je vous laisse deviner les passages "incriminés".
     Il va de soi qu'elle n'a pas utilisé le mot "censurer" mais des périphrases démagogiques de la plus belle eau : "Il faudrait revoir certaines réponses et enlever tout ce qui descend les maisons d'édition." Car oui, elle a des partenaires dont elle "n'a pas à se plaindre". (Comprenez : il ne faudrait pas qu'elle se les mette à dos et qu'ils la laissent tomber. Comme si le fait que je dénonce les méthodes de certains éditeurs malhonnêtes pouvait entacher la réputation de tous les éditeurs..) Elle propose comme alternative : "Ou alors je peux aussi réfléchir à voir comment je pourrais réorganiser l'interview. "
     Car chez ces gens-là, voyez-vous, on ne censure pas ; on "revoit", on "enlève" et on "réorganise". Ce petit gargouillis étouffé que vous venez d'entendre, c'est George Orwell qui pouffe dans sa tombe puis pleure puis rit puis pleure, etc.


 






L'interview  (ou pas)

Comment allez-vous ? 
Je suis vivant.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
J'ai dépassé le demi-siècle sans freiner ; j'écris depuis que j'ai 14 ans ; ma première histoire a été publiée (en revue) en 1999 ; je suis "écrivain" depuis 2008 et auto-éditeur depuis 2019. Avant cela, j'ai été traducteur technique puis j'ai fait du théâtre (acteur, auteur, metteur en scène). J'ai ensuite purgé dix ans de peine dans l'édition dite "conventionnelle", où j'ai publié trois traductions de romans anglophones et onze ouvrages (dont trois collectifs) qui, au total, m'ont rapporté l'équivalent d'un seul mois de salaire de député. J'anime des ateliers d'écriture depuis 1999, en m'efforçant de changer de méthode et de sujet à chaque fois.

Pouvez-vous présenter vos romans écrits jusqu'ici ?
La Bibliothèque nomédienne : résultat d'un atelier sur le thème du "Continent égaré", devenu une anthologie fantastico-borgésienne écrite par sept auteurs appelés les Gaillards d'avant : l'Américaine Poppy Burton, l'Anglais Graham Chadwick, l'Australien Edwin Hill, et quatre Français : Marc Vassart, Grégoire Hervier, Alain Guyard et moi-même, le "Capitaine sans cap". (Publiée en 2008 dans la collection La Dentelle du Cygne, chez L'Atalante).
La Digitale : roman post-cyberpunk mêlant informatique et parfumerie ; inspiré d'une campagne du jeu de rôles Shadowrun (publié en 2010 chez un jean-foutre qui ne mérite pas d'être nommé ici).
Les Désamants : roman historique épistolaire co-écrit avec Héléna Demirdjian, fondé d'une part sur la vie authentique du navigateur anglais George Bass ; d'autre part, sur la vie hypothétique de "Mlle des X", aristocrate française fuyant la Révolution (publié en 2012 chez un autre éditeur tout aussi malhonnête -mais légèrement moins incompétent- que le précédent).
Le Sang de Robespierre : roman historico-fantastique, dans lequel cinq vampires, sortis de leur torpeur par un rêve commun, tentent de déjouer un complot qui plonge ses racines dans la Révolution française ; l'action se déroule en 1843, du nord de l'Angleterre au cœur de l'Allemagne en passant par Paris et la Flandre. Écrit à partir d'une campagne du jeu de rôles Vampire, la mascarade. (Publié en 2013 chez un nouvel éditeur, Le Peuple de Mü, devenu depuis un éditeur comme les autres, c'est-à-dire incompétent, lâche, hypocrite et sans scrupule).
La Sagesse des Piliers : roman de fantasy/SF se déroulant dans un monde vaste et presque désert dont le ciel est soutenu par d'étranges piliers ; le héros, Libros E. Juggeros, est un Vérificateur impérial qui fait la tournée séculaire des piliers (publié en 2014 chez le même que le précédent).
Exploration totale : novella de SF/space opera racontant la première exploration d'un jeune astronaute sur une planète à l'écoumène gigantesque (publié en 2015, idem).
Les Vicariants : atelier d'écriture collectif mené sur Internet pendant trois ans avec d'autres auteurs (Michael Roch, Marc Vassart, Aléric de Gans, Benjamin Catel, et la participation amicale de Charlotte Tara). Variations sur le thème de l'individu confronté à l'imminence d'une guerre. Les auteurs ont chacun créé un archétype qu'il fallait faire évoluer à travers diverses époques, sur des situations proposées par chacun. Sept lieux et époques ont été explorés, depuis la Rome de l'Antiquité jusqu'à la Nouvelle-Zélande de 2040, en passant par la France de 1520 ou le Portugal de 1755. Deux volumes papier sont parus en 2016 au Peuple de Mü ; le troisième n'a jamais été mené à terme par l'éditeur en question, qui n'a pas tenu ses engagements (notamment, l'avance promise sur la subvention de la région Rhône-Alpes ne m'a jamais été versée et j'ignore ce qu'elle est devenue), ce qui a conduit à une rupture de contrat et à mon départ de son "écurie" bêlante.
Les Aventures dialographiques de Sherlock Holmes et du Dr Watson : recueil de mini-récits dans l'univers d'Arthur Conan Doyle, tirés de fan-fictions co-écrites avec Michael Roch et d'abord parues sur Twitter en 2013. Auto-édité en numérique sur Amazon (couverture et maquette de Julie Mornelli).
Fantaisie baroque : roman épistolaire historique et très libertin, inspiré de l'exécution du marquis de Monaldeschi par la reine Christine de Suède en 1657 à Fontainebleau, exécution dont on n'a jamais découvert les vraies raisons. Paru en version numérique sur Amazon uniquement.
Past Mortem : thriller épistolaire co-écrit (en anglais) avec Julie Mornelli, paru en ligne en 2016 ; inspiré d'une ancienne affaire non résolue de famille disparue près de Cognac au début des années 1980. Premier épisode d'une série à deux personnages centraux, intitulée The Debunkers, dont l'objectif était d'écrire des fictions à partir d'affaires criminelles réelles parvenues à prescription ; le deuxième épisode a dû avorter par suite de la disparition (réelle) de Julie Mornelli en décembre 2017 ; il reste en friches à ce jour et s'intitulera (s'il existe un jour) Clear Mind.
Les Animaux ont la Priorité : polar historique inspiré de la mort inexpliquée du producteur de cinéma Thomas H. Ince en 1924 ; écrit en collaboration avec Emily R. Bloodrun, ancienne archiviste à la Bibliothèque du Congrès US. Auto-édité grâce à une campagne de crowdfunding (disponible en ligne, numérique et papier, chez Books on Demand).

À part ça, j'ai aussi publié deux recueils de poésies, et écrit une douzaine de spectacles (pour le théâtre et la rue) dont trois ont été produits.

Quelles sont vos sources d'inspirations ?
Mes rêves et mes désirs. L'Histoire humaine. Mes auteurs préférés. Certains livres (voir question suivante), films, musiques, spectacles de rue, peintures, sculptures, toute sorte de créations artistiques.. bref, la culture. Et certaines conversations avec des amis ou des personnes d'exception (les deux n'étant pas incompatibles).

Quels sont vos auteurs préférés ?  Est-ce qu'ils vous ont inspiré, et en quoi?
D'abord les Forgerons (ceux qui m'ont forgé l'âme et l'esprit) : Umberto Eco. Ursula K. Le Guin. Jack Vance. Philip K. Dick. Dorothy Parker. John Varley. Boris Vian. Ed McBain. Tony Hillerman. Antonin Artaud. Alfred Bester. Richard Matheson. J.G. Ballard. Jorge Luis Borges. Adolfo Bioy Casares. John Brunner. Fredric Brown. Italo Calvino. Timothy Powers. Patrick Cauvin. René Crevel. Orson Scott Card (jusqu'à La stratégie Ender). Guy Debord. David Graeber. Robert Desnos. Jacques Prévert. Henri Michaux. Pierre Desproges. Romain Gary. Charles Baudelaire. William Gibson (jusqu'à ce que la réalité le rattrape, vers Idoru). Dashiell Hammett. Fritz Leiber. Ira Levin. Lucrèce. Michael Moorcock. Friedrich Nietzsche. George Orwell. Georges Pérec. Fredrik Pohl. Bertrand Russell. Albertine Sarrazin. Robert Sheckley. Clifford Simak. Bruno Traven. Raoul Vaneigem. Valérie Valère. Kurt Vonnegut Jr. Oscar Wilde. Gene Wolfe. Roger Zelazny. Oliver Sacks. Rudy Rucker. (Ne pas oublier que la B.D. franco-belge a fourni son contingent de grands auteurs-scénaristes : Goscinny. Greg. Franquin. Gottlib. Cauvin. Fournier. Charlier. Lamquet. Bretecher. Leloup. Ayrolles. Wasterlain. Hislaire.. À qui il faut ajouter l'incommensurable Bill Watterson.)
Les Inconditionnels (ceux que j'ai découverts sur le tard et dont je ne peux plus me passer) : David Mitchell. Iain Pears. Marisha Pessl. Irvin Yalom. George RR Martin. Daniel Arasse. Alasdair Gray. James Flint. Joshua Ferris. Tibor Fischer. Thomas Kenneally. Magnus Mills. James Morrow. Chuck Palahniuk. Kim Stanley Robinson. Theodore Roszak. Martin Winckler. Lucien Israël. Juli Zeh. Isaac Babel. Didier Daenninckx.
Les Sporadiques (parfois j'adore, parfois non) : Julian Barnes. Jonathan Coe. Gaston Bachelard. Neal Stephenson. Samuel Beckett. Charles Bukowski. Henri-Frédéric Blanc. Catherine Dufour. Robert Heinlein. Vladimir Nabokov. Christopher Priest. Iain M. Banks. Fernando Pessoa. Alberto Manguel. Stéphane Audeguy. Peter Høeg. John Fowles.

Et puis, il y a des livres qui m'ont marqué à vie :
Ariosto Furioso, de Chelsea Quinn Yarbro ; Histoire populaire des Etats-Unis, de Howard Zinn ; Dangereuses visions (anthologie SF réunie par Harlan Ellison) ; Le serval noir, de Marc Vassart ; Le parfum, de Patrick Süskind ; The Teleportation Accident, de Ned Beauman ; The secret history (Le maître des illusions), de Donna Tartt ; The Dice-Man, de Luke Rhinehart ; Entretien avec un vampire et Lestat le vampire, d'Anne Rice ; Le yogi et le commissaire, d'Arthur Koestler ; Club Dumas, d'Arturo Perez-Reverte ; Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes, de Robert Pirsig ; La cloche de verre, de Sylvia Plath ; Le dictionnaire de Lemprière, de Lawrence Norfolk ; Catch-22, de Joseph Heller ; Dune, de Frank Herbert ; Azteca, de Gary Jennings ; les trois premiers tomes de la saga Les maîtres de Rome, de Colleen McCullough ; Dr Adder, de K.W. Jeter ; Parade nuptiale, de Donald Kingsbury ; Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir ; Novecento, pianiste, d'Alessandro Baricco ; La littérature sans estomac, de Pierre Jourde ; La maison des feuilles, de Mark Danielewsky ; Années-lumière, années de guerre, de David Gerrold ; Tous des magiciens ! et C'est dans les yeux, de Randall Garrett ; Radix, d'A.A. Attanasio ; Là où les tigres sont chez eux, de Jean-Marie Blas de Roblès ; 2666, de Roberto Bolaño ; La route de la chapelle, de Louis-Paul Boon ; Bravoure, d'Emmanuel Carrère ; Gravité à la manque, de George Alec Effinger ; Les fosses carolines, de Cavanna ; Julien, de Gore Vidal ; Les mots, la mort, les sorts, de Jeanne Favret-Saada ; Le serpent cosmique, de Jeremy Narby ; Un grand pas vers le bon dieu, de Jean Vautrin ; A la recherche de Klingsor, de Jorge Volpi ; Cyrano, de Jean Rostand ; Dette, 5000 ans d'histoire, de David Graeber ; Petit manuel d'auto-défense intellectuelle, de Normand Baillargeon, 1491, de Charles C. Mann..
Enfin, une mention spéciale pour : Colors insulting to Nature, de Cintra Wilson (que j'ai traduit avec le consentement de l'auteur, et qui attend qu'un éditeur français ait le courage et l'intelligence de le publier).

Et tous ceux que j'oublie, bien sûr.

Avez-vous un lieu de prédilection pour écrire ?
Les librairies-salons de thé qui passent de la bonne musique (avec 0 pubs).
Les cafés avec des alcôves et des recoins, ouverts tard le soir.
Les terrasses ombragées avec vue plongeante sur une montagne.
Un fauteuil près d'une cheminée (en hiver).
Mes genoux ou mon volant (en cas d'urgence).

Pourquoi écrivez-vous ?
Parce que personne d'autre n'écrira ce qu'il y a dans ma tête (ou alors, c'est à devenir dingue).

Avez-vous des sujets qui vous tiennent à cœur ?
L'avenir de l'espèce "humaine" (ce dernier mot étant à prendre dans ses deux sens : biologique et éthique). Les possibilités de vivre autrement. L'exercice du contre-pouvoir. Les rêves. La liberté. Le suicide. La folie. L'art. La justice. La disparition des genres. La beauté.

Quels genres littéraires lisez-vous ?
Le concept de "genres" ne m'intéresse pas. Penser en termes de genres, c'est ouvrir la porte aux préjugés, donc tuer la curiosité. Je lis tout ce qui va au fond des choses sans ressasser de vieilles rengaines multimillénaires (les plus pénibles, à mes yeux, étant l'ésotérisme et sa version officielle : la religion). Je ne m'intéresse pas au contenu des idéologies, seulement à la façon dont elles fonctionnent et à leur histoire (afin de mieux résister à leur violence).

Êtes-vous présents sur des salons littéraires ? Si oui, lesquels ? Avez-vous des dédicaces prévues ?
Quand j'ai un éditeur qui fait son travail correctement, oui ; sinon, c'est trop chronophage à organiser, pour un gain minimal, voire négatif. À vrai dire, la promotion est un travail à temps plein ; c'est surtout celui des éditeurs.

Sur quels sites pouvons-nous vous retrouver ? (Blog, facebook, Twitter, Instagram, etc)
Compte twitter : alfredboudry.

Que pensez-vous des blogueurs, chroniqueurs, booktubeurs, bookstagrameurs ? Qu'ont-ils à vous apporter selon vous ?
Pour m'apporter quoi que ce soit, il faudrait qu'ils commencent par répondre aux questions que je leur pose. On verra le jour où ça arrivera ; si ça arrive. Pour l'instant, seul le silence m'a répondu. Et les internautes sont comme tout le monde : ils parlent surtout de ce qu'ils connaissent déjà. La curiosité est encore et toujours considérée comme un vilain défaut ; elle est surtout difficile à nourrir.
En fait, depuis 2008, mes livres (papier ou numérique ou les deux) n'ont été chroniqués que par des gens que connaissaient personnellement mes éditeurs. J'ai bien peur que la sphère Internet ne fonctionne de la même manière : par entregent, par copinage, par retour d'ascenseur, ou parce qu'on en a entendu parler d'Untel par Machin.. Bref, ce n'est pas parce que les outils ont changé que les humains ont changé. Si le monde de l'auto-édition qui est en train de se mettre en place ne modifie pas profondément la forme éditoriale de la littérature à venir, alors les mêmes défauts persisteront et les auteurs resteront des parias exploités par un système économique inhumain et impalpable. On peut voir que c'est déjà le cas lorsqu'une blogueuse refuse d'interviewer un auteur sous prétexte qu'il va "dire du mal des éditeurs". C'est une forme de censure, une véritable omertá.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui veut se lancer dans l'écriture ?
Comme le mot l'indique et comme le rappelle la loi, l'auteur est la seule personne à détenir l'autorité finale sur le contenu de sa production. Toute autre personne a le droit de faire des suggestions mais pas d'imposer ses choix. Même celle qui corrige ! (Ce qui implique, soi-dit en passant, un dialogue effectif entre auteur et correcteur, lequel n'arrive pas souvent ; cinq fois sur onze, en ce qui me concerne.)
L'édition, telle qu'elle fonctionne traditionnellement, repose sur une arnaque légale, qui permet à quelques centaines d'éditeurs d'exploiter (parfois sans vergogne, souvent sans talent, presque toujours sans originalité) une centaine de milliers d'auteurs, savamment maintenus dans la misère d'un statut juridico-fiscal ambigu, inepte et instable.
Les quelques "béatifiés" que l'on voit régulièrement dans les médias ne sont qu'une infi(r)me minorité, de plus en plus réduite, qui navigue dans des eaux privilégiées et fréquentent des gens fort bien placés.. qui seront les premiers à les laisser tomber si leur intérêt l'impose.
L'histoire de l'édition a largement prouvé que n'importe quel bouquin mal branlé en quelques jours pouvait se vendre à des millions d'exemplaires pour peu que son éditeur fasse correctement son boulot de communication et qu'une poignée de potes journaleux crient au génie. Quoi que vous écriviez, ce n'est pas vous qui choisissez le destin de votre bouquin. Le boulot de l'éditeur est de trouver votre public, donc de le chercher, ce qui explique pourquoi il y a très peu de bons éditeurs ; la plupart se contentent de garder le public qu'ils ont trouvé, généralement par hasard, grâce à un titre qui s'est bien vendu.

Trois conseils à un/e jeune aspirant/e écrivain/e :
- ne rien attendre de qui que ce soit. Tant que le milieu éditorial n'aura pas changé de base légale, il n'y aura que deux modes de fonctionnement possibles : Apprentissage sur le tas & Débrouillardise aléatoire ; ou Piston & Entrisme.
- écrivez, réécrivez, lisez, laissez reposer, relisez, donnez à lire, laissez reposer, lisez à haute voix, (meilleure façon de savoir si votre texte possède une voix, s'il sait parler aux gens), laissez reposer, relisez, réécrivez, corrigez et faites corriger.. Tant que vous n'êtes pas moralement, mentalement et physiquement épuisé.e par votre texte, c'est qu'il ne vaut pas encore la peine d'être publié.
- si un texte vous résiste, de deux choses l'une ; soit il vous fait perdre votre temps (n'hésitez pas à le saborder ou à l'enfermer dans un tiroir) ; soit il dissimule une chose primordiale et vous devez lui/vous donner le temps de découvrir ce que c'est. Cela peut prendre des années, voire toute la vie.

Deux exercices pour vous améliorer :
Face au public : Invitez plusieurs de vos amis (ou participez à un atelier d'écriture en proposant cet exercice) : lisez-leur un de vos textes (nouvelle ou extrait de roman), puis demandez-leur d'en discuter devant vous pendant au moins quinze minutes. N'intervenez pas. Prenez des notes. Souffrez ou exultez en silence. Faites-vous oublier. Ne répondez pas tout de suite à leurs questions. Ils doivent se les poser mutuellement et tenter d'y répondre sans votre aide. Vous ne serez pas présent.e lorsque vos lecteurs vous liront ; ils devront se débrouiller seuls. Votre objectif est de les entendre dire ce qui va dans votre texte et ce qui ne va pas. Moralement, c'est très dur ; mais c'est l'un des exercices les plus constructifs que je connaisse.

Si vous ne vous sentez pas capable d'affronter un groupe d'inconnus, voici un autre exercice, plus difficile et plus long à mettre en place :
Échange de procédé : Proposez à quelqu'un qui écrit aussi (et qui en est à peu près au même stade/niveau que vous) de vous envoyer mutuellement vos textes en friches, en les mêlant à des textes d'autres auteurs (connus ou pas, peu importe) dont vous aurez supprimé les signes reconnaissables (titre, nom, noms des personnages principaux, s'il s'agit de textes classiques. Eh oui, il faudra sans doute les retaper sur papier libre ; c'est bon pour votre compétence en dactylographie et pour réviser les règles de mise en forme.) Ensuite, faites des critiques détaillées de tous les textes que l'Autre vous a envoyés. C'est long, fastidieux et ravageur pour le moral (parce que le plus mauvais du lot sera souvent le vôtre ou celui de votre correspondant/e) mais le fait de devoir mettre tous les textes sur un pied d'égalité vous rendra le plus objectif possible. Jusqu'au jour où votre texte sera considéré par votre correspondant/e comme aussi bon que les autres, voire meilleur, ce qui voudra dire que votre écriture est devenue autonome, donc adulte.
Remarque : Il est préférable de pratiquer cet exercice avec un/e ami/e sincère.

Variante simplifiée : demandez à une tierce personne de critiquer un de vos textes, en mêlant celui-ci à plusieurs (au moins deux) textes de volume équivalent, que vous aurez dépouillés de leurs éléments reconnaissables.

Avez vous d'autres projets d'écriture ? Si oui, pouvez-vous nous en dire plus ?
Le temps que cette interview paraisse, j'aurais peut-être auto-édité (je préfère ce terme à "auto-publié") Je m'avance, masquée, un roman historique racontant la vie d'Eulalie Perret, femme sourde qui devint modèle d'art pendant la Révolution française. J'ai aussi commencé la rédaction et les recherches d'Exploration des vertiges, un roman qui traitera de l'exercice du pouvoir et tentera de répondre à la question de Juvénal : "Qui gardera ces salopards de gardiens et les empêchera d'être pourris jusqu'à la moelle ?" (je paraphrase à peine).

Si tu as eu recours à l'autoédition, peux-tu nous parler de ton rapport avec l'autoédition (le pourquoi, conseils pour un futur autoédité...) ?

Ce que permet l'auto-édition :
- Décider soi-même de ce que l'on veut pour son livre, dans les limites proposées par l'imprimeur (dans tous les cas, celles-ci sont moins étroites que celles imposées par l'éditeur, lequel - il ne faut jamais l'oublier - a : une charte graphique et commerciale à respecter, des actionnaires à contenter, des préjugés, de sales habitudes, des "idées personnelles" (donc, pas les vôtres), enfin des accords secrets avec ses collègues (dont vous ne saurez jamais rien).
- Le contrôle presque sûr de ses gains (à un rythme plus fréquent que celui des éditeurs classiques, qui ne paient qu'une fois par an – quand ils paient).
- Effectuer une promotion effective et contrôlable de vos ouvrages (à condition de ne pas perdre de vue que c'est un travail véritable et chronophage).

Ce qu'elle ne permet pas :
- De publier au sens commercial large du terme (sur un territoire national, par exemple ; encore moins à l'international). Le fait d'être "présent sur la Toile" ne veut pas dire que tout le monde vous voit ; être achetable par n'importe qui ne veut pas dire "être bien distribué/e".
- D'éviter les démarches administratives absurdes imposées par une législation inepte.
- D'intéresser la presse professionnelle, ce qui permettrait de toucher un public plus large.
- De se légitimer en tant qu'auteur (du moins, tant que les articles 131 et sq. du Code de la Propriété Intellectuelle n'auront pas évolué), c'est-à-dire : accéder aux résidences réservées aux auteurs sous contrat, accéder aux subventions du Centre national du Livre, pouvoir concourir à des prix, participer à des salons fermés aux amateurs (donc, aux auto-édités), bref : être enfin "reconnu/e".
[Ajout post 1er novembre: il semblerait qu'une loi ou un décret passé récemment autorise les auteurs auto-édités à déclarer leurs revenus en tant que droits d'auteur. Si c'est vrai, nous ne saurons que l'an prochain si la chose est effective, c'est-à-dire si les fonctionnaires responsables ont compris cette loi et ont décidé de la mettre en application. J'ai parié qu'il faudrait au moins quinze ans avant que ce soit le cas. Quant au fait que les éditeurs conventionnels l'acceptent, je pense qu'il faudra un siècle de plus.]

Voilà. Ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, bien sûr. Heureusement, il est en train de fondre et de s'enfoncer dans la merde en même temps que le reste du monde.

* * *

    Après cette mise en abîme vertigineuse (ou nauséeuse), je vous invite à méditer sur le sens des mots : "Omerta", "liberté d'expression", "courage", "intégrité morale", "éthique" et consorts ; surtout ceux d'entre vous qui croient encore que l'auto-édition est la solution au problème.
 
Vae victis et tutti quanta morghulis.

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