samedi 1 novembre 2014

L'île du Point Némo, de JM Blas de Roblès : de curieux relents ?

Ill. de Lola Luna - 2008

Soyons clair : j'aime bien cet auteur ; "Là où les tigres sont chez eux" m'avait enchanté. Son succès a prouvé que les Français sont capables de lire autre chose que des élucubrations nombrilistes, des réglements de comptes hargneux ou des litanies pseudo-intellectuelles. Il montrait aussi qu'il est plus que temps de briser les barrières de genres littéraires qui frelattent l'édition française et maintiennent dans des ghettos certains auteurs intéressants tout en permettant à des crétins / plagieurs / suceurs d'orteils de profiter des idées d'autrui.
Or, il y a certaines choses qui clochent avec "L'île du Point Némo".
Certes, c'est un bon livre, au rythme bien enlevé, toujours étonnant, plein de personnages pittoresques, un roman atypique et enjoué au point d'en être presque picaresque, un roman comme il y en a peu dans la littérature générale française (et plus du tout depuis la mort de Romain Gary). Il y est dit certaines choses importantes sur l'avenir de l'espèce humaine et la nécessité de réformer le capitalisme et sa mentalité morveuse. Jusque-là, nous sommes d'accord (même si je pense qu'il serait préférable de détruire le capitalisme plutôt que de l'améliorer).

Je tique un peu sur les nombreux passages tristement libidineux, dont la finalité, voire l'utilité m'ont échappé ; sont-ils là pour "provoquer" le bourgeois ? Bof ! Rien de plus facile ; l'effet est donc d'autant plus raté qu'on ne voit pas bien quel but était visé.Le raccord final des trois ou quatre fils du récit m'a paru totalement artificiel et sans pertinence. C'est un nœud plat qu'on n'a même pas envie de trancher. La mode est aux récits polyphoniques qui se recoupent. Dans le cas présent, la réunion des trames est plaquée, sans surprise ni habileté.
Je tique encore sur le fait que ce roman ne mentionne nulle part qu'il relève purement et simplement du genre Steampunk (que je ne décrirai pas ici). Qui, de l'éditeur ou de l'auteur, a décidé de cela ? Impossible à dire mais cette absence manifeste ressemble tout bonnement à une censure. Car, sans le mot "steampunk" collé dessus, on évite d'effrayer le bourgeois (encore lui !) et ça devient de la littérature générale, donc respectable. Et du coup, Zulma en vendra au moins dix fois plus. Bien joué ?
Peut-être pas...
Car il y a autre chose qui manque dans ce livre. Je parle de références, de la bibliographie des ouvrages l'ayant inspiré, voire de remerciements pour les emprunts massifs prélevés à autrui.
- La forteresse abritant une jungle dans un lieu désertique a beau être une invention de Jules Verne (ou de Pierre Benoit ou de Rider Haggard, au choix), celle du "Point Nemo" ressemble énormément à celle d'Ozymandias, dans les "Watchmen" d'Alan Moore et David Gibbons ;
- le groupe d'aventuriers évoque à s'y méprendre celui de "La Ligue des Gentlemen extraordinaires", du même
Alan Moore et de Kevin O'Neill  ;
- l'île artificielle et flottante qui tourne sur elle-même sort de la novella "Le Nombril du Monde", qui fait partie du recueil "La Bibliothèque nomédienne", de.. votre serviteur (et du collectif les Gaillards d'avant) paru chez L'Atalante en 2008 (voir plus haut) ;
- le Big Bloop et le Point Némo sont au centre du Phylum F des VICARIANTS, un atelier d'écriture animé par moi et dont les textes figurent sur le blog <www.vicariants.blogspot.com> depuis 2012...
Je passe sur les détails, car il y en a d'autres.
Bien entendu, le "grand" public ne connaît pas ces références. Je sais bien que ces éléments appartiennent pour ainsi dire à la culture, mais justement il ne s'agit pas de culture dite générale. On nage ici en pleine ambiguïté. Faut-il se réjouir que Blas de Roblès apporte à un certain public des éléments issus de la contre-culture ? Ou déplorer qu'il les emprunte sans rendre à César et qu'il soit seul à recevoir des lauriers pour des idées qu'il n'est pas seul à avoir eues ?
Que l'auteur et l'éditeur se rassurent, je n'ai pas l'intention de les poursuivre pour plagiat. Je connais trop bien les habitudes judiciaires françaises en la matière, et je n'ignore pas que dans la plupart des cas avérés, les juges ont favorisé l'auteur célèbre au détriment de l'obscur (et les Français au détriment des étrangers ; cf. la lamentable affaire de "La Biclyclette bleue"). De toute façon, la question n'est pas là. La question, c'est qu'une fois de plus, la caste des éditeurs décrétés "sérieux" (et par qui d'autres qu'eux-mêmes ?) se pose en défenseurs de la littérature d'avant-garde, ignorant délibérément les auteurs modestes mais réellement novateurs qui leur servent de réserve d'inspiration, les considérant avec un mépris amusé et les maintenant par là-même dans l'ombre qu'ils leur font.

Et c'est ainsi qu'au pays du fromage, rien ne change puisque tout reste pareil.

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