vendredi 26 octobre 2012

FLICAILLE ou RACAILLE? le retour



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Passe ta BAC d'abord !


Un soir, assez tard, je décide (sans raison particulière ; pour changer de la routine, disons) de rentrer chez moi par les petites routes plutôt que par ce stupide périphérique avec son interminable chapelet de ronds-points à feux, où tu poireautes pendant des heures sans qu'aucune bagnole ne passe jamais, à part bien sûr, la traditionnelle poignée de blaireaux engoncés dans une 205 GT qui fonce à 110, parce que "plus tu va vite, putain, plus t'as de chances que y a personne!"
Au moment de sortir de la ville, j'aperçois dans mon rétroviseur central une voiture qui roule tous feux éteints. De deux choses l'une: ou c'est un crétin d'ivrogne qui a oublié d'allumer ses feux (auquel cas, il est plus prudent de me ranger pour le laisser passer) ; ou ce sont des flics qui croient que je ne les verrai pas. La troisième hypothèse (que ce soient des truands qui veulent me faire la peau) est nettement moins probable.

Afin d'éliminer le premier danger, je prends un chemin de traverse et me gare sur le terre-plein. La bagnole éteinte me suit et se range elle aussi, dix mètres derrière moi. Ce n'est donc pas un ivrogne ; eh merde! J'attends trente secondes pour voir ce qui se passe; rien. Mauvaise limonade. Je redémarre. La Mégane aussi, toujours éteinte.
Au carrefour suivant, je fais semblant d'aller en face, puis à la dernière seconde, je tourne à gauche. Totalement inutile, mais à ce stade-là, je ne réfléchis plus vraiment. Au bout d'une minute, mes poursuivants avouent enfin leur nature véritable : ils allument leurs feux et... un gyrophare bleu, posé sur l'habitacle. Maudissant la vie, je me gare sur le bas-côté, en pleine campagne, et j'attends le verdict.
La Mégane se gare dix mètres derrière, les portières s'ouvrent, deux silhouettes en sortent. Un grand type en civil vient se camper à ma portière, tandis qu'un autre, plus petit, en civil aussi, contourne ma Titine pour aller se poster devant, à droite. Dans mon rétro, j'aperçois la tête du troisième larron, qui reste à son volant. Je baisse la vitre.
- Brigade anti-criminelle, me dit l'émule de Bruce Willis (à qui il ressemble vaguement, le charme ténébreux et le talent en moins). Sortez du véhicule.
Quand je suis debout, il me fouille.
-Portez-vous une arme ou un objet dangereux?
J'hésite à l'envoyer chier; je préfère donner dans le facétieux. Peut-être que ça le fera rire (je suis un incurable optimiste).
- Un kleenex, je lui réponds.
Il a un tout petit moment d'incrédulité ; ses mains cessent de me palper pendant une demi-seconde. Derrière moi, j'entends quelque chose qui pourrait évoquer un sourire réprimé. Dur à dire. Bad Bruce reprend sa fouille puis se relève (c'est vrai ; il ne peut rien trouver : je n'ai qu'un kleenex sur moi ; il ne le confisque pas).
- Ouvrez le coffre du véhicule.
Sa gueule n'ayant pas l'intention de se laisser écorcher par un "s'il te plaît", je me penche pour attraper les clés, jetant un coup d'oeil en passant au collègue qui a forcément vu que mes vignettes diverses sont loin d'être à jour. Apparemment, ça ne lui pose pas de problèmes.
Accompagné par le grand zigue en voie de calvitie, je vais à l'arrière et ouvre le coffre. Il me fait signe de reculer et se plonge dans l'ombre. Le troisième comique a mis un pied hors de la Mégane et se planque derrière sa portière, peut-être un flingue à la main, hors de vue. Leur plaque d'immatriculation est en 75. Evidemment, j'ai oublié le numéro complet, aujourd'hui.
Bruce est en train de soulever les divers objets de mon coffre, notamment le plaid dégueulasse qui a traîné dans pas mal de substances et qui n'a pas été lavé depuis... qui n'a jamais été lavé, en fait. Tout à coup, il tombe sur un long étui, du genre suspect.
- C'est quoi, ça? fait-il en le brandissant, heureux comme un basset artésien qui renifle le cul d'un caniche.
- C'est ma canne de billard, lui dis-je, en espérant que ça va le décevoir, vu qu'il s'attendait à un fusil de sniper, au moins.
Résultat: moyen; il ouvre l'étui, hoche la tête et le repose dans un coin du coffre. A ce moment-là, le deuxième zigotto, celui qui ressemble à Joey Pesci (maintenant que j'y repense) m'interpelle :
- Quel est votre métier, monsieur?
Tiens, il y en a au moins un qui a appris la politesse.
- Traducteur, dis-je en me rapprochant de lui pour causer par-dessus le toit de ma bagnole.
Nous échangeons quelques phrases. Comme il veut jouer le gentil, je décide de le récompenser. Je lui demande ce qu'ils cherchent ; trois inspecteurs de la BAC parisienne en goguette à Nîmes, c'est pas si courant. Il me répond évasivement; en gros, des truands organisés feraient du trafic dans des Clio blanches, comme la mienne. D'où, méprise. Ma foi, je n'ai aucun moyen de savoir si c'est vrai. Et honnêtement, je m'en fous.
Au bout d'une minute, j'entends le hayon du coffre qui se referme. Bruce me regarde et me dit:
- Bien. Vous pouvez repartir. Il n'y a rien, lance-t-il à l'adresse de son collègue légèrement éduqué.
Ce dernier quitte son poste, regagne la Mégane, non sans me souhaiter une bonne soirée. Content qu'ils me foutent enfin la paix, je vais jusqu'à lui répondre la même chose. Je les laisse partir, puis je rentre chez moi.

Deux semaines plus tard, avec un pote, nous décidons d'aller nous faire une bonne partie de billard. Lorsque nous arrivons au club où nous avons nos habitudes, j'ouvre le coffre... pour constater que la canne n'y est plus. La serrure n'ayant pas été forcée, une seule conclusion s'impose.
Je ne sais pas où tu es en ce moment, pauvre petite raclure de balai à chiottes purulentes, mais je sais où je souhaite que la queue de billard soit enfoncée bien profond; vu sa longueur, son extrémité devrait atteindre pile poil l'éponge merdeuse qui occupe ton crâne. Nul doute que la sensation ainsi provoquée te donnera l'illusion qu'une idée intelligente est en train de naître dans ton cerveau. Espérons que cette douce émotion te tuera sur le coup. 
       
Ajout tardif : je m'avise soudain que cette fin pourra choquer certaines personnes à la sensibilité délicate. Moi-même, je regrette presque d'avoir employé ces termes, d'une violence inouïe que les amateurs de billard me reprocheront légitimement.
Je m'avise surtout (sept ans après, bonjour, la vivacité d'esprit !) que rien ne prouvait que les trois salopards étaient de vrais flics. Ils ne m'ont montré aucun papier, n'étaient pas en uniforme, ni en casquette. Et n'importe qui peut acheter (ou piquer) un gyrophare bleu-myosotis qui fait ouin-ouin. Bien sûr, il est peu probable que des individus "normaux" se fussent amusés à singer des poulets (sic) mais après tout, en province, on s'ennuie les soirs de semaine ; alors pourquoi pas ? Oui, j'imagine bien trois quadras en goguette, ayant largué leur rombière respective pour un soir, tirant une Mégane de parigot sur un parking et s'amusant à effrayer les chômeurs pour faire la razzia sur le contenu de leurs coffres, arrondissant ainsi leurs fins de mois difficiles.
On rigole comme on peut. Chabrol en aurait fait une scène, après laquelle l'inspecteur Lavardin aurait démoli les crétins en deux répliques qui tuent. Hélas, Chabrol et Lavardin sont bien morts tous les deux, et ladite scène était aussi réelle que les clowns péteux de la maison poulaga.

1 commentaire:

  1. Rire, fort, devant son écran, cela n'arrive pas s'y souvent. Merci Alfred !

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