lundi 10 septembre 2012

Moeurs libres (et tais-toi !)

Crâne d'étudiant après coups de crosse.




Après le bac, j'ai choisi d'étudier le cinéma ; à la fac. Donc, pour faire plus administratif : un DEUG de Communications et Sciences du Langage, option Cinéma. Un des cours que je suivis était celui d'« Atelier de création filmique », titre bien ronflant pour désigner ce qui était surtout un joyeux bordel. La première année, il s'agissait de réaliser un court-métrage en super-8 ; la deuxième, on était encouragé à tâter de la vidéo.

Mme T. (la professeur dont j'abrège le nom parce qu'elle exerce encore peut-être ses « talents ») nous octroya « toute liberté sur le sujet du film et son traitement ». Nous devions seulement respecter un planning en trois étapes : à la fin du premier trimestre, le scénario devait être prêt, ainsi que le plan de tournage ; à la fin du second, il fallait avoir tourné toutes les images afin qu'elles soient visionnées et commentées par l'ensemble des étudiants ; et à la fin du troisième trimestre, le montage et la sonorisation devaient être terminés, afin que l'année se termine en apothéose, par une projection générale des films.
C'était un bon planning. Mme T. insista longuement sur la liberté de choix que nous avions et répéta maintes fois que son rôle se limiterait à une assistance purement technique.
La première année du DEUG, lors de la séance de visionnage des bobines brutes, je ne sais si quelqu'un dans la salle s'attendait vraiment à voir de la pornographie. Pourtant, malgré leur éclairage pisseux, les images prises par l'étudiant E. ne prêtaient guère à équivoque. Pendant deux longues minutes, un couple aux têtes « savamment » disposées hors-cadre, se livrait aux joies du coït puis de la sodomie. Les réactions des étudiants furent diverses : rire gras, suffocation, indignation contenue, consternation, dégoût ; et, à part le sourire fat de l'étudiant E., nulle appréciation véritable. Mme T., quant à elle, n'eut aucun commentaire et passa à la bobine suivante avec un mutisme inhabituel. A la fin de l'année, le film d'E. qui contenait ces images, fut montré à trois cents personnes non prévenues et de tous les âges. Nous nous sentions en démocratie. C'était bien.
L'année suivante, mon groupe voulut faire un film court essentiellement basé sur une prouesse technique (un plan-séquence de 4 minutes). Autant dire que notre scénario était fort simple. Qu'on en juge : trois hommes et une femme jouent au poker - suspense classique - les enchères montent - la femme gagne et rafle les mises - un des hommes l'accuse d'avoir triché - les deux autres le calment - la femme s'en va - la dernière image révèle qu'elle a effectivement triché. Rien de plus.
Lorsque Mme T. eut pris connaissance de ce scénario, elle nous demanda de rester après le cours pour nous faire part d'un « petit problème » ; nous étions loin d'imaginer ce qu'elle nous réservait. Au bout de dix longues minutes de tergiversations nébuleuses, elle avoua enfin qu'elle ne pouvait « nous laisser mettre en scène une histoire aussi peu morale ». Mes amis, qui étaient trois contre un, parvinrent à me calmer. Ils m'obligèrent ensuite à laisser tomber le projet pour réaliser à sa place une manière de vidéo-clip fait de bric et de broc, sans prétention, sans scénario et surtout sans morale.
L'année suivante, je continuai la fac sur ma lancée mais le cœur n'y était plus. Je la quittai en cours de route, sans le moindre regret.
J'avais appris tout ce qu'il y a à savoir concernant l'enseignement secondaire français.

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