mardi 28 août 2012

A lire : BESTIAIRE AMAZONIEN de François Feer


Bestiaire amazonien



Bestiaire amazonien
de François Feer
(éditions Le Dilettante)


Voici quelques années, après l'invention de la « jungle urbaine » (concept justifiant le démantèlement de la culture au profit d'une sécurité peu sociale), est apparue une nouvelle sous-espèce humaine : l'homo sapiens lectorans. Celui-ci, hagard mais décidé à survivre, cherche les ultimes bons livres dans la jungle gonflée aux hormones du marketing mondial inféodé aux gras distributeurs (F1635 : goncourisone, BHL000 : romankétine, $700$ : néolibéralyse, en sont les principales représentantes). Comme tous les chercheurs hagards et décidés, c'est dans les grands moments de désespoir, tout près d'abandonner et de céder aux appels les plus clinquants, que lectorans déniche soudain la perle, le papillon rare, le parangon de ces bois méphitiques.

Disons-le tout de suite : si j'avais fait confiance aux professionnels de la profession, je n'aurais jamais trouvé le Bestiaire amazonien de François Feer. Pour y parvenir, il aura fallu que, poussé par un instinct contradictoire, je suive un sentier délaissé, broussailleux et quasi invisible. De fait, je me croyais perdu, loin de tout, atrocement seul ; j'étais si démoralisé que je m'apprêtais même à relire un classique, quand mon attention fut attirée par un cri discret et plein de tact, qui évoquait autant le garnement rigolard que le lama en peluche grandeur nature : il était là, assis à ma droite, et me regardait avec, dans les yeux, tout le contraire d'une menace.
La première chose qui frappe, en François Feer, c'est qu'il est déjà fort grand garçon pour son âge ; la deuxième, c'est son sourire, qui mesure au bas mot sept doigts de large ; la troisième, ce sont ses lunettes, dont on se demande comment il les retient sur son nez lorsqu'il bondit d'une liane à l'autre. Car François Feer est - on le comprend très vite - le petit-neveu caché de Tarzan. Mais, contrairement à son parent olympique qui se souciait plus d'esthétique musculatoire que d'écologie, l'auteur du Bestiaire amazonien parcourt la canopée, tête en bas, par pur souci de connaissance. De sagesse ? Je n'ose prononcer le mot à voix haute ; pourtant, il n'est que de lire la moindre de ses phrases pour songer aussitôt à un beau tas de Pierre : Desproges, Perret, Loti, Bonte, et même - mais oui, cette lueur dans l'œil gauche - de Coubertin.
Comme tous les bestiaires, celui de François Feer est classé dans l'ordre, peu importe lequel. On y trouvera donc, entre autres, les descriptions de plusieurs bestioles sylvestres équinoxiales, tels le colibri, la rainette, le singe hurleur, le scarabée ou le jaguar, qui se nomment en réalité scientifique : trochilidé, phylloméduse, alouate et phanée (quant au jaguar, il n'a pas besoin de pseudonyme, puisqu'il est connu dans la jungle comme le loup blanc), toutes bestioles dont les mœurs ont de quoi surprendre l'usager de la RATP, étonner les derniers spécimens de ménagères et dérouter le parasite des fauteuils mous (aussi appelé « téléspectateur »). Qui croirait, en effet, que le pian, lorsqu'il est menacé, peut feindre la mort à s'y tromper ? Ou que les plumes du colibri changent de couleur selon la quantité de microscopiques bulles d'air qu'il a emprisonnées sous ses ailes ? Ou que le tatou a cent dents et qu'il est, à la naissance, « tendre comme un cœur de laitue » ? Ou que la rainette sécrète une drogue mille fois plus puissante que le LSD ? Ou que la mémoire défaillante de l'agouti permet à la forêt de s'enrichir ? Ou un millier de choses encore plus incroyables mais dont personne ne parle.
François Feer nous affirme que tout cela est vrai, qu'il l'a constaté et observé lui-même (ou tout comme, car il connaît personnellement l'homme qui a vu la bête), que ce ne sont point là des racontars propagés par notre cousin proche, l'homo sapiens explorans (qui se reconnaît à son haleine parfumée au ti-punch et à ses Pataugas délabrées). Non, tout est authentique, avéré, véritable, au point que l'on est tenté d'enfourcher sa bicyclette favorite pour aller le vérifier séance tenante : on constate alors que la forêt amazonienne est bel et bien d'une richesse confondante, merveilleuse, aussi nécessaire que menacée, et si nous n'y faisons rien, elle succombera tantôt à une fatale overbulldoze qui ne laissera après elle qu'un gigantesque parking de terre battue à mort traversé d'un cours d'eau désormais inutile : l'Amazone sinistré.
C'est pour cela qu'il faut lire le Bestiaire amazonien ; d'abord parce qu'il dit des choses tellement vraies qu'elles nous changent agréablement des « vérités officielles » ; ensuite parce qu'il les raconte dans une langue aussi savoureuse que celle de Cyrano, aussi déliée que celle d'un fameux écrivain auvergnat du milieu du XXe siècle (qui vécut dans l'arrondissement parisien du même carat et dont le nom rime avec alouate), aussi délicieuse et riche qu'un vin orphelin qui aurait rencontré son fromage idéal (pourquoi pas un jeune clinton avec un banon entre-deux ?) ; enfin, parce qu'il contient de beaux dessins à l'encre noire de Dupuy & Berberian, ce qui ne gâte rien.
Il paraît même qu'une certaine académie (celle qui jouxte l'acadécroûte, bien connue des amateurs de chroniques) vient de lui accorder un prix. La chose est évidemment absurde : François Feer est comme l'inox, incorruptible ; ou tout au moins, incorrodable. La preuve, c'est qu'il nous prépare la suite de son Bestiaire ; cette fois, en version sous-marine. Je vais tout de suite aller équiper mon vélo d'une paire de palmes et d'un tuba !

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